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mercredi 26 octobre 2011

Jonathan Franzen : Freedom



Je viens de terminer Freedom de Jonathan Franzen, un énorme livre de 700 pages, que j'ai dévoré avec plaisir.  Franzen y raconte l'histoire d'une famille, les Berglund, Walter et sa femme Patty, leurs enfants Joey et Jessica.  Autour d'eux gravitent de nombreux personnages, Richard, l'ami intime de Walter,  Lalitha la jeune maîtresse de Walter, Connie, l'amoureuse de Joey, mais aussi leurs parents, leurs voisins, les gens qui travaillent avec eux... C'est le prétexte pour Jonathan Franzen de dresser un tableau complet de la société américaine sur plusieurs décennies en abordant tous les thèmes : l'écologie avec le réchauffement de la planète, la destruction des milieux naturels, les dangers de la surpopulation, la protection des espèces (la fameuse paruline azurée), mais aussi la guerre en Irak et les malhonnêtetés du gouvernement Bush, les affrontements entre républicains et démocrates, le triomphe d'une société matérialiste, capitaliste, qui ne pense qu'à l'argent, le pouvoir sans limites des entreprises multinationales et des banques... et, et, et... j'en passe! Différents milieux sociaux, appartenances politiques, confessions religieuses. Je pense un peu à nos écrivains français du XIX siècle entreprenant l'un La Comédie Humaine, l'autre L'histoire d'une famille sous le second empire.

Mais là, c'est en un seul volume que Franzen veut tout dire ! Oui, je sais, c'est énorme! On a l'impression que son roman charrie toutes les immondices de la politique américaine, éclaire sous une lumière crue les iniquités de la domination des Etats-Unis sur le Monde, de son ingérence dans la politique des autres pays alors qu'il est incapable d'assurer chez lui la justice et le progrès social. Je sais que le livre a été traité de gâteau indigeste (Je renvoie à ce billet de Gwenaelle dans Le Skriban  ICI)! Je comprends tout à fait cette critique. Et pourtant je l'ai parfaitement digéré, ce gros gâteau, sans m'ennuyer une seconde et cela est dû à deux faits.

Tout d'abord, j'adore cette littérature qui n'est pas tournée vers son nombril, comme trop souvent notre littérature française contemporaine, mais vers les autres, vers le monde extérieur et l'on sait combien il va mal! L'accumulation peut paraître une maladresse mais au moins c'est généreux, c'est courageux! Et d'ailleurs malgré cette impression de fleuve en crue, le roman présente une construction savante et l'écrivain domine parfaitement son sujet, tout en ayant l'habileté de varier les points de vue. Enfin! j'ai devant moi un écrivain qui parle de notre monde et j'aime ce regard sans complaisance. Et cela me fait du bien de constater que pour une fois la littérature joue son rôle, celui d'analyser, de dénoncer, de chercher à secouer les consciences.

Ensuite, et ceci grâce au talent de l'écrivain, je me suis intéressée aux personnages car ils sont devenus vivants pour moi, je les ai accompagnés un bon bout de temps sur le chemin de leur vie, j'ai partagé leurs joies et leurs chagrins, leurs réussites et leurs échecs. Ils m'ont parfois passablement agacée voire exaspérée avec leurs obsessions et leurs contradictions (Walter), leurs agissements (Patty), leur dureté les uns envers les autres (Joey, Richard). J'ai pu constater leurs faiblesses et leurs erreurs et déplorer ce qu'ils étaient en train de devenir, Joey faisant de l'argent sale avec la guerre en Irak, Walter se compromettant avec la pire des entreprises capitalistes et s'enrichissant sous prétexte de sauver la paruline azurée. Mais j'ai été heureuse de suivre les sursauts de leur conscience tourmentée. Ainsi l'on peut dire que le discours de Walter qui a le courage se rétracter est un grand moment. C'est un morceau de bravoure que j'ai aimé savourer. Et même si c'est trop démonstratif comme le reste du roman, - mais Zola aussi est démonstratif et je l'adore- je n'ai pas boudé le plaisir d'être en accord avec cette dénonciation. Quoique j'apprécie moins chez Walter son mépris des classes laborieuses sous prétexte qu'il en lui-même sorti et je pense comme Jessica qu'il se trompe partiellement de cible dans son discours. Car la complexité des personnages, qui ne sont pas décrits d'une manière manichéenne et qui évoluent tout au cours de leur vie, est une des plus grandes réussites de l'écrivain.
Pour toutes ces raisons j'ai aimé ce gros roman touffu, complexe, imparfait peut-être, mais qui m'a touchée.

