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samedi 27 janvier 2018

Audur Ava Olafsdottir : Ör



Le mot islandais Ör nous dit Audur Ava Olafsdottir « signifie  cicatrices. Le terme s’applique au corps humain mais aussi à un pays, à un paysage malmené par la construction d’un barrage ou d’une guerre.»

Jonas Ebeneser pour sa part a sept cicatrices. La première étant celle de la vie, elle-même. « Nous sommes tous porteurs d’une cicatrice à la naissance : notre nombril »  explique l’auteure. Jonas est un écorché vif de naissance. Tout est blessure pour lui, un oiseau à l’aile cassée, la méchanceté des hommes entre eux, les guerres. Une autre cicatrice, l’abandon de son père. Et puis sa mère Gudrun, professeur de maths, a laissé son esprit aux oubliettes et survit dans une maison de retraite. Son amour Gudrun a trouvé un autre homme et est partie. Sa fille Gudrun-Nymphéa, il l’a appris au moment de la séparation d’avec sa femme, n’est pas de lui. Et le tatouage d’un nymphéa blanc sur la poitrine pour cacher l’une de ses cicatrices ne semble pas remédier à la blessure initiale.
C’est donc un homme qui ne peut guérir. Et c’est dans un pays blessé, un pays qui sort de la guerre, qu’il décide de partir quand il veut se suicider.

Je suis entrée dans le livre d’Audur Ava Olafsdottir avec bonheur. J’aime cette écriture limpide, poétique et intimiste. J’ai retrouvé le goût de cet univers qui parle de personnes sensibles, attentives aux autres.
Pourtant, lorsque le récit s’oriente vers le départ dans un autre pays, j’ai éprouvé de la déception. Il m’a semblé que c’était un poncif  : il y a tellement dans la littérature actuelle de personnages féminins (en général) désespérées qui partent à l’étranger pour y découvrir la guérison voire l’amour ! Et le fait que ce soit un pays qui sorte de la guerre et que Jonas parte, en plus, muni d’une boîte à outils, m’a paru invraisemblable. 
Il y a donc eu un flottement dans ma lecture avant que je ne me rende compte, d’après l’orientation du récit, que oui, bien sûr, c’est invraisemblable mais que le récit est métaphorique, qu’il ne faut pas s’en tenir à une interprétation réaliste comme je le faisais ! Les réparations que Jonas est amené à faire dans ce pays où tout est détruit, où plus rien ne marche, le répare lui-même, panse les blessures, atténue les cicatrices.
Jonas y apprend beaucoup de choses, évidentes mais que l'on oublie trop souvent, que c’est en s’occupant des autres, en agissant qu’il se sentira plus fort, que l’amour paternel et filial (c’est Nymphéa qui le lui dit) ne tient pas à un chromosome mais à l’amour, aux  soins affectueux, au dévouement, au respect, au partage, et à tous les bons et même les  mauvais moments d’une vie commune.

Finalement, malgré ce moment d'hésitation, j'ai aimé ce roman. La pensée d’Audur Ava Olafsdottir est simple, certains diront un peu trop gentille donc simpliste, mais je ne suis pas d'accord. Car l’optimisme, la foi en l’homme et au triomphe de la bonté, sont autant de baumes qui permettent de panser les Ör de notre vie personnelle, la noirceur de la haine, les horreurs des guerres.

mercredi 24 janvier 2018

Daniel Mendelsohn : Une odyssée, un père, un fils, une épopée (suite et fin)


Lorsque Jay Mendelsohn, âgé de quatre-vingt-un ans, décide de suivre le séminaire que son fils Daniel consacre à l'Odyssée d'Homère, père et fils commencent un périple de grande ampleur. Ils s'affrontent dans la salle de classe, puis se découvrent pendant les dix jours d'une croisière thématique sur les traces d'Ulysse.
À la fascinante exploration de l'Odyssée d'Homère fait écho le récit merveilleux de la redécouverte mutuelle d'un fils et d'un père. (résumé de l'éditeur Flammarion)

Je vous ai présenté deux passages du livre de Daniel Mendelsohn au fur et à mesure que je le lisais tant ce livre soulevait mon enthousiasme et me donnait envie de tout partager avec vous ! voir Texte 1 ICI et Texte 2 ICI

Laerte de Jean Styka (source)

L’Odyssée d’Homère est l’histoire du retour d’Ulysse à la fin de la guerre de Troie et de son long et douloureux voyage à travers la Méditerranée pour rejoindre son royaume, Ithaque, et sa famille. Mais, nous dit Daniel Mendelsohn, c’est aussi et avant tout l’histoire d’un père et d’un fils, d’Ulysse et de son fils Télémaque, d’Ulysse et de son père Laerte. Le poème antique commence d’ailleurs par la recherche de son père par Télémaque (La Télémachie) et finit par les retrouvailles d’Ulysse avec son père Laerte .

C’est ce qu’explique le sous-titre de ce livre : Une odyssée, un père, un fils, une épopée.
Dans ce titre, on le voit, le déterminant défini est remplacé par l’indéfini « une ». Il nous avertit que l’auteur va nous donner son interprétation de L’Odyssée (telle qu’il l’a reçue lui-même de ses mentors; il pourrait y en avoir d’autres) mais aussi qu’il va nous en conter une autre : celle d’un fils Daniel et de son père Jay.

Et ce sont bien là les trois fils conducteurs du récit, ceux que j’ai suivis avec passion : 

L’analyse de l’Odyssée  m’a appris tant de choses que je ne savais pas sur cette oeuvre qui m’a pourtant accompagnée depuis l’enfance, des récits mythologiques à la lecture renouvelée de l’Odyssé.  En français. C’est pourquoi le cours du professeur helléniste qui nous fait entrer dans le récit par le biais de la langue grecque est si enrichissant.

L’enseignement, est le thème en filigrane, toujours présent du présent au passé, celui de la transmission des savoirs mais aussi des valeurs quand il s’agit du père et du fils. Nous assistons donc au cours du professeur Mendelsohn, à la maïeutique qu’il met en place auprès de ses étudiants, à leurs réactions judicieuses et à celles du père qui introduisent l’humour dans le récit. Interventions toujours parfaitement intelligentes et qui révèlent son caractère et ses principes moraux.  Et là, on s’aperçoit que le fils malgré les reproches qu’il fait à son père, n’est pas si éloigné de lui et a intégré certains de ses principes et de ses craintes : l’amour d’un travail rigoureux et la recherche de la difficulté, par exemple, ou la peur de l'échec.

Les relations père / fils, le présent et le passé se mêlent, les souvenirs remontent à la mémoire, souvent grinçants, voire douloureux, mais finalement pleins d’humanité entre le fils et le père.

J’ai aussi admiré comment tout en nous expliquant la composition circulaire de L’Odyssée, Daniel Mendelsohn appliquait à son propre texte les mêmes principes. Cette construction laisse le récit en suspens pour des rétrospectives qui après bien des détours dans les strates plus ou moins éloignées du passé, nous ramènent au moment présent.

