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dimanche 15 janvier 2012

Terry Prachett : Les romans du Disque-Monde

C'est en 1983 que Terry Prachett, auteur de Fantasy, écrit le premier volume des Annales du Disque-Monde. Le Disque-Monde est  univers imaginaire où règnent les personnages traditionnels de la Fantasy, fées, sorcières, trolls mais détournés par l'absurde et le comique. A travers cet univers Terry Prachett écrit une satire de la société où l'homme et ses comportements sont analysés et tournés en dérision.
Terry Pratchett étant un écrivain très prolixe, j'ai pioché un peu au hasard dans les dizaines de romans qu'il a écrits sur le Disque-Monde, ceux-ci étant divisés en cycle.
j'ai choisi dans le cycle des sorcières une saga pour adolescents qui raconte l'histoire d'une petite fille  Tiphaine Patraque qui vit sur le Causse. Et oui, c'est une sorcière du calcaire même si, comme chacun sait,il s'agit pierre un peu molle sur laquelle  la magie ne prend pas ( en principe!).

Jai lu les deux premiers de la série : Les Ch'tits d' hommes libres  (1) et Un chapeau de ciel (2).


Dans Ch'tits hommes libres, Tiphaine Patraque a neuf ans. Elle est la petite fille de Mémé Patraque, une sorcière qui veille sur le Causse et possède une grande science pour soigner les moutons. Tiphaine, elle, a un art particulier pour fabriquer le fromage. Mais le jour où la Reine enlève son petit frère Tiphaine se met en colère. Elle part à la recherche de l'enfant dans un royaume de neige peuplé de cauchemars qui ont toutes les chances - je veux dire les malchances- de devenir vrais. Elle est aidée en cela par la bande des Mac Nac Feegle appelés aussi Pictsies ou Ch'tits hommes libres. Bref! La vaillante Tiphaine armée de sa poêle à frire devient leur Kelda (leur reine) juste le temps nécessaire à récupérer son frère et au passage un autre garçon, le fils du baron, enlevé lui aussi.

Dans Un chapeau de ciel, Tiphaine a 11 ans. Elle a convaincu ses parents de la placer comme "domestique" chez une vieille dame pour l'aider dans les tâches ménagères, en réalité pour apprendre à devenir sorcière.
 Mais être sorcière, c'est avant tout rendre service aux autres,soigner les maladies et couper les ongles de pieds (malpropres) du vieux voisin valétudinaire. Rien d'exaltant. Cependant quand un dangereux Rucheur s'empare de l'esprit de Tiphaine, il faudra tout le courage et le talent de la fillette, toute la force des Mac Nac Feeegle (imbattables quand ils ne s'arrêtent pas dans un cabaret) et la magie de la plus grande sorcière de tous les temps, Maîtresse Ciredutemps, pour vaincre l'horrible monstre.

Les Mac Nac Feegle sont hilarants, voleurs, menteurs, ivrognes, aimant la bagarre plus que tout! Ils ont un petit pois à la place du cerveau. Ils me rappellent les personanges secondaires des films de John Ford! Ils parlent un drôle de langage (bravo au traducteur Patrick Couton) langage, qui, contrairement à ce que certains croient n'a rien à voir avec du Picard ou du Ch'ti. Lisez-les à voix haute, vous le comprendrez! Certains passages sont d'une drôlerie irrésistible comme lorsque Jeannie la Kelda se met dans la tête d'apprendre à lire à son mari Rob Deschamps.
Tiphaine est une petite fille qui a du caractère et même parfois un (sale) caractère. Elle est curieuse de tout, apprend les mots dans un dictionnaire  et on suit ses aventures avec intérêt. On apprend aussi que la magie ne peut remplacer l'observation, la réflexion et qu'elle doit aider à secourir les autres.
Ces deux livres sont des petits bijoux d'humour décalé à lire sans modération, maman et fille (mais je suppose que cela peut plaire aussi aux garçons), pour un beau partage de lecture, d'émotion et de rire.


