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mardi 3 septembre 2024

Michelle Salter : les ombres de Big Ben et Johana Gustawsson : L’île de Yule

 

Michelle Salter : les ombres de Big Ben, une enquête d’Iris Woodmore

Un petit polar anglais avec un titre bien joli, les ombres de Big Ben, et peut-être plus accrocheur que l’original, de quoi tourner la tête aux lecteurs français. Mais si l’on sait que le titre anglais The Suffragette’s daughter laisse pour ainsi dire Big Ben dans les oubliettes, alors l’on est plus proche de la vérité. Oui, l’héroïne, la journaliste Iris Woodmore, est bien la fille d’une suffragette morte noyée dans la Tamise après une action téméraire et illégitime. Et si le terme de suffragette évoque pour vous la légèreté et la frivolité de ces femmes instruites ( de la bourgeoisie aisée et parfois du milieu ouvrier) qui réclamaient le droit de vote, femmes que, bien entendu, l’on ne pouvait pas prendre au sérieux, du moins c’est ainsi qu’on les présentait,  et bien détrompez-vous ! 

Et c’est justement ce qui m’a le plus plu dans le roman !  La découverte des différents mouvements, du plus pacifique au plus activiste, et des représailles que subissaient ces femmes qui avaient le courage de s’attaquer à la domination masculine : humiliations, coups, prison… La mère d’Iris s’est noyée dans la Tamise après une manifestation de suffragettes qui a tourné mal. C’est du moins ce que croit sa fille.

Le roman commence par un prologue qui se se passe en 1914 et concerne une mystérieuse femme qui fuit une danger tout aussi mystérieux dans le plus pur style Wilkie Collins ! Puis nous retrouvons Iris après la guerre. La jeune fille découvre en interrogeant un témoin, non loin de Big Ben ( et oui, quand même ! ) que sa mère ne s’est pas noyée accidentellement mais qu’elle a sauté volontairement dans le fleuve. Pourquoi ? Est-ce qu’elle a été contrainte ? La police était-elle à ses trousses? Ce sont les questions d’Iris Woodmore et elle décide d’enquêter sur cette mort suspecte. Mais ses investigations lui font découvrir  bien d’autres mystères, une disparition, jusqu’à ce qu’un crime ait lieu dans la riche demeure de Lady Timpson à Crookam Hall. Mais je ne vous en dis pas plus!
 

Le roman n’a pourtant pas le charme d’un Wilkie Collins, il n’est pas assez complexe et approfondi au niveau  de la description de la société et de l’intrigue dont la résolution m’a un peu déçue. Mais il est bien agréable à lire.

L’île de Yule de Johana Gustawsson



Le récit se déroule dans l’île de Yule, près de Stockholm. C’est une île résidentielle recherchée pour son calme, loin des touristes et de la foule. Ceux qui y vivent doivent prendre le bateau pour aller travailler et faire leurs courses. Il n’y a  aucune épicerie, aucun hôtel. Pourtant l’endroit a bénéficié d’une triste publicité. C’est là qu’a été découvert le corps d’une jeune fille pendue à un arbre du manoir Gussman après avoir été torturée. L’assassin n’a pas été retrouvé malgré l’enquête menée par le commandant Karl Rosen. Aussi quand Emma se présente chez les Gussman en tant qu’experte en art pour procéder à l’inventaire des biens de la famille, elle n’en mène pas large. Les Gusmann ne respirent pas la cordialité, c’est le moins que l’on puisse dire, et l’ambiance est plutôt glaciale. D’ailleurs, le propriétaire lui impose des horaires stricts pour éviter de la croiser. Heureusement, le seul café du coin est occupé par une jeune femme chaleureuse, Anneli, et  Emma fait aussi la connaissance de la sympathique Lotta, la conductrice de la navette maritime, et de  Bjorn Petterson qui sert d’intendant aux Gussman comme l’a fait sa famille auparavant. Mais, quelque temps après son arrivée, une autre jeune fille est retrouvée dans la mer et Karl Rosen s’aperçoit bien vite que ce crime a beaucoup de ressemblances avec le précédent.
La lecture est plaisante et pique la curiosité. L’écrivaine crée un atmosphère particulière, étrange, autour de ces crimes mais aussi autour de ce petit garçon qui habite la maison mais semble opprimé par une mère exigeante et peut-être folle ? Et qui est cette Viktoria, la bonne, qui est une femme courageuse mais qui fuit son mari et semble être prisonnière de cette grande maison. On s’intéresse aussi au traumatisme subi par Emma, ce qui l’a isolée de tous et surtout de sa mère. Quant au commandant Rosen, veuf, il surmonte difficilement la perte de sa femme qui s’est accidentellement noyée. On suit donc ces  personnages  avec intérêt ainsi que l’intrigue qui est bien menée. Un bon roman policier.


jeudi 23 mai 2024

Stockholm : Vasa Museet ou Le musée du Vasa

La poupe et le Beaupré du Vasa

Lors de mon second voyage à Stockholm, je suis retournée voir le Vasa dans son musée au bord de l'eau. Je reprends ici le billet que j'avais écrit en 2015 en complétant les commentaires et en ajoutant des images.
 
 
La proue du Vasa

 
 
Le musée de Vasa ou Vasamuseet porte le nom du vaisseau de guerre qui a coulé il y a presque quatre cents ans dans le port de Stockholm. Après avoir été renfloué, il est maintenant exposé à la curiosité des visiteurs. Intéressant, oui ! Mais mieux que cela, passionnant, beau et aussi émouvant quand on évoque la vie de ces passagers qui ont péri pendant le naufrage et des marins qui vivaient à bord et qui n'étaient pas mieux traités que du bétail ! Voilà un musée qui allie à une belle recherche muséographique, une conception intelligente de l'Histoire en faisant revivre le passé et en tenant compte de tous ses publics, enfants et adultes. Il y a même une salle de legos où, après la visite, les enfants peuvent s'amuser à reconstituer le bateau ! 


