Bérénice est une pièce de Racine que je n'avais jamais vue sur scène avant cette représentation au Chêne noir d'Avignon, dans la mise en scène de Robin Renucci, metteur en scène et directeur de La Criée de Marseille. Vue, non, ni même étudiée mais lue, oui, comme toutes les pièces de Racine. Donc, je n'avais pu qu'imaginer les personnages et avoir un idée personnelle de l'intrigue. C'est loin d'être ma pièce préférée, je la trouve un peu longue, je lui préfère Phèdre. Mais j'ai aimé la lecture proposée par Robin Renucci.
Bérénice, pièce classique en cinq actes, est présentée pour la première fois en 1760 à l'Hôtel de Bourgogne. C'est peut-être la pièce de Racine où il y a le moins d'action et où il ne se passe rien ou presque. Louis XIV a apprécié Bérénice car elle montre une lutte entre le sentiment amoureux et la Raison d'Etat, celle-ci, bien sûr, triomphant ! La pièce semble être à la gloire de la monarchie mais elle est avant tout une analyse du sentiment amoureux.
L'intrigue
Jean Racine : Bérénice mise en scène Robin Renucci photo Olivier Pasquier |
Bérénice, princesse de Judée, est amenée à la cour de Rome par Titus qui a assiégé Jérusalem et conquis la ville. Le jeune homme aime Bérénice et veut l'épouser mais la mort de l'empereur Vespasien, son père, change tout car Titus est appelé à le remplacer. Or, la loi romaine s'oppose au mariage de l'empereur avec une étrangère. Titus doit lutter entre son devoir et son amour. S'il épouse Bérénice, il sera infidèle aux lois de Rome et comment pourrait-il ensuite en être le garant ?
Antiochus, lui aussi palestinien, allié à Titus, a suivi Bérénice à la cour de Rome parce qu'il aime la princesse. Désespéré par le futur mariage de celle-ci avec Titus, il décide de lui avouer son amour mais la réponse négative de la jeune femme le décide à partir. Cependant, la nouvelle de la rupture de Titus et de Bérénice change tout.
La pièce, même si chacun des trois amoureux veut mourir et menace de mettre fin à ses jours, est sans éclat tragique. Chacun se résignera à son sort. Bérénice retournera à Jérusalem, l'amour d'Antiochus ne sera pas récompensé. Titus souffrira mais règnera.
Tout l'intérêt de Bérénice réside donc dans l'étude des sentiments amoureux des personnages, de la souffrance, à la colère, à la résignation. Et ce qui fait la force de cette pièce et fait aussi que l'on ne l'oublie pas, c'est la langue racinienne, la musique, la mélancolie des mots, quelque chose qui ressemble au souffle du vent, très fluide, très léger, qui communique nostalgie et douce tristesse.
Les vers les plus célèbres de Bérénice dans la scène 5 de l'acte IV, illustrent cette musicalité et donnent le ton de la pièce.
Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous,
Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ?
Que le jour recommence et que le jour finisse
Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice,
Sans que de tout le jour je puisse voir Titus ?
La mise en scène de Robin Renucci
Jean Racine |
Et dans la mise en scène de Robert Renucci, c'est d'abord cette maîtrise de l'alexandrin qui touche le spectateur. Pas de déclamation ici, la langue coule avec simplicité, l'alexandrin se fait langue naturelle, simple, quotidienne, et permet de goûter la musique du vers.
Les acteurs ne quittent pas le plateau et s'assoient autour de la scène où se déroulent les entrevues de chacun des personnages, une scène réduite qui représente une pièce du palais de Titus ou comme l'indique Racine : un cabinet qui est entre l’appartement de Titus et celui de Bérénice. Et cette disposition convient parfaitement à la pièce de Racine qui obéit à la règle des trois unités, d'action de temps et de lieu : "Qu'en un lieu, en un jour, un seul fait accompli tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli."(Boileau). J'ai vu des spectacles cet été au festival d'Avignon qui reprenaient ce dispositif mais gratuitement alors qu'ici je l'ai apprécié.
L'interprétation des personnages
Julia Bartet (rôle de 1893-1919) |
Robin Renucci a voulu, dit-il, "faire
ressentir non seulement l'amour impossible de Titus et Bérénice mais
aussi le désir fou, irrationnel, que ce premier amour provoque chez
Antiochus. Un trio d'amoureux malheureux." C'est pourquoi Antiochus prend de l'ampleur dans la mise en scène de Renucci, passant de personnage
secondaire à principal, occupant autant de place que Titus à côté de Bérénice. Et cela, c'est nouveau !
Alors que ma propre lecture m'avait fait m'imaginer un Titus triomphant, non sans douleur, certes, mais avec un certain panache dans son renoncement, Robert Renucci souligne ses faiblesses - il pleure, son confident Paulin doit l'exhorter à être ferme- et sa lâcheté apparaît quand il charge, par exemple, Antiochus de dire à Bérénice sa décision de la quitter, n'osant le faire lui-même. Je ne suis pas sûre que Louis XIV aurait aimé cette interprétation !
Au nom d’une amitié si constante et si belle,
Employer le pouvoir que vous avez sur elle :
Voyez-la de ma part.
D’un amant interdit soulagez le tourment :
Épargnez à mon cœur cet éclaircissement.
Allez, expliquez-lui mon trouble et mon silence. (Acte II scène 2)
Un autre personnage auquel je n'avais pas prêté attention est celui du confident Arsace que le metteur en scène tire vers le comique. Et oui, il nous surprend cet Arsace avec les conseils terre à terre qu'il donne à Antiochus, lui recommandant la patience pour reprendre Bérénice maintenant qu'elle est abandonnée par Titus. Ce bon sens populaire, on a l'impression d'entendre un valet de comédie plutôt qu'un confident de tragédie classique, contraste tellement avec l'exaltation amoureuse d'Antiochus, dans le plus pur style tragique, que l'on ne peut qu'en sourire !
Et qui peut mieux que vous consoler sa disgrâce ?
Sa fortune, Seigneur, va prendre une autre face :
Titus la quitte. (Acte III scène 2)
Enfin, si les deux amoureux paraissent faibles, il faut bien reconnaître que le beau rôle est donné à Bérénice. Après les premiers moments où elle éprouve incompréhension, colère et désespoir, c'est elle qui se ressaisit la première et par souci de dignité quitte la scène noblement.
Adieu. Servons tous trois d’exemple à l’univers
De l’amour la plus tendre et la plus malheureuse
Dont il puisse garder l’histoire douloureuse.
Tout est prêt. On m’attend. Ne suivez point mes pas.
Bien sûr, l'interprétation de certains des personnages surprend le spectateur mais pourtant il y a ici un respect et un amour du texte qui n'excluent pas un lecture personnelle, originale et intéressante de la pièce. Tout ce que j'aime dans la mise en scène théâtrale.
Bérénice de Jean Racine au Chêne noir Mars 2023
Avec Tariq Bettahar, Thomas Fitterer, Solenn Goix, Julien Leonelli, Sylvain Méallet, Amélie Oranger et Henri Payet
Mise en scène Robin Renucci
Scénographie et lumières Samuel Poncet
Costumes Jean-Bernard Scotto
Collaborateur pour la dramaturgie Nicolas Kerszenbaum
Assistante à la mise en scène Karine Assathiany