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dimanche 31 mars 2019

György Dragoman : Le bûcher


Le bûcher est le premier livre que je lis de cet auteur hongrois né en Roumanie en 1973, Gyorgy Dragoman. Ce dernier est plus connu, je crois, en France, pour son livre Le Roi blanc dont le personnage principal est un garçon. Ici, c’est une fille, Emma, qui est au centre de ce roman d’initiation pas comme les autres. Elle vient de perdre ses parents tués dans un accident de voiture et est adopté par sa grand-mère qui l’amène dans son village. Pourquoi ses parents ne lui ont-ils jamais parlé de l’existence de la vieille dame ? Pourquoi sont-ils partis de chez elle sans jamais vouloir la revoir et pourquoi les habitants du village la tiennent-ils à l’écart ? C’est ce que va découvrir la jeune fille.
Nous sommes en 1989, au moment de la chute de Ceauscescu. Toute la population panse ses plaies, pleure ses morts, disparus dans les geôles du dictateur, fusillés pendant les soulèvements qui ont jeté le peuple dans la rue pour conquérir la liberté. Tous recherchent les corps de leurs proches dans les charniers qui sont mis à jour peu à peu. L’heure est au règlement de comptes et bien des victimes du passé deviennent les bourreaux du présent, adoptant les mêmes méthodes barbares que leurs prédécesseurs. Les uns persécutent, torturent, tuent, les autres en profitent pour s’enrichir aux dépens d’autrui tandis que les anciens membres de la police politique se replacent et sévissent toujours. 
 Il pensait s'être battu pour que tout le monde ait accès à tout, pour que personne n'ait plus jamais peur. Pas pour que des types comme le père d'Ivan, qui n'étaient même pas là, rachètent petit à petit la moitié de la ville. Il a entendu dire que non content de posséder la tannerie, il venait d'acheter la patinoire. Il secoue la tête, à quoi ça peut servir de posséder une entreprise, toute une usine, il ne pourra jamais comprendre ça. Et puis, comment une usine peut-elle appartenir à une seule personne ? Lui, il n'a certainement pas affronté la mort pour que tout redevienne la propriété d'une seule personne.

Certes, il s’agit d’un roman d’initiation : Emma va à l’école, fait de la course d’orientation, aime le dessin, tombe amoureuse, se dispute avec sa camarade de classe Krisztina… Tout paraît presque normal mais tout est perverti par l’horreur du passé.
Cependant, ce qui est le plus original est la manière de traiter le sujet. Le récit est fait à la première personne par la jeune fille et l’emploi du présent de narration- tout au moins dans la traduction française - établit un décalage entre ce qui arrive à la fillette et ce qu’elle perçoit. On a l’impression que la fillette décrit ce qui lui arrive comme si les faits étaient en train de s’accomplir devant elle. C’est à dire qu’elle est à la fois actrice et spectatrice comme si elle décrivait une scène dont elle était absente ou qui ne la concernait pas. Une sorte de dédoublement se crée, pendant lequel tous les gestes sont décomposés, comme projetés sur un écran, au ralenti .
« J’attends. je regarde le parc de la fenêtre. De chaque côté de l’allée, il y a des oiseaux perchés en haut des peupliers dénudés. Ce sont des corneilles.
J’observe les corneilles. J’attends.
Je me demande ce que la directrice me veut.
Cela fait presque six mois que je suis à l’internat.Tout le monde est gentil avec moi, les élèves, les profs, les surveillantes. Elles sont désolées de ce qui est arrivé à mes parents.
Je regarde l’arbre. Je ne veux pas penser à eux. J’attends.
la porte s’ouvre enfin.La directrice me dit : «  tu peux entrer ».
J’entre.


Cet emploi du présent, ces phrases courtes, réduites au minimum, m’ont d’abord un peu arrêtée mais il faut persévérer car l’univers qui entoure Emma va s’animer d’une vie étrange, envoûtante où tous les sens participent, les bruits, le goût, les matériaux, leurs couleurs, leur contact, tout est noté avec minutie. C’est de la pure poésie. Les objets prennent une importance primordiale. Parfois, ils sont vus en si gros plan que l’on hésite à les reconnaitre, parfois ils semblent doués de vie à la fois par la force de l’imagination de la fillette et aussi peut-être parce qu’ils le sont réellement !  Entre réalisme et fantastique !
Ensuite les racines se racornissent, noircissent, prennent feu, gesticulent comme des petites pattes insectes, les touffes d’herbe rougeoient et brasillent, l’ensemble fait penser à une grande araignée de braise, velue, elle court le long de la branche, contourne les lettres en feu, s’arrête tout haut, se hisse comme pour regarder autour d’elle, son regard se pose d’abord sur moi, ensuite sur grand mère, revient sur moi, elle se recroqueville en crépitant, je sais qu’elle veut sauter du feu pour venir nicher dans mes cheveux.

Car il se passe de drôles de choses dans cette maison. La grand-mère est une sorcière, elle pratique des rites de sorcellerie avec de la farine, le fantôme du grand-père est souvent là, bienveillant, il guide la jeune fille, les poupées en chiffon pleurent et témoignent peut-être du douloureux passé de grand-mère. On ne sait jamais trop bien ce que voit l’enfant et ce qu’elle imagine.
Deux taches de buée de forme ovale, entremêlées, apparaissent sur la vitre, elles me font penser à l’hiver, au souffle blanc qui s’échappe des narines. Je recule notre un peu, les taches commencent à s’étendre, une forme humaine se dessine, c’est comme si quelqu’un se penchait vers la vitre, qu’il s’y appuyait des deux mains, et plaquait son visage entre ses mains, pour voir de l’autre côté.
Le dos des livres se profile dans la brume, mais je vois toujours ce visage blanc de l’autre côté de  la vitre, il est vieux, mal rasé. C’est grand-père.


Le récit de la grand-mère s’insère dans celui de sa petite-fille, tandis qu’elle lui raconte l’histoire de sa petite amie Bertuka, juive, et de toute sa famille pendant la deuxième guerre mondiale, celle du grand-père et du grand secret qui pèse sur elle. Deux lourdes périodes historiques de la Roumanie (mais aussi de la Hongrie) qui font de l’Europe centrale, piétinée, occupée, démantelée, déchirée, une terre de souffrance et de deuil.
A travers ce double récit se construisent deux portraits de femmes, solides, courageuses, volontaires, qui font leur choix, souvent difficile,  avec lucidité. Marquées par le passé qui expliquent peut-être leur étrangeté, à moins que ce ne soit leur qualité de sorcière - et pourquoi pas ? puisque nous aimons croire au surnaturel - , elles font passer la sincérité de leurs sentiments et l’amour avant tout. 

Le tout forme un roman étrange et déconcertant, souvent poétique et cruel.  Cruel, oui ! Il ne vous laisse pas en repos mais si parfois vous regimbez à y entrer, Gyorgy Dragoman vous rattrape toujours par cette manière de transcender la réalité, non pour la rendre plus belle, mais plus acceptable et peut-être même pour y puiser de la force.

Gyorgy Dragoman

 Nationalité : Hongrie
Né(e) à : Targu Mures (Roumanie) , le 10/09/1973
Biographie :

György Dragomán est un écrivain et traducteur roumano-hongrois d'expression hongroise.

