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lundi 12 février 2024

Almudena Grandes : Les Secrets de Ciempozuelos


Je ne connaissais pas Almudena Grandes avant de voir sur Netflix ( et oui, on peut y trouver des pépites) Les patients du docteur Garcia du même auteur. C’est pourquoi j’ai été heureuse de dénicher à la médiathèque d’Avignon Les Secrets de Ciempozuelos d'Almudena Grandes qui  est un de mes coups de coeur ce mois-ci.


Hildegard et Aurora Carballeira

German Vélasquez a fui l’Espagne en 1939 après la victoire de Franco et s’est installé en Suisse. Son père, psychiatre réputé, condamné à mort par les nationalistes, s'est suicidé en prison. Or en 1954, Jose Luis Roblès, directeur de l’asile pour femmes de Ciempozuelos propose à German, devenu psychiatre lui aussi, de venir travailler dans son établissement afin de mettre au point le protocole d’un nouveau médicament susceptible de venir en aide aux malades mentaux jusqu’alors incurables. Si German peut revenir en Espagne en toute sécurité, c’est que le pays manque de psychiatres. En arrivant à l’asile, German découvre qu’elle abrite une patiente Aurora Rodrigue Carballeira, qu’il avait aperçue, lorsqu’il était enfant, dans le cabinet de son père, et qui défrayait alors la chronique, personnage devenue tristement célèbre en 1933 pour avoir tué sa fille Hildegard, jeune prodige. Il y fait également la connaissance d'une aide-soignante, María Castejón, à qui doña Aurora a appris à lire et à écrire. La jeune fille intelligente et sensible, dont le grand-père est jardinier à l’asile de Ciempozuelos, a vécu dans ce lieu depuis son enfance et est attachée à Aurora qui lui a ouvert les portes du savoir. German, fasciné par cette patiente, paranoïaque, espère en apprendre plus sur elle en interrogeant Maria. 

Bien vite, les jeunes gens sont attirés l’un vers l’autre mais outre la différence sociale - médecin/aide-soignante-, dans un pays où tout est hiérarchisé, un avenir est-il possible pour deux êtres que leur passé fragilise au coeur d’une terrible dictature ?

On peut se demander ce qui pousse German à accepter cette invitation, à se jeter dans la gueule du loup ? Ses collègues espagnols qui vivent la dictature comme une oppression et étouffent dans ce pays sans horizon, sans espoir n'osent lui poser la question.  Mais on le comprend peu à peu. La réponse est à la fois simple et complexe : Le désir, bien sûr, d’expérimenter en tant que chef du service ce médicament prometteur, le besoin de fuir un divorce difficile et de s'éloigner de la famille juive de son beau-père qui vit dans la douleur de la perte de son fils tué par les nazis,  fuir aussi un pays, la Suisse, qu’il trouve gris et froid, et puis la nostalgie de l’Espagne, de ses couleurs, de sa chaleur, le bonheur de revoir, après quinze ans d’exil, sa mère et sa soeur… La liste est longue.

C’est qu’il ne connaît pas, non plus, la réalité de l’Espagne franquiste, et ce qu’il découvre est au-delà de ce qu’il peut imaginer dans une dictature que Almudena Grandes qualifie au cours d’une interview de « prototypique à cause de son application nette de la terreur ».
 Et d’abord l’obscurantisme religieux avec une église catholique toute puissante qui pèse sur les esprits, brime les consciences avec l’obligation de participer aux offices, condamne la sexualité et où tout est péché, une église qui dénonce, punit, culpabilise, manipule ceux qui ne font pas partie des puissants. Ces derniers sont intouchables et l’hypocrisie des élites n’a d’égale que la stigmatisation et le mépris des pauvres. Maria va l’apprendre à ses dépens, elle qui est un temps domestique chez des bourgeois « méritants » et « bien-pensants » !

C’est ce que découvre German lorsqu’il dit à Maria avec un franc-parler qui paraît extraordinaire voire scandaleux dans cette société  :  «  Ce pays est vraiment bizarre ! Les gens n’ont que ça en tête. Ils espionnent, critiquent, disent du mal des autres, se signent parce que c’est péché, mais ils ne parlent que de ça, ne pensent qu’au sexe, c’est l’obsession nationale.  Cette dernière phrase, c’est ce qui m’a le plus impressionnée, j’ai eu peur de l’entendre évoquer ces choses-là si naturellement, comme s’il parlait la météo. Cela faisait trop longtemps que je n'avais pas entendu ce mot, sexe, prononcé aussi simplement, sans importance. »

Un gouvernement qui met à mal toute liberté, une société où personne ne peut exprimer sans danger des idées non-conformes à celles du régime. La sexualité, l’homosexualité, la lecture, le socialisme, tout est sévèrement réprimé. Une chape de plomb pèse sur le pays et chacun se méfie de son voisin, les parents demandent à leurs enfants de ne pas répéter ce qui s'est dit dans les foyers.

"Parler, lire des livres, acheter le magazine La Cordoniz, ou s’embrasser sur la bouche en plein jour, même chez soi, étaient des activités suspectes, qui pouvaient attirer l’attention d’une personne en lien avec la police."

L’Espagne et son penchant pour l’eugénisme, sa ségrégation sociale, son mépris des humbles mais aussi des femmes qui sont les premières touchées, tellement formatées qu’elles ne peuvent, même en pensée, échapper à la cage qu’on leur destine. Le roman est donc aussi un livre écrit en mémoire de ces femmes victimes d’une société qui les tient pour biologiquement inférieures.

Don Eijo Garay évêque franquiste


Tout cela, German va rapidement le découvrir quand il rencontre le père Armenteros, secrétaire particulier de don Eijo Garay, évêque de Madrid-Alcala et patriarche des Indes occidentales qui s’oppose à un traitement des malades mentaux.

« Ces créatures (il bougea le bras comme s’il voulait étreindre tous les malades qui l’entouraient) sont aussi des enfants de Dieu, sûrement les plus aimés. En les créant ainsi, le Seigneur a voulu qu’ils fassent partie de son oeuvre. Sincèrement, il nous semble préoccupant d’aspirer à corriger le plan divin. »

ou encore Antonio Vallejo Najera, directeur de l’asile pour hommes de Ciempozuelos, colonel de l’armée nationale, idéologue de l’eugénisme qui a pratiqué des expériences sur les prisonniers politiques pour isoler le gène du socialisme. 

