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mercredi 9 octobre 2024

Grégoire Bouillier : Le syndrome de l’orangerie

 

Le syndrome de l’orangerie de Grégoire Bouillier

Claude Monet ; les nymphéas de l'Orangerie


"J’ai mis du temps à comprendre mes nymphéas. Je les avais plantés pour le plaisir; je les cultivais sans songer à les peindre. Un paysage ne vous imprègne pas en un jour. Et puis, tout d’un coup, j’eus la révélation des fééries de mon étang. Depuis ce temps je n’ai guère eu d’autres modèles." Claude Monet

"Pourquoi des nymphéas ?

 La question est moins stupide qu'elle en a l'air. Car Monet peignit énormément de nymphéas. Quand je dis énormément, je parle d'environ trois cents tableaux, voire cinq cents à en croire Clémenceau, disons quatre cents et n'en parlons plus (quatre cents tableaux ! ). Ce qui représente plus d'un quart de sa production totale. Sans compter tous ceux qu'il détruisit : au bas mot des dizaines et des dizaines... Ce sont quatre cents tableaux pendant trente ans."  Grégory Bouillier

"La mort fardée des couleurs de la vie" Bachelard

 

Claude Monet les nymphéas de l'orangerie

J’avoue que j’ai été d’abord un peu dubitative, n’ayant jamais lu aucun autre livre de Grégoire Bouillier, en abordant Le syndrome de l’orangerie commençant par deux prologues sur la Bmore investigations, l'agence de détectives littéraire de l’enquêteur Baltimore épaulé par son assistante Penny. Référence ? Son  livre précédent Le coeur ne cède pas que je me propose de lire dans un proche avenir maintenant que j’ai lu et apprécié Le syndrome de l’orangerie.

Car dans ce bouquin, Grégory Bouillier, Baltimore, Bmore, (ou quel que soit le nom qu’on lui donne) nous entraîne  à l’orangerie et là…  Plouf ! Splash ! le voilà qui fait un malaise, tourne de l’oeil devant les tableaux de Monet, façon syndrome de Stendhal, mais non pas à cause de la trop grande émotion que procure un spectacle sublime (et pourtant dirais-je !), non, non, à cause de l’horreur qui se cache sous la beauté des fleurs. Et oui, derrière cette magnificence de couleurs, derrière les reflets des nuages dans le miroir de l'étang, dans ce splendide univers inversé, sens dessus dessous, qui nous enchante, (nous qui sommes "normaux"), et bien sachez-le, affirme l'auteur, Monet a planqué bien des  « trucs louches » et "ces peintures puent la mort" ! Qui l’eut cru ? Pas moi, en tout cas, qui, bêtement, n'y voyais que des jolies fleurettes ! Ainsi nous partons avec Grégoire Bmore Bouillier, à la recherche du cadavre (des cadavres ?) qui se cache(nt ?) au fond de l’eau trouble, stagnante, des bassins de Monet.


Claude Monet : la robe verte Camille


Ce qui nous entraîne fort loin, dans la boucherie de la guerre de 14-18, en passant par le camp de concentration d’Auschwitz et le jardin de Giverny, en remontant dans la vie de Monet, son époque, sa famille, ses deux épouses Camille et Alice Hoshedé, ses fils Jean et Michel, sa cécité, mais aussi par des détours vers Edgar Poe, le japonisme et les estampes d’Utagawa Hiroshige, Clémenceau, Tintin et Rackham le Rouge, le professeur Tournesol, Pline l'Ancien, Winston Churchill, le peintre suisse Ferdinand Holder, la Commune de Paris et… et… et j’en passe !

Mais sachez que Grégoire Bouillier s’est maîtrisé (si, si, il avait promis à son éditeur de faire court cette fois-ci, donc pas plus de 426 pages et trois lignes, un record de concision, (paraît-il) et je ne parle pas des parenthèses (et des parenthèses dans les parenthèses ( mais que cachent ces parenthèses ?) )).

Alors fou, Gregory Bouillier ? Alors, là oui, tout fou, bouillonnant même, avec une imagination délirante, on se demande où il va chercher toutes ces idées (lui aussi se le demande !) mais combien passionnant !  Car si vous entrevoyez, derrière la description des nymphéas de Monet, les cadavres que l’écrivain vous avait promis de vous révéler au cours d’une enquête menée tambour battant, ce dernier ne vous laisse jamais le temps de sortir la tête de l’eau (stagnante). Autant dire que l'on ne s'ennuie pas... si l'on en réchappe !


Claude Monet les nymphéas de l'orangerie

Et tout ceci pour vous livrer une analyse très sérieuse, documentée et trépidante de l’oeuvre du peintre et de sa vie et une réflexion sur l'art. Sans compter que vous saurez tout sur la botanique et même la différence entre le nymphéa et le nénuphar ! Et toc !

 Et en plus d’être géniale, cette enquête, elle est drôle car Gregory Bouillier ne manque pas d’humour et vous fait rire ! Passionnant ! vous dis-je ! De plus, inutile de vous demander s’il a raison de voir ce qu’il voit et qu’il nous fait voir sous ces pauvres nymphéas, car de toute façon, maintenant, quand vous irez à l’Orangerie, vous ne pourrez plus voir « la scène du crime » de la même manière !


 Giverny :  sous les Nymphéas ... ?


Le syndrome de l'Orangerie a été préselectionné pour de nombreux prix littéraires.


 

samedi 11 mai 2024

Céleste Albaret : Monsieur Proust, souvenirs recueillis par Georges Belmont

 

Céleste et Odilon Albaret

Céleste Albaret a été la gouvernante de Proust de 1913 à 1922, année de sa mort et a longtemps refusé de publier ses souvenirs. Enfin, quand elle se décide à l’âge de 82 ans, elle confie le travail d’écriture à l'écrivain Georges Belmont, expliquant qu’elle a lu trop de mensonges, trop d’inexactitudes sur Marcel Proust et qu’elle doit à sa mémoire de rétablir la vérité telle qu’elle s’en souvient. 

" Mais aujourd’hui avant de quitter à mon tour ce monde, l’idée qu’il puisse subsister un doute et un mensonge sur tout ce que j’ai vu et qui est la vérité, m’est devenue si intolérable que je voudrais qu’il soit dit, une fois pour toutes que les pages qui vont suivre, notamment, sont l’exacte vérité de ma mémoire, et que j’ai suffisamment réexaminé , contrôlé, vérifié les faits dans mon souvenir pour avoir la certitude de ma fidélité absolue à la réalité de qui fut. C’est un testament que j’écris ici, non pas un témoignage."

Jeune lozérienne, enfant gâtée d’une famille aimante, Cécile est catapultée à Paris après son mariage avec Odilon Albaret. Celui-ci est chauffeur de taxi et a pour client régulier Marcel Proust. C’est lui qui présente Céleste à Marcel Proust car la jeune femme, loin de sa mère, dans cette grande ville inconnue, souffre du mal du pays. C’est ainsi qu’elle entre au service de l’écrivain, d’abord comme courriériste, puis comme gouvernante qui bientôt sait tout de son maître, de sa maladie, de ses besoins, de son traitement, les fumigations, de ses peurs de la poussière, de l’humidité, de tout ce qui peut provoquer l’asthme ou troubler son travail, lui qui fait doubler sa chambre de liège pour éviter le bruit.

 

La période du camélia

 

Si Marcel Proust eut une période mondaine que Céleste appelle « le temps du camélia » (à la boutonnière), qui satisfaisait son goût et son désir d'être connu et reconnu par la noblesse, elle est désormais bien terminée, remarque Céleste. Après la guerre, il travaille au lit, dormant peu et mangeant de même. Il ne sort plus de sa chambre que pour répondre encore à des invitations nécessaires pour nourrir son livre, entamant une lutte contre la mort pour parvenir à écrire le mot fin qui semble parfois impossible à atteindre. Il y a toujours quelque chose à ajouter, des passages à peaufiner.