En 1988, György Dragomán et sa famille quittent la Roumanie et émigrent en Hongrie. Il effectue ses études secondaires à Szombathely, puis de 1992 à 1998, il entre à l'Université Loránd Eötvös (Budapest) afin d'étudier l'anglais et la philosophie, puis s'inscrit au Eötvös József Collegium et au Láthatatlan Collegium.

De 1998 à 2001, il reprend le chemin de l'université de la capitale hongroise pour un doctorat de littérature anglaise moderne.

Son deuxième roman, A fehér király paraît en 2005 et reçoit, en Hongrie, les prix Déry Tibor et Sándor Márai. Le livre est traduit dans plus de vingt pays et c'est Gallimard qui le publie, dans sa collection Du monde entier, la traduction française, due à Joëlle Dufeuilly, sous le titre Le Roi blanc.

Parallèlement à son activité de romancier, György Dragomán traduit en hongrois des auteurs britanniques, entre autres, Samuel Beckett, James Joyce, Ian McEwan, Irvine Welsh. (Source : wikipédia )



vendredi 22 mars 2019

Kalman Mikszath : Le parapluie de Saint Pierre


Le parapluie de Saint Pierre de Kalman Mikszath est un roman plein d’humour, au rythme enlevé, qui m’a amusée du début jusqu’à la fin. Il raconte l’histoire d’un parapluie rouge qui passe de main en main et est à l’origine de grands chamboulements dans la vie des personnages principaux, le curé Janos Bélyi, sa petite soeur Veronka qu’il élève, et la famille Gregorics dont l’avocat Gyuri, un bien sympathique jeune homme. Cet objet miraculeux aurait même sauvé la vie du bébé Veronka, ressuscité un mort et il confère un décorum sans précédent à tous les enterrements des villageois. Bref, depuis que Saint Pierre l’a déposé, on ne peut plus s’en passer à Glogova !
Divisé en cinq parties, le roman se déroule entre 1870 et 1885 en Hongrie, en particulier dans le petit village de Glogova, situé en Slovaquie qui appartient alors à la Hongrie de l’Empire austro-hongrois des Hasbourg. On y parle plusieurs langues et plusieurs nationalités se côtoient.
La première partie intitulée La légende qui fait intervenir Saint Pierre lui-même, pas moins, est un petit chef d’oeuvre d’humour qui n’est pas sans rappeler le ton d’un roman de Pagnol ou d’un conte de Daudet. C’est bon, les miracles qui transforment les pingres Glogovains (oh! ce nom!) en généreux donateurs ! La deuxième est un retour en arrière qui va expliquer la véritable histoire du parapluie mais quand la réalité s’en mêle, c’est pour introduire un autre mystère ! Enfin les trois autres divisions lancent l’avocat Gyuri à la recherche de ce parapluie, dans une quête qui ne se départit jamais de cet humour vif, de ce ton léger et plaisant même s’il se révèle parfois satirique envers les ruraux aussi bien que les bourgeois. Ce voyage dans la Hongrie de l’époque offre une peinture enlevée du pays, de ses paysages, de ses coutumes et  surtout de ses habitants hauts en couleurs. Kalman Mikszath n'est pas en reste quand il s'agit de brosser les portraits des jeunes héros, Veronka et Gyuri, tous les deux naïfs, un peu sots tant ils sont ignorants de leurs propres sentiments, mais gentils et sympathiques. Et bien sûr, un Happy end !

Un récit vraiment très agréable et original.


Kalman Mikszath

  Kálmán Mikszáth (16 janvier 1847 - 28 mai 1910) fut un romancier, journaliste et homme politique hongrois.

Mikszáth est né à Szklabonya (aujourd'hui Sklabiná, située en Slovaquie) dans une famille de la petite noblesse hongroise, sous l'empire des Habsbourg. Il fit des études de droit à l'université de Budapest de 1866 à 1869 sans obtenir de diplôme et écrivit pour de nombreux journaux hongrois, dont le journal de Pest.

Ses premières nouvelles décrivaient la vie de paysans et d'artisans; malgré leur faible popularité, s'y manifestait son talent pour forger des anecdotes humoristiques qu'on allait retrouver dans ses oeuvres ultérieures. Nombre de ses romans commentaient la société, parfois d'un ton satirique, et devinrent de plus en plus critiques envers l'aristocratie, et le fardeau que celle-ci, selon Mikszáth, avait donné à la société hongroise.

Mikszáth fut membre du parti libéral hongrois et fut élu en 1887 à l'Assemblée Nationale de Hongrie.  (Source : Wikipedia)




mardi 19 mars 2019

Gyula Krudy : Sept hiboux



Le roman de Gyula Krudy, grand romancier hongrois, intitulé Sept Hiboux, est paru en 1922. Krudy a 44 ans. Le roman se déroule dans les années 1890, à Budapest, à une époque où il a lui-même 22 ans.
Budapest  : Antal Berkes peintre hongrois

Ce qui m’a frappée d’abord, dès les premières pages, c’est l’accumulation de détails précis, topographiques, sociologiques, ethnographiques que donne l’auteur : les lieux de la ville, rues, places, bâtiments, que l’on peut retrouver avec exactitude (je les chercherai quand j’irai à Budapest au mois de mai) sauf ceux qui ont aujourd’hui disparu; les coutumes selon les saisons et les fêtes, la manière de s’habiller, en particulier des dames, les classes sociales, les petits métiers, les noms de cafés, des tavernes, les noms de tous les écrivains, journalistes, hommes politiques, tout y est consigné comme si l’écrivain avait pris des notes pendant des années ou jouissait d’une mémoire phénoménale pour faire revivre tous les aspects de sa ville de Budapest.
Nous faisons connaissance du milieu des éditeurs, dans des imprimeries où s’activent des ouvriers intoxiqués par les vapeurs du plomb, et avons vu comment les auteurs, sans le sou, sont obligés de faire leur cour, subissant le mépris non déguisé de leur éditeur. Gyula Krudy dénonce un milieu qu’il connaît bien et se livre à une critique féroce de ces grands patrons qui, tout en exploitant leurs ouvriers et leurs auteurs, préfèrent choisir non la qualité des ouvrages qu’ils impriment mais ce qui leur fera gagner le plus d’argent. La satire n’épargne pas les écrivains désargentés, qui cultivent leur malheur, traînent dans les tavernes des mines désespérées et se font nourrir par leur vieille maîtresse qu’ils dédaignent par ailleurs.


Une foule de détails absolument incroyable ! Je suis restée bouche-bée devant la description - quatre pages- sur les sourcils, les cils, les cheveux des femmes, en particulier sur les bouclettes des brunes qui, selon leur forme respective, témoignent de la sensualité de chacune et livrent tout de leur intimité Une page aussi est consacrée aux différentes sortes de baisers ! L’étonnement que j'ai ressenti à la lecture vient bien de la précision des descriptions presque entomologistes qui a la femme, en particulier, mais pas seulement, comme sujet d’étude, alliée pourtant à une certaine poésie.