Vasamuseet sur l'île de Djurgarden (A l'arrière-plan, le Nordisca museet)
 
 
Semblable à un  navire, le musée construit pour abriter le Vasa, se dresse au-dessus de l'eau. Les trois mâts qui dépassent de son toit ne sont pas ceux du Vasa qui n'ont pu être reconstitués entièrement mais des éléments décoratifs de ce bâtiment.


En s'élevant dans les étages les détails de la proue nous apparaissent

 
Vasa, ce navire aux proportions gigantesques, s'élève sur les sept étages du musée qui l'encerclent permettant aux visiteurs de le découvrir de la proue à la poupe, de la carène aux mâts, dans une demi-obscurité, son bois patiné et luisant, dévoilant les sculptures qui le parent, les sabords des canons ouverts, ses trois mâts épais se dressant démesurément vers le ciel alors qu'il ne reste d'eux que la première partie. 
 
On dirait un géant prisonnier entre les murailles qui l'enserrent. C'est l'impression que vous ressentez quand vous pénétrez dans le bâtiment au niveau du premier étage qui correspond à la ligne de flottaison. Une surprise, un écrasement! Et nous voilà embarqués, c'est le cas de le dire, vers un voyage dans un passé éloigné de nous de près de 4 siècles.

Vasa, le navire de guerre a été construit au XVIIème siècle

Le Vasa fut commandé en 1625 par le roi Gustave II Adolphe qui souhaitait un navire de guerre hors du commun pour écraser ses adversaires et témoigner de sa puissance. Ce devait être le plus grand vaisseau de son temps, cinq étages au lieu de quatre, le plus lourdement armé (48 canons), capable de transporter 445 hommes dont 330 soldats. Un monstre né du délire d'un souverain mégalomane.
 

Gustave II Adolphe, roi de Suède



Lors de sa première sortie, le 16 août 1628, le voilier avança de quelques mètres, mais secoué par une rafale de vent, se coucha sur le côté et sombra. Quarante à cinquante personnes ne purent se dégager et périrent avec lui. Ce n'est qu'en 1961 que le navire put être renfloué.
 

La figure de proue : un lion; et le Beaupré, le mât fortement incliné sur la proue
 
 
Chaque étage du musée construit autour du bateau est consacré à une étude particulière : Les difficultés de la construction, les causes du naufrage, la recherche des responsabilités, les étapes du renflouement du navire, les techniques de restauration, de conservation. 
 
 
Maquette de la constuction du Vasa

 
Nous apprenons tout, aussi, sur les différentes parties d'un voilier, les voiles, les mâts, sur la vie des marins à bord d'un voilier... 
 
 
 



Les sabords et le porte-hauban, pièce de bois ou sont fixés les haubans, cordages qui soutiennent les mâts
 
 
Maquette de l'intérieur du navire et des métiers de marin
 
 
Maquette de la vie et des métiers à l'intérieur du navire
 
 
Reconstitution du logement des officiers
 
 
 Les voiles dont il ne reste que des vestiges n'ont pu être reconstituées...
 
 
 vestiges des voiles du Vasa

 
mais une image datant de 1626 du navire The Kronor permet  d'imaginer comment le Vasa était équipé.
 
 
Les voiles du Kronor navire de 1626

 
Les sculptures qui ornent la proue, la poupe et les flancs de Vasa sont détaillées et leur symbolique révélée.. Elle sont toutes à la gloire du roi de Suède Gustave Adolphe II et elles encouragent les Suédois à cultiver toutes les vertus dont fait preuve le roi : courage, sagesse et piété !  Il aurait dû ajouter la modestie ! Elles étaient toutes peintes de couleurs vives et d'or et le navire était flamboyant ! 
 

Une animation lumineuse permet d'imaginer le navire entièrement peint 
 
 
 
Répliques peintes des sculptures du Vasa

 
 
Mais la technique n'est pas tout ! L'humain est pris en compte aussi. Les conditions de vie des marins, des canonniers, les règles draconiennes qui les régissaient, nous permettent de mieux comprendre quelle était la vie à bord. Des animations vidéos, des maquettes, des reconstitutions mettent l'histoire à portée de l'imagination. Au sous-sol, sous la quille du navire, les squelettes des hommes et des femmes qui sont morts dans le naufrage ont permis de recréer le visage du disparu et de le vêtir grâce à la morphologie du crâne, l'étude des os, des dents, les lambeaux de tissus, les boutons, les objets retrouvés sur eux. Nous sommes au plus près de ce qu'ils ont pu être ! Le risque d'erreur existe mais ils revivent d'une manière saisissante, presque en chair et en os, devant nous! Saisissant ! Jugez plutôt ! Beaucoup d'émotion dans cette recherche muséographique !
 

Reconstitution d'un marin, victime du naufrage

Reconstitution d'un marin, victime du naufrage  



Quelques images



Vasa : le pont et les écoutilles donnant aux cales 


Le château d'arrière, logement des officiers.