Voyez-vous Céleste, je veux que dans la littérature, mon oeuvre représente une cathédrale. Voilà pourquoi ce n’est jamais fini. Même bâtie, il faut toujours l’orner d’une chose ou d’une autre, un vitrail, un chapiteau, une petite chapelle qu’on ouvre, avec sa petite statue dans le coin.

C’est Céleste qui a l’idée des " béquets", ces bandes de papier écrites de la main de Proust, qu’elle colle aux endroits où des rajouts sont nécessaires. Elle écrit aussi sous la dictée ou recopie des passages de l’oeuvre. Marcel Proust reçoit peu et c’est Céleste qui est chargé de filtrer les visiteurs. Il faut même qu’elle insiste pour qu’il reçoive Gaston Gallimard quand il vient lui annoncer qu’il a remporté le prix Goncourt pour A l’ombre des Jeunes filles en fleurs ( en concurrence avec Les Croix de bois de Dorgeles). Elle connaît ses amis et les jugements secrets qu’il porte sur chacun d’entre eux. Elle devient, au chevet de son maître, une prisonnière consentante, dormant aussi peu que lui, toujours là pour intervenir à ses moindres désirs, mais le faisant, elle insiste, parce qu’elle le veut bien et qu’elle en retire du bonheur malgré l’épuisement. 

La comtesse de Greffulhe, l'un des modèles de la comtesse de Guermantes

Céleste Albaret parle avec intelligence de l’oeuvre de Marcel Proust qu’elle connaît à la perfection. Ainsi, elle fait connaissance de nombreux personnages qui occupent la scène mondaine de l'époque, soit que Marcel Proust les reçoive chez lui, soit qu'il l'envoie porter des billets chez eux, le baron de Montesquiou, Jacques Rivière directeur de la RNF,  l'actrice Réjane, les Daudet, la mère et ses fils Léon et Lucien, Albert Le Cuziat, tenancier d'un maison pour hommes, la comtesse de Noailles, Reynaldo Hahn, madame Straus, veuve de Georges Bizet et la mère de Jacques Bizet, ami de lycée de Marcel Proust...

Mais aux questions des spécialistes sur les clés des personnages, elle répond :

Quand il me déclarait qu’il voyait son oeuvre comme une cathédrale dans la littérature, cela signifiait qu’il estimait qu’elle resterait debout aussi longtemps que les grandes églises qu’il aimait tant - et alors qu’est-ce que cela pouvait faire que son personnage de la duchesse de Guermantes, par exemple, soit pris pour une part à la comtesse Greffulhe ou pour une autre à Mme Straus - et à la comtesse de Chevigné, et pour le reste à dix autres ? Dans cent ans, quelle importance cela aurait-il qu’on le sache, et qui se souviendrait encore de ces dames ? Mais la duchesse de Guermantes et les autres personnages eux, seraient toujours vivants dans ses livres et devant les yeux des nouvelles générations de lecteurs.

 

Madame Straus  :

Et elle constate quant au sens de son oeuvre  :

"Il y avait un monde qu’il avait connu, toute une société et un mode de vie qui s’effritaient et tombaient peu à peu par pans entiers dans un autre monde qui se refaisait. Il l’avait vu; je suis sûre qu’il avait eu la perspective dès les début. Il avait vu la chute de ce monde, bien avant de la connaître. C’est cela qu’il a voulu décrire, un moraliste, avec tous les ressorts humains, toutes les beautés, mais aussi tous les ridicules. Il était terrible dans ses jugements. Oui, il a prédit la chute- voilà ce qu’il faut lire dans son oeuvre.  Si l’on ne sait pas y lire cela, c’est qu’on n’y a rien compris."

Céleste est enterrée au cimetière de Montfort-l'Amaury aux côtés de son mari et de sa sœur, Marie Gineste, qui fut également pendant quelques années au service de Marcel Proust.

 Comment a été accueilli le "testament" de Céleste Albaret ?  Je lis dans Wikipédia : « Traduit en plusieurs langues, Monsieur Proust connaîtra un grand succès public, mais sera mal accueilli en France par certains critiques, spécialistes de Marcel Proust, qui lui reprocheront d'avoir exagéré son intimité avec l'auteur, ne pouvant admettre qu'il ait passé tant de temps à se confier à « une servante inculte ». »

Je ne sais pas quel imbécile a écrit cette ineptie mais il serait digne de figurer dans un des portraits caricaturaux de Marcel Proust, tant il traduit de sotte suffisance, de snobisme et préjugés de classe. Ce qui témoigne de « l’intimité » de Marcel Proust et de Céleste, par exemple ?  C’est ce poème qu’il a écrit pour elle sous forme de plaisanterie :

"Grande, fine, belle et maigre,
Tantôt lasse, tantôt allègre,
Charmant les princes comme la pègre,
Lançant à Marcel un mot aigre,
Lui rendant pour le miel le vinaigre,
Spirituelle, agile, intègre,
Telle est la nièce de Nègre. »


 et  cette dédicace qu’il écrivit, en mai 1921, sur le feuillet de garde d’un exemplaire réunissant Le Côté de Guermantes II et Sodome et Gomorrhe I :

« À ma chère Céleste, à ma fidèle amie de huit années, mais en réalité si unie à ma pensée que je dirai plus vrai en l’appelant mon amie de toujours, ne pouvant plus imaginer que je ne l’ai pas toujours connue, connaissant son passé d’enfant gâtée dans ses caprices d’aujourd’hui, à Céleste croix de guerre car elle a supporté gothas et berthas, à Céleste qui a supporté la croix de mon humeur à Céleste croix d’honneur. Son ami Marcel. »

Une vraie, une réelle amitié malgré la différence sociale !  Et le résultat est un livre prenant, plein d’émotions, sincère, qui ne tourne pas à l'hagiographie mais est extrêmement positif, on s'en doute !  Et qui nous fait revivre l’écrivain comme nul biographe ne peut le faire, dans les moindres détails de sa vie intime, de ses habitudes, de sa maladie, de sa lutte épuisante pour finir son oeuvre, au plus près de sa création et ceci avec un respect, une admiration, un amour inconditionnels et, ce qui ne gâte rien, une connaissance de l’oeuvre qu’elle a vu naître et à laquelle elle participé à sa façon. 



LC Avec Fanja : Céleste, Bien sûr monsieur Proust

 

samedi 27 avril 2024

Laure Murat : Proust, roman familial

 

 

J’avais beaucoup aimé La maison du docteur Blanche de Laure Murat, aussi ai-je eu envie de lire son Proust, roman familial qui a reçu le prix Médicis de l’essai  2023.

Dire que A la recherche du temps perdu a eu une grande importance dans la vie de Laure Murat est un euphémisme puisqu’elle-même précise en conclusion de son essai  : « A ce titre, il ne serait pas exagéré de dire que Proust m’a sauvée ».
A ce titre ? Elle parle du pouvoir de « dessillement » de Proust qui nous propose des clefs pour comprendre le monde, et, grâce à cette lucidité, se sentir libre. La littérature pour nous ouvrir les yeux, pour nous expliquer le réel, nous le rendre intelligible. La littérature plus réelle que le réel !