Par simple observation des cheveux, leur épaisseur, leur longueur, les ondulations, il perçait à jour l’intimité des femmes qui lui étaient complètement inconnues, ce qui lui causait des émotions dont il se serait bien passé. 
Au départ, j’ai été accablée par cette somme d’érudition, cette profusion de détails précis, j’ai vraiment eu peur de m’ennuyer et ceci d’autant plus que toutes ces allusions à des personnages célèbres ne me parlent pas! Je ne les connais absolument pas ! Et puis je me suis laissée prendre par le style, sa vigueur qui transmet les sensations les plus diverses, les odeurs, les bruits, le froid de l’hiver bleuté, les flocons de neige brûlants comme des baisers sur les voilettes des dames, le passage du vent : j’aime c’est cette façon de passer du détail le plus infime pour tendre vers ce qui est plus large, plus général, comme si la vision s’élevait et permettait de voir plus loin, toujours plus loin, bien au-delà de la ville.


… à la période de Noël où les fêtes des saints patrons se disposent en cercle autour de la naissance du petit Jésus, l’odeur du vent était particulière, comme s’il concassait, lui-même les noix et le pavot des gâteaux, comme s’il portait sur ses ailes, même là où l’on ne célèbre pas les fêtes, l’odeur des bougies que l’on moule. Mais le vent pouvait avoir un parfum sauvage, à la fin de l’automne par exemple, lorsqu’il répandait dans le monde les clameurs des rabatteurs de gibier, les histoires contées par les usagers des moulins, les cris des garde champêtres, les chansons égayées par le vin nouveau, les gémissements des épouvantails dans les champs. »

Cette période « fin de siècle » si finement décrite introduit le personnage de l’avocat Szomjas Guszt, un homme distingué, d’un âge avancé qui arrive à Budapest pour se loger au Sept Hiboux, un immeuble de location où il a vécu pendant sa jeunesse estudiantine. Il veut revivre sa jeunesse en ressuscitant les souvenirs enfuis. C’est un vieillard (près de 70 ans), passé de mode, mais qui prône une certaine sagesse, une philosophie bonhomme qu’il a acquise avec l’expérience. Un personnage curieux, un peu ridicule parfois, mais finalement attachant.
L’autre personne principal masculin est Joszias, écrivain encore peu connu mais qui a pourtant publié plusieurs ouvrages. Cette courte renommée fait de lui un Dom Juan irrésistible auprès des dames mariées et romantiques, qui cherchent un peu de changement, de piment et de poésie dans leur vie réglée d’épouses de vieux bourgeois prosaïques. Il est amoureux de Szofia, jeune femme mariée, avant de le devenir d’Aldaska, jeune fille innocente. De plus, il cherche à se débarrasser de son ancienne conquête, trop vieille (44 ans) Leonora : une belle page sur les sentiments de la femme de quarante ans qui a peur de vieillir, de ne plus être aimée !

Peu à peu le ton devient grave, la mort s’introduit dans le récit et donne lieu à des pages d’une noirceur extrême sur les ramasseurs de cadavres des suicidés, ressemblant eux-mêmes à des morts vivants, et la visite à la morgue nous fait pénétrer dans un monde au-delà du réel. Passages glaçants, d’un réalisme qui touche au fantastique et qui culmine lors de la promenade sur l’île Marguerite, où Joszias et Szofias découvrent le Danube gelé, hérissé de blocs de glace, les arbres couverts de givre, au milieu d’une blancheur qui convoque les âmes des suicidés. Magnifiques pages! La promenade sur le Danube en débâcle au milieu des spectres est impressionnante mais fait ressortir d'autant plus le ton de farce qui suit cette épisode. Curieux contraste qui met le lecteur sens dessus dessous ! On est sans cesse pris entre le comique, la satire ironique, voire cruelle et désabusée de la société, et la tragédie.


Multiplication des registres, richesse des descriptions, richesse des thèmes, ce livre est donc extrêmement dense et touffu. J’ai parfois éprouvé de l’impatience à la lecture, et j'ai eu du mal à y entrer au début, mais j’ai toujours été retenue par ce talent littéraire très particulier qui parvient à créer une atmosphère, qui nous transporte dans une société dont on sent qu’elle est très loin de nous, désuète, entièrement disparue et pour cela précieuse. Une vision qui est à la fois très critique et poétique et qui passe de la nostalgie à l’amertume et à la tragédie. On y sent la griffe d’un grand écrivain !





Gyula Krudy

Nationalité : Hongrie
Né(e) à : Nyiregyhaza , le 21/10/1878
Mort(e) à : Budapest , le 12/05/1933
Biographie :
Né d'un père avocat issu de la petite noblesse, dont il tient le nom et le prénom, et d'une mère issue du monde rural, Julianna Csákányi, Gyula Krúdy est le premier-né parmi les 7 enfants que compte sa famille. Il étudie au lycée de Szatmárnémeti (auj. Satu Mare) (1887-1888), puis à Podolin (auj. Podolínec) (1888-1891), puis de nouveau à Nyíregyháza (1891-1895), où il passe son baccalauréat en juin 1895. Il devient ensuite journaliste, travaillant d'abord à Debrecen, puis à Nagyvárad (auj. Oradea). Krúdy publie sa première nouvelle à l’âge de quinze ans. En 1896, quand il s'installe à Budapest, il a déjà une centaine de publications à son actif. Il connaît rapidement le succès et devient très populaire grâce à "Sindbad". Il gagne l’estime des milieux littéraires qui le saluent pour ses innovations littéraires. Il écrit dans la plupart des grands journaux et des revues de son époque comme le célèbre Nyugat (Occident) dont il est l’un des principaux rédacteurs dans les années 1920. En 1899, il se marie avec une institutrice nommée Bella Spiegler (de son nom d'écrivain Satanella). Plus tard, il la quitte pour Zsuzsa Rózsa. Son apparence seule a suscité une foison de légendes : « Prince de la Nuit », joueur, coureur de jupons invétéré… Amateur de vin et fin gourmet, il aimait passer son temps dans les restaurants et les cafés, mais aussi dans les tavernes des quartiers populaires. Il a néanmoins écrit près de 90 romans, plus de 2500 nouvelles et plusieurs milliers d’articles de journaux. La situation politique trouble après la Première guerre mondiale et les conséquences du Traité de Trianon (1920) ont causé de graves problèmes existentiels à beaucoup de Hongrois. Krúdy a passé les dernières années de sa vie dans une pauvreté extrême, aggravée par des problèmes de santé, parce qu’il ne pouvait plus travailler suffisamment. Le prix Baumgarten (1930) et le prix Rothermere (1932), reçu grâce à Kosztolányi, alors Président du Pen club hongrois, l’ont un peu aidé, mais il était déjà trop endetté. Il s'est éteint seul dans sa maison du Vieux-Buda où l’électricité avait été coupée. Il avait 55 ans. Les journaux ont publié la nouvelle de sa mort sur leurs unes. À son enterrement où l'orchestre tzigane de sa ville natale a joué sa chanson préférée, une foule s’est rendue composée d’écrivains, d’éditeurs, de jockeys, d’anciennes maîtresses, de garçons de café, de filles de rue… La Hongrie officielle n’a pas souhaité de s'y faire représenter. (voir bio babelio)