Voici d'autres avis :
Sophie qui n'a pas aimé ICI 
 Keisha qui a aimé  et qui analyse les variations du point de vue dans le roman, l'art d'un bon écrivain :  ICI
 Constance qui parle avec ferveur du roman  ICI

Merci à Price Minister et aux Editions de l'Olivier







mercredi 19 octobre 2011

Fanny Saintenoy : Juste avant


 Fanny vient d'apprendre que son arrière-grand mère est en train de mourir. Elle prend aussitôt un train jusqu'à Bergerac pour venir assister la vieille dame dans ses  derniers instants, apportant avec elle, dans cette chambre d'hôpital, tous les soucis de sa vie.
Dans ce dernier face à face qui les réunit, la jeune femme et l'aïeule en train d'agoniser vont égrener tout à tour leurs souvenirs personnels qui se croisent parfois et se complètent. Peu à peu, à travers des retours dans le passé se dessinent la personnalité de chacune et leur histoire qui recoupe celle de notre pays à travers les évènements du XXème siècle.

Ce court roman est très bien écrit  et l'on y sent l'émotion d'une fin de vie mais  sans rien de déchirant ou de tragique. La mort est présentée comme inéluctable, dans l'ordre des choses, et s'il y a nostalgie, elle vient des souvenirs évoqués, de l'affection qui lie Fanny et sa grand mère. Le personnage de cette vieille dame est intéressant, une femme du peuple à qui l'existence n'a pas fait de cadeau et qui a conçu la vie comme une lutte. Pourtant les bons moments, les amies, la convivialité, l'amour de sa famille viennent contrebalancer les tragédies, la déportation de son mari, résistant communiste qui disparaît dans un camp de concentration, la mort de sa fille atteinte d'un cancer. On sent très bien aussi le clivage qui se fait entre la vieille femme peu instruite, peu ouverte sur le monde par la force des choses, et son arrière-petite fille devenue une intellectuelle, un mode d'ascension sociale qui crée des fossés entre les quatre générations de femmes qui se succèdent, de l'arrière-grand mère à sa fille Jacqueline, sa petite fille Martine et son arrière-petite fille Fanny.
Ce premier livre me laisse pourtant un peu sur ma faim à cause de la rapidité du roman qui  ne permet pas à l'histoire de s'installer ni aux personnages de vivre. On a l'impression d'un survol, là où l'on attendrait que l'écrivain se pose un peu pour qu'il y ait plus de force dans le récit, une analyse plus approfondie des rapports sociaux. Mais les qualités d'écriture sont indéniables et ne demandent qu'à être développées.
 Un grand merci à Jeneen pour ce livre voyageur!


lundi 17 octobre 2011

François Emmanuel : Cheyenn

Cheyenn, non, ce livre de François Emmanuel, ne vous amènera pas, dans les grandes prairies de l'Ouest américain, chevauchant votre appaloosa à la recherche de bisons. Cheyenn est le nom que s'est donné Sam Montana-Touré, SDF, un homme au regard silencieux qui hante l'imaginaire du narrateur de cette histoire, un cinéaste, auteur de documentaire pour la télévision. Et si cette recherche vous entraîne vers de grands espaces, "ce sont ceux des chantiers ceints de palissades, routes et trottoirs défoncés, alignement de façades sinistres... dans cette demi-friche industrielle qui longe le canal sur près de quatre kilomètres,  paysages de délabrement urbain", usines désaffectées peuplées d'êtres à la dérive, de skinhead haineux, un univers entre misère et violence.

Le cinéaste a rencontré une première fois Cheyenn dans une usine de filature désaffectée où il venait filmer Lukakowsky, un de ses compagnons d'infortune. Cheyenn n'apparaît dans ce premier documentaire  que de loin en loin, il n'est pas le sujet principal. Pourtant, déjà, au cours d'un plan fixe qui le saisit, le réalisateur remarque son regard intense, qui semble détenir un secret, peut-être tout simplement le secret d'une vie. Peu de temps après Cheyenn est sauvagement assassiné. Le narrateur, hanté par ce regard, décide alors de réaliser un second documentaire et de partir ainsi à la recherche de Cheyenn, de ses origines, de son passé, bref, de l'homme qu'il était au-delà des apparences.