Antonio Vallejo Najera

« Et je saluai l’idéologue de l’eugénisme fasciste espagnol, créateur de la théorie selon laquelle le marxisme était un gène pervers, intrinsèquement associé à l’infériorité mentale, qu’il fallait extirper à tout prix en fusillant tous ceux qui le portaient et en confiant leurs nouveau-nés à des familles irréprochables, qui sauraient neutraliser leur épouvantable héritage génétique grâce à une éducation religieuse et patriotique appropriée. »

 
Mais plus que tout, ce que dénonce Almuneda Grandes, c’est le silence qui s’est abattu sur la population, le silence qui est le seul moyen de se préserver de la dictature quand exprimer ses pensées devient dangereux. L’écrivaine rend sensible cette peur qui s’insinue en chacun d’entre eux lorsqu’il doit sans cesse contrôler ses pensées, cacher ses opinions, se méfier de son interlocuteur. Ainsi tout en nous racontant le passé, l’écrivaine s’interroge aussi sur le présent et nous montre comment, par la suite, dans l’Espagne démocrate, les petits-enfants n’ont pu exercer une pensée critique sur l’époque franquiste, n’ont pu comprendre le passé de leurs grands-parents, le silence toujours de rigueur rognant les ailes à la mémoire. C’est ce que veut dire Pedro Almodovar quand il écrit : « Almudena Grandes est un phare pour tous ceux qui, comme moi, veulent savoir d’où ils viennent... En plus d’être un roman-fleuve jouissif à lire, il est le meilleur antidote à l’inquiétude actuelle. »

Oui,  Les Secrets de Ciempozuelos est un roman additif, passionnant, qui épouse tour à tour des  points de vue différents, German, Maria, Aurora…  et fait alterner le passé, celui de German et de Maria, et les lieux, la Suisse et l’Espagne, avec une incursion dans l’Allemagne nazie et l’holocauste. Les  personnages, Maria et German, en sont extrêmement attachants et tous ceux qui gravitent autour d’eux sont intéressants. Avec leurs forces et leurs faiblesses, ils nous apparaissent profondément humains. On aime les accompagner tout au long de leur vie et de leurs épreuves. Il faut ajouter qu’en interrogeant le passé, Almuneda Grandes ne nous parle pas seulement du présent de l’Espagne mais aussi du nôtre. Elle nous rappelle que la privation de la liberté est peut-être l’une des plus grandes épreuves qu’un peuple ait à subir et que la dictature détruit jusqu’à l’âme et le coeur d’un pays.

Les Secrets de Ciempozuelos est le cinquième de la fresque écrite par l’écrivaine sur l’époque franquiste (Episodes d’une guerre interminable). Il est aussi le dernier car l’écrivaine est décédée en 2021. J’ai bien l’intention de les lire tous !



 

vendredi 6 janvier 2023

Eleftheria 
de Murielle Szac : Premier prix des avignonnais 2022

Murielle Szac Eleftheria

Et pour en finir avec les bilans, en voici un dernier dans mon blog, du moins pour cette année : La mairie d'Avignon a inauguré en  2022 le premier prix littéraire des Avignonnais. Cinq ouvrages ont été préalablement sélectionnés par les bibliothèques, la directrice des bibliothèques d'Avignon, les librairies d'Avignon et un professeur de lettres du lycée René Char. J'ai lu les cinq livres et j'ai voté.

Quel a été mon classement personnel ?

1) Le pion de  
Paco Cerdà
  ICI

2) Eleftheria 
de Murielle Szac ICI

3) L’invention du diable
 de Hubert Haddad
 ICI

4) Des rêves d’or et d’acier
 d'Émilie Tôn
   Lu mais pas commenté

5) L'évaporée de Fanny Chiarello et Wendy Delorme ICI

 

 Voilà quel a été le classement des Avignonnais :

1) Le prix des Avignonnais a été attribué à Eleftheria 
de Murielle Szac  Éditions Emmanuelle Collas 



 1940, au nord de la Crète. La communauté juive célèbre Rosh Hashana. Rebecca écoute les commérages sur le futur mariage de Stella. On s’interroge aussi sur la guerre qui a commencé en Europe. Metaxas, le dictateur au pouvoir à Athènes, saura-t-il résister à Mussolini et à son allié, Hitler ? Bientôt, le bateau de Nikos, le Tanaïs, est réquisitionné par l’armée grecque. Malgré la menace, la vie continue… Jusqu’au matin du 20 mai 1941, lorsque le 3e Reich lance sur la Crète une invasion aéroportée. Faut-il fuir ou rester ? C’est l’heure de savoir si l’on est libre de choisir son destin. 

Un bon livre, je suis heureuse qu'il ait été remarqué.

2) Le livre qui arrive en deuxième position : Des rêves d’or et d’acier
 d'Émilie Tôn
 

Éditions Hors d’atteinte 

 


 

 Je veux savoir comment mon père est arrivé dans cette Lorraine où l’acier s’écoule, comprendre comment il est devenu cet homme au destin plusieurs fois brisé, qui n’a jamais abandonné. Il l’a toujours dit : « Quand on a tout perdu plusieurs fois, on n’a plus peur de se lancer. »
 


 

 Un sujet intéressant, bien ancré dans la réalité et qui parle du père de l'écrivaine, vietnamien musulman, obligé de fuir son pays, il raconte son exil et la vie des ouvriers immigrés en Lorraine. Mais  le style m'a paru plat, banal.

3) le livre  qui est en  troisième position est Le pion 
Paco Cerdà
  

Éditions La Contre Allée 

 


Stockholm, hiver 1962. Deux hommes de mondes adverses se font face. Arturo Pomar, l’enfant prodige espagnol, affronte sur l’échiquier Bobby Fischer, un jeune Américain excentrique et ambitieux.
En pleine guerre froide, l’un était le pion du régime franquiste, l’autre sera celui des États-Unis.
    Première sélection du Prix du Meilleur Livre Étranger - catégorie non-fiction.

 


C'est dommage, je l'aurais bien vu en première position ou, à défaut, en seconde après Eleftheria.  Je le trouve passionnant, intelligent, subtil, touchant, même s'il est parfois un peu long et touffu.

Le livre en quatrième position  : L'évaporée de Fanny Chiarello et Wendy Delorme

 Editions Cambourakis


 

« Qu’est-ce qui peut bien faire qu’une femme soudain abandonne celle à qui elle vient de dire, Quels merveilleux moments j’ai passés auprès de toi, aujourd’hui encore : je veux ça tous les jours de la vie ? » Tel est le questionnement auquel est confrontée Jenny après le départ d’Ève. Toutes deux apprendront que l’ on peut vivre une même histoire de deux façons totalement différentes ».

 
 

J'ai dit dans mon billet qu'il ne m'intéressait pas même s'il présente une recherche stylistique

5) le livre classé en cinquième position :  L’invention du diable
 de Hubert Haddad
 

Éditions Zulma 




Papillon de Lasphrise s’est retiré dans sa tour d’ivoire angevine. Après une existence dédiée à l’amour et à la guerre, le voilà tout entier habité par le démon de l’écriture. Au soir de sa vie, il pactise avec le diable : tant que ses Poésies n’auront pas accédé à la postérité, il ne connaîtra pas le repos éternel. L’immortalité sera sa malédiction.
 