samedi 16 mars 2019

Magda Szabo : Abigael



Le livre de Magda Szabo, Abigaël, est un roman d’initiation. C’est l’histoire de Gina, jeune fille de la bourgeoisie aisée, élevée par un père aimant, attentif et indulgent et par une gouvernante française intelligente et affectueuse. Tout sourit à la jeune fille lorsque son père l’envoie en pension loin de la capitale dans un monde austère d’où les plaisirs et la beauté sont exclus, loin du luxe et de la vie plaisante qu’elle menait à Budapest. La souffrance d’être séparée de son père adoré et admiré ajoute à la révolte de Gina.
Dans cette institution calviniste, les jeunes filles doivent obéir à une discipline quasi militaire et consacrer leur vie à Dieu et à leurs études, sachant que leur conduite - qu’elle soit bonne ou mauvaise- ne les sauvera pas si Dieu ne l’a pas décidé ainsi à leur naissance ! Un déterminisme d’autant plus difficile à supporter que Gina avait l’habitude de la liberté, de la discussion, des plaisirs culturels, des divertissements, bals, théâtre… La description de l’établissement, de ses règles qui en brimant la spontanéité détruisent aussi toute sincérité, la présentation de cette philosophie religieuse, puritaine, qui refuse tous les plaisirs de la vie est un des grands intérêts du roman.

Dure initiation donc pour cette charmante jeune fille et ceci d’autant plus que nous sommes en 1943 et la Hongrie, alliée à l’Allemagne nazie, va bientôt subir ses premiers revers. Mais alors que la guerre avec ses privations, ses alertes aériennes, son couvre-feu, est au centre du roman, elle apparaît comme secondaire tant les jeunes filles enfermées dans cet établissement aux règles religieuses strictes semblent vivre dans un monde à part, occupées seulement par des soucis de collégiennes. Peu à peu, l’intrusion de la vie réelle bouscule leur existence. L’antisémistisme sévit, les lois raciales s’étendent jusqu’à elles et pénètrent dans l’établissement, menaçant certaines d’entre elles. La Résistance s’organise pour lutter contre l'armée allemande qui occupe le pays. La menace qui plane finit par rejoindre Gina elle-même dans une terrible et effrayante sortie de l’enfance.

Le récit est fait à la troisième personne, selon le point de vue de Gina, et bien qu’elle soit intelligente et mature pour ses quinze ans, le ton ne se départit pas d’une certaine naïveté et d’une fraîcheur de l’enfance qui fait que l’on se sent proche d’elle, que l’on partage ses chagrins, ses révoltes, ses peurs aussi. Le lecteur adulte ne peut s’empêcher de sourire de son manque de clairvoyance à propos de la statue d’Abigaël, la confidente et la protectrice de toutes les élèves en difficulté. Son aveuglement, lié à ses partis pris envers ses professeurs et les gens qui l’entourent, nous la rendent plus proche ! Alors même qu’elle est dotée d’un grand sens de l’observation, elle ne cesse de faire des erreurs de jugement qui lui font très mal. Une façon de grandir parfois bien douloureuse. Le personnage avec ses défauts et ses qualités est donc très attachant et, de plus, Magda Szabo peint avec dextérité et sans manichéisme toute une galerie de portraits bien campés et complexes, des adultes aux enfants, compagnes de Gina.

Un livre passionnant, une tranche de vie individuelle inscrite dans un moment  tragique de l’histoire de la Hongrie.


Voir aussi l’excellent roman de Magda Szabo : La Porte ICI

 Magda Szabo

Né(e) à : Debrecen , le 05/10/1917
Mort(e) à : Kerepes , le 19/11/2007
Biographie :  Babelio

Magda Szabo est née en Hongrie. Ses premiers écrits sont publiés au lendemain de la Seconde Guerre mondiale mais, après 1948, pour des raisons politiques, elle disparaît de la scène littéraire.  Lorsque ses livres ressortent en librairie à la fin des années 50, l'accueil est enthousiaste.

Depuis, récompenses et traductions à l'étranger se succèdent, notamment le prix Pro Urbe Budapest en 1983, le prix Csokonai en 1987, le prix Getz en 1992, le prix Betz Corporation en 1992 et le prix Femina étranger en 2003 pour "La porte". Magda Szabo est devenue une figure majeure des lettres hongroises.

 




C'est  avec un peu de retard que je rejoins Eva, Patrice et Goran mais il est encore temps - et pour vous aussi- de les rejoindre pour ce mois de Mars dédié à la littérature de L'Europe de l'Est.

 Souvenez-vous, c’est l’an dernier qu’est né Le mois de l’Europe de l’Est d’Eva, Patrice et Goran. Et ce dernier revient, toujours en mars. Voici en quoi celui-ci consiste.
Vous l’aurez compris, lors de ce mois de mars, il va être question de littérature, tout genre confondu (roman, essai, poème, BD, livre jeunesse, etc.), d’Europe de l’Est. Lorsque vous aurez rédigé votre critique, comme vous le faites avec n’importe quel autre texte, il ne vous restera plus qu’à préciser que celle-ci a été rédigée dans le cadre du célébrissime mois de mars. Enfin, n’oubliez pas de venir partager votre article chez Goran ou bien chez Eva et Patrice. Si vous le préférez, vous pouvez aussi utiliser nos contacts via ces liens (ici et ici.). Début avril nous rédigerons un article récapitulatif. Par ordre alphabétique voici la liste des pays acceptés :
– Albanie
– Biélorussie
– Bosnie-Herzégovine
– Bulgarie
– Croatie
– Estonie
– Hongrie
– Lettonie
– Lituanie
– Moldavie
– Monténégro
– Pologne
– République de Macédoine
– République tchèque
– Roumanie
– Russie
– Serbie
– Slovaquie
– Slovénie
– Ukraine
Si vous avez des questions, n’hésitez pas à nous les poser. Toujours est-il que nous vous espérons tout aussi passionnés et passionnants que l’an dernier ! Et surtout que ce Mois de l’Europe de l’Est vous apportera de merveilleuses découvertes littéraires. Enfin, nous rappelons que vous pouvez utiliser notre visuel afin d’illustrer vos articles. Par avance, merci de faire vivre ce mois de mars qui ne serait pas possible sans votre participation.
Voici pour rappel le lien vers le bilan du Mois de l’Europe de l’Est 2018 qui avait rassemblé 22 blogueurs et 99 billets !
A très bientôt
Eva, Patrice & Goran

jeudi 12 avril 2018

Sandor Marai et Michel-Ange dans La nuit du bûcher

Michel Ange : La pieta de Rome

Dans La nuit du bûcher de Sandor Marai (Voir Ici), le moine défroqué s'enfuit de Rome et passe par Florence pour se réfugier à Genève.
Après avoir vu la Pieta de Rome sculptée par l'artiste dans sa jeunesse, il découvre celle de Florence, oeuvre du sculpteur âgé.

Michel Ange : La Pieta de Florence

"Dans la cathédrale sur la grande place j’ai vu la Pieta que cet artiste romain au nez cabossé a sculptée. Mais cette Pieta florentine n’est pas aussi douce ni sereine que la romaine. (..) 