Laure Murat est née dans une grande famille aristocratique, héritière par son père de la Noblesse d’Empire et par sa mère de la Noblesse d’Ancien Régime, dont les ancêtres ont servi de modèle à Marcel Proust.
L’éducation donnée par sa mère est avant tout un art du paraître, de montrer par la manière de parler, par l’absence apparente d’émotion, par l'impression d'aisance et de facilité, la supériorité de sa classe sociale. Se démarquer du vulgaire ! Ne pas pleurer afin de ne pas  ressembler à un domestique !  Proust qui a d’abord, par snobisme et idéalisme, été attiré par cette aristocratie finit par bien la connaître et perd peu à peu ses illusions. L’arrière-grand-mère de Laure Murat, Cécile Ney d’Elchingen mariée à 16 ans au prince Murat, « Brutale. Méprisante. Et snob comme un pot de chambre pour tout arranger » résume cela en une phrase  :  « Proust ? ce petit journaliste que je mettais au bout de la table ».
 

Cecile Ney d'Elchingen Giovanni Boldini
 

C’est en lisant La Recherche, en cherchant entre les lignes l’histoire de sa famille que Laure Murat met un nom sur ceux de ses aïeux ou de leurs amis qui ont inspiré les personnages de Marcel Proust. A l’hôtel Murat, l’écrivain rencontre une jeune fille prénommée Oriane de Goyon qui donnera son nom à la duchesse de Guermantes; dans le salon de Madeleine Lemaire (Mme Verdurin) l’écrivain fait connaissance de Robert de Montesquiou ( Charlus) et  c’est là qu’il entend la sonate en ré mineur pour piano de Saint Saens qui  est le modèle de la petite phrase de Vinteuil.
Mais Marcel Proust ne copie pas ses personnages, il les crée, il les assemble par bouts, par strates, il « il établit des passerelles entre personnages inventés et individus ayant existé ». Ainsi un personnage fictif comme Saint Loup peut avoir pour ami un « vrai » personnage comme le duc d’Uzès, la duchesse de Guermantes se dit la nièce d’une Mademoiselle d’Uzès, qui n’est autre que la propre tante de Laure Murat.

 

Le comte de Montesquiou par G. Baldini

Mais c’est aussi en lisant Proust que Laure Murat met un nom sur la vacuité, le vide de ces existences, la prétention de ces nobles qui sont toujours en représentation, comme sur une scène de théâtre, personnages que Proust décrit souvent comme incultes, grossiers et vulgaires.

« Naître et grandir dans ce milieu signifie donc partir avec un handicap cognitif sérieux, puisqu’il est à peu près impossible, lorsqu’on est élevé depuis l’origine dans ce théâtre qui ne ferme jamais, de faire la différence entre le rôle et la personne, la représentation et le référent, la fiction et la réalité. »

Laure Murat va être amenée à rompre définitivement avec sa famille quand elle refuse de suivre les codes que l’on cherche à lui imposer. Dans son milieu, la femme doit se marier et être mère. Laure Murat fait des études, enseigne à l’université de Los Angeles, ne se marie pas, n’a pas d’enfant et vit avec une femme. Le fait qu’elle soit homosexuelle et surtout qu’elle affirme son choix et veuille le vivre à découvert est inacceptable pour sa mère qui la considère comme une « fille perdue ».  Dans ce milieu où le paraître est ce qui importe, on peut être homosexuel à condition de le taire !  Ne pas respecter l’injonction du silence est impardonnable ! C'est la rupture définitive avec sa mère puis avec toute sa famille. Et c'est violent !
 

 Proust avait bien compris la nécessité du silence et il ne laisse pas de nous montrer toute l'hypocrisie de ce milieu. Mais explique Laure Murat, en mettant au centre de la Recherche, sans le dire, l’homosexualité, il en fait un sujet universel. Il traite ce sujet « entre l’indicible et l’innommable, le tacite et l’explicite… tout le roman procède de cette rhétorique de la monstration et du silence, de la revendication et de l’implicite… Une seule situation est rigoureusement exclue : l’aveu. »
Après lui, le sujet ne pourrait plus jamais être traité comme avant,  écrit Laure Murat : « Une fois « universalisé » le sujet pouvait enfin s’affranchir ». Pourtant, il faudra attendre 1990 pour que l’Organisation mondiale de la santé raye l’homosexualité de la liste des maladies mentales ! 

C'est ainsi que la lecture de A la Recherche du Temps perdu a permis à Laure Murat de mieux comprendre le milieu d'où elle venait, de saisir quelle aliénation elle vivait. Alors qu'elle découvrait que "l'oeuvre de Proust se place tout entière sous le signe libératoire du flux, le flux du temps qui s'écoule, bien sûr, mais d'une continuelle transformation des êtres et des choses", elle prenait conscience  que son milieu, au contraire prônait le conservatisme, l'immobilité, le refus des changements, un terreau complètement infertile!

LC avec Aifelle ICI

Voir Dominique Ici 

Voir Keisha Ici


mardi 2 avril 2024

Evelyne Bloch-Dano : Une jeunesse de Marcel Proust


Une jeunesse de Marcel Proust d’Evelyne Bloch-Dano est un ouvrage original par le point de vue choisi pour faire revivre l’enfance de  l’écrivain et des amis de son âge. En effet, c’est par  le biais de ce que l’on a appelé le questionnaire de Proust que l’on pénètre dans la Recherche du temps perdu. Une étude passionnante qui nous apprend beaucoup sur les garçons et surtout sur les filles de la fin du XIX siècle et début du XX siècle. Nous avons l’impression de faire une promenade du côté des jeunes filles en fleurs tout droit sorties du questionnaire. Or, celles-ci, parfois, comme elles nous ressemblent ! Je parle pour celles d’entre nous qui avons fait nos études dans les années 1950/ 1960 ! A cette époque-là on regardait plutôt du côté du début du siècle tout au moins en ce qui concernait l’école - avec des programmes semblables, des lectures et des  sujets de devoir aussi - que de la fin du siècle, du moins jusqu’en 68.*

Marcel Proust, Antoinette Faure et un camarade d'école ( inconnu) : 
Antoinette et Marcel ont à peu près le même âge (14 ans). On voit combien la jeune fille paraît plus mûre que son ami.


L’écrivaine part d’un album anglais appartenant à Antoinette Faure, intitulé Confessions. An album to record thoughts, Feeelings etc., album oublié au fond d’une malle, retrouvé bien des années après par le fils d’Antoinette, et dans lequel on a retrouvé les réponses de Marcel Proust daté au 4 septembre 1887 avec la célèbre réplique à la question : "Votre idée du malheur : être séparé de maman.". C’est à l’occasion des derniers jours de l’exposition maritime internationale au Havre que les amis d’Antoinette se sont réunis chez elle et qu’elle présente  le questionnaire comme un jeu de société.

Antoinette et sa soeur aînée Lucie sont les filles de Félix Faure, négociant havrais, qui deviendra président de la république. Monsieur et madame Faure sont amis avec les parents de Marcel. Celui-ci partageait les jeux d’Antoinette au parc des Champs Elysée à Paris et ils avaient nombre d’amis communs..  
Bien sûr, Marcel n’est pas le seul à qui elle a fait remplir son album ! Evelyne Bloch Dano se propose alors de retrouver tous ceux qui figurent dans ces pages. C’est facile quand les personnes ont signé de leur nom et prénom mais ce n’est pas toujours le cas. Parfois ne figure qu’un prénom, d’autre fois, pour les garçons surtout, moins nombreux, renâclant peut-être à se livrer à ce genre de divertissement, aucune information sur l’identité. Il faut dire que le questionnaire à l’opposé du journal intime est une manifestation publique et que certains ne s’y prêtent pas avec la même sincérité !

Il faut alors retrouver de qui il s’agit par une minutieuse enquête ! Une quête à la recherche du temps perdu est alors menée par l’écrivaine et se révèle une mine riche et inépuisable de renseignements sur Marcel lui-même, sur la jeunesse de son temps du moins dans les milieux sociaux aisés, à l’exclusion des classes populaires, sur les relations qu’il a entretenues avec ses jeunes amis, et sur la manière dont l’enfance influe sur son oeuvre. Un vrai travail de fourmi ou d’enquêteur  qui ramène à la vie des jeunes gens disparus depuis si longtemps!