"Parfois Cheyenn vient s'asseoir à côté de moi dans mon rêve. Nous sommes tous les deux assis  sur un banc, adossés au mur, et nous regardons les arbres du parc où nous nous trouvons; (...) Je ne me retourne pas vers Cheyenn mais je sens qu'il est à côté de moi, il pourrait être mon frère, mon ami de toujours, mon compagnon tranquille. C'est la récurrence de ce rêve qui m'a convaincu d'écrire."

 Le cinéaste mène alors son enquête auprès des personnes qui l'ont connu, la soeur de Cheyenne, de Mauda, la femme qui l'a aimé mais qui n'a pas pu l'empêcher de sombrer, des skinhead qu'il soupçonne de l'avoir tué. Il rencontre le juge d'instruction qui mène l'enquête. Mais si tous deux s'acharnent à la découverte de la vérité, il ne s'agit  pourtant pas de la même. L'un veut découvrir les coupables, l'autre, la victime. Une exigence qui le prend tout entier, un quête plus qu'une enquête, une obsession. Mais comment filmer l'absence? Comment aller au-delà des apparences? Comment aussi être entièrement honnête vis à vis de l'image, ne pas tomber dans le voyeurisme, respecter l'intime. Ce sont ces interrogations philosophiques qu'égrène le livre mais pas seulement. Il aborde aussi les aspects économiques du cinéma documentaire, un producteur qui veut des résultats, du sensationnel et qui exige la rapidité.  Ainsi quand le cinéaste filme le regard de Cheyenn :

Or la démarche du cinéaste qui est à la recherche d'une vérité ne peut se faire qu'en laissant le temps au temps, le temps de connaître les gens, d'établir des relations humaines, de vrais contacts, le temps du respect et de l'estime : c'est ce qui se passe entre Mauda et le réalisateur. Ceci me rappelle la démarche de Raymond Depardon dans sa trilogie de Profils Paysans qui a demandé plusieurs années à Canal Plus pour filmer les agriculteurs lozériens ou ardéchois. Une démarche authentique qui cherche à entrer au coeur de l'Humain, à l'antipode de cette culture journalistique "qui recherche avant tout l'émotion"

Cheyenn a existé comme le prouve la dédicace de François Emmanuel qui s'adresse à Bernard Mottier, photographe français installé en Belgique : A Bernard Mottier qui a aimé Cheyenn. Y a-t-il eu réellement un documentaire? Je ne le sais pas. Par contre le livre de François Emmanuel est une  réflexion intéressante sur l'image. C'est aussi un bel hommage  à Cheyenn de même qu'à  tous les hommes qui, comme lui, sont tombés dans la déchéance.


lundi 19 septembre 2011

Sylvie Tanette : Amalia Albanesi, Mercure de france


 Amalia Albanesi de Sylvie Tanette est un premier roman.
L’institutrice de Théo, petit garçon de huit ans, lui a demandé d’établir un arbre généalogique. C’est le prétexte, pour la mère de Théo, de raconter à son fils l’histoire de ses ancêtres. Peu à peu la construction de l’arbre généalogique de cette famille va nous entraîner bien loin dans l’espace à Tornavalo, près de Bari dans les Pouilles mais aussi à Alexandrie, à Athènes, à Malte, sur les remparts de Dubrovnik, puis à Marseille… C’est avec intérêt que l’on suit cette longue histoire qui forme une trame complexe assez fascinante. Ce grand voyage dans le temps, du début du XIX ème siècle à nos jours, va nous faire découvrir des personnages peu banals. Et d’abord, bien sûr, Amalia Albanesi, cette arrière-grand-mère qui donne son titre au récit, née à Tornavalo dans une famille de paysans vaguement enrichie, peu ouverte aux sentiments, qui ne connaît de la vie que le labeur dur, écrasant et sans répit, qui permet de tirer  subsistance de la terre ingrate de Tornavalo. Cette terre rouge qui s’insinue partout, dans les maisons, les vêtements, dans la bouche, dans les poumons, Amalia n’aura de cesse de la fuir. Elle le pourra en épousant un étranger voyageur, révolutionnaire en exil à Tornavalo, Stepan Iscenderini qui l’amènera loin de son pays avant de l’abandonner pour épouser la cause des Bolcheviks et partir en Russie. Nous assisterons à la naissance de la douce Luna, à Alexandrie, la grand-mère de la narratrice, suivrons son enfance dans le port de Bari, ses amours avec l’anarchiste Elias, le rebelle aux yeux dorés, qui vient de Malte, idéaliste qui sera brisé par son internement dans les camps de concentration dans les années 40… Et puis il y a la rencontre de la fille de L’Estaque avec le garçon du Panier à Marseille, autrement dit, les parents de la narratrice, grands-parents de Théo, avec lesquels s’achève cette remontée dans le temps…
Et ces personnages au destin peu commun, aux origines si diverses, qui ont échappé à toutes les tragédies de l’Histoire, sont si profondément ancrés dans les pays de la Méditerranée qu’ils semblent  en représenter tous les peuples, en illustrer la quintessence. Ainsi pour aboutir à ce petit écolier de huit ans, Théo, il fallu une telle multitude d’ancêtres et d’événements, tant de nationalités différentes, tant de hasards et de rencontres  que l’on a l’impression vertigineuse d’une accélération du Temps, d’une infinité de possibilités. On pense au vers de Beaucarne :
En voyant naître cet enfant/ Je voyais du fin fond des siècles/ Tous mes ancêtres, tous mes parents/ Dans ce petit corps renaître…
Par quelle fissure du temps/ S’est-il glissé jusqu’à maintenant…
Et oui, mon petit Théo, écrit la narratrice, il va bien falloir que tu vives avec tout ça. Toutes ces histoires et tous ces gens, que l’on n’a pas choisis, que l’on ne connaît pas, mais qui sont là dans un coin de nos têtes, et parfois se bousculent jusque dans le moindre de nos gestes.