 

 J'ai eu un avis mitigé sur ce texte, le style est brillant, le personnage du poète passionnant, la réflexion sur le temps intéressante... mais pas assez d'émotion ! En tout cas, je ne l'aurais pas placé en dernier !


vendredi 21 octobre 2022

Paco Cerda : Le Pion et Fanny Chiarello, Wendy Delorme : L'évaporée

 


  Le Pion de Pablo Cerda paru aux éditions La contre allée fait partie de la sélection du prix littéraire des avignonnais.

Le 10 Février 1962, Bobby Fisher et Arturo Pomar disputent une partie lors d’un tournoi d’échecs interzonal de Stockholm. L’un est américain, l’autre espagnol. L’un a dix-huit ans, marqué par la pauvreté, ambitieux, l’autre trente et un ans, issu d’un milieu modeste, ancien enfant prodige adulé, déjà résigné, délavé, fini. Tous deux sont des pions, tous deux manipulés par des « rois » qui les mettent en mouvement sur l’échiquier du monde, l’un contre les soviétiques pendant la guerre froide, l’autre par le Caudillo, servant la dictature, tous deux manipulés, puis rejetés quand l’on n’a plus besoin d’eux.  Car, il faut le savoir :  "Un pion n’est pas seulement un pion. Confiné dans ses mouvements par sa condition grégaire, il intègre un camp, il sert un roi, il obéit à une main".

 

Pomar et Fisher : Stockholm

 

Et comme dans toutes les langues le mot pion a la même résonance, celle de l’humilité, Paco Cerda,  tout en relatant cette partie d’échec et la vie de ces deux partenaires, nous raconte l’histoire de tous ces hommes ou femmes qui, aux Etats-Unis ou en Espagne, pendant cette année 1962, ont été des pions voués au sacrifice : "Un pion, seulement un pion. Avec le regard de ton roi sur la nuque. Avec ce dédain souterrain de l’aristocratie de ton camp. L’insignifiance d’une babiole, une bagatelle inscrite dans les gênes."

Ainsi en est-il du pion James Meredith, le premier noir qui a pu a accéder à une université réservée aux blancs grâce à sa volonté, son courage, sa persévérance, son refus de céder à la peur, et de même de tous les américains sacrifiés à la toute puissance des Etats-Unis, à leur volonté de domination sur le monde. Ainsi en est-il de Julien Grimau, dernier mort de la guerre civile, emprisonné puis exécuté pour avoir défendu jusqu’au bout la démocratie, comme le sont tous les espagnols qui ont payé le prix fort, exil, emprisonnement, tortures, assassinats, entre les mains de Franco.

A travers les  histoires que Paco Cerda nous raconte, nous découvrons le poids du déterminisme social, religieux, politique qui font un pion de l’être humain :  "Sachant que les cinq ou six pas à faire pour te défaire de ton pesant destin sont tout un monde quand l’échiquier n’est pas fait à la mesure de tes forces, quand les règles te condamnent au rang de pion, quand les dangers sont à l’affût, démultipliés par les inégalités d’une origine viciée. Tu n’as pas choisi d’être pion.". De toutes les pièces du jeu d'échec, remarque Pablo Cerda, roi, dame, fou, tour, cavalier, seul le pion ne peut changer de trajectoire et ne peut revenir en arrière : " C'est irréversible".

Mais j’aime aussi qu’il nous laisse un espoir en citant en exergue Ezequiel Martinez Estrada : «  Ils sont les jouets du destin, même si, parfois, par ironie, c’est d’eux dont dépend le destin ». Car seuls les pions, remarque Paco Cerda dénotent un esprit de solidarité : « C’est l’éternel idéal de l’union et la force. Le jonc fragile qui, au milieu d’une touffe, ne peut être arraché». C’est ce qui arrive quand les mineurs des Asturies se mettent en grève dénonçant leurs conditions de travail et les salaires de misère entrainant la fermeture de toutes les mines en Espagne ou quand les femmes américaines s’unissent pour exiger l’arrêt des essais nucléaires qui empoisonnent le lait de leurs enfants. Et puis les pions peuvent devenir dames, faible espoir, cependant, pour lequel il faut réaliser de grands sacrifices. Enfin, ce qui rétablit l'équilibre mais c'est une conclusion bien pessimiste, l'auteur partage avec nous un proverbe italien : " A la fin de la partie, le roi et le pion retournent dans la même boîte". Seule la mort égalise les pièces de l'échiquier.

J’aime les écrivains qui savent relier ainsi l’idée philosophique au vécu, à l’histoire des hommes, et qui parviennent à nous impliquer en nous faisant sentir le tragique de la condition humaine. Non pas des personnages désincarnés mais des êtres de sang et de chair. Pablo Cerda est de ceux-là !

J’aurais voulu dire que ce roman était un coup de coeur mais je l’ai trouvé malheureusement trop dense. A force de multiplier les histoires, l’auteur m’a un peu perdue. Même si j'ai beaucoup aimé ce livre, j’ai éprouvé de temps à autre une lassitude et c’est vraiment dommage car cet écrivain - c’est son deuxième roman - a quelque chose d’important à dire sur l'être humain et l'Histoire. Son style est d’une force qui me touche ainsi que sa tendresse et son respect pour les humbles. Donc, malgré cette restriction,  c'est un vrai, beau roman, qui vaut la peine d'être lu.


L'évaporée  de Fanny Chiarello, Wendy Delorme

 


 Juste un mot sur L'évaporée paru aux Éditions Cambourakis. Comme j'ai abandonné la lecture, je me dois d'être rapide pour expliquer pourquoi. 

L'écriture est due à deux écrivaines Fanny Chiarello et Wendy Delorme. Ce sont  des  textes qui se répondent et parlent de la rupture d'un amour, de la souffrance de l'une et de l'autre femme, du manque, de la difficile guérison de celle qui a été abandonnée et de celle qui est partie, qui s'est évaporée. Le roman est bien écrit, l'analyse des sentiments est fouillée, le processus de perte et de résilience décortiquée, mais voilà cela ne m'intéresse pas. C'est trop intellectuel ou plutôt trop cérébral. On dirait que le plaisir de l'analyse prend le pas sur l'humain. On dit de quelqu'un qui parle "qu'il s'écoute parler", que pourrait-on dire de quelqu'un qui écrit ?  Bref! je n'ai  pas ressenti d'émotion. C'est intelligent, presque trop !  Mais je conçois que l'on puisse apprécier ce livre, rien à redire sur sa qualité. D'ailleurs j'ai lu deux critiques positives dans Babelio ICI.


 

Lu pour le Prix littéraire des Avignonnais

 

La Ville d’Avignon lance le premier Prix littéraire des Avignonnais. À partir du 1er octobre et jusqu’au 12 novembre, les avignonnais et tous les amoureux de la littérature sont invités à élire, parmi les cinq ouvrages sélectionnés par les bibliothèques, les librairies d'Avignon, un professeur de lettres du lycée René Char et la directrice des bibliothèques d'Avignon, leur roman préféré issu de la rentrée littéraire d’automne. Lectures, tables rondes, midi-sandwichs et de nombreuses animations permettront de mieux faire connaître ces cinq ouvrages et de voter pour celui qui emportera le premier Prix.
Les cinq romans sélectionnés sont disponibles en prêt dans les bibliothèques de la Ville et à la vente dans les librairies partenaires.
 



