Pages

Affichage des articles dont le libellé est Editions Philippe Picquier. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Editions Philippe Picquier. Afficher tous les articles

mardi 17 avril 2012

Un moment à Pékin de Lin Yutang : De l’enfance à la maturité



 Un moment à Pékin de Lin Yutang, livre divisé en deux Tomes :  1, Enfances chinoises et 2, Le triomphe de la vie.

Le roman, une vaste fresque historique, commence en Juillet 1900 avec la révolte des boxers encouragée par l'impératrice Tseu Hi et finit pendant l'invasion de la Chine par le Japon en 1937 qui lance sur les routes des milliers de chinois fuyant l'envahisseur. Les dernières pages du roman se déroulent au nouvel an 1938 et c'est là que nous laissons les personnages dans l'incertitude de  leur destin (et pourtant heureux) non sans un certain regret.

Après la chute de la dynastie mandchoue et l'abdication de son dernier empereur Pouyi-Yi, âgé de trois ans, Lin Yutang s'attache à nous décrire la situation politique de la Chine, dénonçant la corruption de régimes successifs, avides de pouvoirs et de richesses, incapables de faire l'unité nationale, souvent soumis au Japon et achetés par lui. Au cours de cette période troublée, la Chine avec son immense territoire et la diversité de ses cultures, déjà démembrée par les puissances étrangères qui grignotent son territoire, doit subir la domination de plus en plus brutale des Japonais. Très en retard au point de vue économique et refusant l'évolution des mentalités, la Chine voit s'affronter les libéraux, souvent des intellectuels instruits dans des universités américaines ou japonaises et les conservateurs, en particulier la caste des mandarins, qui défendent leurs privilèges et restent attachés aux traditions. Elle voit émerger aussi un sentiment national qui  pousse le pays tout entier à résister à l'envahisseur japonais, ce que l'auteur décrit avec un certain lyrisme dans la dernière scène du livre où Moulane, l'une des principales héroïnes, fuyant l'armée japonaise, croise des soldats chinois se rendant au front  et chantant :

"Nous ne reviendrons pas/Avant que nos montagnes et nos fleuves nous aient été rendus!"  En se rapprochant d'eux, Moulane fut saisie d'une étrange et nouvelle émotion. Elle comprit que c'était un sentiment de bonheur, un sentiment de triomphe. (...) Il ne s'agissait pas seulement des soldats mais de cette grande colonne en marche dont elle était une partie. Elle avait un sens de sa nation comme elle ne l'avait jamais eu si fortement auparavant, d'un peuple uni par une fidélité commune, et qui, bien que fuyant devant l'ennemi commun, était pourtant un peuple dont la patience et la force étaient pareilles aux dix mille lis de la Grande Muraille et aussi permanente.(...) Car le vrai peuple chinois est enraciné dans ce sol qu'il aime. Elle fit quelques pas et prit sa place au milieu d'eux.

Je ne prétends pas résumer en quelques lignes l'Histoire de la Chine telle que l'a décrite Lin Yutang avec tant de minutie, tant de détails, tant de précisions et surtout de nuances, sachant qu'il s'agit d'un "pavé' de plus de 1400 pages. Ce qui me frappe surtout c'est qu'au-delà du sérieux de l'historien, il ne s'agit pas seulement d'un livre d'Histoire mais d'un roman qui nous amène à partager la vie des personnages, à vivre à travers eux les soubresauts qui agitent la Chine. Et c'est là, l'art de Lin Yutang, de faire en sorte que, en nous tenant en haleine, la vie quotidienne des gens, leurs sentiments, les évènement particuliers qui les affectent ne soient en réalité que le reflet des mouvements internes qui révolutionnent ce grand pays.

L'auteur a choisi de peindre cette période historique à travers deux grandes familles (et ceux qui gravitent autour)  assez représentatives de toutes les tendances mais d'une manière nuancée, sans systématisme.

Il y a d'abord la famille YAO dont le chef est Yao Sseu-ane, riche marchands de thé et de médecines, assez ouvert aux idées nouvelles : c'est lui qui refuse que sa deuxième fille, Moulane, ait les pieds bandés, lui qui envoie ses fils, Tijen et Afei en Angleterre, lui qui encourage ses filles, Moulane et Mocho, à étudier.

Taoïste, il réalisera son désir le plus cher,  "la conquête du moi " "grâce à la contemplation", en s'exilant loin de sa famille pour vivre une vie ascétique. Sa fille, Moulane, connaîtra la même expérience, quoique dans des ciconstances, différentes au cours de l'exode, à la fin du roman, par un contact humain avec cette grande communauté d'hommes et de femmes. Et elle comprendra - c'est  le sens de la philosophie de son père Yao mais aussi de Lin Yutang- que :

Tel était le triomphe de l'esprit humain. Il n'existe pas de catastrophe si grande que l'esprit ne puisse s'élever au-dessus d'elle, et par cette ampleur même, la transformer en quelque chose de grand et de radieux.

