Je suis vouée aux dystopies en ce moment ou aux romans post-apocalyptique si vous préférez. Quelle que soit leur appellation, c’est une rencontre dont je ne saurais me plaindre car les livres que j’ai lus sont des réussites : Voir Les buveurs de lumière de Jenni Fagan et Monde sans oiseaux de Karin Serres
C’est le cas de Dans la Forêt de Jean Hegland paru aux éditions Gallmeister qui, outre une dystopie, est aussi un livre de « nature writing ».
Eva et Nell, sa soeur aînée, se retrouvent seules dans leur maison isolée, en pleine campagne, à l’orée de la forêt, après la mort de leurs parents et une catastrophe planétaire. La situation est terrible : plus d’électricité, plus d’approvisionnement, les gens meurent de faim, des épidémies se propagent, les villes se vident faute d’habitants, la pénurie d’essence empêche les déplacements, plus de téléphone, d’internet, de radios, de télévision; toutes les communications avec l’extérieur sont impossibles. Les causes de la catastrophe sont assez floues, mais l’on sait que le monde est en guerre. Les deux jeunes filles vont devoir apprendre à survivre, d’abord avec l’illusion que tout va redevenir comme Avant, puis en sachant que la situation n’est pas réversible.
Le récit alterne entre plusieurs moments du passé, de leur enfance un peu marginale, avec des parents qui les font vivre dans la nature, à l’écart de la civilisation à laquelle elles aspirent, en rébellion contre ce genre de vie : Eva est danseuse, Nell veut entrer à Harvard … au présent où il faut trouver le courage de continuer en abandonnant toute illusion. Le danger est partout, la mort, la famine, la maladie, le découragement, l’envie de suicide, l’ours qui rôde dans la forêt; mais de tous, le plus dangereux, c’est l’Homme. Rescapé de l'ancienne civilisation, il abuse de son pouvoir et symbolise le Mal.
Jean Hegland peint avec beaucoup de lucidité les rapports entre les deux soeurs, les alternances amour-répulsion, la désespérance, la peur. Les jeunes filles sont très dissemblables de caractère, de goût et il ne faut pas oublier qu’elles sont très jeunes et vulnérables : Dix sept, dix huit ans.
Séquoïa géant Yosemite Park source |
La partie tournée vers le passé est intéressante mais c’est lorsque les personnages doivent affronter la réalité, après la catastrophe, que la lecture se révèle particulièrement passionnante. La nature devient alors mère nourricière, source de vie et c’est avec exaltation que Nell et, par la suite Eva, découvre toutes ces richesses qu’elles ne soupçonnaient pas jusqu’alors.
Je reste très sceptique sur le dénouement proposé par l’auteure pour qui la survie ne viendrait que du retour à la vie primitive mais j’ai toujours aimé, depuis Robinson Crusoé, ces « robinsonnades », qui montrent l’humain capable de tirer sa subsistance de la terre, de la forêt, de l’eau et de son intelligence. Un retour à la nature assez exaltant, que proposaient aussi les romans de Giono. Le mythe du bon sauvage à la Rousseau est aussi revisité à travers les lectures de Nell qui découvre le destin de deux femmes amérindiennes chassées par les blancs et qui ont réussi à survivre dans la forêt.
Séquoïa tombé |
L’écrivaine parvient à donner une puissance poétique à cette thèse à travers la description du tronc creux du séquoia géant tombé à terre, véritable caverne des origines où vont se réfugier les personnages comme dans un utérus maternel. C’est évidemment un symbole fort de cet abandon de la civilisation et du retour à l’essentiel.
C’est très beau et j'en aime le symbolisme et la poésie !
Ceci dit dans un monde réel, je ne parie pas deux sous sur la survie de deux femmes et d’un bébé dans une souche d’arbre pendant un hiver entier ! Je comprends très bien la dénonciation de la technologie abrutissante qui nous envahit, nous rend dépendants, nous éloigne de l’essentiel. Pour le reste, la négation du progrès n’a jamais été mon fort ! Celui-ci n’est en lui-même ni bon, ni mauvais, c’est l’usage qu’en font les humains qui le déterminent. Et Voilà ! retour à la case départ : Rabelais.
Il n'empêche que ce livre est bon, bien écrit, à la fois poétique et addictif et que j'ai beaucoup aimé sa lecture.
Et je découvre dans Le Monde une critique de Dans la forêt illustrée par une photographie de Aurélia Frey ICI
Voir Aifelle ICI ; Dominique ICI
Et je découvre dans Le Monde une critique de Dans la forêt illustrée par une photographie de Aurélia Frey ICI
Voir Aifelle ICI ; Dominique ICI
J'ai trouvé que la fin était une belle conclusion du livre, mais j'ai pensé aussi qu'une suite était totalement impossible .. J'en garde le souvenir d'une très bonne lecture, j'aime qu'un auteur m'emmène dans son imaginaire et là, il est riche.
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup ce roman même si je ne suis pas aussi jusqu'au-boutiste que Jean Hegland. Je ne suis d'accord que jusqu'à un certaine point!Que les jeunes filles cherchent à survivre grâce à la nature, à ce que leur donnent la terre, la forêt, les animaux, que cette expérience leur montre l'aspect négatif d'une technologie qui éloigne de l'humain, des valeurs, je suis d'accord aussi. Mais quand elles quittent la maison, les provisions qu'elles ont faites etc .. pour se livrer complètement à la nature, là je ne suis pas d'accord ! Ce n'est pas la nature qui les sauvera, ce sont elles-mêmes. Je ne crois pas à la bonté de la nature et je refuse la sélection naturelle;
SupprimerEn dépit de bons avis, je ne suis pas attirée par cette lecture, bizarre, non? ^_^
RépondreSupprimerBizarre ! parce que c'est tout à fait le genre de bouquin que tu aimes d'habitude !
