Le roman d'Anne Revah* Manhattan commence par la description d'une curieuse tache qui semble dessiner le plan de Manhattan. Où? sur le bras d'une jeune femme. Inquiète, celle-ci va consulter un neurologe et apprend qu'elle est atteinte d'un maladie irrémissible. Sa première réaction est la fuite. Elle part, laissant derrière elle ses enfants et son mari et, sans quitter la ville, loue un appartement qui va lui servir de refuge. Là, elle écrit une lettre destinée à sa mère. Elle raconte la vacuité de sa vie, sa solitude au milieu des autres et peu à peu elle dévoile les secrets enfouis au plus profond d'elle qui l'ont faite ce qu'elle est réellement, sous la façade de la réussite sociale, une femme incapable d'aimer, de vivre vraiment.
Le roman est écrit à la première personne et le personnage reste donc abstraite. Dans la première partie, après la découverte de la maladie, la réaction de la jeune femme m'a surprise. J'avoue que je ne comprends pas, à première vue, les raisons de sa fuite, l'incohérence de sa conduite -elle se prépare à partir en avion, hésite, y renonce, abandonne son chien qu'elle a pourtant pris avec elle alors qu'elle laisse ses enfants(!) - mais, malgré tout, je cherche à comprendre les sentiments qu'elle éprouve. N'est-ce pas là un réflexe naturel, celui de l'animal blessée qui se cache pour mourir, une régression de tout notre être qui refuse l'inacceptable? Comment réagirions-nous en pareille circonstance? Et ne faisons-nous pas alors, devant la sentence de mort qui s'abat sur nous, un retour vers ce qu'il y a de primitif en nous? Nous terrer dans une tanière, par exemple, dans cette pièce où la malade va obturer les fenêtres, où le soleil ne pénétrera pas.
Enfin, pourtant, je crois découvrir la raison de son départ dans ces mots :
Je laisse à Victor les souvenirs d'une vie ensemble, je le laisse dans notre vie, lui et les enfants, je les pousse loin du temps qui reste. Je sais ce qui viendra, c'est en moi que je porte la suite, les taches blanches, je deviendrai une femme infirme avant de vieillir, je finirai par en mourir, mais je ne verrai pas la peur sur les visages, la tristesse de leurs sourires de façade. Je veux vivre ce qui vient avec soulagement.
Et je suis touchée par ce qui me paraît être une preuve d'amour, je le comprends ce désir d'éviter la souffrance à ses proches même s'il me paraît inhumain (et peut-être peu vraisemblable) de s'infliger une telle solitude face à la souffrance et à la mort.
Vient ensuite la deuxième partie du récit, la lettre qu'elle adresse à sa mère; je m'aperçois alors que je me suis trompée. Je m'attendais donc à une réflexion sur la maladie et la mort, et la vie aussi donc, sur l'amour, les liens familiaux, et voilà que le roman oblique vers un tout autre sujet. Bien sûr, c'est le droit absolu de l'auteur de faire ce choix comme c'est le mien d'attendre autre chose! La femme parle du vide de son existence, de ce manque d'amour, d'intérêt pour la vie et pour les autres et lorsqu'elle en donne l'explication, je suis déçue. Le sujet est traité de manière peu convaincante et me paraît bien convenu, comme "plaqué" sur un récit qui promettait autre chose de plus sincère, de plus ressenti. Je ne fonctionne pas!
Pourtant au moment du dénouement, nouvelle (bonne) surprise : Avec l'intervention de la propriétaire, le récit passe à la troisième personne et acquiert une autre force. La vieille femme voit le personnage et nous le fait voir. Nous réalisons peu à peu et en même temps que cette dernière, l'état de la malade et du lieu où elle s'est enfermée. La narratrice cesse d'être une voix abstraite et devient une personne réelle, un corps décharné, négligé, l'incarnation de la souffrance physique et morale. C'est l'irruption de la réalité dans le long monologue qui précède.. Le ton change, est d'une violence incroyable, rythmé par les pensées intérieures de la malade jusqu'à la fin qui, malgré ce qu'en dit l'éditeur, m'a paru tout, sauf apaisée.
Ce roman, le premier d'Anne Revah, présente donc des qualités d'écriture et quelques moments forts mais je n'ai pas été entièrement convaincue.
* livre voyageur de Cynthia : contes défaits que je remercie