Au cours de leur voyage vers le sud pour fuir l'arrivée des boxers à Pékin, au tout début du roman, Moulane est enlevée par une femme boxer. Elle est recueillie par la Famille TSENG  dans laquelle elle entrera plus tard en se mariant avec le troisième fils, Sunya. Le père, Tseng Wampo, riche mandarin, haut fonctionnaire, confucianiste, représente la tradition et refuse la modernité et l'évolution des mentalités en particulier en ce qui concerne la conception de la famille. Jusqu'au bout ses belles-filles, Mannia, la veuve vierge, épouse du premier fils mort le jour du mariage, Moulane, Senteur vague, seconde épouse du deuxième fils, devront rendre à sa femme et à lui-même, qu'elles respectent d'ailleurs, les services qui leur sont dus.

Autour des ces deux familles, gravitent la Famille FENG, Feng Tsé-ane étant le  frère  de madame Yao, et père de Jade Rouge, une des quatre beautés de la famille, extrêmement raffinée et érudite, la famille SOUN, neveu de grand-mère Tseng dont la fille est Mannia. Celle-ci est l'incarnation de la femme de l'ancien régime, les pieds bandés, élevée dans la pure tradition. La famille KOUNG, amie des Yao :  la veuve Kuong a deux enfants, un fils Lifou qui joue un grand rôle dans le roman et une fille Houane-erth qui incarne les idées révolutionnaires.

La dernière famille NIOU, est l'occasion pour Lin Yutang, de nous présenter cette classe de fontionnaires sans scrupules, entassant des richesses et opprimant le peuple : Niuo Sseuto, ministre des finances, dit le Dieu des richesses, madame Niou dite Grand'Mère cheval, qui régente son mari et le pousse au mal. Enfin leurs enfants qui sont tout aussi corrompus : Houaiyou, le fils vendu aux japonais, Souyoun, la fille qui mène une vie dissolue et fait, avec l'aide des japonais, le commerce de l'opium; Toungyou qui se rendra si odieux qu'il sera puni de mort.

De tous dépend une foule de serviteurs et d'esclaves dont on devine aisément la misérable condition, soumis à des maîtres qui ont un pouvoir sinon absolu du moins exorbitant sur eux, même s'ils sont, chez Moulane, traités avec humanité. Mais le roman n'a pas pour but de nous montrer la souffrance du peuple.

Un des grands plaisirs que j'ai retiré de Un moment à Pékin provient de  la description des coutumes, des traditions, des légendes, de la philosophie chinoises. Lin Yutang, même s'il est gagné par les idées nouvelles - il a étudié aux Etats-Unis, à Leipzig et écrit son livre en anglais- est trop érudit pour rejeter en bloc la richesse, le raffinement extrême de cette grande civilisation. Il nous en fait un tableau coloré,  plaisant et gourmet. Il nous amène à participer aux joutes d'esprit que disputent les jeunes gens dans la plus grande tradition de la littérature ancienne; il nous promène dans le luxe et la richesse des jardins et des maisons, nous invite aux mariages somptueux de Moulane ou de Mocho, ou aux  longues et solennelles funérailles du père Soun ou du vieux Tseng, nous fait goûter non seulement au luxe de l'esprit mais des sens, cuisine raffinée de Moulane, caresse des étoffes fines et soyeuses, éclat des couleurs  et des senteurs de la nature, perfection des bibelots de jade et des bijoux. D'autre part, il y a un personnage à part entière dans ce roman, c'est Pékin,  ville éponyme, une cité qui sert de cadre à l'action pendant une grande partie du roman et  qui est décrite avec beaucoup d'amour. Ainsi lorsque les parcs et les jardins du palais sont ouverts au public en 1912, une des distractions de Moulane est d'aller s'y promener avec son mari.

Si comme on le dit, le but de Lin Yutang est de faire découvrir sa civilisation aux étrangers et de la leur faire aimer, il a pleinement réussi.