 

« Qu’est-ce qui peut bien faire qu’une femme soudain abandonne celle à qui elle vient de dire, Quels merveilleux moments j’ai passés auprès de toi, aujourd’hui encore : je veux ça tous les jours de la vie ? » Tel est le questionnement auquel est confrontée Jenny après le départ d’Ève. Toutes deux apprendront que l’ on peut vivre une même histoire de deux façons totalement différentes ».

 
 

 

Le pion 
Paco Cerdà
  Éditions La Contre Allée 

 


Stockholm, hiver 1962. Deux hommes de mondes adverses se font face. Arturo Pomar, l’enfant prodige espagnol, affronte sur l’échiquier Bobby Fischer, un jeune Américain excentrique et ambitieux.
En pleine guerre froide, l’un était le pion du régime franquiste, l’autre sera celui des États-Unis.
    •    Première sélection du Prix du Meilleur Livre Étranger - catégorie non-fiction.

 
 

 

Eleftheria 
Murielle Szac  
Éditions Emmanuelle Collas 

 


 
1940, au nord de la Crète. La communauté juive célèbre Rosh Hashana. Rebecca écoute les commérages sur le futur mariage de Stella. On s’interroge aussi sur la guerre qui a commencé en Europe. Metaxas, le dictateur au pouvoir à Athènes, saura-t-il résister à Mussolini et à son allié, Hitler ? Bientôt, le bateau de Nikos, le Tanaïs, est réquisitionné par l’armée grecque. Malgré la menace, la vie continue… Jusqu’au matin du 20 mai 1941, lorsque le 3e Reich lance sur la Crète une invasion aéroportée. Faut-il fuir ou rester ? C’est l’heure de savoir si l’on est libre de choisir son destin.


 

 

Des rêves d’or et d’acier
 Émilie Tôn
 Éditions Hors d’atteinte 

 


 

 Je veux savoir comment mon père est arrivé dans cette Lorraine où l’acier s’écoule, comprendre comment il est devenu cet homme au destin plusieurs fois brisé, qui n’a jamais abandonné. Il l’a toujours dit : « Quand on a tout perdu plusieurs fois, on n’a plus peur de se lancer. »
 


 

 

 

L’invention du diable
 Hubert Haddad
 Éditions Zulma 

 



Papillon de Lasphrise s’est retiré dans sa tour d’ivoire angevine. Après une existence dédiée à l’amour et à la guerre, le voilà tout entier habité par le démon de l’écriture. Au soir de sa vie, il pactise avec le diable : tant que ses Poésies n’auront pas accédé à la postérité, il ne connaîtra pas le repos éternel. L’immortalité sera sa malédiction.
 

 

 


mardi 15 janvier 2019

Julio Llamazares : Lune de loups



Quatre jeunes gens traqués par la haine fratricide tâchent de survivre dans la montagne, cachés dans les cavernes et les bois. La guerre civile passe au fond de ce récit avec sa cohorte de détresse, de violence et de mort. Mais au fond seulement. L’histoire de ces hommes, de ces animaux nocturnes et solitaires, est plutôt celle d’un mauvais rêve, celle d’un voyage intérieur vers les sources mêmes du lyrisme et de la transfiguration poétique du réel. Loin de nous enfermer dans la nuit sans issue d’un maquis condamné, le récit ouvre sur un autre monde, moins visible et plus incarné à la fois, plus élémentaire et plus dense. (Quatrième de couverture)Lune de loups Julio LamazJ

Depuis toujours, me semble-il, je me suis intéressée à la guerre civile espagnole. Mon premier film  sur ce sujet, quand j’étais enfant, a été Pour qui sonne le glas et j’ai, par la suite, lu le beau  roman d’Ernest Hemingway. Il y eut aussi Tanguy de Michel del Castillo et puis Javier Cercas et les soldats de Salamine et actuellement Le Monarque des ombres, et  Le crayon du charpentier de Manuel Rivas, Faut pas pleurer de Lydie Salvayre et maintenant Lune de loups de Julio Llamazares. Tous de très beaux livres que j'ai beaucoup aimés ! Et toujours la même émotion vis à vis de cette terrible histoire de meurtres et de sang qui divise un peuple, toujours le même sentiment de solidarité envers les républicains. Pourquoi ce sentiment si fort, naissant de ce moment si complexe de l’Histoire d’Espagne? Peut-être est-ce par ce que ceux qui représentaient la liberté ont été vaincus et que leur peine ne s’est pas arrêtée à la fin de la guerre mais a perduré : des années de franquisme, des années de dictature, de privation de liberté, de domination des valeurs fascistes sous la férule d’une église hypocrite et puritaine, mise au service du pouvoir et des riches, des années d’exil, de délation et de mort. Peut-être aussi parce que la guerre d’Espagne nous fait comprendre combien la démocratie est faible et combien il est difficile de la défendre.
Mais revenons au livre de Julio Llamazares. Lune de loups  raconte l’histoire de quatre jeunes républicains, réfugiés dans les montagnes de Cantabrique, poursuivis par les fascistes qui les traquent  jusque dans leurs ultimes refuges, dans les grottes où ils se réfugient, les cabanes de berger abandonnées, dans les maisons du village qui entrouvrent (rarement) leur porte pour leur donner une aide. La délation règne, les familles des maquisards subissent de dures représailles.  La justice est expéditive, un coup de mitraillette règle tout, pas besoin de  jugement !
Le narrateur est Angel, l’instituteur, et ses compagnons d’infortune sont Ramiro, Juan et son jeune frère Gildo.
Le roman est assez différent de ceux que j’ai lus jusqu’à maintenant. Il s’attarde moins à l’Histoire elle-même et parle plus largement des conditions de vie des quatre jeunes gens, réduits à l’état de bêtes, de leurs souffrances morales et physiques dans une nature belle mais hostile à l’homme.

La nuit a éclaté comme un baril de poudre. Elle s’est changée en un tourbillon dévastateur et glacial. La neige, le vent, le crépitement des armes, les cris des gardes civils se fondent sous le manteau de la nuit pour dessiner une estampe floue et incompréhensible.

Le récit pourrait se dérouler n’importe où, dans un noman’s land de forêts, de neige et de froid,  lors d’une errance qui déshumanise et préfigure l’antichambre de la mort, la porte des Enfers.

Une lumière grise, de lune très lointaine – « Regarde, Ángel, regarde la lune : c’est le soleil des morts » – éclaire légèrement la ligne des montagnes et le frisson ému des arbres.

 Et cette errance va durer environ dix ans. En effet, le récit commence en 1937 et se termine en 1946.

C’est avec poésie et émotion que Julio Llamazares décrit les affres de la solitude,  l’aliénation de l’homme privé de sa famille, de  ses semblables,  la souffrance qui érode, qui sape chaque jour d’avantage ce qui le fait humain.