L’écrivain, journaliste, écrit ce roman comme s’il s’agissait d’une enquête journalistique. Elle s’appuie sur les récits de sa grand mère Luna, puise dans les souvenirs de chacun, interroge les photographies anciennes, met à contribution sa mère pour reconstituer la mémoire familiale. Elle s’interroge sur les motivations des personnages, doute de la véracité de ses sources, avoue son ignorance, fait la part de la légende et de l’Histoire dans les récits familiaux. Parfois, elle supplée au manque d’information en imaginant ce qui s’est passé. Ce procédé journalistique, mais aussi romanesque, qui permet peu à peu de s’immiscer à l’intérieur des personnages, de les faire vivre, de reconstituer les faits comme s’il s’agissait d’un puzzle, m’avait passionnée lors de la lecture du roman de Javier Cercas Les Soldats de Salamine. Certes, Sylvie Tanette n’a  pas le talent  de Cercas et je n’ai pas éprouvé la même intensité d’émotion en la lisant, mais il n’en reste pas moins que ce court roman (trop rapide à mon goût! ) est une réussite puisque l’on s’intéresse à ces vies qui se déroulent devant nous et que l’on aimerait en savoir plus! Certains passages révèlent d’ailleurs de belles qualités de plume :  Lorsqu’elle suivait son âne jusqu’au bord de la falaise, Amalia se glissait entre les oliviers en évitant de les regarder, comme on traverse une foule hostile ou silencieuse. Dans ce qui était pour tous, de simples murets de pierres sèches, oliveraies, amandiers et figuiers de Barbarie, mon arrière-grand-mère ne voyait qu’écorchures, blessures, cris de douleur. (…)  Un jour, elle avait dit à ses frères que les plaines de Bari n’était probablement qu’un immense cimetière, où chaque mort était devenu un olivier; Il n’y avait, pour s’en convaincre, qu’à voir comment chacun d’eux tentait de rejoindre le ciel, leurs bras tordus de martyrs, leurs corps figés dans un ultime effort pour s’extraire des entrailles de l’Enfer.

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mercredi 14 septembre 2011

Eric Puchner : Famille modèle



Famille modèle :  le titre du roman de Eric Puchner est à prendre ironiquement si l’on en juge par les tribulations, déboires, drames et autres calamités qui s’abattent sur la famille américaine des Ziller, révélant des aspects cachés et pas toujours glorieux du caractère de chacun.
Dans la famille Ziller, il y a d’abord le père, Warren, issu de famille modeste, il caresse le rêve de la réussite sociale. Il quitte la vie confortable qu’il s’était créée dans le Wisconsin, pour faire fortune (du moins le croit-il) en Californie en achetant un terrain constructible dans le désert pour devenir promoteur immobilier d’un lot de maisons modestes qu’il espère vendre comme des petits pains. Lorsqu’il s’aperçoit que les autorités déversent des déchets industriels à proximité, il est anéanti. C’est le début d’une faillite qu’il n’ose avouer à sa famille. Pour réussir et correspondre à l’image de chef de famille battant qu’il veut donner aux siens, il serait prêt à vendre des maisons à des familles modestes en leur cachant la vérité sur la pollution du terrain.

