Le mot islandais Ör nous dit Audur Ava Olafsdottir « signifie cicatrices. Le terme s’applique au corps humain mais aussi à un pays, à un paysage malmené par la construction d’un barrage ou d’une guerre.»
Jonas Ebeneser pour sa part a sept cicatrices. La première étant celle de la vie, elle-même. « Nous sommes tous porteurs d’une cicatrice à la naissance : notre nombril » explique l’auteure. Jonas est un écorché vif de naissance. Tout est blessure pour lui, un oiseau à l’aile cassée, la méchanceté des hommes entre eux, les guerres. Une autre cicatrice, l’abandon de son père. Et puis sa mère Gudrun, professeur de maths, a laissé son esprit aux oubliettes et survit dans une maison de retraite. Son amour Gudrun a trouvé un autre homme et est partie. Sa fille Gudrun-Nymphéa, il l’a appris au moment de la séparation d’avec sa femme, n’est pas de lui. Et le tatouage d’un nymphéa blanc sur la poitrine pour cacher l’une de ses cicatrices ne semble pas remédier à la blessure initiale.
C’est donc un homme qui ne peut guérir. Et c’est dans un pays blessé, un pays qui sort de la guerre, qu’il décide de partir quand il veut se suicider.
Je suis entrée dans le livre d’Audur Ava Olafsdottir avec bonheur. J’aime cette écriture limpide, poétique et intimiste. J’ai retrouvé le goût de cet univers qui parle de personnes sensibles, attentives aux autres.
Pourtant, lorsque le récit s’oriente vers le départ dans un autre pays, j’ai éprouvé de la déception. Il m’a semblé que c’était un poncif : il y a tellement dans la littérature actuelle de personnages féminins (en général) désespérées qui partent à l’étranger pour y découvrir la guérison voire l’amour ! Et le fait que ce soit un pays qui sorte de la guerre et que Jonas parte, en plus, muni d’une boîte à outils, m’a paru invraisemblable.
Il y a donc eu un flottement dans ma lecture avant que je ne me rende compte, d’après l’orientation du récit, que oui, bien sûr, c’est invraisemblable mais que le récit est métaphorique, qu’il ne faut pas s’en tenir à une interprétation réaliste comme je le faisais ! Les réparations que Jonas est amené à faire dans ce pays où tout est détruit, où plus rien ne marche, le répare lui-même, panse les blessures, atténue les cicatrices.
Jonas y apprend beaucoup de choses, évidentes mais que l'on oublie trop souvent, que c’est en s’occupant des autres, en agissant qu’il se sentira plus fort, que l’amour paternel et filial (c’est Nymphéa qui le lui dit) ne tient pas à un chromosome mais à l’amour, aux soins affectueux, au dévouement, au respect, au partage, et à tous les bons et même les mauvais moments d’une vie commune.
Finalement, malgré ce moment d'hésitation, j'ai aimé ce roman. La pensée d’Audur Ava Olafsdottir est simple, certains diront un peu trop gentille donc simpliste, mais je ne suis pas d'accord. Car l’optimisme, la foi en l’homme et au triomphe de la bonté, sont autant de baumes qui permettent de panser les Ör de notre vie personnelle, la noirceur de la haine, les horreurs des guerres.