Cet homme à qui le miroir de la pluie, dans la montagne, rend cependant la mémoire de ce qu’il a toujours été : un être pourchassé et solitaire. Un homme traqué par la peur et par la vengeance, par la faim et par le froid. Un homme à qui l’on refuse même le droit d’enterrer le souvenir des siens.

Le style imagé et lyrique donne un ton particulier au récit, entre rêve et réalisme, et la lune brille sans cesse dans la nuit de ces hommes sur laquelle pèse la menace de la Mort, omniprésente.   Celle-ci s’incarne parfois comme dans ce passage où Angel prend la faux, dissimulé par l’obscurité, dans le pré de son père :

Toute la nuit millénaire de l’herbe et du fer, le zigzag vert et noir de la mort devant mes pieds et l’éclat solitaire de la lune d’Illarga. Toute la nuit, incliné sur le pré, la faux dans les mains et la mitraillette en bandoulière, afin que ma famille le trouve fauché quand le jour se lèvera.

La lune de loups, la lune des bêtes sauvages, rendues féroces comme eux par les mauvais traitements et qui sont, comme eux, solitaires et pourchassées.

Dans ces contrées, ils chassent encore les loups comme des hommes primitifs en les encerclant. (…) Ils le prennent vivant et, durant plusieurs jours le promènent à travers les villages afin que les gens puissent l’insulter et lui cracher dessus avant de le mettre à mort.

Un beau livre qui éclaire d’une manière émouvante, brillante et poétique, un moment de la guerre civile espagnole.

Merci à Dominique de m'avoir fait découvrir ce livre : ICI

lundi 1 octobre 2018

lundi 17 septembre 2018

Arturo Pérez-Reverte : Deux hommes de bien



Qui sont ces « Deux hommes de bien » décrits dans le livre d’Arturo Pérez-Reverte ? Deux membres de l’académie royale espagnole au XVIII siècle : le bibliothécaire Don Hermogenes Molina et son collègue Don Pedro Zarata appelé l’Amiral, spécialiste d’ouvrages sur la Marine.



Les deux académiciens sont envoyés à Paris pour acheter l’édition originale et complète de l’encyclopédie française (1751_1772) et la ramener à Madrid au péril de leur vie. C’est le roi Charles III désireux de changement dans son pays qui accorde l’autorisation de faire entrer l’encyclopédie des philosophes français en Espagne, contre la volonté de l’église et des milieux nobles réactionnaires. Tous les membres de l’Académie ne sont pas d’accord avec ce voyage et certains d’entre eux lancent alors un sbire aux trousses des deux savants pour les empêcher de réussir dans leur mission..
Pour bien comprendre l’importance de l’expédition, il faut dire que le siècle des Lumières français a bien du mal à pénétrer en Espagne où l’emprise de l’église est toujours aussi forte.

Nous suivons donc les deux personnages dans ce long périple pour arriver à Paris, partageons avec eux leurs discussions philosophiques mais aussi les rencontres qu’ils font tout au long de la route, les arrêts dans les auberges, et leurs aventures. Nous sommes à la fin du XVIII siècle et quand ils arrivent à Paris, la révolution française n’a pas encore éclaté mais l’effervescence qui règne dans la capitale la laisse pressentir ! Et nous rencontrons, en les suivant dans les salons parisiens, de célèbres personnages qui sont ou seront bientôt les acteurs de la révolution.

On a pu dire  de ce livre « qu’il est enlevé comme un feuilleton de Dumas Père » mais je ne pense pas qu'il soit tout à fait cela ! Certes, les deux hommes vivent des aventures, ils se font rouer de coup, détrousser, emprisonner et l’un d’eux se bat en duel pour les beaux yeux d’une dame mais les débats d’idées demeurent le plus important. D’autre part, les personnages ne sont pas  -surtout Don Hemogénes, savant, rat de bibliothèque, vieillard craintif et timoré - des héros de cape et d’épée. L’Amiral, ancien militaire dans la marine, lui, correspond plus à cet image, toujours élégant, altier et maître de lui, mais son passé glorieux est tout de même loin de lui. A mon avis, ce qui domine dans le roman est la quête intellectuelle de ces deux hommes de bien, amoureux des livres et des idées philosophiques. La quête des Lumières est le véritable sujet de l'histoire et l'encyclopédie, le personnage le plus important ! Et c’est avec beaucoup de plaisir que j’ai suivi leurs recherches dans les librairies ou encore dans les endroits secrets où se vendent sous le manteau, au milieu des livres pornographiques, les oeuvres interdites des grands penseurs du siècle.
Autre intérêt du livre et pas des moindres, c’est que la quête des deux savants est doublé par celle d'Arturo Perez-Reverte, écrivain. C’est en découvrant les volumes de l’encyclopédie dans la bibliothèque de l’académie dont il est membre lui-même, qu’Arturo Perez -Reverte est parti sur les traces des deux hommes.  Et pour cela, il a refait le chemin de ses personnages, en s’entourant des documents anciens qui lui permettent de retrouver les routes, les lieux de l’époque, il a lu des mémoires et des journaux et aucun détail de ce formidable périple n’est laissé au hasard. J’ai vraiment beaucoup aimé voir le roman se construire devant nous comme dans Les soldats de Salamine de Javier Cercas. Non sans humour mais avec ténacité, l’écrivain intervient au cours du récit pour nous confier les difficultés qu’il rencontre et comment il les résout afin de rester au plus près de la réalité historique et faire revivre cette époque.



jeudi 2 février 2017

Maria Oruna : Le port secret



Je ne sais pourquoi  l’évocation de la guerre d’Espagne y compris dans un roman policier me touche tant … Ou plutôt je sais pourquoi  ! Le souvenir de mes grandes lectures « inolvidable »...  de Jorge Semprun à Javier Cercas, en passant par Manuel Rivas et Lydie Salvayre (Pas pleurer)  et plus récemment de Victor del Arbol (toutes les vagues de l’océan) ...

Alors voilà,  si j’ai choisi de lire Le port secret de Maria Oruna paru chez Actes Sud, c’est parce que l’enquête policière est mêlée étroitement au passé, à cette guerre d’Espagne qui ne cesse de retentir dans la mémoire vive des espagnols. Rien de plus traumatisant et d’ineffaçable qu’une guerre civile.

Olivier Gordon, britannique, espagnol par sa mère qui vient de mourir, va prendre possession de son héritage, sa maison familiale en Cantabrie. Mais les ouvriers qui en effectuent la restauration découvre le cadavre d’un bébé dont la mort remonte à la guerre civile. L’enquête de la police est mise en parallèle avec des fragments d’un journal qui nous raconte l’histoire d’une famille dont les membres sont décimés par les avions nationalistes au moment de la guerre civile. Deux personnages  émergent de ce récit, deux soeurs traumatisées par la mort de leur mère et de leur frère mais aussi par la misère qui oblige le père à séparer la fratrie restante et à "placer" ses enfants chez les riches. Amertume, rancoeur, désir d’échapper à cette condition par tous les moyens, à la dureté de la vie, vont engendrer bien des tragédies.