Stockholm : Vasa le navire renfloué est exposé dans le Vasamuseet sur l'île de Djurgarden
Vasa, la proue, navire guerrier commandé par le roi de Suède, Gustave II Adolphe

 

La poupe du Vasa

 

 

Les sculptures (détails)



Les sabords et les haubans (détails)


En s'élevant dans les étages


Et pour mériter de participer à Book Trip et de gagner mes galons, j'ajouterai qu'il y a un roman où le personnage principal se trouve à bord du Vasa quand il coule ! Bienheureusement pour les lecteurs, il parvient à s'échapper et à poursuivre ses aventures : Olivier Truc : Le cartographe des Indes boréales ICI .



vendredi 10 juillet 2020

Camilla Grebe : L'archipel des larmes


Autour de meurtres horribles et de femmes crucifiées, trois enquêteuses, policières, et une professeur d’université, vont mener une enquête qui se prolongera, d’une femme à l’autre,  de 1944 à nos jours, à la poursuite de celui que l’on a appelé : l’assassin des bas-fonds. C’est le sujet du thriller de Camilla Grebe qui se déroule à Stockholm et permet à Camilla Grebe d’explorer un thème féministe ayant pour fond l’histoire de son pays.

Je n’ai pas lu L’archipel des larmes  de Camilla Grabe, prix du meilleur roman suédois 2019, mais je l’ai écouté aux éditions Audiolib que je remercie pour cet envoi, texte dit par Audrey Sourdive.
C’est une de mes rares expériences de livre audio et c’est pourquoi, je commence mon billet par mon ressenti en l’écoutant. Je l’ai trouvé bien interprété par une comédienne qui fait entendre les voix des différents personnages et nous permet ainsi de les imaginer. Mais contrairement à la lecture personnelle et silencieuse, je pense que ces longues heures d’écoute ( ce qui pour moi est plus fatigant que lorsque je lis moi-même) met en relief - et m’a permis ainsi de les remarquer-  certains imperfections du livre, tics de langage qui reviennent souvent sous la plume de Camilla Grebe, comme l’expression « les papillons dans le ventre », certains moments répétitifs dans le discours féministe, et l’aspect un peu trop didactique de l’histoire des femmes dans la famille et le travail, en particulier dans la police. 
 Et puisque j’en suis à mon ressenti négatif, je note aussi que la quasi-absence de personnages masculins positifs me paraît aussi trop démonstratif et systématique. Maris ou chefs, il y en a peu qui plaident en faveur de la gent masculine. Je sais bien que la misogynie n’a jamais cessé au cours des siècles et que l’égalité des sexes n’est encore qu’un rêve lointain. Mais, tout de même, oui, il y a des hommes qui se comportent autrement. Ce serait intéressant de les montrer. Heureusement, Camilla Grebe introduit avec le dernier personnage de la jeune Malin, mère d’un petit garçon, une autre idée qui me plaît et qui compense un peu cette peinture caricaturales des hommes : lorsque, dans le travail, les femmes peuvent enfin accéder aux postes supérieurs, elles se comportent de la même manière que les hommes et discriminent les femmes qui cherchent à concilier travail et enfants mais pas obligatoirement au détriment de l’enfant. Il s’agit d’une question de pouvoir et non de sexe.
D’autre part, c’est un détail qui a de l’importance pour moi, je n’aime pas les portraits qui donnent trop de détails vestimentaires. Parfois, oui, quand ils apportent des renseignements sur le caractère et la classe sociale du personnage mais systématiquement, non ! Qu’il ait une cravate rayée ou unie n’est pas essentiel !

Ce que j’ai aimé dans le roman, c’est l’originalité de la construction romanesque qui s'appuie, chaque fois, sur un destin de femme différent et permet de prendre la mesure de l’évolution de la conditions féminine des années 40 à nos jours : en 1944, lors du premier meurtre, Elsie ne peut être que « aide policière » dans son commissariat et son chef la méprise; en 1971, Britt-Marie est intégrée dans la police mais bien qu’elle soit la meilleure tireuse du groupe, et une bonne enquêtrice, on la cantonne au secrétariat. Dans les années 80, Linda, de milieu populaire, est une jeune adjointe optimiste et gaie. Hanne qui devient son amie, issue d’un milieu bourgeois intellectuel, a fait de hautes études et est devenue profileuse. Si certains collègues masculins la considèrent comme une égale et même ont de l’admiration pour elle, elle subit encore le harcèlement d’un supérieur éconduit. Enfin Malin, à notre époque, est elle aussi discriminée mais par une femme. L’égalité n’est pas encore à l’ordre du jour mais elle a désormais des moyens de se défendre. Ces personnages féminins sont très attachants et l’on ne peut qu’être en empathie avec elles.
L’enquête est suffisamment compliquée pour que l’on se demande tout au long du roman qui peut être le coupable. En tout cas, je n’avais pas deviné.

Les inconditionnels de Camilla Grebe seront conquis. Pour ma part, malgré mes restrictions, j’ai pris plaisir à suivre le récit de ces femmes courageuses et victimes.


Merci à Masse critique et aux éditions Audiolib 


 

dimanche 8 mars 2020

La citation du dimanche : Camilla Grebe : les réseaux sociaux

Camilla Grebe
Dans L’ombre de la baleine, roman policier, l’écrivaine suédoise, Camilla Grebe, ne se prive pas de jeter un coup d’oeil critique sur notre société et en particulier sur notre addiction aux réseaux sociaux. Je n'ai pas encore commenté le livre mais, en attendant, voilà de quoi, nous interroger sur nous-mêmes et sur notre société.

Le syndrome du "J'en ai plus rien à foutre du temps présent"
Voir dessins humoristiques sur notre addiction aux réseaux sociaux

L’un des personnages secondaires, Martin, est étudiant en sociologie. Il discute avec Manfred, le narrateur, et son épouse Afsaneh sur le sujet de sa thèse, le narcissisme.