« Si, à première vue, elle peut s’apparenter à une digression, la composition circulaire constitue en fait une technique efficace pour intégrer à une même histoire le passé, les présent, et parfois même l’avenir, puisque certaines « spirales » se déroulent vers l’avant, anticipant des évènements qui se produiront après la conclusion du récit principal. De cette manière, un seul récit, voir un seul moment, peut contenir toute la biographie d’un personnage ».

Ulysse rencontre sa mère  Anticlée aux Enfers

Voici un livre coup de coeur, un livre tout à la fois savant et proche de nous. On y glane une foule de connaissances qui nous amène à une relecture différente de l’Odyssée mais aussi nous pousse à réfléchir sur les relations parents et enfants.
Au-delà de l’histoire de Jay et Daniel, nous nous interrogeons :  Avons-nous, nous-mêmes, compris qui étaient vraiment nos parents ?  Avons-nous même fait l’effort d’essayer ? Et quelle est l’image que nous laisserons à nos enfants ? Ce n’est qu’après la mort de Jay que Daniel mène une enquête pour éclairer certains moments de sa vie ! On pense alors à la scène où Ulysse retrouve aux Enfers Anticlée, sa mère morte, elle qui était encore vivante au moment de son départ et qu’il cherche par trois fois à l’étreindre. Mais en vain. Il est trop tard, il ne s’agit plus que d’une ombre.
 Je vous l’ai dit, ce livre est très riche et nous parle de beaucoup de choses et en particulier d’amour.


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Miriam ICI  

mardi 23 janvier 2018

Daniel Mendelsohn : Une odyssée, un père, un fils, un épopée (citation 2)

Sir William Russell Flint (1880-1969)

Ulysse et Calypso (source)

Lorsque Jay Mendelsohn, âgé de quatre-vingt-un ans, décide de suivre le séminaire que son fils Daniel consacre à l'Odyssée d'Homère, père et fils commencent un périple de grande ampleur. Ils s'affrontent dans la salle de classe, puis se découvrent pendant les dix jours d'une croisière thématique sur les traces d'Ulysse. (Voir Citation 1)

À la fascinante exploration de l'Odyssée d'Homère fait écho le récit merveilleux de la redécouverte mutuelle d'un fils et d'un père. (résumé de l'éditeur Flammarion)

Dans le billet précédent consacré à un passage du texte (citation 1) où le père de Daniel Mendelsohn contestait à Ulysse son titre de héros en s'opposant à son fils, professeur d'université, je vous ai dit que l'essai Une odyssée, un père, un fils, un épopée, était passionnant, érudit et touchant. J'entendais par ce dernier qualificatif qu'il passait beaucoup d'émotion dans ce texte. Car le livre à travers cette analyse savante et si agréable de l'oeuvre d'Homère, est aussi un moyen de parler des rapports que nous avons avec nos parents.
Ici un père intransigeant, sévère, plein de principes, et un enfant en révolte, deux êtres que ne se sont jamais sentis proches. Ils vont finalement se retrouver et même plus, se découvrir, à l'âge adulte, au cours d'une croisière qu'ils feront sur les traces de l'Odyssée à la fin du séminaire.
Une telle expérience n'est pas donnée à tout le monde. Nos parents disparaissent parfois sans que nous ayons eu ce moment privilégié où le masque de l'adulte tombe, où les reproches voire les rancoeurs liées à l'enfance disparaissent et où il ne reste plus que l'amour.

Voici un extrait de ce beau texte p 235

La croisière entreprise par nos deux personnages les amènent jusqu'à l'île de Gozo qui appartient à l'archipel maltais. C'est là que se situe la grotte de Calypso. Daniel, claustrophobe, a une crise de panique et refuse de s'enfoncer dans la cavité malgré les exhortations de son père .

"Alors mon père a fait une chose qui m'a sidéré. Il a tendu le bras et m'a pris par la main. Je l'ai regardé faire et j'ai éclaté de rire. Papa, voyons!
Tout ira bien, me rassura-t-il en me serrant légèrement la main, chose que, autant que je me souvienne, il n'avait plus faite depuis l'époque où j'étais petit garçon. Sa main à lui était légère, sèche et fine. Je la fixai, gêné.
Je serai là avec toi, à chaque pas, promit mon père. Et si tu ne supportes pas, nous sortirons.
J'observai nos mains liées l'une à l'autre et, contre tout attente, je dus avouer que cela me faisait du bien. Je m'assurai que personne alentour ne nous regardait mais je compris alors, avec un sentiment confus de soulagement, que si jamais quelqu'un nous voyait, il s'imaginerait que c'était moi qui guidais mon père en le tenant par la main. C'était pour lui, après tout, qu'il existait un un risque réel; c'est lui qui avait la hantise de tomber.
C'est ainsi que j'ai visité la grotte de Calypso avec mon père qui me tenait la main."

 A demain pour le dernier billet sur ce livre !

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mercredi 17 janvier 2018

Daniel Mendhelsohn : Une Odyssée, Un père, un fils, une épopée (citation 1)

Mosaïque : Ulysse et les sirènes (musée de Tunis)
Lorsque Jay Mendelsohn, âgé de quatre-vingt-un ans, décide de suivre le séminaire que son fils Daniel consacre à l'Odyssée d'Homère, père et fils commencent un périple de grande ampleur. Ils s'affrontent dans la salle de classe, puis se découvrent pendant les dix jours d'une croisière thématique sur les traces d'Ulysse.
À la fascinante exploration de l'Odyssée d'Homère fait écho le récit merveilleux de la redécouverte mutuelle d'un fils et d'un père. (résumé de l'éditeur Flammarion)
 


Je suis en train de lire  Une Odyssée, Un père, un fils, une épopée de Daniel Mendhelsohn.  Pendant ma lecture et avant de rédiger un billet sur ce livre passionnant, érudit, et touchant, je vous inviterai à lire quelques extraits du livre, ceci afin de vous mettre un peu l'eau à la bouche.
J'ai choisi aujourd'hui un passage plein d'humour qui éclaire les relations du père et du fils et qui apporte aussi une réflexion intéressante sur l'oeuvre d'Homère.

Le père, Jay Mendhelsohn assiste donc au premier cours de son  fils qui porte sur le chant I et sur le proème de l'Odyssée, le proème c'est à dire "les vers liminaires qui annoncent au lecteur le sujet de l'oeuvre - le cadre de l'action, l'identité des personnages, la nature des thèmes."

Voilà comment réagit le père quand son fils qualifie Ulysse de héros.

Buste grec ancien d'Odysseus, Ulysse

"Ce fut à ce moment-là que mon père leva la tête et dit, "Un Héros? Moi je trouve qu'il n'a rien d'un héros.
 (...)
Très bien répondis-je à mon père.  Et qu'est-ce qui te fait dire qu'il n'a rien d'un héros?

Eh bien reprit-il. Vingt ans plus tôt il est parti combattre à la guerre de Troie, non ? Et à ce que l'on sache il dirigeait l'armée du royaume...