Pour moi, je le dis tout de suite, Maria Oruna, dont c’est le premier roman noir, n’a pas la puissance des écrivains cités ci-dessus; on est vraiment un cran en dessous quant à la profondeur, au style et à l’émotion qu’il procure. Mais récit se poursuit avec sa part de surprises, de rebondissements. Le passé et le présent se mêlent habilement. Certes, l'intrigue présente quelques invraisemblances, l'histoire d'amour est  un peu attendue, mais dans l’ensemble le polar se lit bien, et on peut se laisser emporter loin dans le passé mais aussi dans cette région d’Espagne qui a l’air si belle entre montagne et mer.

vendredi 9 septembre 2016

Victor Del Arbol : toutes les vagues de l'océan



L’un des livres les plus marquants que j’ai lus cet été est le roman de Victor Del Arbol : toutes les vagues de l'océan. J’ai été fascinée par la force de ce roman, sa diversité, sa richesse et la manière dont l’écrivain nous plonge au coeur de l’Histoire, nous immergeant complètement dans les grandes tragédies du XX ième siècle.

Gonzalo Gil a épousé une femme riche, la fille d’un grand avocat. Il y a perdu son âme; avocat lui-même, il a tout fait pour rester indépendant mais il va être obligé de rentrer dans les rangs en signant un accord de fusion avec le cabinet de son beau-père et, ce faisant, en aliénant sa liberté.  Ses rapports avec sa femme et son fils laissent à désirer et voilà qu’on lui annonce le suicide de sa soeur Laura avec laquelle il est en froid depuis de nombreuses années. Celle-ci a perdu son fils, assassiné par un maffieux, et la police la soupçonne d’avoir tué ce dernier avant de se donner la mort. L’enquête menée par un policier au passé trouble s’oriente vers la Matriochka, nom donné à un groupe de la maffia russe qui a à sa tête un chef aussi puissant que mystérieux.

 La mort de sa soeur est un déclic qui va provoquer le réveil de Gonzalo. Peu à peu remontent à sa mémoire des souvenirs anciens, en particulier de Laura. Peu à peu aussi, nous pénétrons dans le passé de sa famille.
La mère, Esperanza, Katerina Orlovska, d’origine russe, farouche et passionnée, voue un culte à son mari. Mais que se cache-t-il derrière ses silences? Le père, Elias, est considéré comme un héros. Ingénieur communiste, il est parti travailler à Moscou et  a été envoyé en déportation en Sibérie par Staline dans l’île de Nazino où il connaît l’horreur; puis de retour en Espagne il s'est illustré dans la guerre civile espagnole du côté des communistes contre Franco.

Ile Nazino  dite l'île aux cannibales

Le récit est mené sur trois époques différentes :  les années 30, en Russie, à Moscou puis en Sibérie, plus précisément dans l’île de Nazino en 1933; à Barcelone pendant la guerre civile dans les années 1936-37. Et dans la Barcelone contemporaine en 2002.
Le voyage des exilés vers la Sibérie et leur séjour sur l’île Nazino, l’île aux cannibales, sont hallucinants. On préfèrerait que ce soit une fiction mais Victor del Arbor s’appuie sur des faits attestés. Le retour à Barcelone et les cruautés de la guerre civile ne le sont pas moins. On suit le récit avec passion tant l'écriture en est belle et vibrante. Ces personnages extrêmes comme Igor Stern, le tueur, chef de bande, Elias et Esperanza sont remarquables. En même temps on éprouve de la compassion d’abord pour Elias dont l’innocence a été tuée en même temps que les valeurs morales et puis ensuite pour les enfants, Laura et Gonzalo, victimes collatérales des sursauts terribles de l’histoire.
Après l’horreur, la nostalgie s’installe devant le récit de ces vies ratées, de la cruelle enfance de Gonzalo et sa soeur. On éprouve beaucoup d’émotions en lisant ce livre, on s’attache à certains personnages, on a mal pour eux.

Barcelone 19 juillet 1936

Ce roman remue, émeut, pousse à la réflexion. Victor del Arbor ne juge pas Elias. Il en fait un portrait clinique qui nous pousse à nous interroger sur les frontières poreuses et malléables entre le bien et le mal. Comment Elias, ce jeune homme idéaliste et pur, peut-il devenir cet homme revenu de tout, endurci, sans scrupules, qui souffre et fait souffrir en retour? L’écrivain nous ouvre les yeux sur la nature humaine, sur ce qu’il y a d’obscur en elle. Jusqu’où irions-nous pour sauver notre vie? Et quand le Mal devient une habitude comment ne pas être contaminé ? Comment préserver un fond d’humanité ? A partir de quel moment Esperanza devient-elle, elle aussi, monstrueuse ? Même le tueur Igor Stern, cannibale, image de l’ogre, est une victime. Quand il avait neuf ans, les cosaques  tsaristes l’ont obligé  à mettre le feu à son père dont ils avaient arraché la peau. Dans la guerre civile espagnole, les atrocités ont lieu des deux côtés. Ce livre remet en cause toutes les idéologies, toutes les certitudes lorsqu’elles sont perverties par le pouvoir, les intérêts économiques, par le fanatisme. Il montre que l’homme est capable du pire… mais pas seulement car l’amitié est présente dans cette histoire et curieusement là où on l’attend le moins, entre un franquiste et un communiste; l’amour aussi, celui de Laura qui protège son petit frère, lui épargne d’être confronté à la réalité, celui d’Elias pour Irina morte en Sibérie et qui reste un fantôme accroché à sa vie, l’amour aussi de Gonzalo et Tania.
Un seul bémol pour moi, c'est dans le dénouement de l'enquête qui ne me semble pas conforme avec la psychologie des personnages ni avec ce qu’ils viennent de vivre.
Ce qui n’empêche pas Toutes les vagues de l’océan d’être un grand livre et un coup de coeur !

Je ne résiste pas à citer un extrait du roman pour que vous ayez une idée de la maîtrise du style. Nous sommes sur sur l'île Nazino. Les soldats qui gardent les prisonniers viennent de céder à un moment de panique et ont tiré dans la foule :

"Quand s'éteignit l'écho des derniers coups de feu, l'îlot était jonché de cadavres. L'air sentait la poudre. Même les soldats, qui s'acharnaient encore quelques minutes plus tôt, contemplaient ce spectacle dantesque en silence, effrayés de leur propre rage. Certains vomissaient, d'autres sanglotaient. Plus de deux cents hommes, femmes et enfants moururent ce jour-là. Une demi-douzaine de soldats tombèrent aussi.  Et soudain, au loin, un écho musical transperça la brume qui enrobait le fleuve. Entouré de cadavres, un vieil homme jouait de l'harmonica, assis sur un tronc d'arbre. La musique répandait sa tristesse. La scène était démentielle, hallucinante, incroyable. Mais le vieillard était bien réel, les notes de son harmonica s'élevaient au-dessus des gémissements des blessés.