La Pieta de Rome

"Au-dessus du groupe s’élève la figure d’un vieillard encapuchonné et vêtu d’une cape -on dit que le sculpteur qui l’a réalisée dans sa vieillesse a taillé dans la pierre le visage de cette statue à son image. Ce vieil homme ne demande rien. Il se contente de regarder. Il pose son regard sur les souffrants, sur La Vierge et sur le corps humain supplicié. Aucune expression de colère sur son visage. En contemplant cette statue, je me suis souvenu des mots du padre Alessandro quand il avait mentionné que le vieux maître écrivait des poèmes, dont l’un évoquait la lumière que l’homme ne perçoit qu’au-delà de la mort. En m’attardant sur le visage pierre, je n’ai pas pu m’empêcher de penser que, dans la réalité de la mort, cette lueur s’éteint. Celui qui croit que l’on peut mêler notre Seigneur aux querelles humaines est d’un égoïsme et d’une bêtise coupables. Les hommes sont des nigauds en espérant qu’ils peuvent entraîner Dieu dans la misère humaine et lui demander de prendre parti, de s’engager, de punir et de récompenser. Le regard du vieil homme plonge dans l’abîme avec l’indifférence de celui qui n’espère plus aucune réponse de Dieu. Dans la Pieta de Rome, le visage de la Vierge Marie à la fois apaisé et douloureux dit encore que le Sacrifice a quelque signification. Le vieillard de la Piété florentine a l’air de savoir, lui, que le Sacrifice n’a aucun sens."

La pieta de Florence Michel Ange
En observant cette statue de marbre dans la grande église de Florence, je me suis rendu compte que cette figure-là, je l'avais vue dans la réalité, quelques jours auparavant et vivante : l'hérétique*, l'homme que les confortatori harcelaient dans la cellule du condamné à mort à la Tor di Nona pour qu'il abjure, fixait lui aussi l'espace de cette manière indifférente. On dirait que les grands artistes -comme fut Michel-Ange- perçoivent la réalité non pas dans le monde mais à l'intérieur, à l'intérieur d'eux-mêmes. Je ne comprends rien à tout cela mais je rapporte la façon dont je l'ai perçu.

* Giordano Bruno

lundi 9 avril 2018

Sandor Marai : La nuit du bûcher



Dans La nuit du bûcher de Sandor Marai paru aux éditions Albin Michel, nous sommes à Rome en 1598 au temps de l’Inquisition.
Le narrateur qui écrit à un des frères de son ordre est un moine espagnol du monastère des Carmes d’Avila. On sait dès la première page qu’il ne reviendra jamais à Avila. Il nous reste à apprendre pourquoi.
Inquisiteur, il est envoyé à Rome par son supérieur pour prendre des leçons auprès du Saint-Office catholique romain. L’inquisition espagnole, en effet, pourtant zélée comme chacun sait, accusait un peu de retard par rapport à Rome dans la chasse des hérétiques et leur punition. C’est avec beaucoup de sérieux et de conviction que notre jeune moine s’instruit. Pendant ces deux années d’étude, les tortures, la manière d’obtenir des rétractations et des repentirs, et les différentes façons de brûler les impies, n’ont plus de secrets pour lui. C’est ainsi qu’il aide les inquisiteurs romains et les confortateurs, laïcs qui les assistent, à sauver l’âme des hérétiques en livrant leur corps à la flamme du bûcher pour les purifier. L’ombre de Torquemada règne sur eux et ils sont persuadés de venir en aide au supplicié en l’arrachant à l’hérésie et donc à la damnation. Les autodafés leur apportent à tous le réconfort du devoir accompli. Et pourtant le jour où le narrateur voit brûler Giordano Bruno, il sait qu’il ne pourra plus reprendre la vie monastique à Avila au sein de l’Inquisition espagnole. Je ne vous en dis pas plus !

« Certes nous inquisiteurs espagnols voués à servir le Saint-Office connaissons bien des choses. Mais j’ai été surpris de constater à quel point la surveillance romaine est bien plus développée et efficace que chez nous. (…) Alors s’est déroulé lentement devant moi le jeu d’une prévoyance magnifique orchestrée par la Sainte Inquisition en vue de surveiller la vie privée des gens, ici, à Rome mais aussi sur l’ensemble du territoire italien, partout où s’active l’Inquisition. J’ai été empli d’admiration et de zèle en me rendant compte à quel point tout ce que l’on accomplit chez nous en Espagne sur ce plan-là est imparfait et primitif. La plupart du temps nous nous contentons de brûler tous ceux qui sont soupçonnés d’hérésie et ne peuvent attester de leur innocence. Ici à Rome, on est plus exigeant : on veut débusquer chez chacun le moindre manquement à servir les buts de l’inquisition. Les indolents sont tout aussi dangereux que les hérétiques actifs et véritables... »

Le roman est donc une dénonciation des horribles pratiques de l’Inquisition. La violence est soulignée par la sérénité et la bonne conscience des inquisiteurs et de leurs complices. Mais bien vite, sous la description de ce fanatisme religieux, apparaît au second degré, la dénonciation des totalitarismes vécus par Sandor Marai, du nazisme au stalinisme.

L’habileté de Sandor Marai - qui fait la force du roman-  est nous faire découvrir l’Inquisition non par l’intermédiaire d’un détracteur mais au contraire par quelqu’un qui y adhère entièrement ! D’où une ironie féroce  qui frappe le lecteur de plein fouet quand le narrateur s’extasie sur les mérites supérieurs de l’Inquisition romaine par rapport à l’espagnole et sur la perfection du système mis en place pour encourager la délation, les souffrances des prisonniers, et l’interdiction de penser par soi-même!
 Ce roman passionnant se termine par une très belle déclaration sur la liberté dans laquelle Sandor Marai exprime sa foi en l’homme et dans le triomphe de la pensée.

« Il est à craindre que tant qu’un tel homme* existe quelque part, il soit vain de faire frire les autres sur le gril, de les cuire dans l’huile et de les casser sur la roue. J’avais appris que la Sainte Cause était plus important que tout, qu’il fallait un Seul Berger et un Seul Troupeau. Mais c’était avant d’être frappé comme par la foudre par un doute effrayant : un homme peut compter plus qu’un troupeau »


* Giordano Bruno a existé. La photographie de la première de couverture aux éditions Albin Michel représente sa statue érigée sur le campo del Fiori à l’endroit où il a été brûlée comme hérétique en 1600.
Giordano Bruno est un ancien dominicain, humaniste et philosophe, proche des idées  de Copernic, il publie des écrits jugés blasphématoires. Torturé, gardé prisonnier pendant huit ans ,  il n’accepte pas de de rétracter et meurt sur le bûcher .



Sándor Márai, né Sándor Grosschmid de Mára (Márai Grosschmid Sándor Károly Henrik en hongrois) le 11 avril 1900 à Kassa, qui fait alors partie du Royaume de Hongrie dans l'Empire austro-hongrois (aujourd'hui Košice, en Slovaquie), et mort le 22 février 1989 à San Diego, aux États-Unis, est un écrivain et journaliste hongrois (Wikipedia)

samedi 18 février 2017

Pause voyage : Venise et son carnaval

Carnaval de Venise (Source)

Et voilà, je suis là !  A bientôt !