Comme les policiers dans les séries télévisées, j’aurais pu afficher sur mon mur des feuillets portant les détails récoltés dans les archives !

Evelyne Bloch-Dano s’appuie aussi sur un second questionnaire plus tardif intitulé Les confidences de Salon qui montre les évolutions mais aussi les constantes de Marcel Proust malgré la différence d’âge entre les deux questionnaires.

1887 : Marcel Proust à 16 ans


Que se propose  Evelyne Bloch-Dano  en menant cette enquête ?

L’intérêt n’est pas seulement documentaire. Je n’oublie pas qu’à l’origine de mon projet il y a cette interrogation  : « le questionnaire de Proust » est toujours présenté et analysé seul. Qu’en est-il quand on compare les réponses de Marcel et ses congénères ? Est-il vraiment si exceptionnel ? Sa singularité saute-t-elle aux yeux ?

L’intérêt n’est pas seulement documentaire mais …  il l’est, bien heureusement, et pour notre plus grand plaisir ! Et je dois dire que c’est l’un des aspects que j’ai adoré. L’on y devine les caractères des filles, Lucie, Antoinette, mais aussi Marie, Juliette, Blanche, Mathilde, Madeleine et d’autres encore… leurs rêves, leurs révoltes (l’une d’entre elles ne veut pas se marier ! l’autre veut faire ce qui lui plaît ! et l’autre se bagarrer !) leurs idées du bonheur, leur conception du malheur, leurs loisirs (l’une aime jouer du piano, les autres « causer » avec leurs amies et beaucoup se plonger dans la rêverie mais c’est un défaut qu’on leur reproche ), leurs goûts littéraires, et pas seulement (l’une, originale, apprécie les sandwiches, les autres le chocolat, le chocolat et encore le chocolat,  beaucoup le vin de Champagne mais peu, le thé !), leurs opinions par rapport à leur pays. En filigrane aussi, même si ce n’est pas le but poursuivi par Evelyne Bloch Dano, on voit se dessiner la condition féminine à cette époque. Toutes ces petites filles intelligentes, audacieuses et cultivées qui ont environ 16 ans au moment où elles répondent seront mariées pour la plupart deux ans après. Elles répondent unanimement quand on leur demande : Qu’aimeriez-vous être si vous n’étiez pas vous-même :  un garçon ! ». Pour les garçons, ce qui domine c’est le ton potache, les plaisanteries un peu lourdes, les vantardises, mais aussi apparaissent leur culture et les valeurs morales qu’ils admirent en cette fin de siècle. Tout cela révèle ce qu’ils sont même s’ils sont moins sincères ! Ce sont tous des enfants marqués par la défaite de 1870 et leurs sentiments patriotiques entretenus dans les familles et à l’école sont vifs.

Quant à Marcel ?  Il est la fois mûr intellectuellement mais encore très enfant. Même à l’âge de 17 ans, il avoue qu’il a pleuré quand sa mère est partie en voyage. Mais ajoute l’auteur,  il est beaucoup plus ambivalent que l’on ne croit. Il a pris conscience que son homosexualité l’expose aux railleries et cruautés des garçons de son âge et à la réprobation de sa famille. Il a compris qu’il faut se montrer discret et qu’il faut composer avec la société. Il va lui falloir s'imposer pour conquérir sa liberté.

"Ses réponses nous montrent un garçon différents des autres. Elles ont confirmé la maturité de sa réflexion, son goût des nuances, sa délicatesse, son besoin de tendresse, son affectivité, son attachement à sa mère et aux valeurs transmises par celle-ci. Il a pris les questions au sérieux contrairement à ses camarades, et fait preuve d’un certain courage car il est toujours plus facile de se cacher derrière l’humour et la dérision ( …) Plusieurs réponses le rapprochent des filles, soit parce qu’il les fréquente davantage, soit parce que ses goûts, hérités de sa mère et de sa grand-mère font vibrer une sensibilité identique."

Marcel Proust a-t-il emprunté à ses ami(e)s et à leurs parents pour créer ses personnages ? C’est aussi la question ! On a souvent chercher les « clefs » qui permettaient de les identifier. Mais  il a  toujours nié s’être inspiré d’une seule source. De même que pour les lieux de son roman, les personnages sont composites, ils ne sont pas fixés une fois pour toute mais ils évoluent. Les jeunes filles en fleurs sont vues d’abord en groupe, une vision floue, en mouvement comme «  une bande de  mouettes qui exécute à pas comptés sur la plage - les retardataires rattrapant les autre en voletant -  une promenade… » .

Cette vision en mouvement, écrit Evelyne Bloch-Dano, où les individualisations se fondent dans l’ensemble, ou bien surgissent pour disparaître au profit d’une autre, me rappelle le moment où, feuilletant pour la première fois l’album d’Antoinette, j’avais conscience de la succession des écritures et des couleurs, sans parvenir à m’arrêter à une page, la lisant parfois et l’oubliant aussitôt. »

Un essai passionnant, très agréable à lire et qui nous apprend beaucoup sur la société bourgeoise de cette époque et sur Marcel Proust.




Je rappelle les lectures communes sur Marcel Proust ici


LC Du côté de chez Swann pour le 15 Mai  Miriam Claudialucia

 

LC : Laure Murat : Proust roman familial pour le 25 Avril  :  Aifelle   Claudialucia

 

LC :  Monsieur Proust souvenirs de Céleste Albaret  OU/ET Céleste Bien sûr Monsieur Proust de Chloé Cruchaudet BD 1 et 2  On peut choisir de lire l'un ou l'autre ou les deux.   

Pour le 28 Avril  : Fanja   claudialucia

 


Voici ICI les titres de livres à lire autour de Marcel Proust


Pour ceux et celles qui ont déjà lu La Recherche et qui veulent nous accompagner et pour tous ceux qui veulent approfondir leur lecture, nous  présentons aussi une liste non exhaustive de livres à lire autour de Marcel Proust et il y en a pour tous les goûts. On les lit quand on a a envie, au rythme que l’on préfère. Et là aussi vous mettez un lien et le logo en direction de vos blogs. Nous proposerons de temps en temps une récapitulation  de vos participations.

Proust roman familial Laure Murat  Editions Laffont

Une saison  avec Marcel Proust de René Peter  Editions Gallimard

Une jeunesse de Marcel Proust de Evelyne Bloch-Dano  Editions Stock

Un été avec Marcel Proust  de Antoine Compagnon...  Editions des Equateurs

Le Proustographe Proust à la recherche du temps perdu en infographie de Nicolas Ragonneau  Editions Denoël

Le grand monde de Proust Dictionnaire des personnages de la Recherche du temps perdu de Mathilde Brézet  Editions Grasset

Monsieur Proust souvenirs de Céleste Albaret   Editions Laffont

Céleste Bien sûr Monsieur Proust de Chloé Cruchaudet  BD 1 et 2  Editions Noctambule

A la recherche du temps perdu de Stéphane Heuet BD tome 1 à 8

Comment Proust peut changer votre vie de Alain de Botton

A la lecture de Véronique Aubouy et Mathieu Riboulet

L’herbier de Marcel Proust  de Dane Mc Dowell   Editions Flammarion
Claudialucia ICI

Le manteau de Proust Lorenza Foscini  Editions Quai Voltaire
claudialucia ICI

Les enquêtes de Marcel Proust : Pierre-Yves Le Prince  Editions Gallimard
claudialucia ICI

La madeleine et le savant Balade proustienne du côté de la psychologie cognitive André Didierjan  Editions Seuil
keisha ICI
claudialucia ICI

Un humour de Proust avec Denis Podalydès et  Jean-Philippe Collard  concert-lecture sur scène
Claudialucia ICI