Le commandant qui avait ordonné aux soldats de cesser le feu s'approcha du vieux, son revolver à la main, marchant comme un automate. Tous pensaient qu'il allait l'exécuter. Au bout d'une longue minute, il ôta son manteau, recouvrit délicatement les épaules du vieil homme, comme si c'était son père ou son grand père, s'assit à côté de lui, promena un regard dément, releva la visière des sa casquette à la pointe de son revolver, laissa son regard errer sur les cadavres figés dans des positions invraisemblables, à genoux, les yeux écarquillés, la bouche béante tournée vers le ciel. Les doigts tremblants, il chercha une cigarette dans sa veste, l'alluma et aspira une longue bouffée. Le vieillard jouait toujours. Alors, l'officier appuya son revolver contre sa tempe et se fit sauter la cervelle.

Victor del Arbol
 Víctor del Árbol, né en 1968 à Barcelone, est un romancier espagnol, auteur de roman policier. Il fait ses études supérieures en histoire à l'Université de Barcelone. De 1992 à 2012, il travaille comme fonctionnaire du gouvernement de la Catalogne. Il participe également à une émission radiophonique de Ràdio Estel.
Il amorce une carrière d'écrivain avec la publication en 2006 du roman policier El peso de los muertos. C'est toutefois la parution en 2011 de La Tristesse du samouraï (La tristeza del samurai), traduit en une douzaine de langues qui lui apporte la notoriété. Pour ce roman, il remporte plusieurs distinctions, notamment le prix du polar européen 2012.
En 2015, son roman Toutes les vagues de l’océan remporte le le grand prix de la littérature policière * du meilleur roman étranger.
En 2016, il reçoit le prix Nadal pour La víspera de casi todo. (Wikipedia)

 * Il faut dire que je n'ai jamais considéré ce roman comme policier tout au cours de ma lecture !

Toutes les vagues de l'océan compte 596 pages au lieu de 600 !  Je le classe comme un pavé ou non?Allez, oui!

 

mercredi 20 juillet 2016

Festival IN d'Avignon 2016 : Angelica Liddel : Qué Haré yo con esta espada? Que ferai-je moi de cette épée?

Angelica Liddel photo de Christophe Raynaud Delage voir Ici

J’avais déjà vu une pièce de Angelica Liddel qui m’avait bouleversée tant la souffrance de cette femme, le dégoût de son éducation, la haine de sa mère, la sexualité et l’amour vécus comme un traumatisme, le rejet de la société qu’elle vomit, étaient forts et résonnaient vers le ciel avignonnais en de longs cris de désespoir. Voir ici

Mais pour ce spectacle, Qué Haré yo con esta espada? Que ferai-je moi de cette épée?, je l’avoue, je n’ai pu rester jusqu’au bout, j’ai abandonné à la fin de la première partie qui montre l’acte de cannibalisme perpétré par le japonais Issei Sagawa sur une étudiante suédoise. Angelica Liddel s’empare de ce fait divers et le transpose sur scène. Après avoir souhaité pour donner un sens à sa vie que l’on viole son corps après sa mort, elle s’offre aux spectateurs, sexe ouvert, sur une table de dissection, offrant son cadavre au violeur. Quant à l’acte de cannibalisme, il est représenté par des comédiens et un danseur japonais qui est le meurtrier et plusieurs jeunes comédiennes aux longs cheveux clairs représentant la victime. Elles se dénudent et vont entrer en transe, agitées de spasmes violents qui les projettent contre terre, le corps contorsionné, comme mutilé. C’est la beauté sacrifiée, un tableau de de Jérome Bosch qui s’anime devant nous, l’Enfer, avec ses êtres grotesques, ses tortures et ses souffrances, tandis que les filles se dévorent les pieds ou, moment culminant de la scène, se flagellent le sexe et le dos avec les tentacules de poulpes, masses sanguinolentes qu’elles déchiquettent avec leurs dents. Elles finissent ensuite amoncelées les unes sur les autres, en un tas répugnant au milieu des cadavres de poulpes tandis qu’une voix explique quel est le goût de chaque organe féminin.

La deuxième partie devait évoquer l’attentat du 13 Novembre; alors là, j’ai eu peur, je suis partie… lâchement!

Je sais bien que le théâtre est pour Angelica Liddel une sorte de catharsis de tous ses (nos?) instincts meurtriers. Je sais qu’il faut  comprendre que « la violence réelle » par l’intermédiaire du théâtre se transforme en « violence mythologique » pour reprendre ses propres termes. Soit! Je sais aussi qu’elle aime la provocation, bousculer la morale et choquer le bourgeois. Mais je ne peux m’empêcher de penser, face à la fascination que ce spectacle exerce sur le spectateur, que Liddel va chercher en nous tout ce qu’il y a de plus malsain et morbide et nous transforme en voyeurs. Une raison pour moi de refuser.

Lire cet article du journal Les trois coups, une très bonne analyse  de la piècepar quelqu'un qui a eu le courage d'aller jusqu'au bout. ICI 

Voir aussi  le début de cet article de Télérama
 
Avec “Que ferais-je, moi, de cette épée ?”, la créatrice espagnole s'enferme dans sa névrose, au point de ne plus rien partager avec le public, si ce n'est le chahut de la destruction.
Mais que raconte donc la très brune et méditerranéenne passionaria et quinquagénaire Angélica Liddell aux huit jeunes filles aux longues et splendides chevelures blondes (pour la plupart) qu’elle fait s’agiter frénétiquement complètement nues sur le plateau juste peint d’étoiles ? Comment justifie-t-elle cette image caricaturale de l’hystérie féminine qu’on croyait disparue depuis les travaux de Charcot ? Comment ose-t-elle encore, elle une femme, une féministe, leur imposer ça ? Sur le côté droit du cloître des Carmes, après sa scène d’introduction, Angélica Liddell se repose en regardant, assise dans un coin, la suite du spectacle. Elle a ôté ses escarpins bleus à hauts talons pour observer les huit jeunes femmes se masturber interminablement chacune avec un poulpe…
Comment l’artiste espagnole née en 1966 en Catalogne explique-t-elle à ses trop belles et juvéniles interprètes pareil désir de massacrer la figure de la femme, de la jeunesse au féminin ? Même les plus misogynes d’entre les machos n’oseraient en afficher un semblable aujourd’hui.

