Le personnage d'Hamlet entraîne de nombreuses interprétations, toutes passionnantes, mais je suis contrariante, j'ai choisi d'écrire sur Ophélie .
Une jeune fille docile ?
Ophélie peut apparaître à priori comme une jeune fille obéissante et sans grande personnalité dans l'acte I scène 3. Elle accepte docilement les leçons de son frère Laerte qui la met en garde contre les dangers de l'amour et promet de l'écouter. Mais cette impression est vite effacée quand elle lui conseille à son tour et non sans ironie de bien se comporter lui-même! Ce qui prouve qu'elle est loin d'être sotte et effacée. De même, elle est respectueuse et soumise devant son père Polonius qui lui demande de ne plus voir le Prince Hamlet en soulignant la différence de condition sociale qui rend cet amour impossible. Mais elle défend avec ardeur les intentions de Hamlet et reste persuadée de la sincérité du jeune homme. Elle plaide ainsi sa cause auprès de Polonius :
Il a confirmé son langage par presque tous les serments sacrés du ciel.
Il a confirmé son langage par presque tous les serments sacrés du ciel.
Nous savons que, par la suite, Ophélie obéit à son père puisqu'elle refuse de voir Hamlet et de recevoir ses lettres. Ce qui provoque une réaction violente de la part du jeune homme (II 2). Elle va plus loin en transmettant à son père la lettre que Hamlet lui a écrite (II; 3). Enfin, elle donne rendez-vous au jeune homme dans la galerie pour permettre à Polonius de l'espionner ( III; 1). Bref! elle trahit son amoureux.
On pourrait en déduire que ses sentiments sont peu ardents et que la raison, les conventions, la peur du qu'en dira-t-on et surtout le devoir d'obéissance d'une jeune fille bien élevée sont venus aisément à bout d'un amour naissant. Mais nous savons qu'il n'en est rien puisque Ophélie est poussée par un destin tragique qui l'amènera inexorablement jusqu'à la folie et la mort.
Comment expliquer qu'elle puisse passer d'une apparente sagesse et retenue aux sentiments extrêmes qui vont la conduire à sa fin ?
On pourrait en déduire que ses sentiments sont peu ardents et que la raison, les conventions, la peur du qu'en dira-t-on et surtout le devoir d'obéissance d'une jeune fille bien élevée sont venus aisément à bout d'un amour naissant. Mais nous savons qu'il n'en est rien puisque Ophélie est poussée par un destin tragique qui l'amènera inexorablement jusqu'à la folie et la mort.
Comment expliquer qu'elle puisse passer d'une apparente sagesse et retenue aux sentiments extrêmes qui vont la conduire à sa fin ?
La folie d'Ophélie
Ce glissement dans la folie se fait par étapes au cours desquelles la jeune fille va évoluer du chagrin au plus profond désespoir :
Première étape : (III; 1) : Hamlet parle avec une violence et un mépris total à Ophélia qui en est profondément secouée. Elle avait cru jusque-là à l'amour de Hamlet. Elle le croit fou.
Première étape : (III; 1) : Hamlet parle avec une violence et un mépris total à Ophélia qui en est profondément secouée. Elle avait cru jusque-là à l'amour de Hamlet. Elle le croit fou.
Deuxième étape : ( III; 2) : Hamlet humilie Ophélie publiquement en tenant des propos à double sens à la limite de l'obscénité. Ophélie est désemparée et souffre.
Troisième étape : Hamlet tue le père d'Ophélie en pensant qu'il s'agit de Claudius. (III; 4)
Dans l'acte IV scène 5 nous apprenons soudain que la jeune fille a perdu l'esprit mais il y a une ellipse dans l'action. Que s'est-il passé entre temps? La jeune fille a appris le meurtre de son père, a assisté à l'enterrement sans fastes de celui-ci, indigne de son rang, elle sait que son frère Laerte est de retour pour tuer Hamlet. Cette succession d'évènements tragiques sont amplement suffisants pour justifier l'égarement de la jeune fille.
Une jeune fille déshonorée?
Pourtant les paroles du texte qu'elle chante semble indiquer qu'il existe encore d'autres raisons :
Demain, c’est la Saint-Valentin,
Debout dès les premières heures du matin.
Et me voici vierge à ta fenêtre,
Pour être ta Valentine.
Lors il se leva, puis mit ses habits,
Et ouvrit la porte de la chambre,
Fit entrer la vierge,
Qui vierge jamais n’en sortit
Hélas! oh fi! la honte!