Un échantillon du langage des Ch'tits
Malheureusement les Pisctsies étant des individualiste forcenés, chacun avait son propre cri de guerre et Tiphaine ne put ne décrypter que quelques- uns dans ce vacarme :
Qui'ls prennent la vie mais pwint la culotte!
-Et vlan, six sous de mwins!
- Vous preneuz la grand-route et mi vot portaefeuye!
- Peut en resteu que mille!
-Ah! maeteuz-vos cha dans l'trakkan!
.. mais les voix s'unirent peu à peu en un seul rugissement qui ébranla les murs.
-Ni rwa! Ni rinne! Ni djeus! Ni maets! Fini de s'faire avwar!
 
Quelques passages :
Les Mac nac Feegle forment la plus dangereuse des espèce de fées, surtout quand ils sont soûls.  ils volent tout ce qui n'est pas cloué. Si c'est cloué, ils volent aussi les clous. Malgré tout ceux qui ont réussi à les connaître et à survivre affirment qu'ils sont aussi étonnamment loyaux, forts, tenaces, braves et qu'ils ont, à leur façon de la moralité. ( Par exemple , ils ne volent pas ceux qui ne possèdent rien. )
Ce batracien, autrefois avocat (un avocat humain; les batraciens s'en passent sans peine), avait été transformé en, crapaud par une marraine fée qui comptait le changer en grenouille mais faisait mal la différence entre les deux. Il vivait désormais dans le tumulus, où il mangeait des vers et donnait un coup de main aux Feegle pour les sujets de réflexion difficile.
Challenge de Calypso avec Le mot Monde dans le titre


Challenge de Aymeline

Un Livre/Un film : énigme n°17, Nikos Kanzantzaki : Zorba le grec



Le prix Sirtaki est accordé à : Aifelle, Asphodèle, Dominique, Dasola, Eeguab, Gwenaelle, Jeneen, Lystig, Marie-Josée, Miriam, Nanou, Sabbio. Merci à tous ! 

Le livre : Zorba le Grec de  Nikos Kanzantzaki
Le film : Zorba le grec, le réalisateur : Cacoyannis,  l'acteur principal : Anthony Quinn, la danse : Le Sirtaki 




Nikos Kanzantzaki est né en Crète, à Heraclion en 1883. Il disait  : D'abord Crétois, ensuite Grec. Il est mort  en Allemagne, à Fribourg en 1957.
Son enfance a été marquée par les révoltes crétoises contre l'occupant turc en 1881- 1897-1899 qui ont obligé ses parents à fuir la Crète.. Kazantzaki a fait ses études de droit à Athènes puis il a étudié en France en de 1907 à 1909, où il a suivi les cours de Bergson dont la philosophie l'a marqué toute sa vie. Il a publié sa thèse sur Nietzsche en 1909.  Il s'est aussi intéressé au marxisme et au boudhisme tout en restant chrétien et même mystique. Ce qui est moins incohérent que ce que l'on peut le penser au premier abord car pour lui (cf : Le Christ recrucifié) le Christ est du côté des pauvres, il prône le partage des richesses alors que le Christ de l'Eglise est celui des riches et des puissants .
Nikos Kazantzaki a occupé des fonctions politiques mais il a surtout été un écrivain, poète, philosophe, essayiste, traducteur prolixe, doué d'une force travail et d'une facilité à l'écriture extraordinaires. Il traduit l'Odyssée en moins de 45 jours et écrit les cinq romans de sa vieillesse en quelques années  :  Zorba le grec (1946), Le Christ recrucifié(1948), La liberté ou la Mort (1950),  La dernière tentation (1950).  Il est mis au ban de l'église chrétienne othodoxe pour ce dernier livre. On sait le scandale causé par l'adaptation du roman au cinéma par Scorcese auprès de groupes chrétiens fanatiques.