« - Le narcissisme ou plus précisément, pourquoi les personnalités narcissiques sont de plus en plus nombreuses aujourd’hui. (…)
J’interviens
- Mais pourquoi serions-nous devenus plus narcissiques?
Martin a un sourire en coin.
-La société a changé, les structures sociales ont éclaté, la plus petite unité n’est plus la famille, mais l’individu. S’ajoute à cela la montée en puissance des réseaux sociaux. Plus d’un milliard de personnes se connectent sur Facebook chaque mois. Un milliard. Vous imaginez ? Et les autres plateformes se développent à vitesse grand V. Il y a une forte corrélation entre la dépendance aux réseaux sociaux et le comportement narcissique. Une corrélation établie par essai clinique. En réalité, ce n’est pas étonnant - l’objectif est de montrer une façade qui permet d’engranger le plus de likes, de commentaires, enfin ce qui intéresse l’utilisateur.
- Mais les gens n’ont-ils pas toujours eu besoin de reconnaissance sociale ? demandé-je.
-Si, mais la technologie a pris en otages notre quête naturelle d’interactions et d’acceptation sociale. Aujourd’hui, il y a des gens qui ne sortent plus de chez eux, qui ne font que se prendre en photo ou se filmer dans différentes situations pour poster leurs images sur les réseaux sociaux. Et tous leurs amis sont en ligne. Ils ont fusionné avec la technologie.
-C’est un peu comme les mariages chinois (dit Afsaneh)
Il est assez courant de ne pas organiser de fête pour son mariage. Au lieu de cela, les jeunes époux se rendent chez un photographe et se font tirer le portrait avec un tas d’accessoires, verre de champagne à la main, couteau et fausse pièce montée, décors devant lesquels ils s’embrassent. Et au Japon, apparemment, on peut faire appel à des figurants pour poser sur la photo de mariage.
-  Tout à fait répond Martin.(..) Je me suis rendu à Auschwitz, l’hiver dernier : vous n’imaginez pas le nombre de personnes qui prennent des selfies ! Comme si elles avaient d’avantage à coeur de montrer qu’elles y étaient allées que de réfléchir à ce qui s’y est passé.
Le visage d’Afsaneh se tord dans une grimace.
-C’est vrai ? ça m’aurait fait vomir de voir quelqu’un prendre la pose devant les chambres à gaz.
-Et pourtant c’est ce que faisaient les gens. Et ce n’est que le  début. Internet a modifié le contrat social. Celui qui régule le nombre de fois que l’on peut dire : «  regarde-moi ». Dans la vie réelle, on ne peut recevoir des commentaires positifs sans relâche comme sur Internet. Alors pourquoi se concentrer sur la vie réelle?
-Donc Facebook a gagné ?
C’était dit comme une plaisanterie, mais Martin ne sourit pas.
- Sais-tu que Facebook a explosé au moment où l’entreprise a inventé le like ?
Une certaine Leah Pearlman en a eu l’idée, si je ne m’abuse. C’était il y a près de dix ans et cette petite icône, le pouce levé, a transformé internet. Il a changé les comportements humains, il a permis à des entreprises de fleurir, à d’autres de s’effondrer. Il a fait élire et fait tomber des présidents.
- Tu n’exagères pas un peu ?
Martin secoue vivement la tête.
-Les réseaux sociaux vont transformer notre société en profondeur. Ils vont NOUS transformer en profondeur.  Et pas nécessairement en bien.


Et la solitude pour ceux qui ne suivent pas le mouvement
Voir dessins humoristiques sur notre addiction aux réseaux sociaux

Un narcissisme accru
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lundi 20 janvier 2020

Lars Kepler : Le Pacte et Ragnar Jonasson : Sott



Deux petits polars en un billet... ou plutôt un « gros » polar  (600 pages) Le Pacte de Lars Kepler et un petit, Sott de Ragnar Jonasson, (342 p),  un suédois et un islandais.

Lars Kepler est le pseudonyme d’un couple d’écrivains suédois Alexandra et Alexandre Anhdoril. Nous sommes à Stockholm. Le thème principal du roman Le Pacte porte sur les ventes d'armes illicites consenties de manière frauduleuse à des états coupables de génocide ou proches des djihadistes. Cette dénonciation est vécue à travers les aventures d’une jeune femme, Pénélope, pacifiste convaincue, présidente de l’association pour la paix et l’arbitrage.  Pourchassée par un tueur, elle ne comprend pas pourquoi elle est ainsi devenue une cible.


En arrière-plan, kastskar, l'île où Pénéloppe s'est arrêtée.
Pénélope est sur le bateau de son amoureux Bjorn et s’apprête à passer de bons moments avec lui mais sa mère lui impose la présence de sa soeur Viola. Pour s’isoler, elle met pied à terre avec Bjorn à Kasrska, sur l’une des trente mille  petites îles de l’archipel de Stockholm, en laissant Viola dans le bateau ancré près de là. Quand elle revient sa soeur est morte, assassinée. Bjorn et elle échappent de peu à leur poursuivant et commence alors une course-poursuite haletante et désespérée.
Parallèlement la police, en la personne de Joanna Linna, enquête sur la mort de Carl Palmcrona, directeur général de l'Inspection pour les produits stratégiques, l'homme chargé de valider les contrats d’armement de la Suède. Il est retrouvé pendu chez lui : suicide ou meurtre ? Le corps de Viola retrouvé à bord du yacht passe d’abord pour un accident.  Bientôt, le policier va être amené à lier les deux affaires.