Ouf! cela fait du bien de partager son ressenti avec des critiques "officiels"!

mercredi 22 juillet 2015

Les Noces de Sang de Federico Garcia Lorc


Les Noces de sang de Lorca
 Dans Les Noces de sang écrit en 1931-1932, Federico Garcia Lorca s’inspire d’un fait divers. Un mariage va être célébré entre le fiancé, un fermier aisé, et la fiancée, héritière d’une grande propriété. Mais la jeune fille a  déjà été promise dans le passé à Leonardo, un membre de la famille qui a tué le frère et le père du fiancé. La mère accepte cette union pour le bonheur de son fils mais non sans appréhension. Le mariage a lieu mais Leonardo et la fiancée n’ont jamais cessé de s’aimer et  ils s’enfuient ensemble à cheval pendant la fête. Le mari les poursuit et les noces s’achèvent dans un bain de sang.

Dans Les  noces de sang, pièce mise en scène par William Mesguih au Chêne noir,  les  acteurs principaux  ne m’ont pas convaincue dans leur interprétation de la passion amoureuse qu’ils éprouvent. Le drame qui se joue entre la fiancée et les deux hommes  qui l'aiment ne m’ont pas touchée. Heureusement, la comédienne, Michèle Simonnet, donne à son personnage de la mère une sobriété et une retenue austère qui m’ont enchaînée au récit. Et j’ai aimé l’aspect fantastique de la mise en scène dans la forêt nocturne où se cachent les deux fugitifs, scène surréaliste avec l'apparition de figures allégoriques comme la Lune et la Mort, et les voix mystérieuses déroulant le beau texte poétique de Garcia Lorca qui est vraiment un régal!





samedi 2 août 2014

Elvira Navarro : La ville heureuse




La ville heureuse de Elvira Navarro paru aux Editions Orbis Tertius présente deux récits sur l'enfance qui constituent les volets d'une même histoire : celle d'un jeune garçon Chi-Huei et d'une fillette Sara vivant dans le même quartier et compagnons de jeux. Il s'agit d'un roman d'initiation où chacun va être confronté à la réalité d'un monde dur et hostile mais aussi aux premiers tourments de la sexualité, aux difficultés de l'adolescence. C'est pour eux la fin de l'enfance.

Notons que le titre La ville heureuse est le nom donné au restaurant des parents de Chi-Huei et qu'il peut être tenu pour une antiphrase étant donné l'état de délabrement de l'établissement. Il ne peut,  non plus, désigner la ville où vivent les deux enfants car celle-ci n'apparaît qu'à travers la vision de l'exclusion avec les personnages des immigrés chinois et du vagabond.

Chi-Huei a été laissé en Chine chez sa tante pendant que son grand père, sa mère et son père, -  ce dernier poursuivi pour des raisons politiques - partaient en Espagne pour installer un restaurant. La séparation qui devait durer peu de temps se prolonge de mois en mois jusqu'à trois ans. Quand il arrive en Espagne, il va devoir s'adapter à une société entièrement différente, apprendre une langue étrangère et réussir son parcours scolaire, ce qu'il réalise grâce à une intelligence précoce. Mais le rejet des autres élèves, la pression qu'il doit subir de la part de sa famille, le travail qu'il doit accomplir au restaurant pendant le week end pèsent sur lui. La plus grande difficulté pour lui réside cependant dans le regard intransigeant qu'il porte sur ses parents dont il a rapidement honte. Le restaurant n'est en fait qu'une rôtisserie assez sordide, contrairement aux vantardises du père, où la famille besogne sans cesse préoccupée par l'argent à gagner pour améliorer les lieux; mais cette course effrénée n'est jamais satisfaite, le but à atteindre paraissant toujours reculer et donc jamais à portée de main.

Sara appartient à un milieu aisé qui établit des hiérarchies sociales très nettes : ses parents ne fréquentent par la rôtisserie des parents de Chi-Huei et le mot de "juif" attribué à  la famille de son amie Julia n'est pas "anodin" dans leurs bouches. Cependant ils sont pleins d'attention envers leur fille. Un fossé va pourtant se creuser entre elle et eux lorsqu'elle rencontre un vagabond sur les marches d'une église. Celui-ci lui paraît sale, malheureux, amaigri et sa pauvreté la touche si bien qu'elle finit par s'identifier à lui. Plus tard, elle remarque la présence du jeune homme partout où elle passe, quand elle va attendre le but scolaire, devant les fenêtres de sa maison. Il la fascine et lui fait peur. Sara finit par mentir à ses parents, par transgresser les interdits en s'aventurant hors de son quartier. Elle rencontre le vagabond dont l'attitude est pour elle un mystère et le restera car la marginalité n'a pas toujours une explication rationnelle.

Dans la première partie, j'ai été un moment déroutée par une certaine recherche(?) stylistique (ou traduction?)qui fait que l'on parle parfois d'un personnage en employant l'article défini : le grand père puis d'un autre en employant un adjectif possessif : son père, possessif  dont on  a l'impression qu'il renvoie au grand père, ce qui n'est pas le cas.  Mais une fois passé cette bizarrerie, j'ai trouvé l'analyse menée par Elvira Navarro très subtile. 

Si le récit de Sara est écrit à la première personne, celui de Chi-Huei est  rapporté à la troisième personne par un narrateur extérieur qui décrit les faits mais se place à l'intérieur des consciences. Ainsi, il y a toujours semble-t-il deux niveaux de compréhension dans le texte comme si les choses visibles en couvrent d'autres qui pour n'être pas dites n'en existent pas moins. Le conscient et l'inconscient s'interpénètrent. Par exemple, la mère de Chei-Huei paraît bien  s'entendre avec sa belle mère, l'épouse du grand père. Mais il y a toujours entre elles ce qui n'est pas dit : Qui va hériter du grand père? Le narrateur nous révèle ainsi les rapports de domination que les parents du garçon entretiennent entre eux, le grand père possédant l'argent, le père amoindri par la captivité et les tortures qu'il a subies en prison devenant un objet de mépris. Et puis il y a aussi les relations de la mère envers le fils, ce sentiment de culpabilité qu'elle ressent et qui la pousse à se disculper en accusant le grand père ou la tante. Cette hypocrisie de la mère, entre cruauté et douceur, cette haine et ce mépris que le garçon ressent envers elle aussitôt détournés de leur cours par la compassion, sont autant de fêlures dans l'enfance de Chi-Huei. Cependant, l'on s'aperçoit bientôt que chacun a sa vérité et que l'incompréhension du fils et de la mère est mutuelle. L'analyse de Chi-Huei, en effet, est faussée par la honte qu'il éprouve et son mépris de la misère.
Voilà un roman bien pessimiste et qui donne parfois l'impression d'une analyse au scalpel. Cependant j'ai aimé l'intelligence du récit et la vérité des sentiments complexes éprouvés par les enfants. Il n'est pas facile d'être adolescent et de vivre sa vie sans pouvoir la dominer, ce l'est encore moins quand on est enfant d'immigrés et que l'on vit dans la misère et le rejet.

 La ville heureuse publié en 2009 en Espagne a obtenu deux prix et le titre du meilleur roman de l'année et il faut reconnaître qu'il le mérite bien.


Mes remerciements aux  Editions Orbis Tertius pour ce roman traduit de l'espagnol par Alice Ingold