Le recueil intitulé Des américains dans la ville, dans les éditions Librairie contemporaine d'Avignon, regroupe les textes de quatre écrivains américains en voyage à Avignon.
Georges Wickes qui a préfacé le livre écrit :
Il n'est pas étonnant que nos quatre écrivains aient vu la ville sous des jours différents. Songez à l'abîme qui sépare ce dix-neuvième siècle, qui savait si bien prendre son temps, de notre époque instable, le voyageur chevronné de celui pour qui son voyage en Europe est l'accomplissement d'un rêve d'enfant, l'homme du monde de l'institutrice novice, pour ne rien dire de l'anarchiste et du renégat. Entre la façon cossue de voyager d'un Henry James et la tenue d'ouvrier (pas encore à la mode à l'époque) d'un Jack Kérouac ployant sous son barda et essayant de faire de l'auto-stop pour économiser quelques sous, quel contraste! Et quel symbole des changements apparus dans le portrait de l'écrivain au long de quatre générations! Ce n'est pas tellement la ville qui change; ce sont les points de vue de l'écrivain, et, en conséquence, leur choix parmi les choses à voir."
Henry James ( 1843-1916) texte paru dans A little Tour in France en 1884
Grand voyageur, il fit trois séjours à Avignon, le premier sous la pluie où il se promit de revenir en des temps plus cléments, le second très rapide car il était en route pour l'Italie et le troisième qu'il relate dans A little Tour in France. Il descendit à l'Hôtel de l'Europe, un bel établissement à l'usage de la bourgeoisie huppée. Il présente Avignon sous une pluie incessante (encore!)et sous un jour assez noir. Il faut dire qu'au XIXème siècle le centre d'Avignon, son palais à moitié en ruines, transformé en caserne, ses quartiers mal famés de La Balance, aux maisons délabrées, était certainement moins plaisant qu'aujourd'hui! Voyageur érudit, cultivé, il procède par comparaison, toujours attentif à analyser ses sentiments, à convoquer des références culturelles. Il visite musées et palais mais rien ne semble trouver grâce à ces yeux si ce n'est ce qui, dans la ville, lui rappelle l'Italie. James se définissait lui-même comme un touriste sentimental, un chasseur du pittoresque.
Ce jardin (celui du Rocher des Doms) rappelle vaguement et de façon légèrement perverse les ombrages du Pincio à Rome. Je ne sais si c'est l'ombre de la papauté, présente en ces deux endroits, alliée à une vague ressemblance entre les églises qui semblent toutes deux défendre les lieux et auxquelles on accède, dans les deux cas, par une montée d'escaliers, mais chaque fois que j'ai vu la promenade des Doms, elle m'a transporté en pensée vers la terrasse aux dimensions plus nobles d'où l'on contemple le Tibre et Saint Pierre.
Willa Carter (1876-1947): Elle écrivit ces articles sur Avignon pour la presse locale de sa ville dans le Nebraska dans l'année 1902.
Elle aussi descendit à l'hôtel de l'Europe en 1902 par une journée caniculaire dont Avignon a le secret au mois d'août! C'était son premier voyage en Europe à 28 ans. Maîtresse d'école, elle n'avait pas encore écrit et n'était pas encore connue du monde de la littérature. Elle avait lu les écrits de James sur Avignon et l'on peut penser qu'elle devait épouver pour lui respect et humilité. Pourtant la ville l'enthousisama et elle prit le contrepied du grand écrivain. Son séjour d'Avignon laissa en elle des traces profondes et fit naître des sentiments qu'elle exprima plus tard, dans ses écrits, et qui l'accompagnèrent tout au long de sa vie. Son style assez lyrique exalte la beauté naturelle du site de la ville. Sa dernière oeuvre, interrompue par la mort, avait pour cadre l'Avignon du Moyen-Age.
En fin d'après midi, nous regardons le soleil allumer au front des Alpes ses changeantes apothéoses. Puis nous rallions la salle à manger gothique pour le dîner et la nuit descend, reposante, réparatrice, sur la Provence poussiéreuse et desséchée.
Henry Miller (1891-1980) Ses impressions se trouvent à la fin d'un passage d'écriture automatique intitulé " un samedi après midi" qu'il recueillit dans " Black Spring " publié à Paris en 1936.
Il est l'écrivain le plus éloigné de Henry James par son milieu, modeste, sa révolte contre les esprits bien pensants et contre l'hypocrisie d'une société puritaine. Irrévérencieux, volontiers provocateur, paillard, audacieux, il choisit de peindre un aspect d'Avignon d'un point de vue original -c'est un euphémisme- la ville vue à partir d'un urinoir! Il peut s'agir du souvenir d'une visite faite en 1928 au cours d'une randonnée avec sa femme à bicyclette dans le midi de la France ou d'un voyage accompli en 1930 quand il vivait à Paris.
Presque toujours les français ont choisi le bon endroit pour leurs urinoirs. Tout à fait par hasard, je pense à celui de Carcassonne... Et aussitôt j'en vois un autre : tout à côté du Palais des Papes, en Avignon.
Jack Kérouac (1922-1969) Extrait de "Grand voyage en Europe " publié dans une collection de récits de voyages appelée "Lonesome traveller" (1960)
Enfant de la "Beat generation", mais lui-même d'un milieu aisé, il est en révolte contre la société, semblable en cela à Henry Miller mais aussi très différent. Sa consommation de drogue, ses errances, le marginalisent. En 1957, lors d'un voyage de Tanger à Paris, il rêve d'un voyage en Europe et se fait une joie de fouler le sol français. Mais quand il arrive à Avignon, son enthousiasme s'est déjà bien atténué! Après s'être fait estamper à plusieurs reprises, La Provence, la France et les Français lui sont quelque peu odieux!
Je compris alors pourquoi c'étaient les Français qui avaient perfectionné la guillotine, non pas les Anglais, ni les Danois, ni les italiens, ni les Indiens, mais les français, mes compatriotes.*
* Il est issu d'une famille québecoise française originaire de Bretagne
Décidément, Avignon, n'emporte pas l'adhésion auprès de ces voyageurs américains de la fin du XIXème et première partie du XXème!