Supprimerj'ai beaucoup aimé ce livre et même si effectivement la fin est un peu trop optimiste, encore que l'on ne sait pas vraiment ce qui va advenir
RépondreSupprimerun très bon roman, je regrette juste qu'aucun auteur français ne nous offre des récits comme celui là
Moi aussi, je le répète, j'ai beaucoup aimé ce livre. La critique que j'en fait ne concerne pas le roman lui-même qui est passionnant mais l'idéologie. Refuser les excès du progrès ou plutôt le mauvais usage que l'on en fait, c'est bien, mais nier tout ce que les progrès ont apporté à l'homme, c'est un peu léger ! Parce qu'enfin quand Hegland les envoie se réfugier dans la souche de l'arbre qui de plus est le refuge d'un ours, c'est les condamner à une mort certaine (en particulier, le bébé, sauf sélection naturelle et résistance exceptionnelle ). Cela ne me paraît pas le comble du bonheur ! La fin ne me paraît pas optimiste, elle me paraît utopique, d'un idéalisme un peu exacerbé : retour à la nature-Mère comme les peuples primitifs, en oubliant qu'ils étaient vieux à 20 ans et que la plupart des enfants mouraient en bas âge !
SupprimerOu alors on reste dans le symbole avec cette lecture mais pas dans le réel!
Mais que l'on ne soit pas d'accord, ne signifie pas que le roman est mauvais. Au contraire, il prête à discussion.
J ai déjà noté ce titre sur d autres blogs. L aspect dystopie me rebute mais la forêt m attire. Donc au hasard de mes visites en bibliothèque...
RépondreSupprimerTous les genres littéraires sont intéressants s'ils sont bien traités.
SupprimerPas trop attirée mais tu nous fais toujours aimer ou apprécier très fortement chaque lecture proposée.
RépondreSupprimerMerci ! C'est que je ne parle pas toujours des romans que je n'aime pas du tout !
SupprimerBeaucoup aimé ce roman et pris plaisir à lire ton billet, Claudialucia.
RépondreSupprimerJe n'y ai pas vu une négation du progrès - les deux sœurs espèrent tout un temps que le confort d'hier leur reviendra et l'évoquent avec nostalgie - mais plutôt une invitation à redécouvrir les ressources de la nature et le goût de la sobriété, le refus du gaspillage, toutes choses bien utiles à rappeler dans notre société d'hyperconsommation.
J'ai le même sentiment que toi pour la fin, que la romancière laisse peut-être plus ouverte qu'on ne l'imagine ?
Je suis tout à fait d'accord avec toi. C'est le vrai sens du roman. C'est le dénouement qui me gêne. Sous prétexte qu'elles sont attaquées par l'homme (qui reste le symbole du mal) elles brûlent leur maison, abandonnent une partie de leur récolte et se confient à la nature dans une souche ouverte à toutes les bêtes sauvages, qui ne les protègera pas assez du froid, et avec des provisions qui ne leur permettront pas de passer l'hiver. Ce n'est pas de savoir si elles survivront qui m'intéressent. C'est que je ne peux adhérer à cette idée d'une Nature toute bonne opposée à la civilisation toute mauvaise, une nature qui protège et qui sauve. On retrouve la question philosophiques habituelle et c'est pourquoi je pensais à Rousseau et à la réponse de Rabelais : "science sans conscience..."
Supprimerj'ai tout aimé dans ce roman qui a été un coup de cœur, pleinement, énormément.
RépondreSupprimerOui, je comprends le plaisir de lecture que tu as éprouvé... comme moi ! Mais voir les réponse ci-dessus et mes interrogations sur les questions philosophiques que soulève le roman..
SupprimerL'idéologie ne pas vraiment gênée, parce que je ne la trouve pas si présente que cela, même si je vois bien que l'auteure à ses idées, ses engagements. Mais à mon avis, elle évite l'écueil du roman à thèse pour proposer un authentique roman centré sur le destin de ses personnages. Une robinsonnade moderne. Une belle oeuvre lyrique, toute en douceur et en délicatesse. J'ai commencé l'année avec ce roman qui restera je pense l'une de mes plus belles rencontres littéraires de ces douze derniers mois.
RépondreSupprimerExcuse-moi, j'ai laissé passer ton commentaire; je suis d'accord, ce n'est pas un roman à thèse c'est à dire qu'elle évite la démonstration et crée des vrais personnages; c'est pourquoi j'ai aimé le roman.
SupprimerPar contre je ne peux être d'accord, comme je le disais ci-dessus, avec l'idée de la "bonne " nature et de la civilisation "mauvaise". On oublie trop vite ce que le progrès nous a apporté et si nous en faisons un mauvais usage, c'est à nous-mêmes qu'il faut s'en prendre. Très peu pour moi, l'idée du retour à la nature. Mes ancêtres ont vécu ça fin du XIX siècle et première moitié du XX siècle en Lozère dans une ferme sans électricité,sans eau et (peu) chauffée par une seule cheminée. Résultats, plusieurs générations de femmes sont mortes de la tuberculose.
Moi aussi, je n'ai aps tout aimé dans ce roman mais certains aspects sont évidemment intéressant. J'ai aussi trouvé l'article du monde avec l'illustration d'Aurélia Frey ( je voulais la mettre dans mon blog avec le copyright mais impossible de la télécharger... ce que je comprends :-))
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