En effet... Le chant II de l'Iliade énumère toutes les armées grecques qui ont convergé vers Troie. Et il est dit qu'Ulysse a levé l'ancre avec un contingent de douze navires.

Justement, répliqua triomphalement mon père. Cela représente plusieurs centaines de soldats. Et donc ma question est : où sont passés ces douze navires et leurs hommes de bord ? Comment se fait-il qu'il soit le seul à rentrer chez lui vivant ?

En fait c'est une bonne question, dis-je (...) Si vous avez lu le proème, vous vous souviendrez qu'il qualifie les marins d'"insensés" qui ont péri "par leur folle témérité". A mesure que nous avancerons dans le poème, nous en apprendrons davantage sur les évènements qui ont causé la mort de ces hommes, des groupes différents, à différents moments. Et alors vous me direz si vous pensez que c'est vraiment par leur folle témérité qu'ils sont morts.

Mon père grimaça, l'air de dire qu'il se serait mieux débrouillé qu'Ulysse et que lui aurait ramené sans encombre ses douze navires et leur équipage. Donc, tu admets qu'il a perdu tous ses hommes ?

Oui, répondis-je sur la défensive. J'avais l'impression d'avoir onze ans, qu'Ulysse était un camarade de classe qui avait fait une bêtise et que j'avais décidé de le défendre, quitte à être puni avec lui. (...)
Il n'était visiblement pas convaincu.

Les boeufs du Soleil
Le professeur continue son explication :

"Si on y réfléchit bien, il doit absolument être le seul à rentrer.
Je mesurai mon petit effet, laissai planer un instant de suspens, et repris : Si Ulysse est le seul à être toujours debout, alors?...

Trisha (une étudiante) leva le nez de son cahier. Alors il devient le héros de l'histoire.

Exactement. Elle est vive cette petite, me dis-je.
Imaginez... A quoi ressemblerait l'Odyssée s'il était rentré avec une douzaine d'hommes, ou cinq, ou même un seul ? ça ne marcherait pas. Pour être le héros d'une épopée, il faut se débarrasser de la concurrence, pour ainsi dire !

Mon père revint à la charge. Et bien moi, je ne trouve pas qu'il ait grand chose d'un héros. Il prit à témoins les étudiants. Un chef qui perd tous ses hommes ? Vous parlez d'un héros!

Les étudiants éclatèrent de rire (...) Pour leur montrer que j'étais bon joueur, je fis un grand sourire.

Mais intérieurement, je bouillonnais. Ca va être l'horreur ce cours ! "

 


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lundi 15 janvier 2018

Miguel Bonnefoy : Sucre noir



 Le roman Sucre noir de Miguel Bonnefoy débute par une vision fantastique, celle d’un trois-mâts naufragé planté sur la cime des arbres au milieu de la forêt d'une île des Caraïbes. Ce premier chapitre a une force surréaliste tant par la description de la forêt « navirophage » qui va émietter le bateau, en disperser toutes les richesses, faire un sort à son équipage que par les personnages que campe Miguel Bonnefoy. 

Le capitaine Henry Morgan, en particulier, célèbre corsaire qui fut gouverneur de l’île de la Jamaïque au XVII siècle, apparaît ici, moribond, boursoufflé par l’alcool, accroché à son or qu’il va emporter dans la mort. Récit romanesque qui malmène un peu l’histoire puisque Henry Morgan est mort d’alcoolisme, certes, mais dans son lit. Peu importe, la légende est née. Et le trésor des pirates avalé par la forêt tropicale va devenir le rêve des chercheurs  de trésor. 

Trois siècles après, le premier d’entre eux est Severo Bracamonte qui devra déchanter dans sa quête mais épousera, par contre, Serena Otero. Celle-ci, héritière de la plantation de cannes à sucre de ses parents, braves gens qui avaient accueilli et encouragé le jeune homme, est une jeune femme singulière, altière, éprise de liberté. C’est aussi un personnage fort du roman.

Dès lors c’est à travers ce couple et leur fille adoptive Eva Fuego trouvée dans un champ de cannes en feu que nous allons suivre, les grandeurs et les décadences de la famille et leur île. Surtout après la découverte dans la plantation d’un puits de pétrole.

Migule Bonnefoy (source Babelio

Rien n'est aussi fort dans la suite du roman que ce remarquable premier chapitre mais j’ai aimé dans l'ensemble la plume de Miguel Bonnefoy, luxuriante comme les forêts qu’il décrit, riche et épicée comme les personnages qu’il peint. Et puis, il y a ce sentiment d’être ailleurs, non plus dans le réel mais dans un monde particulier, dans le réalisme magique des auteurs d'Amérique du Sud. Miguel Bonnefoy, rappelons-le est français, il est né à Paris, mais vénézuélien par sa mère, chilien par son père.

Tout de suite je me suis sentie en présence non d'un roman mais d'une fable, en train d’en chercher le sens caché, le secret de lecture.

Ainsi, lorsque Severo Bracamonte, personnage sympathique au demeurant, cherche le trésor, il déterre d’abord, au cours de ses fouilles, une statue de Diane. Puis, il découvre l’amour de Serena qui va remplir sa vie. Le seul vrai trésor de l’homme est donc l’amour; tout le reste n’est que faux-semblant comme la statue qui est porteuse de mort.

C’est au moment où le deuxième chercheur, l’Andalou, arrive dans le domaine, que Serena reçoit son second trésor : La petite fille Eva Fuego abandonnée dans le champ de cannes.

Enfin, quand Eva Fuego trouve un puits de pétrole dans son domaine et devient propriétaire d’une immense fortune, elle qui n’aime personne,  est précipitée dans le malheur et la ruine.
Une fable, donc, qui nous dit que la richesse n’est pas là où l'on croit la trouver mais dans l’amour et la nature.

Je suppose que ce n’est qu’une interprétation parmi d’autres. J’ai lu dans un article du journal l’Humanité une explication économique très intéressante. Voir ICI

Une interprétation de Sophie Jourbet dans l’Humanité
Roman. Le goût amer du sucre noir ICI

« Dans la veine du réalisme magique, le Franco-Vénézuélien Miguel Bonnefoy signe une épopée miniature qui se collette, sous une apparente légèreté, avec les problèmes économiques actuels du Venezuela. Ce pays, qui compte les réserves pétrolières les plus importantes du monde, a subi de plein fouet l’effondrement des cours de l’or noir. Comme Eva Fuego, brûlée et desséchée à force d’avoir trop cherché de l’or, le pays serait-il un vieillard qui meurt avec ses chimères, faute d’avoir su exploiter ses véritables richesses ? C’est la question que pose ce conte en Technicolor, qui dégage, à chaque page, une puissante odeur de sucre et de rhum.

samedi 13 janvier 2018

Anna Hope La salle bal


Dans La salle de bal, Anna Hope prend pour point de départ de sa fiction un cadre bien réel, celui de l’asile de Mentson, dans le Yorkshire, bâtiment ouvert en 1888, établissement psychiatrique pour les aliénés indigents. Ainsi, la salle de bal qui donne son titre au roman a bien existé.
Anna Hope écrit ce livre en hommage à son trisaïeul qui y a été interné à partir de 1909 à la suite d’une longue vie de travail, de privations et de malnutrition. Elle s’emploie donc à peindre un tableau véridique de la psychiatrie et de l’internement au début du XX siècle, tout en s’accordant le droit de créer des personnages imaginaires. C’est pourquoi elle rebaptise l’asile de Mentson du nom de Sharston.