Dans la famille Ziller vient la mère, Camille. Toujours habillée de couleurs pastels et de vêtements désuets, elle réalise des films d’éducation sexuelle complètement ratés en direction des écoles. Ecolo, elle fait des leçons de morale à ses enfants sur leur alimentation. Sa fille et ses deux fils la jugent démodée, un tantinet ennuyeuse et moralisatrice, vaguement ridicule mais ils la croient incapable de faire du mal, d’avoir des mauvais sentiments. Ils s’apercevront pourtant que quand les choses se dégradent chez eux, leur mère n’est pas aussi parfaite qu’ils le pensaient.

Enfin il y a les enfants : Dustin est l’aîné de la famille. Sûr de lui, intelligent, beau et charmeur, il a tout pour plaire et réussir sa vie. Il va partir à l’université. Il adore la Californie, le soleil, la mer et le surf. Il est amoureux de Kira, si belle et si parfaitement bourgeoise qu’il s’ennuie un peu avec elle.
Sa passion: son groupe de musique qui, il en est persuadé, le mènera à la gloire.
Ses faiblesses : Il est attirée par Taz, la petite soeur de Kira, marginale paumée, droguée, passablement agressive et suicidaire.
Lyle, l’intellectuelle de la famille, toujours dans ses livres, est en révolte contre les parents. Elle a horreur de la Californie, de la plage. Son teint de rousse ne lui permet pas de s’exposer au soleil. Elle couche avec Hector, un latino-américain pour se prouver qu’elle peut plaire.
Jonas, le mal aimé, est un gamin aux idées morbides, étrange et asocial.
Ah! j’allais oublier Mister Leonard, un des membres et non des moindres de la famille Ziller, j’ai nommé le vieux chien qui a déjà un pied dans la tombe mais qui n’en demeure pas moins un personnage incontournable du roman.

La faillite du père est à l’origine de la détérioration des rapports entre les membres de la famille, une fissure qui ne cessera de s’agrandir mais c’est surtout la tragédie qui s’abat sur eux qui va les anéantir. Chacun va réagir selon son âge, son caractère, sa position dans la famille, mais aucun n’en sortira indemne. Le désespoir affleure sans cesse, les vies sont brisées. Pourront-ils se reconstruire? L’écrivain manie une ironie cruelle au détriment de ses personnages comme si, démiurge tout puissant, il les punissait par là où ils ont péché!
Comme souvent dans les romans contemporains américains, les personnages d’Erich Puchner mais aussi leurs amis, les connaissances qui gravitent autour d’eux, sont atypiques, étranges et se fourrent dans des situations absolument loufoques qui provoquent à la fois la surprise et le rire. De nombreuses scènes, en effet, racontées avec brio et panache sont d’une drôlerie irrésistible comme celle où Warren pour venir en aide à son fils et lui éviter un chagrin d’amour s’introduit chez les parents de Kira ou comme la conversation de Jonas avec le chauffeur de camion qui est tout aussi réussie. De même le traitement de la sexualité dans les films de Camille est inénarrable. Pourtant le ton de la comédie, la légèreté apparente du récit ont toujours pour corollaire la tragédie et  l’échec. Ces différentes tonalités représentent une des grandes qualités du roman qui sait à la fois toucher, susciter l’émotion et amuser. De plus la variation des points de vue – chacun présentant tour à tour sa vision des autres mais aussi sa propre intériorité- permet une approche riche et subtile des personnages et donne des éclairages variés au récit.. J’ai beaucoup aimé pénétrer dans l’intimité de cette famille, en partageant le quotidien, les pensées intimes de chacun, j’ai aimé m’identifier aux personnages, m’attacher à eux car ils sont tous fragiles et émouvants, profondément humains avec leurs espoirs et leurs doutes, leurs qualités mais aussi leurs défauts. J’ai suivi avec un intérêt toujours renouvelé leur histoire, ayant envie de connaître la suite, de découvrir s’ils vont s’en sortir et  comment.