La lecture procure des moments de tension réussis surtout lors de la fuite de Pénélope qui relève du cauchemar. Mais j’ai eu l’impression de passages moins soutenus, moins bien écrits, et je me suis demandée si c’était l’écriture à quatre mains qui en était responsable ou seulement un manque d’inspiration. Le roman est intéressant par ce qu’il nous apprend des ventes d’armes et des trafics qui y sont liés même si l’on n’a pas besoin d’aller en Suède pour découvrir cela ! Hélas ! Le récit est pessimiste, car tout amène à croire que rien n’arrêtera jamais cette corruption !
 Le Pacte a des visées politiques mais il ne va pas très loin dans la critique car la complexité de l’intrigue nous amène ailleurs, à l’aspect thriller du livre que les auteurs semblent avoir privilégié : complots, personnage mystérieux et pactes sanglants que rien peut rompre. C'est l'aspect que j'ai le moins apprécié.  En résumé, Le Pacte est un thriller qui fonctionne assez bien mais pas un coup de coeur.
C’est le premier livre que je lisais avec ce personnage récurrent de l’inspecteur Joanna Lina.  Certaines critiques disent que ce roman n'est pas le meilleur et que le policier se révèle plus intéressant dans d'autres enquêtes.

Ragnar Jonasson : Sott


J'avais lu avec plaisir le livre de Ragnar Jonasson Snjor qui décrivait avec brio le sentiment de claustrophobie qui s'emparait de l'inspecteur Ari Thor, envoyé dans une ville du Nord profond de l'Islande, Siglufjordur. Coupé du reste du monde par une tempête, l'inspecteur menait ses enquêtes dans une atmosphère angoissante.
 Avec Sott, nous retrouvons donc l'inspecteur. Cette fois-ci, il n'est plus fâché avec Kristin, il s'est réconcilié avec elle et il la voit régulièrement malgré l'éloignement puisqu'elle travaille dans la capitale et lui est toujours en train de végéter à Siglufjordur. Il faut savoir qu'il fait si noir et si froid dans cette ville et pendant si longtemps que Reykjavik passe pour une ville du sud chaude, lumineuse et privilégiée! Ceci pour faire comprendre la situation.
L'écrivain renouvelle le scénario précédent. Ari Thor, est à nouveau isolé de tout, la ville étant mise en quarantaine à la suite d'une épidémie.

Siglufjordur, plutôt joli..  hors hiver!
Bon, comme point de départ, je constate que Jonasson ne fait pas dans l'original. Mais voyons l'intrigue. Un homme  vient le trouver pour élucider la mort de sa tante qui a été classée comme accidentelle il y a vingt ans de cela. Il a, en effet, trouvé une photo qui introduit un doute et est incontestablement une raison pour relancer l'enquête. Ari Thor s'y emploie, ce qui nous permet de découvrir un fjord et une ferme encore plus reculés et coupés de tout en hiver que ne l'est Siflufjordur ! Et ce n'est pas peu dire! 
 L'intérêt du roman, à mes yeux, réside là, dans la description de cette ferme et des activités des habitants,  dans  la description d'une vie dure, d'un isolement presque total qui privait les gens de tout secours avec des chemins enneigés, dangereux à travers la montagne.  Les recherches de l'inspecteur nous font découvrir qui étaient ces personnes, leurs rapports entre eux, les non-dits, les haines, les rancunes et la personnalité de chacun se révèle à nous. Nous nous rendons avec Ari Thor dans ces lieux maintenant reliés par une route. Un long tunnel  traverse la montagne. L'écrivain rend très bien la pesanteur qui règne dans cet endroit, l'absence de vie qui peut expliquer la folie des hommes. 
Par contre, je n'ai pas du tout aimé le dénouement dans lequel le héros fait preuve d'un manque de sensibilité voire d'humanité envers l'homme qui lui a commandé cette enquête et, ceci, d'autant plus que les conclusions d'Ari Thor ne sont que des supputations. A mon avis, il n'a pas de preuves à l'appui. Cela rend le personnage peu sympathique et ne convainc pas le lecteur.



mercredi 14 mars 2018

Rose Lagercrantz : On se revoit quand ?



Après les vacances, voici le retour d'Apolline et de ses fiches de lecture.
Apolline va avoir 8 ans au mois de mars et elle est en CE1.
Elle vous présente aujourd'hui une fiche de lecture  : On se revoit quand? roman de 158 pages, écrit bien gros, qu'elle a apprécié.




Titre : On se revoit quand ?

Nom de l’auteure  : Rose Lagercrantz

Nom de l’illustratrice : Eva Eriksson

Nom du traducteur : Traduit du suédois : Nils C. Ahl

Editions : L’école des Loisirs
collection Mouche

Résumé d'Apolline :

Dunne est en CE1. Elle va avec sa classe au zoo de Skansen à Stockholm.  Mais elle se perd et rencontre Ella Frida sa meilleure amie depuis la maternelle, qui est aussi au zoo avec son école. Ella Frida et Dunne ont été séparées car Ella Frida a déménagé et est allée dans une autre école. Elles jouent et ne se préoccupent pas que tout le monde les cherche. Quand on les retrouve les maîtresses sont en colère mais surtout celle d’Ella Frida. Quand Dunne rentre chez elle, elle se rend compte qu’Ella Frida est triste alors elle aussi est malheureuse. Quand se reverront-elles ?

Ma phrase préférée :

"On se revoit quand ?" C’est le titre qui est ma phrase préférée parce que cela a rapport avec le livre et cela montre que les petites filles s’aiment.

Ce que je pense du livre ?

J’ai énormément aimé ce livre  parce que c’est une très belle histoire d’amitié. J’ai aimé le zoo parce que l’histoire se déroule là.
L’histoire m’a fait penser à Olga et moi, parce que nous sommes les meilleures amies.  Je l’ai connue en maternelle mais on n’est  plus dans la même école depuis le CP. Mais on se revoit à mon anniversaire de toute façon.  J’ai trouvé que l’écriture était facile et simple et j’ai bien aimé les illustrations parce qu’elles ont beaucoup de détails et les petites filles sont trop mignonnes.