 La petite cloche au son grêle  Paul Vacca :  ( à propos de Marcel Proust) roman Livre de poche
claudialucia

A la recherche de Robert Proust  Diane Margerie  Editions Flammarion
claudialucia ICI

Le musée imaginaire de Marcel Proust  Tous les tableaux de A la recherche du temps perdu  Eric Karpeles
keisha ICI  Editions Gallimard

Proust et les autres  Proust à Cabourg, Proust et son père, Proust et Céleste  Christian Péchenard   Editions La petite vermillon 

keisha ICI

Proust contre La déchéance de Joseph Czapski  Editions Noir sur blanc

Nathalie ICI
keisha ICI

Dictionnaire amoureux de Proust  Jean-Paul et Raphaël Enthoven  Editions Grasset
keisha ICI

Chercher Proust Michaël Uras  Livre de poche

keisha ICI 


Une autre Proustolâtre, Nathalie qui dédie son blog à Marcel Proust et Mark Twain

 Lire l'introduction à la Recherche du temps perdu  de Nathalie dans son blog Chez Mark et Marcel

  Il vous faut lire aussi la présentation de La Recherche du Temps perdu relu par Nathalie dans son blog Chez Mark et Marcel ICI





samedi 23 mars 2024

challenge Marcel Proust chez Miriam et Claudialucia


 

Il est toujours temps de lire Proust ! Personnellement,  je me suis "initiée" à Proust quand j’étais au lycée; je n’ai pas aimé et j’en suis restée là ! Enfin pas vraiment ! J’ai essayé d’entrer par la petite porte, en lisant beaucoup autour de Proust et de larges extraits.

Mais peut-on rester en dehors toute sa vie de ce monument de la littérature française quand on aime comme nous l’aimons tous la lecture, amis blogueurs ? Certes, Proust intimide mais les incursions que nous  avons faites dans ses oeuvres nous ont bien persuadées qu’il n’est pas rébarbatif et même qu’il a beaucoup d’humour.

Si vous ne faites pas partie des CQLD : de Ceux Qui Le Détestent  : - Anatole France : « la vie est trop courte et Proust, trop long »- , rejoignez-nous : Miriam dans son blog Carnet de voyage et notes de lecture et Claudialucia dans Ma Librairie.


La  recherche du temps perdu


Donc, il  est toujours temps de lire Proust ! C’est en partant de cette affirmation que nous vous proposons un défi : lire  A la recherche du temps perdu du premier au dernier volume.


A partir du mois d’Avril 2024,  lançons-nous dans la lecture des sept volumes de Marcel Proust dans l’ordre :


1) Du côté de chez Swann
2) A l’ombre des jeunes filles en fleurs
3)Le côté de Guermantes
4)Sodome et Gomorrhe
5) La prisonnière
6) Albertine disparue
7) Le Temps retrouvé

 Taloidu ciné propose  aussi: la lecture d'autres oeuvres de Proust : Jean Santeuil/ Pastiches et mélanges

 et on peut y ajouter tous les films sur l'oeuvre et la vie de Proust


Si j’en crois Keisha, La Proustolâtre, il faut se donner une décennie pour les lire et recommencer ! Bon, on va y arriver un peu plus vite, j’espère ! Mais sans pression !

Du coup nous ne mettons pas de date pour clore  notre défi. L’important est de participer au moment où l’on en a envie et d’arriver au bout.

On peut s’inscrire pour cette lecture commune ou préférer la faire en solitaire car il n'est pas question que cela devienne un marathon et chacun pourra choisir de rejoindre la LC ou de lire à son rythme.

LC Du côté de chez Swann pour le 15 Mai  Miriam Claudialucia

 

LC : Laure Murat : Proust roman familial pour le 25 Avril  :  Aifelle   Claudialucia

 

LC :  Monsieur Proust souvenirs de Céleste Albaret  OU/ET Céleste Bien sûr Monsieur Proust de Chloé Cruchaudet BD 1 et 2  On peut choisir de lire l'un ou l'autre ou les deux.   

Pour le 28 Avril  : Fanja   claudialucia

 

Je propose aussi une LC sur un livre que je suis en train de lire et que je trouve passionnant :  Evelyne Bloch-Dano : Une jeunesse de Proust LC 

Vers mi-Avril ??  date à préciser avec les intéressé(e)s.


 Dites-nous quand vous publiez votre billet en mettant un lien dans le blog de Miriam et ici chez Claudialucia.


Les livres autour de Marcel Proust
 



Pour ceux et celles qui ont déjà lu La Recherche et qui veulent nous accompagner et pour tous ceux qui veulent approfondir leur lecture, nous  présentons aussi une liste non exhaustive de livres à lire autour de Marcel Proust et il y en a pour tous les goûts. On les lit quand on a a envie, au rythme que l’on préfère. Et là aussi vous mettez un lien et le logo en direction de vos blogs. Nous proposerons de temps en temps une récapitulation  de vos participations.

Proust roman familial Laure Murat  Editions Laffont

Une saison  avec Marcel Proust de René Peter  Editions Gallimard

Une jeunesse de Marcel Proust de Evelyne Bloch-Dano  Editions Stock

Un été avec Marcel Proust  de Antoine Compagnon...  Editions des Equateurs

Le Proustographe Proust à la recherche du temps perdu en infographie de Nicolas Ragonneau  Editions Denoël

Le grand monde de Proust Dictionnaire des personnages de la Recherche du temps perdu de Mathilde Brézet  Editions Grasset

Monsieur Proust souvenirs de Céleste Albaret   Editions Laffont

Céleste Bien sûr Monsieur Proust de Chloé Cruchaudet  BD 1 et 2  Editions Noctambule

A la recherche du temps perdu de Stéphane Heuet BD tome 1 à 8

Comment Proust peut changer votre vie de Alain de Botton

A la lecture de Véronique Aubouy et Mathieu Riboulet

 
L’herbier de Marcel Proust  de Dane Mc Dowell   Editions Flammarion
Claudialucia ICI

Le manteau de Proust Lorenza Foscini  Editions Quai Voltaire
claudialucia ICI

Les enquêtes de Marcel Proust : Pierre-Yves Le Prince  Editions Gallimard
claudialucia ICI

La madeleine et le savant Balade proustienne du côté de la psychologie cognitive André Didierjan  Editions Seuil
keisha ICI
claudialucia ICI

Un humour de Proust avec Denis Podalydès et  Jean-Philippe Collard  concert-lecture sur scène
Claudialucia ICI

 La petite cloche au son grêle  Paul Vacca :  ( à propos de Marcel Proust) roman Livre de poche
claudialucia

A la recherche de Robert Proust  Diane Margerie  Editions Flammarion
claudialucia ICI

Le musée imaginaire de Marcel Proust  Tous les tableaux de A la recherche du temps perdu  Eric Karpeles
keisha ICI  Editions Gallimard

Proust et les autres  Proust à Cabourg, Proust et son père, Proust et Céleste  Christian Péchenard   Editions La petite vermillon 

keisha ICI

Proust contre La déchéance de Joseph Czapski  Editions Noir sur blanc

Nathalie ICI
keisha ICI

Dictionnaire amoureux de Proust  Jean-Paul et Raphaël Enthoven  Editions Grasset
keisha ICI

Chercher Proust Michaël Uras  Livre de poche
keisha ICI 

Une autre Proustolâtre, Nathalie qui dédie son blog à Marcel Proust et Mark Twain

 Lire l'introduction à la Recherche du temps perdu  de Nathalie dans son blog Chez Mark et Marcel

  Il vous faut lire aussi la présentation de La Recherche du Temps perdu relu par Nathalie dans son blog Chez Mark et Marcel ICI


Vous pourrez utiliser l’un de ces logos. Choisissez votre préféré !  

