J’avais beaucoup aimé le livre de Marc Graciano, Liberté dans la montagne (voir ICI ) que j’ai lu il y a déjà cinq ans.
Avec Embrasse l’Ours, c’est un plaisir de retrouver, sur les conseils de Dominique ICI, cette langue si particulière et poétique, ces tournures de phrases proches de l’Ancien Français mais en même temps si personnelles, ce vocabulaire riche d’un auteur qui aime les mots, qui s’en délecte, des mots rares évoquant une civilisation lointaine, éteinte. Et puis, bien sûr, il y a ce récit qui se situe au Moyen-âge avec pourtant quelque chose d’intemporel que l’on retrouve dans les légendes et les contes oraux traditionnels.
Embrasse l’ours, est l’histoire d’un ourson adopté par des oursaliers quand sa mère est tuée par les chasseurs et qui devient le frère de lait d’une petite fille, une histoire d’amour entre la bête qui se considère comme humaine et sa « soeur », devenue une belle jeune fille passionnée, farouche et ardente. L’histoire semble s’inspirer de ces légendes propres aux pays de hautes montagnes (je pense à un conte pyrénéen que je connais, entre autres), légendes qui racontent l’union forcée ou consentie d’une femme avec un ours, celui-ci incarnant la sexualité brute et la force de la nature. Quoi qu’il en soit, notre pauvre ours gentil, couard, plutôt comique, qui refuse son statut d’ours et sait allumer un feu, concocter de bonnes soupes aux herbes sauvages, est loin de cette représentation. Il introduit une note d’humour dans cette histoire violente dans laquelle la nature et les hommes ne font pas bon ménage et où les humains détiennent la palme de la cruauté. Il nous renvoie à un monde mythologique où l’homme et l’animal vivaient côté à côte mais sur un pied d'égalité et "mêmement"* il nous rappelle qu'il est dangereux et
cruel d'humaniser un animal comme le pauvre ours de notre histoire et comme le fut le singe Nim à qui l'on a
appris à parler par signes et à se comporter comme un humain.
Et plus près de nous, il évoque les recherches scientifiques des
zoologues sur le comportement et l’intelligence animales. Carl Safina
dont le livre Qu’est-ce que fait sourire les animaux? ICI , démontre ainsi que la différence entre l’animal et l’humain n’est pas si grande.
Le projet Nim ou le singe qui se prenait pour un humain |
Peut-on y voir aussi la volonté de l’auteur de prendre parti dans ce combat que mènent, à l’heure actuelle, les éleveurs des zones montagnardes contre la réintroduction de l’ours qui détruit leur troupeau? C'est ce que semble dire - mais je n'affirmerais rien quand il s'agit de Marc Graciano - la suite du titre en deux parties : Embrasse l'ours et porte-le dans la montagne.
Poursuivies par un ours, 209 brebis se jettent de la falaise |
Un beau livre ! J’avoue avoir eu un petit moment de flottement au début pour entrer dans le roman. Je suis un peu déboussolée quand je m'aventure dans un livre de Marc
Graciano parce que je sais jamais où je suis exactement ! Mais le style envoûtant de l’écrivain et l’acception d’être transportée dans un conte malgré le réalisme apparent du récit, l’ont emporté.
"Mêmement"* une tournure de l'ancien français très usitée par l'écrivain. J'adore !