Dezső Kosztolányi poète hongrois

Venise

Venise, cloches du midi

Les feux vieillissants de ma vie.
À présent c’est midi.
Ô feu ! Ô silence du vent ! Ô trêve !

Il n’y a plus de travail, mais les champs sont féconds,
les fleurs poussent,
le silence est si sage et infini.

J’accoste sur les rives du feu,
et le silence et midi
se lancent un ballon d’or…



 

mardi 27 janvier 2015

Ferenc Karinthy : Epépé

Epépé de Ferenc Karinthy aux éditions Zulme, roman paru en Hongrie en 1970.
Epépé Editions Zulma





Ferenc Karinthy est un écrivain hongrois né à Budapest le 2 juin 1921 et mort à Budapest le 29 février 1992. Il est le fils du célèbre écrivain et journaliste hongrois Frigyes Karinthy





 Epépé De Ferenc Karinthy (1970)


Budaï, linguiste distingué, s'envole de Budapest pour se rendre à un colloque à Helsinki où il doit faire une intervention. Il dort pendant le trajet et lorsqu'il se réveille et descend de l'avion il s'aperçoit qu'il est dans une ville étrangère et qu'il ne parvient ni à comprendre les habitants ni à se faire comprendre malgré les nombreuses langues qu'il pratique. Que s'est-il passé ? S'est-il trompé de destination? Dans quel pays a-t-il atterri? Quelle est cette ville étrangère où les habitants sont si nombreux qu'il faut faire des queues interminables pour pouvoir se restaurer? Budaï d'abord confiant plonge dans un cauchemar dont il ne semble pas pouvoir s'échapper!

Un monde absurde

 

Première de couverture chez Denoël, une ville tentaculaire

 


C'est donc dans un monde absurde que nous sommes plongés, ce qui fait dire dans le prologue à Emmanule Carrère que «Pérec aurait adoré ». On a aussi dit à propos de Epépé qu'il dépeignait un univers kafkaïen déshumanisé, angoissant et privé de sens..
Un des premiers plaisirs du roman tient à la réaction du personnage qui va nous amener avec lui dans une enquête linguistique et ethnographique. Imaginons-nous dans le même cas ! Quelle serait notre panique ! Pourtant Budaï ne se décourage pas. Il cherche à percer les mystères de cette drôle de langue qui ne semble avoir aucune racine et dont le même mot semble changer chaque fois qu'il est prononcé : «Mais il a beau poser et répéter ses questions dans toutes les langues qu'il connaît ,on lui répond chaque fois de cette même manière incompréhensible, sur cette intonation inarticulée et craquelante : ebébé, ou pépépé ou étyétyé».
Bien que ses recherches soient méthodiques, systématiques, intelligentes, raisonnées, bref ! dignes d'un savant, le mystère s'épaissit de plus en plus et notre héros va aller d'échecs en échecs. En fait nous nous enfonçons avec lui dans l'absurdité d'un monde si totalement étranger non seulement par la langue mais par la manière de vivre, si fondamentalement différent que rien ne permet d'établir un contact avec autrui. A part peut-être avec une jeune fille que Budaï va rencontrer mais qui disparaît très vite de sa vie.  Epépé est donc un roman sur l'incommunicabilité, sur la solitude aussi et l'angoisse de l'être humain dans un monde dépourvu de sens.

Un anti-roman


Certes, Perec aurait adoré : chaque fois que le personnage entreprend une action elle est vouée à l'échec . Quand on pense enfin avoir la clef ou tout au moins une étincelle de compréhension, on est à nouveau plongé dans l'obscurité. Quand un histoire d'amour semble s'ébaucher, elle arrive aussitôt à son terme. Voilà ce que l'on peut appeler un anti roman! J'imagine que les oulipiens effectivement doivent jubiler en lisant ce roman, avec leur amour de la langue et des mots, leur sens du canular, de la mystification.
« On devient membre de l'Oulipo par cooptation. Un nouveau membre doit être élu à l'unanimité, à la condition de ne jamais avoir demandé à faire partie de l'Oulipo. Chaque « coopté » est évidemment libre de refuser d'y entrer (son refus est dès lors définitif), mais une fois élu, il ne peut en démissionner qu'en se suicidant devant huissier.
Les membres restent oulipiens même après leur décès : ils sont alors, selon la formule consacrée, « excusés pour cause de décès ».
Et puis l'auteur obéit à une contrainte que les oulipiens ne sauraient refuser pour telle : mettre son personnage dans un lieu qui n'a aucun sens … et écrire un roman avec ça!

Donner un sens ?


Et bien entendu la lectrice cartésienne que je suis a cherché à trouver un sens au roman ! Comme si l'absurde pouvait avoir un sens ! Pourtant je me suis demandé si Ferenc Karinthy en plaçant ainsi son héros dans un lieu totalement inconnu ne nous présentait pas d'une manière détournée une critique de la Hongrie sous le régime soviétique. Ce monde absurde se révèle très dur. Les hommes y sont comme des robots sans vie, leur vie est mécanique, sans âme. Les gens se méfient des autres, ne se lient pas. La police y est terriblement répressive, Budaï l'apprend à ses dépens. L'insurrection populaire à laquelle le personnage assiste et participe sans la comprendre rappelle bien des évènements hongrois. Dénonciation de la dictature sous couvert d'une fiction dans un univers de l'absurde.

Un roman qui désoriente, étonne et séduit.

dimanche 7 décembre 2014

Agota Kristof : Le Grand Cahier




Agota Kristof (en hongrois Kristóf Ágota), née le 30 Octobre 1935 à  Csikvand en Hongrie et est morte le 27 juillet 2011  (à 75 ans) à Neuchatel est une écrivaine, poète, romancière et dramaturge suisse. Elle écrit la plus grande partie de son œuvre en français (sa langue d'adoption, cette langue qu'elle appelle « ennemie ») Wikipédia




Le Grand Cahier est l'histoire de deux jumeaux Klaus et Lucas que leur mère laisse à la campagne, chez leur grand mère, pour leur éviter les bombardements de la grande ville. La grand mère que l'on appelle la Sorcière parce qu'elle est soupçonnnée d'avoir empoisonné son mari est une femme, dure, cruelle, avare. Les enfants vont subir de mauvais traitements d'elle mais aussi de leur entourage. Peu à peu, ils vont apprendre à survivre en faisant des exercices d'endurance pour apprendre à résister aux coups, aux injures, aux abus sexuels dont ils sont les victimes, à la pauvreté et à la faim, à l'omniprésence de la Mort. Ils consignent tout dans le grand cahier qu'ils ont acheté dans la papeterie du village.