La salle de bal de l'asile de Mentson
La prise en charge des malades et l’étude de la psychiatrie avait déjà évolué par rapport au XIX siècle. Que la musique et la danse puissent être considérées comme une thérapie en 1911, date à laquelle commence le récit, représente un bond en avant. Mais les méthodes violentes n’ont pas cessé et les soins aux malades ne sont basés que sur des rapports de force, punition ou récompense.
De plus, l’on est vite interné à cette époque si l’on est indigent, ouvrier et que l’on trouble l’ordre public. Etre une femme n’est pas un atout non plus, surtout pour celles qui refusent d’entrer dans un moule.

Le récit laisse tour à tour la parole à trois personnages. Le point de vue alterne donc et les autres personnages sont vus à travers ces trois personnalités :

Ella, le personnage principal combine toutes les déficiences : Femme, pauvre, elle est irlandaise ( c’est aussi une tare en Angleterre)! Ouvrière, elle est épuisée physiquement et moralement par un travail d’esclave dans la filature où les fenêtres sont obturées pour éviter toute distraction. Aussi lorsqu’elle casse les vitres pour laisser entrer la lumière, elle est enfermée à l’asile. C’est à travers son regard que nous verrons son amie, Clem, jeune fille d’un milieu social plus aisé, cultivée. Clem qui aime lire (encore une faute pour une femme) est enfermée parce qu’elle refuse le mariage voulu par son père et ne veut pas du sort réservé aux femmes dans sa classe sociale.

« Contrairement à la musique, il a été démontré que la lecture pratiquée avec excès était dangereuse pour l’esprit féminin… si un peu de lecture légère ne porte pas à conséquence, en revanche une dépression nerveuse s’ensuit quand la femme va à l’encontre de sa nature. »

John, lui aussi irlandais, est jugé fou après le décès de son enfant suivi de la séparation avec sa femme. La dépression n’était pas encore reconnue comme telle. John est un poète qui s’ignore; il écrit des lettres à Ella qui introduisent la poésie et la nature dans le roman et dans la vie de la jeune fille.  Ainsi à propos des hirondelles  :

"Elles me font penser à la liberté. Mais aussi à chez moi. Elles me mettent dans la tête ma maison qui était dans l'ouest de l'Irlande qui est rocheuse et pleine de mer grise et de ciel gris. Mais parfois la terre a aussi là-bas une grande douceur et une grande verdure.
Il y a quelque chose chez ces oiseaux qui me fait penser à vous (...) Quelque chose de petit et sauvage. Quelque chose fait pour voler. "          
Face à ces deux patients, l’un des médecins occupent une place primordiale.

Charles : psychiatre attiré par l’eugénisme est le personnage le plus ambigu. Musicien, il croit à la musique comme moyen de guérir ses malades, du moins ceux qui sortent du lot. Ambitieux, il rêve de gloire et il cherche à attirer l’attention des partisans de l’eugénisme et de la stérilisation des indigents, très à la mode en ce début du siècle dans la haute société anglaise, en particulier au gouvernement dont fait partie Winston Churchill. Charles se venge de son échec et il hait, de plus, ceux qui lui révèlent ses tendances homosexuelles qu’il vit comme une honte.

Dans cet univers carcéral où l’on exploite férocement le travail des malades, l’on comprend l’attrait que peut exercer la salle de bal. C’est dans ce lieu que va naître l’amour de Ella et de John mais l’on se doute que le couple rencontrera obstacles et dangers.

La salle de bal, tout en présentant des faits historiques passionnants, bien souvent peu connus des anglais eux-mêmes comme le rôle de Churchill, nous tient en haleine tant nous sommes en empathie avec ces victimes d’une société masculine, dominante, hiérarchisée et inhumaine. Une lecture qui fait frissonner, une réflexion sur la façon dont la folie a été exploitée par les classes dominantes afin d'éliminer ceux qui les gênent. D’où l’idée de limiter les naissances par la ségrégation ou la castration afin d'éviter la dégénescence de la race et la surpopulation. Cela pourrait être un sujet de roman noir ou gothique si ce n’était la vérité historique. Voilà qui rappelle aussi les idéologies nazies. Ainsi le discours de  Leonard Darwin, un des fils de Charles Darwin :

"Notre tâche... en vérité à la société eugénique, est d'étudier toutes les méthodes possibles pour empêcher la décadence de la nation...
Il est notable, poursuivit Darwin, que les sections de la communauté qui parviennent le moins à gagner décemment leur vie se reproduisent plus rapidement que les bénéficiaires de salaires les plus élevés; et, en second lieu, qu'une proportion de cette strate la plus pauvre s'en extrait ou s'y enfonce à cause de quelque force ou faiblesse innée de l'esprit ou de leur corps, avec pour résultat que les membres de cette classe mal payée ont en moyenne, et de façon inhérente, moins de capacités que les mieux payés."

Le récit est très bien mené et va crescendo, maintenant un suspense dramatique jusqu’à la fin, une tension qui ne retombe qu’au dénouement lui-même plein de mélancolie. Un bon roman, bien écrit, avec des moments de poésie et d'émotions !

Voir ici mots pour mots

lundi 8 janvier 2018

Antony Phelps : Au souffle du vent-poupée


C'est le titre qui m'a immédiatement attirée dans ce livre proposé par Masse critique de Babelio : Au souffle du vent-poupée du poète haïtien Antony Phelps paru aux éditions Bruno Doucey.  La beauté du titre tient à son mystère, à cette alliance de deux mots unis par ce trait d'union qui fait de la poupée et du vent une entité, à ce souffle, évocateur de liberté, de bruit, doux chuchotis ou bruissement impérieux, qui parle à la fois aux  sens, à l'oreille et la peau, qui apporte des odeurs fraîches ou épicées, qui emporte l'imagination.

Iris Geneviève Lahens

Iris Geneviève Lahens,
Ce très beau livre préfacé par Louis-Philippe Dalembert  ( j'aime bien le retrouver ici !) allie poésie et art puisque les poèmes sont mis en dialogues avec les tableaux et les sculptures de l'artiste haïtienne Iris Geneviève Lahens, oeuvre étrange, d'une grande beauté, curieuse rencontre entre le cubisme et la peinture amérindienne, en harmonie avec les dits du poète.



L'influence du surréalisme sur  la poésie d'Antony Phelps est très forte. Entrer dans sa poésie c'est abandonner toute rationalité pour se fondre dans un monde d'images et de formes où les objets perdent leur statut d'objet :

O lampe imaginée aussi sage que l'huile
Tu veilles paupière verte sur la nuit du tapis
La danseuse-papillon sur l'escalier de verre
écoute bouger l'écho
O Lampe paupière verte.


où la femme aimée est "poupée miraculeuse aux bégaiements d'oiseaux pensifs", "Vénus des aromates", "femme gémeaux, idole boisée aux yeux de prophétesse", "l'amante aux pieds de croissants/et main de lune".