Avant de me trousser, fit-elle
le mariage on me promit
Par le jour, l'eusse fait, la belle,
si tu n'avais cherché mon lit
La signification de ces paroles paraît sans équivoque. Si elle a "cherché le lit" de Hamlet, Ophélie s'est déshonorée selon la morale de l'époque, coupable devant son père et devant Dieu et méprisable aux yeux de son amant. Elle ne peut donc être que désespérée par l'attitude de Hamlet dont le rejet prend encore alors un tout autre sens. Celui de l'homme qui n'a que mépris pour la fille qui se donne. Certains critiques littéraires affirment même que Ophélie est enceinte, d'où son suicide, la seule issue pour échapper au déshonneur. On peut trouver une justification à cette affirmation dans les exhortations de Polonius ( I 4) qui craint que sa fille ne soit allée trop loin dans sa relation avec Hamlet et lui dit :
On m'a dit que bien souvent il vous avait parlé en privé. Si c'est vrai (...) il faut que je vous dise que vous ne comprenez pas bien clairement les devoirs qui conviennent à ma fille et à votre honneur
et aussi dans l'acte II scène 2 lorsque Hamlet traite Polonius de maquereau (proxénète) et observe :
Le soleil engendre des vers dans un chien crevé, laquelle charogne est bien digne d'être baisée il ajoute : Vous avez une fille? Qu'elle n'aille pas au soleil! Concevoir est une bénédiction, mais mon ami, veillez à la façon dont votre fille peut concevoir.
La comparaison d'Ophélie avec une charogne et le terme to conceive qui en anglais comme en français peut vouloir dire concevoir par l'esprit ou être enceinte sont éloquents.
La mort d'Ophélie
Tous les peintres séduits par l'image d'Ophélie ont représenté la jeune fille parée de guirlandes de fleurs. Cela n'est pas anodin. A partir du moment où Ophélie sombre dans la folie elle peut exprimer la vérité sur son amour et sur la mort de son père. Elle le fait de deux façons : par des chansons, nous l'avons vu, mais aussi par le langage des fleurs qui ont ici un sens symbolique.
Acte IV scène 5
Au roi : Voilà du fenouil pour vous et des ancolies
A la reine : Voici de la rue pour vous et pour moi.
Voilà une pâquerette; je vous donnerais bien des violettes, mais elles se sont toutes fânées quand mon père est mort.
A la reine : Voici de la rue pour vous et pour moi.
Voilà une pâquerette; je vous donnerais bien des violettes, mais elles se sont toutes fânées quand mon père est mort.
L'ancolie et le fenouil qu'elle offre à Claudius sont symboles d'infidélité et d'adultère, et elle attribue la rue, l'herbe du chagrin et du repentir à la reine Gertrude, et à elle-même. La pâquerette se dissimule pour avertir les filles de ne pas se fier aux belles promesses de leur amoureux. Les violettes, symboles de modestie et de fidélité sont fânées après la mort de Polonius, meurtre que le roi et la reine ont tenu caché devenant complices de Hamlet. Elles ne peuvent convenir à aucun des personnages qui ne sont pas dignes d'elles.
Les fleurs sont présentes aussi dans le récit de la mort de la jeune fille que fait par la reine Gertrude à Laerte :
(IV 7)
Il y a un saule qui pousse en travers du ruisseau et mire ses feuilles grises dans le miroir du courant. C’est là qu’elle tressa de fantasques guirlandes de boutons d’or, d’orties, de marguerites, et de ces longues fleurs pourpres que nos bergers hardis appellent d’un nom plus grossier mais que nos froides vierges appellent "doigts d’homme mort". Là, tandis qu’elle grimpait pour suspendre sa couronne de fleurs aux branches inclinées, un rameau envieux se rompit, et ses trophées tressés de mauvaises herbes, et elle-même, tombèrent dans la rivière en pleurs... »
Le saule symbolise une fille pleureuse (Ophélie et la Desdémone d'Othello) mais également et cela paraît significatif : une fille volage. L'ortie est la rupture, le bouton d'or peut représenter selon le contexte l'ingratitude, la raillerie. La marguerite innocente est la fleur utilisée pour séduire. Enfin Les doigts d'homme mort aussi appelés Testiculus Morionis (une variété d'orchis mâle?) sont bien évidemment un symbole phallique. Un langage des fleurs éloquent!
Il est frappant de constater que dans Shakespeare, seule la folie permet aux êtres de se libérer et de se montrer tels qu'ils sont. Seul un fou (au sens d'insensé ou de bouffon) peut dire ce qu'il pense. C'est le cas d'Ophélie qui n'a jamais été aussi lucide que lorsqu'elle perd l'esprit, c'est aussi celui de Hamlet qui simule la folie, seul moyen d'atteindre la vérité.