La dénonciation de la guerre et les Mozarts qu'on assassine 

 

Le Grand Cahier est une sorte de recueil de toutes les dépravations et les noirceurs des hommes : pédophilie, sado-masochisme, zoophilie, nécrophilie... je crois volontiers Agota Kirstof quand elle dit d'elle-même qu'elle est très pessimiste et voit toujours le côté noir de l'existence. Je n'ai lu qu'un livre qui la concurrence dans la cruauté et les souffrances que l'on fait subir à des enfants, c'est L'oiseau bariolé de Jerzy Kosinski et tous les deux s'inscrivent dans le contexte de la guerre pour la dénoncer et en montrer l'horreur. Il est vrai que lorsqu'on lit Les Bienveillantes de Jonathan Littell on comprend qu'il n'y pas de limites aux actes de barbarie que peut accomplir l'être humain. Il n'y a pas de limites! Alors même si Le Grand Cahier fait frémir et provoque de la répulsion, il m'a fallu le lire. J'ai pensé à ce que nous faisons subir aux enfants à notre époque dans les mines africaines ou dans les usines chinoises pour  avoir des téléphones portables avec la bénédiction des multinationales américaines ou françaises et à notre responsabilité à tous. Nous n'avons pas progressé!

Un style enfantin?

 

Le roman, écrit en français, est étonnant aussi d'un point de vue littéraire. Ecrit dans un style simple, presque naïf, et aussi avec une froideur objective, il fait froid dans le dos car ce n'est pas la naïveté de l'enfance qui apparaît mais le fait que les enfants veulent rester des témoins, comme s'ils n'étaient pas concernés. Une déshumanisation inquiétante commence jusqu'à ce que les jumeaux ne paraissent plus éprouver de sentiments. En même temps, ils développent un sentiment de justice bien à eux, qui n'a plus rien à voir avec la morale des hommes et les lois. La servante qui les abuse et qui considère les juifs comme des bêtes nuisibles l'apprendra à ses dépens.

L'universalité des faits 

 

Un autre aspect du roman est très intéressant. Le récit paraît n'être ancré ni dans l'espace ni dans le temps. Il n'y a, en effet, aucun nom de lieu : Les enfants viennent de la Grande Ville, dans une ferme située à cinq minutes de la Petite Ville. Les majuscules de ces mots pris comme des noms propres montrent bien la volonté de l'écrivaine de situer les faits dans une sorte de no man'sland intemporel. Ainsi est souligné l'universalité des faits, l'horreur de toutes les guerres et pas seulement d'une en particulier, les souffrances que l'on inflige aux enfants à toute époque et partout. Pourtant peu à peu nous ne pouvons douter qu'il s'agit de la seconde guerre mondiale, que les soldats sont des nazis, les prisonniers, des déportés juifs. De plus nous sommes en Hongrie qui accueille les Russes d'abord comme des Libérateurs avant d'être occupée et mise sous coupe. Mais ces précisions ne sont jamais données, c'est nous qui les reconstituons.
Cet aspect du roman est très difficilement adaptable : le réalisateur du en film qui est forcément obligé de choisir puisqu'il doit nous montrer : Voir Wens pour le film.

Le narrateur : Que désigne le "nous"?

 

Se pose aussi le problème du narrateur : la première personne du pluriel est toujours employée. Le pronom "nous" désigne bien sûr les jumeaux mais Qui écrit? Le style ne varie jamais, aucune personnalité  différente ne se révèle à travers le récit, si bien que le "nous" semble désigner une entité. Les deux sont si rigoureusement semblables qu'ils n'en forment qu'un.  Et s'il n'y avait qu'un enfant qui se projette dans un double imaginaire pour se réconforter, se consolider?  Une autre interprétation est possible : à la fin, lorsque les jumeaux se séparent, l'un part en exil, l'autre reste au pays. j'ai pensé qu'ils représentaient symboliquement les deux facettes de l'auteure qui a eu, elle aussi, la possibilité de rester en Hongrie mais à choisi l'exil, ce qu'elle a toujours regretté. Le thème du départ, de l'exil, du déchirement, de la perte d''identité est récurrente dans toute son oeuvre et elle a avoué avoir toujours regretté d'être partie.

Un roman riche, complexe mais aussi éprouvant. Le film n'arrive pas à rendre cette richesse.


 Enigme 104

Félicitations à : Aifelle,  Eeguab, Dasola, Keisha, Miriam,  Thérèse, Valentyne
La réponse est : 
Le roman : Agota Kristof
Le film Le grand cahier de Jonas Szazs

lundi 13 octobre 2014

Sandor Marai : Un chien de caractère






Après avoir  lu L'héritage d'Esther, j'ai voulu approfondir ma connaissance de Sandor Marai mais comme je n'ai pas trouvé Braises à la bibliothèque, le roman que Dominique m'a conseillé, j'ai choisi  : Un chien de caractère

Surprenant roman! Je ne pensais pas que Sandor Marai pouvait écrire un tel livre, amusant, léger, du moins en apparence, et il en est lui-même surpris puisqu'il avertit son lecteur :
" Attention lecteur, c'est une histoire de chien que tu vas lire!"
Mais bien évidemment il ajoute non sans ironie :
"Comment expliquer la faiblesse de certains écrivains, par ailleurs fort exigeants, qui détournent de temps à autre, leur regard de l'homme, ce sujet éminemment digne, éternel même, en vue de se pencher sur quelques figurants subalternes de la Création?
 
L'ironie! C'est le ton du roman car Sandor Marai ne se départit pas d'un certain pessimisme qui semble ancré chez lui et qui englobe ici aussi bien la gent canine que la gent humaine! Ainsi lorsqu'il choisit un chien pour l'offrir à sa femme en ce Noël de crise économique (nous sommes en 1928) où les cadeaux sont par force modestes, il faut bien sûr qu'il se fasse refiler non un Pouli, le chien berger hongrois qu'il désirait, mais un bâtard laid, qui va se révéler monstrueux, susceptible, et d'un naturel impossible! Tchoutora! (la gourde en hongrois!). Un chien de caractère, en quelques mots!
 
Le pouli, chien de berger hongrois

Sandor Marai décrit le chien avec une finesse et une précision qui montrent les qualités d'observation de l'écrivain. L'attention qu'il prête aux animaux est aussi subtile que celle qu'il accorde aux hommes. Il nous livre, en même temps, ses doutes sur ceux qui se disent "amis des bêtes" :
C'est une dérobade, ni plus ni moins -c'est vouloir s'acquitter en monnaie de singe, ou par de bien maigres pourboires, de notre dette d'amour vis-à-vis du genre humain"
 
Les rapports du chien et de son maître donnent lieu à des scènes épiques et à une galerie de portraits fabuleux des gens de l'immeuble. Tchoutora, en effet, aiment ou n'aiment pas et dans ce dernier cas, c'est grave!! Tchoutora a les quenottes acérées, le facteur, les vieilles demoiselles aux vêtements surannées l'apprennent à leurs dépens! Mais il est en adoration devant les élus de son coeur, comme le menuisier illuminé qui a vu Dieu et son ennemi, le protestant austère, qui est forgeron!

Portraits amusés parfois, comme celui de la bonne, Thérèse, parfois chargés, pas toujours tendres, comme celui de la psychanlyste, amie de sa femme, qui veut analyser Tchoutora traumatisé d'avoir vu son maître en caleçon (le complexe d'Oedipe chez l'espèce canine) mais le maître aussi parce qu'il s'est montré au chien en caleçon (exhibitionnisme légèrement pervers, non?).  Sandor Marai a la dent dure et je ne crois pas qu'il aime beaucoup la psychanalyse et les travers de la bourgeoisie dont il ne nie pas faire partie, avec le snobisme, les effets de mode, les obligations traditionnelles absurdes, la sottise. Il nous fait rire tout en nous présentant la société hongroise de ce début du XXème siècle qui, bien souvent, ressemble à la nôtre.
 