Iris Geneviève Lahens (détail) dans le Vent-poupée d'Antony Phelps Editions Bruno Doucey
Iris Geneviève Lahens
Seins bleus corps bariolé
Femme de bagues en fleurs
les yeux en éventail tout éléments mêlés
je te chante en tempête et furie
embrasements rires et chocs de verre.
 

Femme en falaise
au croisement des pistes
le temps carrousel
ne rattrape pas ses chevaux
mais je me fais bouteille dans ton ciel
Une lettre d'amour attachée à ma clef.


Le monde cosmique est là, avec ses nuits qui orchestrent l'arrivée des fantômes, " corps lumineux des poètes trépassés", "débris de fêtes osselets", une nuit traversée d'éclats de lune porteuse d'espoir.

Ô lune-lune cerf-volant
l'été renaîtra sur les mots de l'enfance
le pavé des rue n'appartiendra plus
aux pas cadencés
la main chantera le temps de l'oeillet
les beffrois des villes sonneront l'amour


Poésie très colorée, très visuelle, où éclatent les verts, les bleus, les cuivres, les rouges coquelicot et pavot, poésie à laquelle répondent les images d'Iris Geneviève Lahens, une symphonie de couleurs aux dominantes de bleu, ocre, brun.


Les cheminées ne fument plus
et les maisons sont dans les rues
Le macadam fleurit des roses de chair
à tous les pas-de-porte
Mon bras est un bouquet de feu
Coquelicot coquelicot dondaine
et ma maison est une main
qui dit bonjour à tous les hommes.


Enfin, en filigrane, la présence de la terre originelle, Haïti, qui l'a nourri, terre des Anciens dont il est fait, dont il est pétri,  et sans laquelle il ne serait pas ce qu'il est :


En cette faille d'avant que tout bascule
ma vision s'enrichit
de tous les hommes à tête de cendre
mâcheurs de silex
ou adorateurs du serpent à plumes
descendants empêtrés d'hommes-dieux
peuple conservateur des ruines.


Des ruines dont la mémoire perdure et renaît peu à peu.

Iris Geneviève Lahens
Orchidée nègre
en mains de deux
nous recollons comme amulettes
ce qui nous reste de nos jeux
petits morceaux de fêtes
bribes de joie éclats de danses
que fécondent les abeilles de ton été
les oiseaux-mouches de mon automne.


Une petite merveille que je vous recommande chaudement ! Un coup de coeur !


Tous mes remerciements à Babelio, Masse critique et les Editions Bruno Doucey.




http://www.editions-brunodoucey.com/au-souffle-du-vent-poupee/




Anthony Phelps est né en 1928 en Haïti, où il contribue à fonder le mouvement Haïti Littéraire. Opposant à la dictature de Duvalier, il connaît la prison et l’exil. Établi à Montréal, il livre une oeuvre de premier ordre qui fait de lui l’un des écrivains haïtiens les plus connus en Amérique.

mercredi 13 décembre 2017

Elizabeth Strout : Je m'appelle Lucy Barton



Hospitalisée à la suite d’une opération, Lucy Barton reçoit la visite impromptue de sa mère, avec laquelle elle avait perdu tout contact. Tandis que celle-ci se perd en commérages, convoquant les fantômes du passé, Lucy se trouve plongée dans les souvenirs de son enfance dans une petite ville de l’Illinois – la pauvreté extrême, honteuse, la rudesse de son père, et finalement son départ pour New York, qui l’a définitivement isolée des siens. Peu à peu, Lucy est amenée à évoquer son propre mariage, ses deux filles, et ses débuts de romancière dans le New York des années 1980. Une vie entière se déploie à travers le récit lucide et pétri d’humanité de Lucy, tout en éclairant la relation entre une mère et sa fille, faite d’incompréhension, d’incommunicabilité, mais aussi d’une entente profonde.
Salué comme un chef-d’oeuvre par la critique littéraire aux États-Unis, Je m’appelle Lucy Barton est un grand roman contemporain sur la solitude, le désir et l’amour. (quatrième de couverture éditions Fayard)



Après Mischling d’Affiniy K. dont je parle dans  le billet précédent, j’ai enchaîné avec Je m’appelle Lucy Barton d’Elizabeth Strout... Les hasards de l’emprunt en bibliothèque !

J’ai donc eu du mal à entrer dans le livre au début car de Mischling à Lucy Barton, c’est un grand écart qu’il m’a fallu faire. Après avoir erré dans l’enfer d’Auschtwtiz, j’ai eu l’impression de me retrouver dans un livre léger !
Ce qui est parfaitement injuste. L’écriture d’ Elizabeth Strout est simple, claire et va droit au but mais elle n’est pas légère et elle traite de sujets qui  peuvent tous nous concerner et portent la mélancolie de l’enfance et de ses peurs dont on ne guérit jamais vraiment. Une vie d’enfant où les mots et le mépris blessent tout autant que les coups reçus.

Les thèmes de ce roman ? Les rapports d’une fille et de sa mère et plus généralement ceux que nous entretenons avec notre famille quand nous atteignons l’âge adulte. La béance qui peut se créer entre un enfant qui poursuit des études supérieures par rapport à ses parents et au reste de la fratrie qui n’accède pas au même niveau d’instruction. La difficulté de vivre dans une famille pauvre et marginale, sous le regard indifférent ou cruel de la société. Un regard qui vous suit jusqu’à l’âge adulte et vous fait douter de vous-même. Mais aussi comment l’amour de la lecture, les livres et plus tard l’écriture peuvent vous sauver du désespoir.
Et finalement, au bout du chemin, la solitude, cette impossibilité de dire « je t’aime » malgré l’amour qui déborde et qui s’exprime autrement, dans les actes.

C’est un peu de sa vie que nous livre Elizabeth Strout même si Lucy Baron est un personnage fictif. Et elle le fait avec finesse, émotion et pudeur dans de belles pages où elle parle de sa mère qui reste à son chevet de jour comme de nuit parce qu’elle n’a pas d’autre moyen de d'exprimer son amour à sa fille malade;  où elle dit la souffrance qu’elle-même a infligé à ses enfants par son divorce car personne n'est capable d'un amour parfait. Un roman où elle fait part de son travail d’écriture et de ses débuts dans la littérature.

Un livre sensible et intelligent qui parle d’amour quand on n'a pas les mots pour le dire.

