Kapka Kassabova avec Elixir dans la vallée à la fin des temps nous emmène en Bulgarie, dans les montagnes des Rhodopes, au coeur de la vallée où coule le Mesta et où vivent les Pomaks, ce peuple enraciné dans la terre, musulman mais non turcophones. Le pays des 742 plantes médicinales. Dans ces paysages encore sauvages malgré l’exploitation intensive qui eut lieu pendant la période communiste, tout paraît connecté, les sommets, les gens et les plantes si bien que l’on y sent quelque chose de « l’ancien temps ».
"La Bulgarie, comme je l'ai découvert, est un des premiers pays exportateurs de plantes médicinales et culinaires. Nombre d'entre elles sont toujours récoltées dans la nature, et le bassin de la Mesta est une plaque tournante dans ce secteur du fait de sa richesse écologique : trois chaînes de montagnes, une superposition de plusieurs microclimats, le tout quasiment épargné par l'industrie. Et même par la mécanisation ou la modernité jusque dans les années 1950. L'Etat communiste exploita ensuite la vallée au maximum ".
Dans cet ouvrage, Kapaka Kassabova, écrivain bulgare, installée en Ecosse, part à la recherche de son enfance, des souvenirs de sa grand-mère qui l’a initiée à la cueillette des plantes et à leur savoir, en quête de cet élixir qui est le titre de son ouvrage et dont la composante essentielle est « l’émerveillement » . Mais ajoute-t-elle : « C’est à vous de le chercher ». « Tout ce que je sais, c’est que notre Terre le fabrique dans son chaudron, en permanence, partout, et que vous faites partie de la recette insensée ».
Elle entre en contact avec les derniers cueilleurs, détenteurs de ce savoir ancestral : les guérisseuses, magiciennes ou sorcières, ou encore saintes, Stoyna, Vanga qui sont vénérées, mêlant christianisme et paganisme. Rocky est l’ensorceleur, Emin, celui qui murmure à l’oreille des chevaux, Tatie Salé est une charmante sorcière au nez crochu et aux yeux chafouins. Tout le pays baigne dans la magie et l’animisme, ce qui n’empêche pas pourtant une approche réaliste des souffrances du peuple Pomak et des difficultés économiques qu’il continue à éprouver.
Dans ce pays, l’Histoire paraît déposer différentes strates qui se superposent pour former un tout mais l’on peut sentir la présence de chacune de ces périodes en restant attentifs : Qui vit sans la nature oublie. Qui vient en pareil endroit se souvient. »
Nous nous intéresserons ici, en particulier, à la Grèce antique si étroitement liée au Rhodopes dont elle est limitrophe, dans ce pays qui vit naître Orphée et où se trouve la grotte ouvrant sur les Enfers. Les plantes entretiennent avec la mythologie des liens étroits : le pissenlit nourrit Thésée et lui donne la force de s’attaquer au minotaure, l’Iris, déesse de l’arc-en-ciel est l’alchimiste originelle, archétype de la Tempérance, figure ailée munie de deux coupes, l’Atropa belladonne évoque les trois Parques, la première déroule le fil, la deuxième le tisse, la troisième Atropa la coupe…
Mais d’autres époques apparaissent. Les différentes croyances se mêlent, les formules rituelles, la magie changent d’époque, la samodiva, la nymphe des bois de ce pays n’a rien de bienveillant et change d’apparence à sa guise, héritière de la Grecque Thracé, fille du Dieu Oceanos.
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Les Rhodopes : les massifs de Pirin et Rila |
C’est ainsi que l’écrivaine nous invite à cette communion avec la nature qui ne peut se faire que par l’écoute et le respect. Tout y est musique. La Nature de Kapka Kassabova est bruissante de vie, de paroles, d’incantations : les fourmis chantent, les pierres, les fleurs, les arbres parlent, révèlent leurs secrets à ceux qui savent les écouter.
La montagne jouait ses variations pour nous. Le Pirin était un conteur virtuose, avec ses fleuves, ses sources, sa palette de verts, ses ruines et ses fantômes.
La rumeur de la forêt sans cesse en mouvement est « un pas de danse du soleil sur la mousse », les astres appellent, l’arbre sacré, le chinar, vibre, le géranium confie ses pouvoirs à la guérisseuse Vanga « Je sers à calmer les nerfs. Faites-le savoir autour de vous, il me dit. » Rocky l’Ensorceleur lui confie « Toutes les plantes sont amour. Mais tu dois apprendre à parler leur langue. Voilà c’est tout pour cette fois. J’espère que ce n’est pas trop tard. ».
Outre la connaissance des plantes médicales, Elixir est un hymne à la nature, un panier de goûts et de saveurs, un enchantement des yeux et des oreilles, un appel à tous les sens, à la vie. Et j'aime ce style poétique !
La lune semblait pétrie de beurre baratté. Je sentais la sève monter dans les pins, comme le sang afflue vers l'épiderme. Aux phases de pleine lune, tout ce qui est là est doublement là.
« Mon dos absorbait la chaleur du sol et je me muais en ver de terre. Le bruissement de la forêt de haricots verts, l'odeur de résine du tas de bois, le sirop de pin de Zaidé dans le bocal, les hirondelles décrivant en silence des cercles sur les cimes – tout frémissait dans la lumière telle une toile d'araignée, puis volait en éclats à mon réveil, visage brûlé, soleil éclipsé ».
Vanga : « Pas de fleurs coupées surtout, précisait-elle. Elles sont comme des enfants aux mains tranchées… Apportez-moi une plante vivante. »
A ma grande surprise, ma bibliothèque a trois romans de cette autrice ; "Lisière" m'attire mieux pour commencer, Miriam a beaucoup aimé.
RépondreSupprimerCette autrice est dans ma biblio pour ce challenge. J'ai vu qu'elle a écrit deux autres livres. Je ne sais lequel choisir. elle a reçu plusieurs prix.
RépondreSupprimerVoilà une lecture bien tentante! Je découvre ton challenge Bulgarie par la même occasion, un pays que je connais mal, ainsi que sa littérature, mais qui me tente depuis longtemps.
RépondreSupprimerj'ai lu ses deux premiers livres avec grand plaisir mais pas encore celui là que je note grâce à toi et à Miriam
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