Et il tire de cette aventure entre maître et chien une moralité que j'aime :
Car à mesure que, tâtonnant et trébuchant, il (le maître du chien) avance dans la vie, il comprend de mieux en mieux que nous préférons l'imperfection et l'insoumission à la perfection et la docilité et, qu'en définitive, les défauts d'un être nous sont plus chers que ses qualités. Il en est ainsi, lecteur, dans la vie comme dans les arts et, malgré son apparente banalité, cette leçon vaut bien une morsure de chien.

Moralité qui me rappelle celle du Renard et du Corbeau où la leçon vaut bien un fromage! Je suis presque sûre, étant donné la culture de Marai et sa connaissance de la littérature française qu'il y a pensé en écrivant cette phrase! Et d'ailleurs n'a-t-il pas fait du La Fontaine lui-même dans ce roman? Parce que lorsque Sandor Marai vous parle de son chien, il vous parle de lui, et bien sûr de l'espèce humaine.



mercredi 1 octobre 2014

Agota Kristof : Hier et C'est égal




Agota Kristof, écrivain d'origine hongroise, née le 30 octobre 1935 à Csikvánd et morte le 27 juillet 2011 à Neuchâtel en Suisse où elle a émigré en 1956.  Poète, romancière et dramaturge, elle écrit la plus grande partie de son œuvre en français.



Si j'ai à définir par quelques mots les livres de Agota Kristof :  C'est égal et Hier, écrits en langue française, je dirai : cruauté et légèreté. Cruauté car je n'ai rien lu de plus triste, de plus définitif, légèreté car le style a l'air de ne pas y toucher, à la fois poétique, simple, presque élémentaire, un style qui semble effleurer seulement et pourtant fait très mal. Au départ, on est un peu surpris par cette économie de moyens jusqu'au moment où l'on sent la fêlure… qui ne cesse de s'agrandir.

Hier (1995)


  Sandor Lester, ouvrier, travaille dans une usine d'horlogerie, après avoir fui son pays. Le récit s'appuie sur la réalité triste et sans espoir de celui qui loin de ses racines travaille entre les murs gris d'une usine et qui traîne sa vie, irrémédiablement blessé par son enfance, aspirant à la mort ou tout au moins au repos.
Se dépêcher, enfiler la blouse grise, pointer en se bousculant devant l'horloge, courir vers la machine, percer le trou le plus vite possible, percer, percer, toujours le même trou dans la même pièce, dix mille fois par jour si possible, c'est de la vitesse que dépendent notre salaire, notre vie?
Agota Kristof parle de ce qu'elle connait bien puisque cela a été son sort lorsqu'elle est arrivée en Suisse. Elle parle de la misère, de l'injustice sociale, de la souffrance des déracinés, du découragement, du suicide…
Mais pour bien comprendre ce petit livre qui a une grande puissance sous une forme concentrée et sous une apparente simplicité, il faut rendre compte de l'autre aspect, poétique, onirique, absurde, symbolique, celle du tigre qui vient tirer Sandor Lester du néant, de la musique qui tue les oiseaux, du vent qui, seul, peut chasser la peur, de l'oiseau noir aux ailes blessés qui a appris à aimer sa propre mort. Et puis de Line, la femme idéale, celle qu'il attend depuis toujours, celle pour qui il deviendra un grand écrivain, lui qui toujours écrit, écrit sans cesse… Mais rien ne pourra jamais effacer les blessures du passé et de l'exil.

C'est égal (2005)


C'est égal est un recueil de nouvelles publié en 2005, à une époque ou Agota Kristof, malade, n'écrivait plus. Elle y a réuni des textes écrits depuis 1956, date de son exil en Suisse qui sont parmi les plus intimes qu'elle ait écrit sur elle-même. Pourquoi ce titre? Elle l'explique dans une interview accordée au Nouvel Observateur :  
Titre du livre ou titre de sa vie? «J'aime bien cette formule. Ça veut dire : je m'en fous. Je suis née pessimiste. Même enfant, je ne comprenais pas pourquoi les gens rigolaient. Je critiquais mes parents quand je les voyais rire.»
Dans ces écrits, il y est question de la solitude, de la mort, et d'un sentiment récurrent, la souffrance lié au déracinement, à l'éloignement.
 La maison est une des nouvelles les plus représentatives de ce sentiment.
"Quitter une maison pour une autre, c'est aussi  triste que si l'on avait tué quelqu'un."
Il y est question d'un vieil homme qui  retourne dans la maison de son enfance après l'avoir quittée à l'âge de quinze ans :
Mais en retournant vers son passé, il y rencontre le petit garçon qu'il a été et qui regarde l'avenir avec espoir :
L'avenir? dit l'homme. L'avenir, j'en viens. Il n'y a que des champs morts et boueux.
Mais l'homme honteux du chagrin qu'il inflige au petit garçon ajoute :
-Tu sais, c'est peut-être seulement parce que moi, je suis parti.
-Ah! bon, dit l'enfant rassuré. Moi, je ne partirai jamais.

Dans Les rues, le jeune homme musicien compose un hymne à sa ville qu'il a dû quitter :
le crescendo de la solitude au souvenir de ces rues abandonnées, trahies.
La révolte d'un corps qui ne peut se reposer ailleurs, la révolte des pieds qui ne peuvent marcher ailleurs, le refus des yeux qui ne veulent  voir rien d'autre.

Mon père est une des nouvelles peut-être les plus poignantes : une petite fille va à l'enterrement de son père :
Nulle part mon père ne s'est promené avec moi la main dans la main.
Un sentiment de nostalgie profonde imprègne tous ces textes, comme une meurtrissure qui ne guérira jamais. C'est ce qu'exprime l'écrivaine interrogée sur son exil en Suisse : 

«Je ne fuyais pas volontiers. Si j'avais su que je resterais toujours, je ne serais pas partie. Oui, je regrette ce choix.» La phrase tombe, comme une feuille de papier dans la corbeille de la vie. «Atroce», dit-elle encore. Mais la liberté d'expression? «Je n'étais pas mieux ici.»
Et de commenter son arrivée à Neuchâtel, où son mari put obtenir une bourse de l'université et où elle réside toujours aujourd'hui : «Au début, on avait un tout petit appartement dans un village, et je travaillais dans une fabrique d'horlogerie. C'était pire qu'en Hongrie. Je n'avais même pas le temps d'écrire. Quelques poèmes, le soir, après les enfants et le ménage.» La Suisse, son pays de douleur.

Anecdote lue dans la presse : Quant à la liberté d'expression, une enseignante,  a été arrêtée en pleine classe pour avoir fait lire Le cahier à ses élèves, un des volumes de la trilogie Les jumeaux qui a valu à Agota Kristof sa notoriété mondiale.


Et quand vous lirez ces lignes, je serai en route vers à Budapest. Au revoir!