 




                    


lundi 13 novembre 2023

Neige Sinno : Triste Tigre

 


Triste Tigre de Neige Sinno qui a obtenu le prix Fémina et le prix du journal le Monde est un témoignage sur l’inceste que l'écrivaine a subi quand elle était enfant, pendant de nombreuses années, de la part de son beau-père. Dans une fratrie de quatre, Neige et Rose sont les filles d’un premier mariage de la mère, les deux autres sont nés du second mariage avec cet homme incestueux.
L’écrivaine analyse comment un tel acte peut rester secret et comment l’enfant violé n’a pas la possibilité de se libérer, subissant une domination qui annihile sa volonté, une sidération par la persuasion, la peur, la culpabilité. Elle a toujours été consciente que si elle parlait, elle détruirait toute la famille, sa mère restant seule à élever quatre enfants. Finalement, alors qu’elle est partie de la maison, elle finit par porter plainte pour protéger ses petits soeurs et frère.

Mais dans cette première partie qui s’intitule Portraits, ce qui l’intéresse le plus, c’est ce qui se passe dans la tête du violeur incestueux. Neige Sinno fait référence au roman de Nabokov, Lolita, où le lecteur est amené à voir l’inceste et le viol du point de vue du violeur.  

Lorsqu’il la violait, son beau-père prétendait que c’était le seul moyen qu’il avait trouvé pour se rapprocher d’elle parce qu’elle ne l’aimait pas et ne l’acceptait pas ! Elle refusait de l’appeler papa, refusait qu’il lui donne un surnom ridicule.
« Il avait sur moi une toute puissance qui lui donnait pendant le temps des viols la sensation d’être un surhomme. Il pouvait décider de ma vie et de ma mort. »
 
Il ne pouvait exercer sa domination sur elle autrement car, explique-t-elle, le viol, est davantage une question de pouvoir que de sexe. C’était le seul moyen pour lui de l’assujettir. Cette analyse la mène à s’interroger sur la frontière fragile qui existe entre le Bien et le Mal et sur ce qu’est l’essence de la monstruosité.

Si on avait le choix, qui ne choisirait pas le tigre plutôt que l'agneau, le loup plutôt que le chien ? Parfois je crois que je préfèrerais être ce personnage-là (...)  plutôt que d'être moi.  Cependant si je tendais vers cela, vers ce devenir de dominé devenu dominant, de guerrière qui se relève et se venge, de résilience nietzschéienne, est-ce que je ne risquerais pas d'écraser à mon tour plus petit que moi ? Comment faire pour s'élever vers une plus grande puissance sans que cela tourne à l'oppression de l'autre ? Comment transcender le mal dans la douceur et non dans un nouveau mal ? Et comment faire pour que cette douceur nous fascine autant que le côté obscur.

La seconde partie intitulé Fantômes est une allusion à la phrase de Nabokov dans Lolita : « C'était un sentiment très particulier : une gêne hideuse, oppressante, comme si j’étais attablé avec le petit fantôme de quelqu’un que je venais de tuer ». Là, elle et examine les conséquences du viol dans la vie de l’adulte.

Fantôme c’est ce devient l’enfant violé pour le restant de ses jours, c’est ce qui est arrivé à Neige Sinno mais contrairement à ce que l’on pourrait croire le viol n’entraîne pas que des problèmes sexuels mais concerne toute la personnalité. Les dommages sont irréversibles.
« La domination sexuelle est une forme de soumission qui atteint les fondements de l’être. »
« Les conséquences du viol … affectent depuis la faculté de respirer jusqu’à celle de s’adresser aux autres, de manger, de se laver, de regarder des images, de dessiner, de parler ou de se taire, de percevoir sa propre existence comme une réalité, de se souvenir, d’apprendre, de penser, d’habiter son corps et sa vie, de se sentir capable de simplement être. »


A travers Triste Tigre, Neige Sinno s’interroge aussi sur le fait littéraire et sur la langue. Pourquoi seule la fiction aurait prétention à être littéraire ?  Pourquoi un témoignage ne le serait-il pas ?

« Le témoignage est un outil d’analyse mais un outil bien affûté arrive jusqu’à l’os. Et quand on touche l’os, l’art n’est jamais loin. »

Pourquoi aussi faudrait-il le rejeter parce qu’il emploie le mot propre, le mot cru ?  C’est ce que constate Neige Sinno à propos des livres qui parlent de l’enfance violée, plus que le sujet, on leur reproche la manière dont il est traité. Il faudrait pour que la chose soit recevable, lisible, enrober le tout dans « la langue », l’ellipse, la métaphore, l’euphémisme, bref ! faire de l’art ! 

«  Faire de la beauté avec l’horreur, est-ce que ce n’est pas tout simplement faire de l’horreur ?

 «  Faire de l’art avec mon histoire me dégoûte. Cette distance qui nous protègerait, moi et mes éventuels lecteurs, des éclaboussures, des fluides qui dégoulinent de la vie réelle, me semble un peu hypocrite, un peu raide, un peu menteuse aussi. (…) Tant qu’on ne voit pas le pénis de l’homme de quarante ans dans la petite bouche de la fillette, ses yeux humides de larmes sous la sensation imminente de l’étranglement, tant qu’on ne voit pas, c’est encore possible de dire qu’il s’agit d’amour, une histoire d’amour fou…»
L’amour est souvent, d’ailleurs, l’excuse qui vient à la bouche des violeurs d’enfant pour qu'on les comprenne.

A propos de Tyger Tyger de Margaux Fragoso, la critique a d’ailleurs reproché à l’autrice de rendre le livre insupportable, « avec tout son sexe explicite ». Autrement dit, on doit rester entre gens bien élevés et  employer « le grand style » ?
Ainsi L’oeil le plus bleu, le livre de Toni Morrisson est rayé aux Etats-Unis des lectures scolaires, coupable de « sexe explicite », c’est pourquoi aussi en France où, paraît-il, ne règne pas le même puritanisme, un lycée privé de Bretagne a fait interdire Triste Tigre dans la liste des prix littéraires pour le Goncourt des lycées. Quelle hypocrisie ! Tout le monde est d’accord sur le fait qu’il faut en parler pour aider la jeunesse à se protéger mais finalement les mots dérangent plus que la chose !

Et quel courage il faut à celles ou ceux qui ont subi un viol pour écrire ce qui est, pour que cela ne reste pas un secret honteux !

« Laver son linge sale en famille, c’est souvent garder le silence sur de vilaines histoires, des histoires d’abus, de domination, d’inceste. Un procès public pour une affaire de viol c’est comme laver sa culotte devant tout le monde. J’avais un peu cette impression quand j’ai fait ce choix au procès. »
Pourtant quand on considère l’ampleur des chiffres des violences intrafamiliales, on se demande ce que signifie encore cette notion de vie privée alors qu’il s’agit en réalité d’un crime systémique commis dans le secret de centaines de milliers de familles. Ce linge sale, cette ignominie, ce n’est pas la mienne, c’est la nôtre, elle est à nous tous. »


En même temps que son talent d'écrivain, j’admire la force de Neige Sinno car il ne faut pas croire que son courage lui ait apporté des soutiens, ni dans son village ou l’on a fait semblant de ne pas la reconnaître, ni auprès de ses voisins qui ont continué à parler au violeur car « à nous, il ne nous a rien fait », ni dans sa famille où sa demi-soeur  n'en veut pas à son père parce qu’elle est sûre qu’il ne l’aurait pas touchée, elle, qui est de son sang ! Cet homme, condamné à neuf ans de prison et qui n’en a effectué que cinq pour bonne conduite, s’est remarié et élève quatre enfants avec sa nouvelle épouse ! C’est la réalité de la justice dans notre pays !