Je l’ai déjà dit : je m’intéresse à la façon dont on peut se sentir supérieur à quelqu’un d’autre ou à un autre groupe de gens. ça arrive partout, tout le temps. Quelque soit le nom qu’on donne à ce besoin de trouver quelqu’un à rabaisser,  je le considère comme ce qu’il y a de plus vil en nous.


dimanche 10 décembre 2017

Affinity K. : Mischling


Le hasard a voulu que je trouve à la bibliothèque de ma ville deux livres de la rentrée  littéraire,  dis-po-ni-bles, par je ne sais quel miracle, livres sur lesquels je me suis ruée vous vous en doutez !.
Le premier est La disparition du docteur Mengele que j’ai déjà présenté dans mon blog ICI et le second Mischling de Affinity K. qui amène le lecteur dans l’antre de la Bête autrement dit dans le « zoo » du docteur Mengele à Auschwitz.

Par le passé les blocks du Zoo avaient servi d'écuries mais à présent ces baraques étaient bondées de gens de notre espèce, jumeaux, triplés, quintuplés. Des centaines et des centaines d'entre nous y vivaient  serrées dans des lits qui n'étaient pas des lits mais des boîtes d'allumettes, de petites fentes où glisser nos corps.

Que dire de Mischling ? C'est une oeuvre littéraire, au meilleur sens du terme, qui provoque intérêt, émotion et réflexion, finement analysée et écrite alors que celui d’Olivier Guez est plutôt de style documentaire. C'est un roman bouleversant parce qu’il nous fait vivre l’horreur de l’intérieur, à travers les points de vue alternés des jumelles Pearl et Stasha. Mischling signifie "sang mêlé" par opposition au sang pur de la race aryenne. Et comme cette vision est souvent faite d’incompréhension, les enfants ne sachant pas pourquoi ils sont là, les pratiques du docteur Mengele ne sont plus cette dénonciation froidement et abominablement théorique que nous connaissons mais quelque chose de vécu dans le corps et l’esprit des petites victimes, dans leurs souffrances intolérables et leurs humiliations quotidiennes.
De plus, l'écrivaine maintient un équilibre troublant entre le réalisme le plus précis (le roman est très documenté) et l'image d'irréalité qu'en donnent les fillettes assommées par le bromure mélangé à leur pain. Le lecteur a l'impression de flotter dans un monde flou à la frontière de l'éveil et du cauchemar.

Il y a pourtant quelque chose de très beau (que j’ai déjà vu dans les romans de Jorge Semprun mais cette fois-ci au niveau de l’enfance) c’est la capacité de résistance qui naît de l’amour, de la solidarité, des amitiés qui se forment, tout ce qui, enfin, préserve l’humanité même dans l'enfer des camps. L’écrivaine explore de plus, et c’est très intéressant et émouvant, les particularités de la gemellité, le ressenti de la douleur de l’autre, le manque provoqué par la séparation.

Les personnages du roman sont complexes et le personnage de Mengele en particulier, très ambigu, est paré d’une aura de bon « Oncle » distribuant des bonbons aux enfants, rassurant les parents à l’arrivée à Auschwitz, et exerçant une séduction sur les enfants qui sont fiers de se croire préférés. Un Oncle, oui, mais plutôt comme l’ogre des contes, - on reste toujours dans le domaine de l'enfance-, qui va exercer sur eux les pires atrocités sous prétexte d’expériences scientifiques.
Quant aux adultes prisonniers, victimes et innocents au début, ils ne peuvent sortir indemnes d’une collaboration avec Mengele. C’est le cas de Miri, une femme médecin juive, forcée d’assister le docteur dans ses expériences, ou du "Père des jumeaux" chargé de s’occuper du « zoo » et qui fait pourtant tout pour sauver la vie de ses protégés. Ils ne peuvent échapper aux affres de la culpabilité, sentiment destructeur qui m’a rappelé l’analyse magistrale qu’en avait faite William Styron dans un roman poignant, inoubliable, paru il y a quelques dizaines années : Le choix de Sophie.
Les enfants sont complexes eux aussi car il y a, parmi eux, ceux qui tirent profit de la mort des autres. Quant aux jumelles, Stasha et Pearl si semblables et pourtant si différentes, elles sont particulièrement attachantes.

Le roman débute par le voyage dans les wagons plombés, avec la mère et le grand père des jumelles. Il ne finit pas avec la libération des camps mais plusieurs mois après. On suit certains des enfants rescapés dans leur périple pour regagner leur maison si elle existe encore, leur famille le plus souvent décimée. Parfois des flash-forward au milieu du récit nous laissent entrevoir ce que sera l’avenir.
Le roman s’interroge aussi sur la réponse à l’horreur  des camps entre le pardon ou la vengeance et  se termine par une lueur d’espoir perçant les ténèbres. Un très beau roman..

source Actes sud ici


Affinity K

D'ascendance juive polonaise, Affinity Konar est née en 1978 en Californie. Mischling est son second roman.





voir aussi

Une souris et des livres Ici

Quatre sans quatre Ici

mardi 5 décembre 2017

Olivier Guez : La disparition de Josef Mengele



La disparition de Josef Mengele de Olivier Guez

1949  : Josef Mengele arrive en Argentine.
Caché derrière divers pseudonymes, l’ancien médecin tortionnaire à Auschwitz  croit pouvoir s’inventer une nouvelle vie à Buenos Aires. L’Argentine de Peron est bienveillante, le monde entier veut oublier les crimes nazis. Mais la traque reprend et le médecin SS doit s’enfuir au Paraguay puis au Brésil. Son errance de planque en planque, déguisé et rongé par l’angoisse, ne connaîtra plus de répit… jusqu’à sa mort mystérieuse sur une plage en 1979.
Comment le médecin SS a-t-il pu passer entre les mailles du filet, trente ans durant  ?
La Disparition de Josef Mengele est une plongée inouïe au cœur des ténèbres. Anciens nazis, agents du Mossad, femmes cupides et dictateurs d’opérette évoluent dans un monde corrompu par le fanatisme, la realpolitik, l’argent et l’ambition. Voici l’odyssée dantesque de Josef Mengele en Amérique du Sud. Le roman-vrai de sa cavale après-guerre. (quatrième de couverture )

L’autre jour dans un débat à la télévision à propos de Oskar Gröning, ancien comptable d’Auschwitz, qui est jugé actuellement à l’âge de 96 ans ( !), la conversation a fini par porter sur Mengele et le livre d’Olivier Guez. Après tout, a dit l’un des participants, Mengele a été puni de ses crimes puisqu’il a été traqué, obligé de se dissimuler et a vécu dans l’angoisse et la solitude. 

Le roman d’Olivier Guez nous apprend que ce n’est pas entièrement vrai. Josef Mengele a vécu des années à Buesnos Aires, dans la communauté nazie qui s’était installée en Argentine sous la protection du dictateur Peron. Il a habité avec sa seconde femme dans une luxueuse maison, a fréquenté les cercles nazis,  a assouvi sa passion pour l’opéra, et continuer à faire fructifier en Amérique du Sud l’entreprise de son père et sa fortune. Il a pu aller en Suisse pour voir son fils, rendre visite en Allemagne à son père, ancien nazi lui aussi, qui a usé de son influence et de sa fortune pour qu’il ne soit pas inquiété. Après la fin de la dictature de Peron, il a été accueilli au Paraguay et a même obtenu la nationalité du pays. Et si l’angoisse d’être poursuivi et traqué a été sa punition, la fortune de son père pendant de longues années l’a protégé.