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vendredi 2 septembre 2011

James Frey : Le dernier testament de Ben Zion Avrohom

 Intégristes de tous bords et de toutes religions, fanatiques, trop bien-pensants, collets-montés, grenouilles de bénitiers, la lecture du roman de James Frey n'est pas pour vous! Certes Ben Zion Avrohom, héros éponyme du roman, est le Messie et il revient parmi nous, certes il est en communication avec Dieu mais, comme tout vrai Messie, il va vous choquer, bouleverser votre idée de Dieu, renverser toutes vos croyances, piétiner vos idées toutes faites, vous paraître dérangeant, fou, voire dangereux. Vous aurez envie de le voir disparaître, d'en être débarrassé, de retomber dans la quiétude de vos convictions et vous n'interviendrez pas lorsqu'on le battra, lorsqu'on l'enfermera, le détruira. Pire! Vous serez même parmi les bourreaux  et vous réitérerez avec des moyens modernes ce que l'on a fait à  Jésus il y a  2000 ans.

Ben Zion Avrohom est le fils de Dieu, tout le monde le dit dans la communauté juive où il est né, les rabbins ne s'y trompent pas, les signes sont là. Lui? Un type trop gentil, un tendre, un illuminé, et surtout un paumé car il ne sait pas qui il est, lui, ni pourquoi il est là! Un souffre-douleur aussi, il s'attire la haine de son père et de son frère qui le chasse de la maison, il se fait voler son argent par sa voisine prostituée, et plus tard, une fois reconnu comme le Messie, il est tiraillé, malmené, retenu en otage par les différents groupes religieux  chrétiens ou juifs qui veulent le récupérer pour qu'il reconnaisse leur Dieu au détriment de ceux du voisin. Cependant, quand il apporte la parole de Dieu, il dérange.  Que direz-vous d'un Messie qui vous dit que l'amour charnel et spirituel vont de pair et qui joint le geste à la parole en couchant avec des femmes et les hommes à qui il apporte ainsi le bonheur; un Messie qui vous conseille de remplacer le concept ridicule de l'âme par le cerveau, qui déclare que la vie éternelle n'existe pas, c'est pourquoi il faut savoir jouir (à tous les sens du terme) de la vie terrestre et que seul l'amour a de la valeur. Un Messie qui affirme que la Bible est un vieux livre dépassé qui s'adresse à une société archaïque si éloignée de la nôtre que ce livre n'a plus cours!  Vous vous doutez que  le comportement du "Messie" surtout lorsqu'il s'adresse aux religieux donne lieu à des scènes surprenantes et savoureuses qui ne sont pas exemptes d'ironie!

Vous allez me dire que James Frey est un provocateur, qu'il cherche délibérément à choquer pour s'assurer le succès de son livre. Vous allez arguer que ce Messie de pacotille est un gourou, le maître d'une secte, comme l'on en voit tant de nos jours. Et il faut reconnaître que la vie communautaire qu'il mène dans la ferme prêtée par une adepte y ressemble bien, du moins en apparence car Ben Zion laisse sa liberté de penser à tous, il n'impose pas, il ne juge pas. C'est un homme qui n'accepte pas d'argent, qui vit, ainsi que les siens, en fouillant dans les poubelles de la surconsommation de masse. Profondément humain, il accueille les marginaux, les sans-grade, les rejetés, femmes victimes de violence, prostituées, homosexuels, immigrés, tous ceux que la bonne société met à l'écart et il parvient à  leur rendre leur dignité. C'est un homme qui prêche l'amour dans une société qui se vautre dans le profit et dont le seul Dieu est l'argent.
Alors vous l'aurez compris, la provocation de James Frey, - si provocation il y a - n'est pas gratuite! La venue de son "Messie" est une occasion pour lui de démonter les rouages d'une société où l'amour des autres, la solidarité, l'empathie n'existent plus. Le roman dénonce avec virulence les fanatismes, l'intolérance, l'obscurantisme, les hypocrisies religieuses qui sévissent dans le pays, avec son cortège de maux, guerres, violences, exclusions, misère. 
Le dernier testament de Ben Zion Avrohom nous dit que si les minorités privilégiés continuent à vivre égoïstement, sans se préoccuper des autres et de l'avenir, amassant les richesses au détriment de la planète et de l'espèce humaine, alors nous allons droit au mur et nous signerons la fin de notre civilisation. C'est un cri d'alerte, une condamnation sans appel mais aussi  un plaidoyer pour l'amour , et le partage. Un grand livre, dérangeant mais beau!

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Merci à Dialogues croisés et aux Editions Flammarion

Rentrée littéraire 2011