On dit que l'écriture sauve !  Ce n'est pas le cas de Neige Sinno et ce n'est pas pour cela qu'elle écrit.  A moment donné, l’écrivaine affirme : « je ne suis plus la petite fille vulnérable que j’étais, c’est à mon tour de protéger. » C'est la raison de ce texte et c’est ce qu’elle fait avec ce témoignage bouleversant qui touche à l’os, et oui, et qui peut aider à lever les tabous. 


Voir le billet d'Aifelle : ICI

Je lis un article dans Le Monde du 17 Novembre  qui corrobore bien ce que dénonce Neige Sinno quant à la défaillance de l'institution judiciaire en matière d'inceste et de viol.

L'article parle d'un juge, Edouard Durand, coprésident de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), qui est à l'écoute des victimes.  Ce qui est rare.

https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/11/17/le-juge-edouard-durand-porte-voix-des-victimes-d-inceste_6200684_3224.html

 

Un autre article du journal Le Monde mercredi 16 novembre est intéressant sur ce sujet :  Neige Sinno s'est rendu à Ploërmel,  dans la ville du lycée privé qui a interdit la lecture de son livre.  Elle y a rencontré  un public nombreux où se mêlaient des élèves du lycée ayant lu son livre et des professeurs trouvant cette interdiction aberrante. Elle a déclaré :

"Retirer un livre sur l’inceste d’une bibliothèque est une violence supplémentaire qui encourage le silence. Dans un lycée de 1 700 élèves, cela représente 170 adolescents. Ce chiffre est sidérant, insiste Neige Sinno. Grâce au bruit autour de mon ouvrage, mais aussi l’imminente publication du rapport de la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, j’ai l’impression que le silence est attaqué. Mais pour combien de temps ? »




lundi 6 novembre 2023

Guy Boley : A ma soeur et unique



Je n’ai jamais lu Nietzsche. Pendant très longtemps il a été lié pour moi à Wagner et aux milieux antisémites du XIX siècle, et, plus tard, à l’idéologie nazie jusqu’au jour où j’ai lu un article sur le rôle pervers joué par sa soeur Elizabeth dans sa vie et son oeuvre. Aussi lorsque j’ai vu ce livre de Guy Boley  A ma soeur et unique , j’ai su qu’il me fallait ce livre tant le sujet m’intéressait.

La jeune Elizabeth Nietzsche


Fritz et sa soeur Elisabeth, tous deux marqués dans leur jeune âge par la mort de leur père suivie bien vite de celle de leur petit frère Josef, vivent d’abord une relation fusionnelle : la petite soeur en admiration devant le grand frère lui doit son éducation, le peu d’instruction qu’elle emmagasine auprès de lui, son introduction dans la société. En revanche, comme Friedrich est victime de problèmes ophtalmiques et de maux de tête violents qui le terrassent, elle est, pour lui, une garde-malade dévouée et une précieuse auxiliaire puisqu’elle lui tient lieu de secrétaire. 

Exemplaire, la petite soeur ? Hum ! Déjà, dans l’enfance, le caractère violent, autoritaire, l’orgueil de la fillette puis de la jeune fille, sa jalousie dès que son frère s’intéresse à une autre femme, s’affirment ! Ce n’est pas pour rien que son frère l’appelle Lama, allusion à ces animaux qui crachent sur ceux qui les contrarient.

 

Friedrich Nietzsche jeune
 

Fritz s’affirme rapidement comme un étudiant d’une intelligence brillante, devient professeur universitaire très jeune mais il étouffe entre une mère et une soeur bigotes, dans un milieu étroit d’esprit où ses écrits font scandale et où lui-même fait figure d’Antéchrist !

Mais la rupture entre le frère et la soeur ne surviendra que plus tard, lorsque Fritz, déçu par Wagner qui était devenu son ami, et révolté par l’antisémitisme de ce milieu rompt avec le musicien.

« Les juifs m’intéressent, objectivement, davantage que les allemands : leur histoire offre des problématiques bien plus fondamentales. (…) J’aimerais bien savoir jusqu’où, au bilan, il ne faudrait pas pousser l’indulgence envers un peuple qui, de tous, a eu - non sans notre faute à tous - l’histoire la plus malheureuse, et auquel nous devons l’homme le plus noble (le Christ), le sage le plus pur (Spinoza), le Livre le plus puissant et la Loi morale la plus efficiente que le monde ait jamais vus »

« … c’est pour moi une question d’honneur que d’observer envers l’antisémitisme une attitude absolument nette et sans équivoque, à savoir : celle de l’opposition, comme je le fais dans mes écrits. On m’a accablé ces derniers temps de lettres et de feuilles antisémites ; ma répulsion pour ce parti (qui n’aimerait que trop se prévaloir de mon nom) est aussi  prononcée que possible… »

Elizabeth, elle, non seulement s’épanouit dans ce milieu et adopte les thèses racistes mais elle épouse un professeur universitaire viscéralement antisémite, Bernhard Föster. Elle part ensuite avec lui au Paraguay pour recréer un royaume allemand qui, débarrassé des « juifs et de la juiverie », pourra retrouver la pureté de la race aryenne. L’histoire de ce voyage est un roman d’aventures à lui tout seul !

« Foster se sent un messie faiseur de Paradis où règneront les fils de Wotan et ceux de Parsifal dans un déferlement de chants de Walkyries  (…) Le grand avantage de la bêtise sur l’intelligence, c’est que la première, contrairement à la seconde, est totalement illimitée. Vu sous cet angle, Foster mérite amplement son royaume. ».

Elizabeth Föster-Nietzsche : Edvard Munch


Le frère et la soeur ne se retrouveront que lorsque Elizabeth, devenu veuve après l’échec de son royaume du Paraguay, revient au chevet de son frère, muré dans la maladie, et commence à exploiter financièrement sa célébrité montante et à tronquer, raturer, ajouter, déformer, bref! à falsifier ses œuvres.

« On aurait pu lui pardonner ses mensonges, son orgueil, ses tricheries; et sa bêtise aussi. On était même prêt à l’absoudre et à solder, quasi sans rancune, à la façon d’une fable, l’histoire de leurs vies : «  Deux pigeons s’aimaient d’amour tendre, l’un d’entre eux devint fou et l’autre s’enrichit sur le dos de cette folie ». Cela nous aurait donné une morale acceptable, une fin un peu cruelle mais le monde aussi l’est. Mais d’avoir par la suite, vendu son frère, ses écrits, ses pensées, son âme et son esprit aux pires démons que le monde ait jamais en son sein fécondés, d’avoir fait de Friedrich une pensée bottée qui marche au pas de l’oie, la svastika taguée sur son Zarathoustra, cela mérite le pal, la corde et le bûcher. »

Le style de l’auteur est assez flamboyant, prolixe, une sorte d’avalanche de mots qui emporte tout sur son passage, torrent en crue qui m’a submergée, parfois un peu trop, en m’agaçant, parfois, au contraire d’une manière réussie qui emporte l’adhésion. L’auteur n’est pas neutre ( A vrai dire, cela n’a pas l’air d’être dans son caractère ! ). Le lecteur, lui aussi, cesse bien vite de l’être et éprouve de la compassion pour Nietzsche puis découvre avec stupéfaction et indignation la noirceur d’Elizabeth, un personnage digne d’illustrer le livre falsifié qu’elle a offert au Fürher, La volonté de puissance.

A ma soeur et unique est donc un bouquin passionnant tant la vie de Friedrich Nietzsche ressemble, comme le dit l’auteur, à une tragédie grecque ou à un drame shakespearien !


Nietzsche : Evard Munch
 

On peut parler à son propos d’un destin marqué par la fatalité, celle de la maladie, de la solitude, de la folie; c’est le destin d’un homme et d’un philosophe condamné de son vivant à l’incompréhension et qui n’obtiendra reconnaissance, succès et gloire, que lorsqu’il sera devenu un être diminué, un mort-vivant enfermé dans sa folie, dans l’impossibilité de communiquer avec autrui et sous la dépendance totale d’une soeur avide et sans scrupules.