Il vous faut lire, comme je l’ai fait,  le très beau et terrible  roman de Affinity K., Mischling, sur les crimes du docteur Mengele, pour comprendre que ce n’est pas suffisant. Il aurait fallu un procès et un jugement pour rendre un véritable hommage à ses victimes, pour permettre aux survivants et aux familles de faire leur deuil. Au lieu de cela nombreux sont les gouvernements qui ont fermé les yeux ou pire collaboré pour sauver les criminels de guerre et ceci pour des raisons idéologiques, ou économiques, ou pour asseoir leur puissance dans le monde !
 C’est le mérite de ce livre, mi-roman, mi-biographie, de montrer la culpabilité de ces pays. Olivier Guez cite l’Allemagne, bien sûr, qui a conservé à la tête du pays tous les grands industriels qui ont aidé le nazisme à l’extermination des juifs et des opposants,  l’Amérique du Sud qui est devenu un repaire pour ces monstres, l’Egypte qui a demandé l’aide de savants nazis pour sa course à l’armement. Il aurait pu parler des Etats-Unis qui n’ont pas été les derniers à récupérer les scientifiques nazis pour la conquête de l’espace, et de l’Italie, en particulier du Vatican, qui a organisé une filière pour assurer leur fuite. Mais ne donnons pas de leçons, en France aussi, on s’est bien gardé de juger les criminels s’ils étaient haut placés, bien sûr !

J’ai lu ce livre avec beaucoup d’intérêt et, si ce n’est pas le premier que je lis sur ce sujet, cela ne m’a pas empêché d’éprouver comme toujours le même sentiment de révolte en pensant aux millions de morts dont ces hommes sont responsables et à la culpabilité des états qui ont entravé les recherches et se sont faits les complices de ces criminels. 

« A Auschwitz, les cartels allemands s’en sont mis plein les poches en exploitant la main-d’oeuvre servile à leur disposition jusqu’à épuisement. Auschwitz, une entreprise fructueuse : avant son arrivée au camp, les déportés produisaient déjà le caoutchouc synthétique pour IG Farben*et des armes pour Krupp. L’usine de feutre Alex Zink achetait des cheveux de femmes par sacs entiers à la Kommandatur et en faisait des chaussettes pour les équipages de sous-marins ou des tuyaux pour les chemins de fer. Les laboratoires Schering rémunéraient un de ses confrères pour qu’il procède à des expérimentations in vitro et Bayer testait de nouveaux médicaments contre le typhus sur des détenus du camp. Vingt ans plus tard les dirigeants de ces entreprises ont retourné leur veste. Ils fument le cigare en compagnie de leur famille en sirotant de bons vins dans leur villa de Munich ou de Francfort. »



* Farben producteur du gaz Zyklon B. utilisé dans le camps nazis, coupable de la mort de six millions de juifs . 


Prix Renaudot

dimanche 3 décembre 2017

Philippe Jaenada : La serpe



Qu’est-ce qui peut provoquer une telle addiction dans un livre de Philippe Jaenada ? C’est ce que je me suis demandé en lisant en deux  jours La serpe, un pavé de plus de six cents pages. Les meurtres qui y sont relatés sont anciens, les coupables ont été jugés depuis longtemps  et la plupart des protagonistes ont maintenant disparu !

Un vrai « polar »
Le château de l'Escoire

Dans La Serpe, Philippe Jaenada enquête comme il sait si bien le faire sur un triple assassinat qui a eu lieu dans le château de l'Escoire en Périgord, pendant la guerre de 1940. J’ai eu envie de lire ce roman quand j’ai appris que Henri Girard accusé d’avoir tué son père, sa tante et la bonne, n’était autre que Georges Arnaud, l’auteur de Le salaire de la peur. Ce livre paru dans les années 50,  à l’écriture puissante, a donné lieu à plusieurs adaptations : celle de Clouzot, en particulier, avec Charles Vanel et Yves Montand.

Philippe Jaenada procède, quand il prend en charge une affaire, exactement comme le ferait un enquêteur chargé de trouver le criminel. Il retourne sur les lieux du crime, examine les indices, s’imprègne de l’atmosphère; et, puisqu’il s’agit d’un évènement ancien, consulte les archives, les minutes du procès, la correspondance des principaux personnages. Au lieu de remonter le temps, il le descend, il s’immerge dans l’époque. Pas étonnant qu’il soit alors habité par des fantômes et qu’il puisse éprouver la chair de poule en  mettant  son pas dans les traces de l’assassin. Chemin faisant il nous fait part de ses doutes, s’il en a (et c’est le cas pour cette enquête) puis il apporte sa propre vision de ce qui s’est passé.
Il s’agit donc pour le lecteur d’une véritable enquête policière dans lequel les ressorts romanesques sont les mêmes que ceux d’un bon vieux « polar » ! Empathie pour les victimes, frissons, horreur des crimes commis, curiosité et questionnement sur la véritable identité du coupable, résolution de l’énigme.
Et comme dans tout bon roman policier, nous découvrons ici la société française de l’époque. Ainsi l’antagonisme plus ou moins larvé entre châtelains et villageois, entre maîtres et employés semble jouer une grand rôle. La misère est très répandue dans cette France de la province, les inégalités sociales très marquées. De plus tout est exacerbé par les privations dues à la guerre. L’occupation allemande et le gouvernement de Vichy servent de toile de fond à ce drame et entrent en ligne de compte dans les motivations des personnages. Quant à la justice française, j’espère qu’elle a fait des progrès car la manière de conduire une enquête à cette époque-là est extrêmement inquiétante !

Un  enquêteur  bourré d’humour

Philippe Jaenada (source)
L’inspecteur ? Allons, soyons bons ! Accordons lui le grade de commissaire! Le commissaire Jaenada ne peut s’empêcher de se glisser dans le récit et devient ainsi un personnage à part entière comme dans un roman de Fred Vargas.  Et ceci par le biais des fameuses digressions jaenadiennes.  Et bien oui, vous partagez tout de ses états d’esprit, de ses peurs bleues, de ses vagues-à-l’âme, de ses amours aussi, sa femme et son fils…   Et avec quel humour !
Ainsi,  vous saurez qu’il aime la solitude et la retraite, du moins c’est ce qu’il prétend ! Mais quand il part quinze jours en Périgord, c’est pire que s’il partait six mois en Sibérie au bord du lac Baïkal comme dans le dernier roman que  je viens de lire de Sylvain Tesson. Heureusement,  pour se coucher, il a emporté  son « doudou », euh! je veux dire le foulard de sa femme ! Il est vrai que l’épreuve est grande pour un Parisien comme lui de partir ainsi dans le Périgord, une région sauvage et désolée avec des autochtones peut-être hostiles, on ne sait jamais !
J’adore ce style d’humour ! Je m’arrête sur ce sujet, en précisant que l’humour permet de désamorcer la tension qui naît de l’atrocité et de la sauvagerie de ces assassinats qui nous sont décrits avec précision.