 Sur sa tombe, cette épitaphe : «  Je n'espère rien, je ne crains rien, je suis libre. »
Zorba le grec
Un écrivain se rend en Crète pour exploiter la mine de lignite que son père lui a léguée.  Il rencontre  sur le port, en attendant le bateau, un personnage étrange, haut en couleur, la soixantaine bien sonnée, qui n'a de cesse de se faire engager par lui comme domestique ou homme à tout faire ou peu importe! Le personnage a du bagout, de la gaieté, une  forte personnalité et fascine l'intellectuel qui se laisse convaincre et le prend à son service.  En Crète, le narrateur et son serviteur descendent dans un hôtel tenu par Hortense, une prostituée française qui leur raconte sa vie. Zorba devient l'amant de la vieille courtisane qu'il surnomme Bouboulina et invite son maître à jouir de la vie en tombant dans les bras de la Veuve, une superbe jeune femme que tous les mâles du village convoitent mais qui l'air de le trouver à son goût. Le narrateur, un intellectuel qui ne vit que pour et par ses livres, refuse :
  Ma vie avait fait fausse route et mon contact avec les hommes n'était plus qu'un monologue intérieur. J'étais descendu si bas que si j'avais eu à choisir entre tomber amoureux d'une femme et lire un bon livre sur l'amour j'aurais choisi le livre.
Mais lorsqu'il cèdera à ses désirs il provoquera un drame.
La mort de la Veuve puis celle de Bouboulina qui lui donnent une vision terrible de la société crétoise et l'échec de l'exploitation de la mine décident de son départ. Cependant, le narrateur perdu  dans ses méditations, coupé de la réalité et de l'action, en lutte contre sa sensualité, refusant sa condition d'homme, a changé...  Zorba  lui a réappris à vivre.

Tous les hommes ont leur folie, mais la plus grande folie, m'est avis que c'est de ne pas en avoir.

Un roman en partie autobiographique :
Dans le prologue de Zorba le Grec qu'il écrit en 1946, Nikos Kazantzaki annonce quels ont été ses maîtres à pensée durant toute sa vie :  Homère, Bergson, Nietzsche et Georges Zorba.

Dans Zorba le Grec,  Kazantzaki  utilise des souvenirs personnels si bien que l'on peut dire que son roman qui reste une fiction est en partie autobiographique et que son personnage n'est pas inventé. Mais qui est ce Georges Zorba qui a joué un si grand rôle dans la vie de l'écrivain?
Il est né en Macédoine en 1867 dans ce qui était alors l'Empire Ottoman. Fils d'un riche propriétaitre terrien il a travaillé dans les champs et s'est occupé des troupeaux de  moutons, est devenu bûcheron, a travaillé à la mine en France. Il se marie, a huit enfants mais la mort de sa femme le secoue profondément. En 1915, il devient moine au mont Athos. C'est là qu'il rencontre Nikos Kazantzaki et devient son ami. Tous deux ont exploité une mine de lignite, non en Crète mais dans le Péloponèse, à Prastova, en 1917. Après l'effrondement de la mine les deux amis se séparent. L'écrivain part à Antibes puis en Suisse, Zorba  en Serbie où il se remariera et où il mourra en 1942..
C'est cette expérience que Nikos Kazantzaki raconte dans le roman.
D'après leur correspondance, l'on peut s'apercevoir que l'écrivain prête à son personnage Alexis Zorba, les caractéristiques morales et la philosophie de Georges Zorba. Cet être entier, énergique, enthousiaste, qui aime rire, qui aime la danse et la musique, pense que l'action prime sur la pensée. Il reproche à son patron d'être un intellectuel coupé de la vie et de ne pas savoir en profiter. Il ne faut pas se perdre en vaine méditations mais agir! C'est lui qui devient le maître à penser de son maître!

Influence de Nietzsche et de Bergson dans le roman :
A propos de l'influence de ces philosophes sur Kazantzaki, le critique Morton P. Lewitt pense qu' Alexis Zorba devient un héros calqué sur le Zarathoustra de Nietzche  par la préférence donnée à l'action sur la méditation, par la volonté de prendre en main son destin, par l'amour du rire et de la danse. Si le surhomme nietzchien est  "un dieu épicurien ramené sur terre" Alexis Zorba incarne ce surhomme. Quant à l'influence bergsonienne, elle serait dans cette intuitivité du personnage qui acquiert la sagesse par la connaissance de la nature humaine, par "la force de la vie elle-même" et  par sa grande capacité à rire car le rire signale une révolte contre la vie sociale. Comme Bergson, Alexis Zorba refuse d'agréer les conventions sans les remettre en question.  Et il cite ce passage de Bergson dans son essai Du Rire :
"C’est  ainsi  que  des  vagues  luttent  sans  trêve  à  la  surface  de  la  mer,  tandis  que  les  couches inférieures observent une paix profonde.  Les vagues s’entrechoquent, se contrarient, cherchent leur équilibre.  Une écume blanche, légère et gaie, en suit les contours changeants. Parfois le flot qui fait abandonne  un  peu  de  cette  écume  sur le  sable  de la  grève.  L’enfant  qui joue  près  de là  vient  en ramasser  une  poignée, et  s’étonne, l’instant  d’après,  de  n’avoir  plus  dans le creux  de la main  que quelques gouttes d’eau, mais d’une eau bien plus salée, bien plus amère encore que celle de la vague qui l’apporta.  Le rire naît ainsi que cette écume. Il signale, à l’extérieur de la vie sociale, les révoltes superficielles.  Il dessine instantanément la  forme mobile de ces ébranlements.  Il est, lui aussi, une mousse à base de sel.  Comme la mousse, il pétille.  C’est de la gaieté.  Le philosophe qui en ramasse pour en goûter y trouvera d’ailleurs quelquefois, pour une petite quantité de matière, une certaine dose d’amertume."