C’est décidé ! J’ai acheté Ainsi parlait Zarathoustra et je vais le lire. Du moins, je vais essayer car ces écrits semblent difficiles. Ne disait-il pas de lui-même : « Malheur à moi qui suis une nuance »




 


jeudi 26 octobre 2023

Diego Vecchio : L'extinction des espèces



 Dénicher à la bibliothèque un livre : L’extinction des espèces de Diego Vecchio, écrivain argentin, découvrir qu’il raconte l’histoire de sir James Lewis Smithson, un savant anglais qui a légué sa fortune aux Etats-Unis d’Amérique à charge de développer une institution destinée à  promouvoir le progrès et la connaissance de la Science auprès de tous les hommes.
Et là, Tilt ! Tilt ! dans ma mémoire ! Les musées smithsoniens ou la Smithsonian Institution, à Washington, mais oui ! Bien sûr ! Et les souvenirs inoubliables des jours que j’ai passés dans cet espace extraordinaire qui réunit, à notre époque, pas moins de dix-sept musées, galeries, jardins de sculptures !
Et hop! Le livre aussitôt emprunté et … lu !


La création du premier musée d’histoire naturelle : le château

Le château :  Smithsonian museum

 

Si cet essai, raconte effectivement la vie de Sir James Lewis Smithson, il s’étend surtout longuement sur la création du premier musée d’histoire naturelle des Etats-Unis qui allait bien vite faire des émules et sur son premier directeur, Zacharias Spears*, lui aussi un scientifique.
Le musée créé par l’architecte James Hamilton en 1846 ressemble à un château de style gothique anglo-normand avec des motifs romans « inventant une architecture propre et typiquement Washingtonienne que certains visiteurs anglais mal intentionnés allèrent jusqu’à qualifier de « gothique bâtard ».

Château vers lequel afflua les collections entassées jusqu’alors dans les couloirs du département de L’Intérieur à New York, minéraux, végétaux insectes, invertébrés, mammifères, oiseaux et qui arrivèrent aussi d’un peu partout, restes de cabinets de curiosités, de collections dépareillées des différents états. De plus, des donations permirent de créer une galerie des Beaux-Arts et des portraits nationaux confiée à Annabeth Murphy Atwood.

Zacharias Spears* :  Personnage fictionnel, je l'apprends en même temps que j'écris ce billet ! Du coup, je ne sais plus trop ce qui est vrai ou non dans ce livre, tant l'auteur est facétieux ! C'est un peu déstabilisant !  Et je me demande si c'est un essai ou un roman ! Mais je crois que si Diego Vecchio s'amuse au dépens de son lecteur, son livre n'en reste pas moins un intéressant aperçu de la naissance et de l'évolution de la muséographie, de l'art de mettre en valeur une collection, de la donner à voir à un public non averti. De plus, à travers l'humour de sa description fantaisiste et dramatisée - donc  irrésistiblement comique-  de l'évolution de la vie depuis la nuit des temps, il aboutit à une réflexion sur intéressant sur notre époque  actuelle.

"Des mafias de poissons aux mâchoires acérées montaient la garde partout, prêts à planter leurs dents dans le moindre visiteur. Les assassinats au grand jour se multiplièrent, même dans les endroits les plus fréquentés, bien souvent gratuits, pour le simple clair de tuer. Cet accroissement de l'insécurité eut pour conséquence un des faits les plus importants de l'histoire de la vie : la conquête de la terre ferme."

 

La mode des musées : la concurrence

L'actuel musée d'histoire naturelle de Washington le château est à présent le siège de l'Administration de la Smithonian Institution.

Le musée d’histoire naturelle de Washington connut un succès retentissant, on venait de loin, d’autres états, et on faisait la queue pour le visiter. La mode était lancée ! D’autres musées virent le jour, Chicago, New York, Boston, Philadelphie, Houston … chacun cherchant à récupérer les trouvailles ramenées des expéditions scientifiques plus moins lointaines à une époque où les découvreurs ethnologues ou paléontologues sont encore des béotiens ou des aventuriers sans scrupules!  On se volait les découvertes, la fraude n'était pas rare. Un faux squelette de dinosaure fut même vendu au Smithsonian muséum.

Une guerre éclata, entre Spears et le directeur de musée de Chicago qui se disputèrent les fragments de Jonathan-Charles, un ptérodactyle ainsi baptisé, guerre fratricide qui conduisit ces hommes de sciences haineux devant les tribunaux. 
Et il fallut des années pour aboutir à ce qui peut se comparer à la signature d’un traité de paix :

« Mr Russell, directeur du Muséum Field de Chicago prit l’initiative en proposant à Mr Spears le prêt  d’un Velociraptor en échange des momies », momies qui avaient conquis les foules et drainaient un public dense jusqu’à la Smithsonian institution. 

On assiste aussi dans ce livre à la transformation de la notion muséale : spécialisation des musées, modernisation de la scénographie et progrès de la conservation.

La manière de l’auteur

Diego Vecchio

Ce qui fait le sel de cet essai, c’est donc la manière dont l'écrivain traite de son sujet, l'évolution de la vie  et des musées, une manière peu orthodoxe et un tantinet fantaisiste d’aborder les sciences, de présenter la création de notre planète et des espèces, dans un récit complètement surréaliste et vertigineusement accéléré à l'échelle des salles du musée, ce qui crée un effet comique :

Dès sa naissance  cette sphère (la Terre) fut heurtée par une planète jumelle qui n’avait rien trouvé de mieux que de tourner autour du Soleil sur la même orbite, mais dans le sens inverse de la Terre, faisant preuve d’une totale irresponsabilité. La collision laissa notre planète sur un axe de rotation vacillant, incliné à vingt-trois degrés, handicapée à vie.

Ou visionnaire et poétique !

Pour résister à leurs attaques effrayantes, de nombreux dinosaures s’ingénièrent à modifier leur anatomie, alliant la beauté à La Défense. Certains se parèrent d’une crête dorsale. D’autres hérissés de pointes, ressemblaient à des chevaliers médiévaux en côte de mailles et en armure. D’autres encore nimbèrent leurs protubérances en forme de collerette, faisant songer aux pages de la cour de la reine Elizabeth à la représentation d’une comédie sanglante de Christopher Marlowe.

Les personnages qui constituent le personnel ce musée à la fois réel et imaginaire sont aussi traités avec humour et l’on s’amuse par exemple de la croisade entreprise par Annabeth Murphy Atwood pour sauver ses tableaux maltraités, la galerie d’art étant sacrifiée à l’histoire naturelle et au coeur sec de Mr Spears qui n’a pas la fibre artistique. Les deux femmes Miss Sullivan et Mrs Atwood sont d’ailleurs amusantes et sympathiques !

Ceci dit, un avertissement aux lecteurs est nécessaire : trop sérieux s'abstenir !

L’extinction des espèces

Quant à l’extinction des espèces, nous apprenons  qu’elle laisse toujours la place à autre chose, à une autre forme de vie. Et j’aime beaucoup cette  affirmation de Diego Vecchio : 

La nature ne fait jamais marche arrière. Quand un obstacle surgit devant elle, elle prend des chemins de traverse. Au lieu de détruire, elle préfère raturer. Chaque période d’extinction est suivie d’un temps de régénération, à croire que la vie obéit à une arithmétique contraire à la logique et stipule que pour additionner, il faut soustraire.

Et là, c'est sérieux ! Elle nous permet d’imaginer que lorsque l’homme aura fini de détruire toutes les espèces, y compris la sienne, la planète Terre continuera à rouler dans l’espace sans nous et s’ingéniera à se réinventer !