Reflets en eau trouble est un court roman de Joyce Carol Oates, très dense, très ramassé, comme une vie qui défile à toute allure, comme les dernières visions avant la mort.
Pour écrire ce roman Joyce Carol Oates s'est inspiré d'un fait divers qui a fait scandale en 1969 aux Etats-Unis. A l'issue de la fête du 4 Juillet, bien arrosée, un sénateur très en vue, vaisemblablement futur candidat à la présidence, raccompagne une jeune fille dont il veut faire sa maîtresse. Mais il est ivre, se trompe de chemin et, dans la nuit, sa voiture dérape et est précipitée dans l'eau profonde et obscure d'une rivière. Le Sénateur parvient à se sauver mais la jeune fille reste bloquée à l'intérieur du véhicule et meurt noyée.
Aucune surprise dans ce récit dont on connaît l'issue dès le début mais curieusement le rythme est haletant comme s'il s'agissait d'un suspense car nous partageons toutes les pensées de la jeune fille, trouées d'espoir dans l'horreur noire de cette noyade, anticipation de la mort, retours dans un passé où tous les temps se confondent : l'enfance et cette fête si proche, ce début d'idylle avec le Sénateur dans cette journée où Elizabeth Anne Kelleher ( Kelly) fait sa connaissance. Les visages des êtres chers, ses chagrins, ses meurtrissures, ses joies aussi, ses études... tout nous amène inexorablement vers la fin dans une accélération angoissante, la tête hors de l'eau, la bouche aspirant la vie dans une bulle d'air, jusqu'au moment où l'eau noire se referme sur nous. Le style de Oates est, comme d'habitude, efficace, pressant, alternant des descriptions splendides des paysages de l'ïle de Grayling qui, par contraste, rendent encore plus étouffant l'emprisonnement dans ce véhicule devenu tombeau.
Au-delà du fait divers, Joyce Carol Oates, dresse une tableau pessimiste de la politique et des hommes politiques américains. Reflets dans un eau trouble est prétexte à une condamnation sans appel du gouvernement conservateur, des loi d'un autre âge comme comme la peine de mort, du refus de l'avortement. Kelly croit naïvement à la politique des démocrates même si elle s'efforce d'être cynique et de citer Charles de Gaule : " Un homme politique ne croit jamais à ce qu'il raconte, et il est surpris quand les autres le prennent au mot". Mais elle admire le vieux Sénateur qui joue du pouvoir que lui confère sa position pour la séduire alors qu'elle a l'âge de ses enfants. Joyce Oates n'est pas plus tendre avec lui qu'envers les conservateurs. Ainsi le Sénateur fait toujours de belles promesses mais n'en a jamais tenu aucune ou si peu; le Sénateur s'extirpe du véhicule en prenant appui sur la tête de Kelly et n'a pas le courage de retourner la chercher; le Sénateur pense surtout à éviter le scandale en prévenant en secret son ami sans appeler les secours, le Sénateur enfin se désole parce que sa carrière risque d'être brisée pendant que la jeune fille agonise. Jamais Joyce carol Oates n'a été aussi amère.