L’avis de la grand mère : Décidément même lorsque je lis des romans avec ma petite fille, je me retrouve en Scandinavie et plus précisément en Suède. On se revoit quand ? fait partie d’un ensemble qui raconte l’histoire de Dunne et de son amie Ella Frida. C’est le dernier de la série qui commence avec l’entrée en CP dans Ma vie heureuse, livre que, bien sûr, nous allons lire bientôt !



Le  thème principal est l’amitié qui unit les petites filles mais il y a aussi celui de l’école, de la séparation, de la mort et du deuil (la maman de Dunne) et de la vie quotidienne avec ses petits bonheurs, ses contrariétés ou ses gros chagrins. Le papa de Dunne est sorti de l’hôpital où il est resté tout l’été à la suite d’un accident et, alors que sa petite fille est tout heureuse de l’avoir pour elle seule, il invite Eva, une infirmière dont il est tombé amoureux. Et ceci, juste au moment, où Dunne se fait tant de souci pour son amie Ella Frida qui a déménagé et semble très malheureuse dans sa nouvelle école ! Heureusement Dunne est une petite fille très aimée de son papa et tout va s’arranger pour elle et pour sa petite amie.
Le texte est direct, accessible à des enfants âgés entre 6 est 8 ans selon leur niveau de lecture. Il aborde les difficultés de la vie sans pathos, tout simplement, avec optimisme et il parle avant tout du bonheur. J’ai beaucoup aimé ce passage qui clôt le roman, où  Dunne, avant de s’endormir paisiblement, réconciliée avec son papa et Eva, et heureuse de revoir bientôt Ella Frida, parle de bonheur avec ses cochons d’Inde :

"Si seulement, on savait à quel point on est heureux quand on est heureux, dit Dunne.
Les cochons d’Inde se regardèrent sans comprendre. De quoi parlait-elle maintenant ?
Les cochons d’Inde savent toujours à quel point ils sont heureux quand ils sont heureux. On le voit à leurs yeux qui brillent."





Merci à la Librairie dialogues et aux éditions L'école des Loisirs



mercredi 28 février 2018

Asa Larsson : Tant que dure la colère


Au nord de la Suède, à la fonte des glaces, le cadavre d'une jeune fille remonte à la surface du lac Vittangijàrvi. Est-ce son fantôme qui trouble les nuits de la procureure Rebecka Martinsson ? Alors que l'enquête réveille d'anciennes rumeurs sur la mystérieuse disparition en 1943 d'un avion allemand dans la région de Kiruna, un tueur rôde, prêt à tout pour que la vérité reste enterrée sous un demi-siècle de neige...
Après  Le Sang versé  et  La Piste noire, Åsa Larsson nous entraîne une fois encore dans une intrigue aussi complexe qu'envoûtante, où elle dissèque les recoins les plus obscurs de l'âme humaine.

Avec ce quatrième roman sur Rebecka Martisson, Asa Larsson écrit un roman que j’ai trouvé plus réussi, plus direct, que La Piste noire. Il faut dire que Tant que dure la colère a quelque 150 pages de moins et qu’il est débarrassé des longueurs que je reprochais au précédent.
Certes, il y a encore quelques critiques négatives et comme le roman m’a plu, je préfère commencer par celles-là et finir sur une note positive. Rebecka Martisson n’évolue pas beaucoup au niveau de ses sentiments; maintenant qu’elle a Mans pour amant, elle écourte la conversation chaque fois qu’il lui téléphone et s’étonne s’il n’appelle plus. D’autre part, et c’est un tic de l’écrivaine, chacun de ses romans doit absolument se terminer par un épisode tragique, particulièrement horrible, et c’est encore sur la pauvre Rebecka que cela tombe dans ce livre aussi ! Dans les cinq livres que j’ai lus sur elle, elle échappe quatre fois à la mort !  J’aimerais bien que Asa Larsson varie un peu plus la structure de ses romans en particulier du dénouement !

 L’histoire de Tant que dure la colère est très intéressante. Le récit est basé sur l’Histoire de la Suède et la collaboration des habitants avec l’Allemagne nazie. Dans l’année 1943 a eu lieu un évènement que le roman va nous révéler peu à peu.
Asa Larsson décrit des personnages du peuple très vivants, croqués d’après nature semble-t-il, comme la vieille Anni, grand-mère de la jeune victime Wilma, ou la grand-mère de Rebecka, ou encore les membres de l’horrible famille Krekula. Asa Larsson est très à l’aise pour décrire les gens, leur physique, leur mentalité, leurs habitudes. Ses portraits sont vrais et sonnent juste !
L’écrivaine utilise le surnaturel dans ce roman puisque c’est Wilma ou plutôt son fantôme, qui va suivre l’enquête et parfois l’orienter.  Cette idée est une réussite car elle introduit l’étrangeté dans le récit avec les corbeaux et les chats qui « voient » le fantôme, là où la plupart des humains ne distinguent rien. De plus, cela nous permet de connaître Wilma et son amoureux Simon, de revenir sur leur passé et donc de nous attacher à eux. C’est rare, en effet, de partager le point de vue de la victime et de s’identifier à elle !
Mais on voit aussi le point de vue de l’assassin et l’on se retourne sur son enfance sacrifiée et la souffrance qui a fait de lui un monstre. Il y a des passage très forts qui concernent ce personnage : ainsi, celui où il est face à un ours, confronté à la mort, et où il se sent enfin libéré.