L’analyse psychologique et la structure du livre

Henri Girard  : Georges Arnaud
L’écrivain est excellent dans l’art de l’analyse psychologique à travers les lettres, les écrits, mais aussi les déclarations des uns et des autres car tout est consigné au cours du procès et les nombreux témoignages permettent de brosser un portrait du suspect assez complexe.
 Il y a, et c’est ce qui me passionne,  une mise en abyme de Henri Girard comme s’il était vu dans une succession de miroirs qui  renvoient des images contradictoires.  Par exemple, selon le point de vue, Henri Girard peut apparaître comme un sale gosse de riches, dépensier, caractériel, un individu méprisable, violent, capable de tous les crimes, plein de haine envers son père et sa tante. Mais aussi et en particulier à travers la correspondance qu’il entretenait avec son père, il peut être un enfant traumatisé par la mort de sa mère, mal dans sa peau,  arrogant, certes, mais un fils aimant et respectueux, un homme très intelligent et cultivé,  engagé contre le nazisme, un humaniste qui venait en aide aux plus pauvres.. 
La structure du livre en deux parties va jouer sur les deux facettes du personnage et nous amener à un dénouement inattendu mais spectaculaire !

 Prix Fémina 2017

Voir l'avis de Keisha  Ici  
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mardi 14 novembre 2017

Christian Bobin : citation Un bruit de balançoire

Christian Constantin Hansen, peintre damois

J'ai "pioché" cette belle citation dans un billet de Violette, extrait du nouveau Christian Bobin  : Un bruit de balançoire. Je pense que cette description de la lecture parlera à toutes ceux et celles, qui ont aimé la lecture dès leur plus jeune âge et y sont tombés dedans comme dans la potion magique d'Obélix et y sont restés pour la vie !

« Lire quand on est enfant, c’est quitter sa famille et devenir jeune mendiant, tendre la main aux princes de passage. C’est aller en Sibérie, avec loups et cris de neige, si loin que votre mère ne vous retrouvera plus, criant « à table » dans le désert, loin, très loin du petit contemplatif aux yeux brun-vert gelés comme un lac. La lecture est un billet d’absence, une sortie du monde. »



J'avoue qu'après avoir beaucoup aimé Christain Bobin (son Autoportrait au radiateur !) je m'étais un peu éloignée de lui trouvant son style trop précieux, trop ampoulé, et pour tout dire trop "joli"! Ce billet de Violette me donne envie de le redécouvrir. voir ICI

jeudi 2 novembre 2017

Jean Hegland : Dans la forêt


Je suis vouée aux dystopies en ce moment ou aux romans post-apocalyptique si vous préférez. Quelle que soit leur appellation, c’est une rencontre  dont je ne saurais me plaindre car les livres que j’ai lus sont des réussites : Voir  Les buveurs de lumière de Jenni Fagan et Monde sans oiseaux de Karin Serres

C’est le cas de Dans la Forêt de Jean Hegland paru aux éditions Gallmeister qui, outre une dystopie, est aussi un livre de « nature writing ».

  Eva et Nell, sa soeur aînée, se retrouvent seules dans leur maison isolée, en pleine campagne, à l’orée de la forêt, après la mort de leurs parents et une catastrophe planétaire. La situation est  terrible :  plus d’électricité, plus d’approvisionnement, les gens meurent de faim, des épidémies se propagent, les villes se vident faute d’habitants, la pénurie d’essence empêche les déplacements, plus de téléphone, d’internet, de radios, de télévision; toutes les communications avec l’extérieur sont impossibles.  Les causes de la catastrophe sont assez floues, mais l’on sait que le monde est en guerre. Les deux jeunes filles vont devoir apprendre à survivre, d’abord avec l’illusion que tout va redevenir comme Avant, puis en sachant que la situation n’est pas réversible.

Le récit alterne entre plusieurs moments du passé, de leur enfance un peu marginale, avec des parents qui les font vivre dans la nature, à l’écart de la civilisation à laquelle elles aspirent, en rébellion contre ce genre de vie :  Eva est danseuse, Nell veut entrer à Harvard … au présent où il faut trouver le courage de continuer en abandonnant toute illusion. Le danger est partout, la mort, la famine, la maladie, le découragement, l’envie de suicide, l’ours qui rôde dans la forêt; mais de tous, le plus dangereux, c’est l’Homme. Rescapé de l'ancienne civilisation, il abuse de son pouvoir et symbolise le Mal.
Jean Hegland peint avec beaucoup de lucidité les rapports entre les deux soeurs, les alternances amour-répulsion, la désespérance, la peur. Les jeunes filles sont très dissemblables de caractère, de goût et il ne faut pas oublier qu’elles sont très jeunes et vulnérables : Dix sept, dix huit ans.

Séquoïa géant Yosemite Park source
La partie tournée vers le passé est intéressante mais c’est lorsque les personnages doivent affronter la réalité, après la catastrophe, que la lecture se révèle particulièrement passionnante. La nature devient alors mère nourricière, source de vie  et c’est avec exaltation que Nell et, par la suite Eva, découvre toutes ces richesses qu’elles ne soupçonnaient pas jusqu’alors.
Je reste très sceptique sur le dénouement proposé par l’auteure pour qui la survie ne viendrait que du retour à la vie primitive mais j’ai toujours aimé, depuis Robinson Crusoé, ces « robinsonnades », qui montrent l’humain capable de tirer sa subsistance de la terre, de la forêt, de l’eau et de son intelligence. Un retour à la nature assez exaltant, que proposaient aussi les romans de Giono. Le mythe du bon sauvage à la Rousseau est aussi revisité à travers les lectures de Nell qui découvre le destin de deux femmes amérindiennes chassées par les blancs et qui ont réussi à survivre dans la forêt.

Séquoïa tombé
 L’écrivaine parvient à donner une puissance poétique à cette thèse à travers la description du tronc creux du séquoia géant tombé à terre, véritable caverne des origines où vont se réfugier les personnages comme dans un utérus maternel. C’est évidemment un symbole fort de cet abandon de la civilisation et du retour à l’essentiel.
C’est très beau et j'en aime le symbolisme et la poésie !
Ceci dit dans un monde réel, je ne parie pas deux sous sur la survie de deux femmes et d’un bébé dans une souche d’arbre pendant un hiver entier ! Je comprends très bien la dénonciation de la technologie abrutissante qui nous envahit, nous rend dépendants, nous éloigne de l’essentiel. Pour le reste, la négation du progrès n’a jamais été mon fort ! Celui-ci n’est en lui-même ni bon, ni mauvais, c’est l’usage qu’en font les humains qui le déterminent.  Et Voilà ! retour à la case départ : Rabelais.

Il n'empêche que ce livre est bon, bien écrit, à la fois poétique et addictif  et que j'ai beaucoup aimé sa lecture.

Et je découvre dans Le Monde une critique de Dans la forêt illustrée par une photographie de Aurélia Frey ICI


Voir Aifelle ICI  ; Dominique ICI