Editions Philippe Picquier : Un moment à Pékin

vendredi 5 novembre 2010

Dang Thuy Trâm (1968-1970) : Les carnets retrouvés


Les carnets retrouvés, journal intime de la jeune Vietnamienne Dang Thuy Trâm dans les années 68-70, ont connu une histoire extraordinaire qui nous étonne avant même d'en avoir lu le contenu. Retrouvés par un américain chargé de brûler les papiers saisis pendant les combats, ils ont échappé à la destruction et ont été envoyés en 2005 à la famille de Thuy. Publiés, ces carnets ont fait de Thuy une héroïne nationale à la manière d'Anne Franck. Ils sont lus et étudiés dans les écoles vietnamiennes par une jeunesse qui s'identifie à la jeune fille et apprend à lire l'histoire de son pays non plus officiellement mais par l'intervention de l'humain, avec empathie..
Traduits en français et publiés chez Picquier pour la rentrée littéraire 2010, ces carnets nous plongent dans un passé tragique, la guerre d'indépendance du Vietnam contre les américains. Et surtout, ils nous font découvrir une adorable jeune fille courageuse et fragile, idéaliste et romantique, pourtant efficace et pragmatique dans l'exercice de son métier, prise dans la tourmente des combats, affrontant à chaque instant la peur et la mort. Les premiers cahiers ayant été perdus, nous suivons Thuy du mois d'Avril 1968 au mois de Juin 1970, date à laquelle elle a été tuée d'une balle dans la tête par un détachement américain.
Qui suis-je? une jeune fille dont le coeur déborde d'émotion mais dont l'esprit n'hésite jamais  devant une situation compliquée et dangereuse.
Dang Thuy Trâm est une jeune fille d'un milieu bourgeois qui a eu une enfance protégée et choyée, à l'abri de la guerre, dans le Nord du Vietnam. Mais les souffrances que connaît le sud de son pays  occupé par les Américains pour acquérir son indépendance la touchent. Communiste, engagement qu'elle vit comme un très beau et très noble idéal, elle pense que son devoir est de partir aider son peuple. Ce qu'elle fait après avoir obtenu son diplôme de médecin. Elle va alors connaître une vie itinérante dans un hôpital situé dans les montagnes du centre du Vietnam, opérant, sous les bombes, avec des moyens de fortune, les soldats blessés, déménageant sans cesse pour échapper au repérage de l'armée américaine, parcourant les sentiers montagneux pour aller soigner les malades sur place et tout ceci au péril de sa vie.
J'ai opéré une appendicite dans des conditions désastreuses. Je n'avais que quelques flacons d'anesthésique mais le jeune soldat blessé ne s'est jamais plaint. Il souriait même pour m'encourager.
Si Thuy est prête à mourir pour son pays, si elle est animée devant chacun des morts qu'elle chérit par des sentiments de haine envers l'envahisseur et si elle a foi en son parti, il n'y a jamais en elle ni dogmatisme, ni fanatisme. Le communisme lui apparaît comme un moyen à l'échelle du pays de rendre le peuple heureux et à titre personnel comme un but à atteindre pour se perfectionner,  lutter contre son égoïsme, penser aux autres, leur venir en aide. Elle pense que l'autocritique exigée par le parti doit permettre de combattre ses propres défauts; elle n'en voit pas le danger. Parfois, elle s'insurge contre ceux qui dans le parti lui reprochent d'être  bourgeoise :
J'ai peut-être des sentiments de petite bourgeoise mais je n'en ai pas le comportement malgré ce que certains prétendent.
C'est donc un beau portrait de femme qui se dessine à travers ce journal intime, entière, animée d'un désir de pureté, exigeante envers elle-même, fière et indépendante. Mais  c'est aussi et c'est ce qui est extrêmement touchant, le portrait d'une jeune fille comme les autres qui souffre d'avoir été trahie par son amoureux, qui rêve d'une vie paisible, qui parle des ses soupirants qu'elles considèrent comme ses petits frères, qui est en quête d'approbation, d'encouragement car elle  doute d'elle-même, s'interroge sur la vie et qui, souvent, se parle à elle-même pour s'exhorter au  courage, pour devenir meilleure  :
Pourquoi es-tu toujours si triste, Thuy?
Ne pleure pas Thuy,  reste calme et maîtresse de toi-même..

Enfin,  parfois dans la peur et la douleur elle devient une toute petite fille qui a besoin de sa maman, à qui sa famille manque terriblement :
Aujourd'hui c'est mon anniversaire et le bruit des salves répétés de l'ennemi résonne partout... Soudain je me souviens des jours paisibles dans le nord, du soleil en hiver, la douce chaleur d'une grande joie, papa et maman m'offraient des fleurs, on organisait une fête, les amis venaient me féliciter.

Avec ce journal intime nous parcourons donc avec cette belle jeune fille un moment de ce chemin qui l'amène à la mort. Autour d'elle, apparaissent de nombreux personnages attachants, emportés par la guerre. Le tout est rythmé par les explosions, les bombardements, les corps déchiquetés, la nature saccagée, la fuite devant une patrouille américaine qui ne vous rate que de peu, les traques incessantes, les caches pratiquées à même le sol où l'on baigne jusqu'au cou dans une eau glaciale en attendant le départ de l'ennemi qui marche sur votre tête sans le savoir. Un livre plein d'émotions et qui peint mieux que tout l'horreur de la guerre!

capture-d_ecran-2010-05-27-a-10-14-261.1287673206.pngMerci à Dialogues croisés et aux éditions Picquier
Livre voyageur