« Puis l’ours se retourne, retombe à quatre pattes et s’en va lourdement.
Le coeur de ...? bat. C’est le battement de la vie. C’est le bout des doigts du chaman sur la peau du tambour. C’est la pluie sur le toit de tôle de son chalet de Saarisuanto, un soir d’automne quand on est au lit et que le feu crépite dans la cheminée.
Son sang coule dans ses artères. C’est l’eau de fonte qui se détache de la glace au printemps, qui coule sous la neige, qui grimpe au coeur des arbres, qui se précipite des falaises.
Son esprit entre et sort de ses poumons. C’est le vent qui porte le corbeau dans ses jeux, qui fouette la neige en vifs tourbillons dans la montagne, qui ride doucement le lac le soir puis s’apaise et le laisse retrouver son calme miroir. »
Oui, Asa Larsson écrit bien ! Je vous laisse juge ! 




mardi 27 février 2018

Asa Larsson : La piste noire


J’ai continué la série d'Asa Larsson qui a pour personnage principal récurrent Rebecka Martinson.  (Tome 1 Horreur Boréale Tome 2  : Le sang versé )

 Le troisième tome de la série s’intitule La piste noire. Je laisse à l’éditeur le soin de raconter l’histoire :

Nord de la Suède. Un pêcheur découvre le cadavre torturé d'une femme au bord d'un lac gelé. La belle Inna Wattrang était la porte-parole de Mauri Kallis, un célèbre industriel dont l'ascension et la réussite fascinent le pays.

 Les indices sont minces : les deux inspecteurs de la police judiciaire de Kiruna font appel à l'ex-avocate Rebecka Martinsson, devenue substitut du procureur, pour tenter d'élucider les relations troubles entre Kallis et son employée.

 Derrière le meurtre d'Inna se profile un univers de mensonges, de haines et de faux-semblants où le mal se tient à l'affût comme un corbeau noir. Avec cette nouvelle enquête de Rebecka Martinsson, Åsa Larsson, Prix du meilleur roman policier suédois pour Le Sang versé, sonne le renouveau du polar Scandinave.


 J’ai trouvé ce roman très inégal. Il présente des longueurs, des passages un peu trop didactiques où sont présentés au lecteur les dessous de l’exploitation minière en Suède et en Ouganda. Cela pourrait être intéressant si c’était habilement introduit dans l’histoire mais j’ai trouvé que cela interrompait le récit. Les personnages des "méchants"  m’ont peu intéressée et Rebecca, en proie à une grave dépression, n’a pas un grand rôle dans le roman. Si ce n’est cette passion soudaine qu’elle développe  pour son ancien patron Mans,  coureur impénitent,  qui paraît assez peu intéressant d’ailleurs,  amour auquel on a peine à croire car  les sentiments de la jeune femme ne sont pas suffisamment  analysés.

Par contre et comme d’habitude, le roman présente des passages vraiment très bien écrits qui me réconcilient  avec le roman. C’est ainsi qu'Ester, cette jeune fille au tempérament d’artiste, à la sensibilité exacerbée, confiée à sa naissance à une famille sami, est vraiment intéressante. Sa mère adoptive est un beau personnage, et l’on découvre, au cours du roman, la mentalité des samis pour lesquels le surnaturel est toujours lié à l’idée de nature. De plus, Asa Larsson dénonce le racisme des suédois toujours vif envers cette nation.
 Parfois les personnages secondaires d’Asa Larsson sont plus consistants et plus riches que ces personnages principaux. Je continue à aimer aussi  la manière dont elle parle des animaux et la façon intime dont elle interprète leurs réactions sans anthropomorphisme. Dès qu’il s’agit de la nature nordique, des lac gelés, de la la neige, des chiens et des chats, la plume d’Asa Larsson est dans son élément.
La fin se termine, comme d'habitude,  par un carnage mais pour une fois Rebecka n’y est pas mêlée. C’est Anna-Maria la lieutenant de police et son adjoint Svenn-Erik qui s’y collent !
Le roman a plus de cinq cent pages mais il gagnerait, il me semble à être élagué.


mardi 20 février 2018

Selma Lagerlof : Le Banni



Dans Le Banni de Selma Lagerlof, au début du XX ième siècle, Sven Elversson est confié par ses parents, pauvres pêcheurs de l’île de Grimön  en Suède, à un couple d’anglais qui l’adopte. Mais après avoir terminé ses études, il part dans une expédition polaire qui se retrouve bloquée par les glaces. Les  savants finissent par manger leurs camarades morts pour survivre. Une fois sauvé, Sven est banni par ses parents adoptifs à qui il fait horreur et retourne chez son père et sa mère qui acceptent de l’accueillir. Mais le pasteur, en révélant en chaire l’acte de Sven, le met à nouveau au ban de la société. Désormais, Sven Elversson, quoi qu’il fasse, n’inspire que dégoût et répulsion même aux plus endurcis des criminels.

 "Je ne sais pas si c'est la seule, pensa-t-il, mais voilà bien une chose que les hommes civilisés n'arrivent pas à commettre. Ils tuent, ils pratiquent l'adultère, ils volent, ils exercent des violences, ils succombent vite à l'ivrognerie, au viol, à la trahison, à l'indiscrétion. Tout cela, ils le commettent quotidiennement. Ces choses répugnent peut-être à certains, mais elles adviennent quand même. L'un des vieux péchés de l'humanité n'est cependant plus commis dans les pays civilisés. Et s'il n'est pas commis, c'est qu'il suscite de la répugnance. Mais moi, j'ai commis ce péché-là. Et je suis plus haï que le diable. »


Suède : Les îles de la côte ouest

Ce récit est pour Selma Lagerlof l’occasion d’explorer le thème de la culpabilité et des ravages qu’elle peut causer à l’âme humaine. Sven Elvesson cherche à se racheter par une conduite exemplaire mais chaque fois la société le rejette avec répugnance. Le jeune homme a une tel dégoût de lui-même qu’il adopte une attitude soumise, obséquieuse. A son frère P’tit Joël qui lui reproche de se laisser humilier, il répond en plein désespoir :

Pourquoi irais-je me défendre … ; quand je me méprise moi-même plus que toi ni aucun autre ne pourrez jamais le faire ? Quand je ressens plus de dégoût pour moi-même que je ne pourrai jamais vous en inspirer ?