Je reprends ici les citations  que j'avais relevées lors de ma première lecture du roman dans un précédent billet et qui donnent une vision de la philosophie de Zorba . Voici quelques "leçons" de Zorba à son maître :

- Quel est ton métier? lui demandais-je.
-Tous les métiers : du pied , de la main, de la tête, tous. Manquerait plus que ça, qu'on choisisse.

 Quand je joue du santouri, on peut me parler, je n'entends rien et même si j'entends, je ne peux pas parler. J'ai beau vouloir, rien à faire, je ne peux pas.
Mais pourquoi, Zorba?
-Eh! la passion!
 

Les bons comptes font les bons amis. Si tu me forces, ce sera fini. Pour ces choses-là, il faut que tu le saches, je suis un homme.
-Un homme, Qu'est-ce que tu veux dire?
-Eh bien, quoi, libre!
 

Ne ris pas patron! Si une femme couche toute seule, c'est de notre faute à nous, les hommes. On aura tous à rendre des comptes le jour du jugement dernier. Dieu pardonne tous les péchés, comme on a dit, il a l'éponge en main, mais ce péché-là, il ne le pardonne pas! Malheur à l'homme qui pouvait coucher avec une femme et qui ne l'a pas fait! patron.

Tu ne veux pas d'embêtements? fit Zorba stupéfait et qu'est-ce que tu veux alors?
Je ne répondis pas.
- La vie, c'est un embêtement, poursuivit Zorba, la mort, non. Vivre sais-tu ce que ça veut dire? Défaire sa ceinture et chercher la bagarre.
 

Pourquoi? Pourquoi? On ne peut donc rien faire sans pourquoi? Comme ça  pour son plaisir.

Tu n'as pas faim! dit Zorba en se frappant les cuisses. Mais tu ne t'es rien mis sous la dent depuis ce matin. Il faut s'occuper de son corps aussi, aie pitié de lui. Donne-lui à manger, patron, donne lui à manger, c'est notre bourricot, tu vois. Si tu ne le nourris pas, il te laissera en plan au beau milieu de la route.

Un livre /Un film
Il y a dans le roman deux scènes d'une grande force et qui ont une puissance visuelle étonnante. Le film de Cacoyannis  a su en rendre la grandeur sauvage et primitive.  Il s'agit de la scène où la Veuve est mise à mort par l'ensemble du village et égorgée devant nous. Irène Papas y est sublime. Elle n'a pas besoin de parole pour nous faire ressentir ses émotions, son visage, le moindre de ses mouvements est expressif.
La deuxième scène est la mort de Bouboulina dont le village va piller la maison avant qu'elle ait rendu le dernier soupir. Les  vieilles femmes toutes de vêtues de noir s'introduisent dans la chambre pour épier le dernier souffle de l'ancienne courtisane. Elles ressemblent à des corbeaux attendant la mort, prêts à frapper.  Et comme elles donnent le signal de la curée avant même que Bouboulina  ne soit morte, cela donne un jeu de scène hallucinant au cours de laquelle l'actrice qui interprète le rôle, Lila Kedrova, se redresse brutalement sur son lit comme si elle avait senti le bec des charognards la déchirer.

Pour le film  Voir Wens