Mais Selma Lagerlof peint aussi la dureté des humains entre eux et l’absence de pardon qui domine dans une société qui se dit pourtant chrétienne. Le pasteur lui-même donne l’exemple de cette intolérance.  Même s’il est conscient de manquer d’amour, il participe à l'hypocrisie religieuse générale.
La cruauté des  rapports humains est le propre de tous. Mais les parents de Sven et  deux femmes y  échappent : Sigrun, la jeune épouse du pasteur, douce et bonne, et Rut, la femme que Sven Elversson a épousée et qui fera preuve pour lui d’un amour allant jusqu’à l’abnégation. Mais parce qu’elle est laide et qu’il est amoureux de Sigrun, Sven lui-même aura peu de considération envers elle et restera indifférent à son sort. Seul, l'amour véritable, est capable de tenir en échec les mauvais sentiments, la haine, le mépris, la jalousie.

Au thème de la culpabilité répond celui de la Rédemption. Au cours de la guerre de 14_18, lorsqu’il entreprend une courageuse action pour faire donner une sépulture aux soldats morts en mer, Sven retrouve enfin l’estime de soi. Le sermon du pasteur qui le réhabilite lui fait retrouver sa place auprès de ses semblables et le réconcilie avec dieu. C'est aussi une condamnation virulente de la guerre et de ses horreurs que l'écrivain décrit avec force dans des pages hallucinantes.

Le Boshulän, les îles de la côte ouest

La nature est toujours présente et crée une atmosphère étrange dans le  roman. Elle peut être  effrayante, sauvage et désolée et c’est ainsi que la voit Sigrun, la femme du pasteur, originaire du Nordland couvert de profondes forêts, lorsqu’elle arrive, nouvelle épousée dans le Bohuslän, austère et sauvage.

« La route serpentait dans les creux entre les hauteurs, et jamais ne montait suffisamment haute pour permettre une vue d’ensemble. Où qu’on aille, ce n’étaient que collines dressées derrière d’autres collines. Certaines étaient couvertes d’une herbe maigre, d’autres étaient nues, et d’autres encore tissées de bruyère et de broussailles, et c’était la seule différence. »
C’est Sven Elversson qui lui fait découvrir la mer cachée derrières ses barrières rocheuses, la mer qui va redonner vie à la jeune femme transplantée et lui permet de retrouver l’espoir.

«  Car devant c’était un vaste espace libre. Et là s’agitait toute la mer d’air rouge, et là s’étendait toute la mer d’eau blanche, et que rien refermait. L’espace était libre et ouvert jusqu’au soleil en train de se coucher.
Devant elle il n’y avait aucune terre, à part une mince bande de sable bordée d’un long quai en pierres et, plus loin dans la mer, quelques crêtes d’écueils pointant hors de l’eau nacrée. »

Ce qui me plaît dans la jeune femme, c’est qu’elle trouvera la force de caractère de se  révolter et de se rendre libre… enfin pour un temps !

Selma Lagerlof : prix Nobel

Il y a de très belles scènes, de beaux passages dans ce roman de Selma Lagerlof qui oscille entre réalisme et conte, des passages surprenants, magistralement écrits où les animaux deviennent la métaphore du mal, où le surnaturel s’introduit dans l’histoire, où l’invraisemblable prend le pas sur le rationnel comme dans l’échange des mortes, des moments où l’on ne peut croire à la véracité du récit mais où il présente pourtant un charme certain.
J’ai aimé l’ensemble du roman sauf les derniers chapitres et le dénouement. Selma Lagerloff  devient alors trop édifiante. Le long sermon du pasteur sur Sven est insupportable,  la rédemption qui ne peut conduire qu’au ciel, le revirement de Sigrun aussi. On dirait que l’écrivaine veut  remettre en ordre cette société perturbée et que la morale doit l’emporter. A mon avis c’est la Selma Lagerlof bien pensante qui reprend le dessus alors qu'elle dénonçait l'hypocrisie sociale. Je pense que cette fin affaiblit le récit, surtout en ce qui concerne le personnage de Sven que l'on découvre innocent comme si la rédemption ne pouvait pas être celle d'un coupable, comme si Selma Lagerlof éprouvait les mêmes préventions que ceux qu'elle dénonçait. Même remarque envers le personnage de Sigrun.

Ce qui n’empêche pas que Selma lagerloff possède un don réel pour peindre les caractères tourmentés, complexes, dénoncer les travers de la société, et créer un univers bien à elle. Le livre a donc de grandes qualités malgré mes restrictions très personnelles !

« Ils n’aimaient pas la manière dont l’animal se déplaçait sans un bruit; ni ces yeux striés de vert qu’il tournait vers eux et qui leur paraissaient inexpressifs et sans éclat. Ils ressentaient un malaise à le voir ainsi glissant, souple et joueur alors qu’il n’avait en tête que voler et tirer.
A leurs yeux, le chat grandit, s’allongea, grossit et s’éleva au point de masquer la  bordure rocheuse de la plaine. Tout en grandissant, il ne cessait de ronronner, de roucouler et de faire d’agréables mouvements, et il n’en devenait que plus répugnant.
 Et ils comprirent que ce chat était le dégoût maintenant suscité qui allait s’accroître et s’étendre sur la plaine et qui jamais ne pourrait se développer mieux qu’ici, dans toute cette juste mesure, cette uniformité de proportions, cette étroitesse et cet enfermement. »