Avec ma plongée dans la littérature latino américaine, j’avais envie de lectures plus faciles et j’ai avalé quelques polars. Certes, l’univers des polars n’est jamais très réjouissant mais il reste du domaine du « pas vrai», du style « je peux trembler de peur bien en sécurité sous mon plaid ». Ce n’est pas le même ressenti que lorsque l’on se projette en Argentine, au Chili, bref ! en Amérique latine… par temps de dictature. Des lectures qui secouent de tout autre manière !
Je parle, bien sûr, des polars distraction, aventure, et non de ceux qui nous donnent une vision approfondie, critique, lucide et souvent noire de la société.
Ragnar Johnasson, écrivain islandais : j’avais bien aimé avec Snjor aussi c’est avec plaisir que je suis entrée dans ce livre A qui la faute.
Quatre amis d’enfance, Daniel, Helena, Armann, Gunnelaugur se donnent rendez-vous pour une excursion sur les hauts plateaux de l’Est de l’Islande. Mais une drôle d’ambiance s’installe entre eux et la partie de chasse tourne mal. Pris dans la tempête, ils se perdent et cherchent à se réfugier dans une cabane ou une vision effrayante (vraiment ?) les attend.
Bien sûr, le huis clos dans la neige n’est pas forcément original mais l’on sait bien que tout dépend de la manière dont il est traité. Et là, je dois dire que j’ai été assez déçue.
La forme y est pour beaucoup. L’auteur a choisi de faire parler ces personnages les uns après les autres. C’est un procédé courant qui permet de faire des allers-retours du présent au passé. Mais ici ce n’est pas très réussi. Les passages de chacun d’entre eux sont parfois si rapides qu’il en résulte une impression de décousu. De plus, la vision macabre annoncé paraît plus bizarre que macabre. D’autre part, pour ménager la surprise de la fin, l’écrivain ne peut nous expliquer certaines situations qui paraissent alors peu crédibles. Par exemple, on ne comprend pas, avant le dénouement, pourquoi Daniel et Helena repartent dans la nuit et la tempête après avoir trouvé enfin un refuge. Rien ne les y obligeait même pas ce qu’ils avaient découvert dans la cabane.
Enfin tous les personnages sont antipathiques, donc, on ne parvient pas vraiment à s’attacher à l’un d’entre eux, d'autant plus qu'ils sont trop rapidement esquissés. Pour toutes ces raisons je n'ai pas vraiment accroché ! A qui la faute va certainement être porté à l'écran. Je pense que le suspense marchera mieux si l'adaptation est bien faite. Par l'image on peut traduire cette impression de malaise qui pèse sur le groupe sans avoir à l'expliquer.
Avec Blanc mortel, j’ai découvert cet écrivain Robert Galbraith, qui n’est autre, cachée sous un pseudonyme, que JK Rowling. Et oui, cette dernière n’est pas seulement l’auteur de Harry Potter mais aussi d’une série de polars qui mettent en scène un détective privé Cormoran Strike dont on sait qu’il a perdu une jambe dans un combat en Afghanistan. Il est accompagné dans ses enquêtes par une jeune femme Robin Ellacott, avisée et passionnée, mais qui, au début de ce roman, se marie avec Matthew, bellâtre qui voit d’un mauvais oeil le travail de son épouse.
Le roman se déroule pendant les jeux olympiques de Londres en 2012, ce qui nous permet de connaître (et l'écrivain le fait non sans humour !) les angoisses des Britanniques quant à la réussite des jeux qui ne sont pas sans rappeler les nôtres en 2024 ! On ne s’étonnera pas d’apprendre que les méchants de l’affaire (entre autres) sont les syndicalistes, les anarchistes, tous des fêtards ou des drogués, mais finalement pas des méchants très sérieux, ( JK Rowling enfile les lieux communs de bonne conservatrice sur ces milieux populaires), eux qui remettent en cause les jeux olympiques pour des raisons financières, les restrictions du budget de la santé qui en ont découlé, et soulèvent les problèmes écologiques. Mais les hauts milieux politiques aussi sont dans le collimateur.
Enfin Blanc Mortel est la quatrième volume des aventures de Cormoran Strike et de Robin et on sent qu’ils ont beaucoup vécu avant nous ! Mais cela n’empêche pas de comprendre l’action même si l'on ne commence pas par le premier.
Pendant près de 700 pages, on est tourneboulé par les aventures plus ou moins rocambolesques des deux enquêteurs, avec leurs hauts et leurs bas, leurs déboires professionnels et sentimentaux. Cela se lit bien, très vite, facilement et c’est distrayant. J’ai bien aimé.
Lisa Gardner
Lisa Gardner est l’auteure de thrillers regroupés en trois séries : D. D. Warren, une commandant de la criminelle du Boston Policy department ; FBI Profiler où, parmi les personnages récurrents, on retrouve les profileurs Pierce Quincy et sa fille Kimberly Quincy, aidés par Rainie Conner, ancienne policière devenue enquêtrice privée ; etTessa Leoni, ancienne subordonnée de D. D. Warren désormais détective privée.
J'ai lu dans n'importe quel ordre les titres suivants : Le saut de l'ange, Juste derrière moi, n'avoue jamais etRetrouve-moi appartenant parfois à des séries différentes. Peu importe, chaque récit est construit indépendamment les uns des autres et l'on apprend vite ce qui est nécessaire pour comprendre les personnages. L'important, ici, c'est l'histoire, haletante, les rebondissements, les aiguillages vers de fausses pistes. Le lecteur malin croit avoir tout compris et il est souvent trompé et le suspense fonctionne bien !
Au XVIII siècle, à l’époque ou l’Islande est sous la domination danoise, dans le château de Rosenborg, un horloger islandais, Jon Stiversen, est chargé de restaurer une vieille horloge hors d’état de marche, reléguée dans une remise du château au milieu d’autres objets abimés, abandonnés parfois depuis des siècles. Or, cette Horloge qui a été réalisée en 1594 pour ( selon la légende) le roi Christian IV du Danemark (1577-1648) est précieuse. Isaac Habretch (1544-1620), artisan de génie dont le chef d’oeuvre est l’horloge monumentale de Strasbourg, en est l’auteur.
C’est avec bonheur et passion que Jon Stiversen se met au travail et passe ses nuits à chercher à comprendre les mécanismes complexes dont est composée cette oeuvre d’art. Une soir, il reçoit la visite d’un personnage étrange, un peu ridicule, en robe de chambre, qui n’est autre que Christian VII, le roi du Danemark (1749-1808) qu’il n’a vu jusque là qu’en grand apparat dans les rues de Copenhague.
Christian VII ( château de Fredriksborg)
Les deux hommes s’apprivoisent. Christian VII demande à Stiversen de lui raconter l’histoire de sa famille islandaise. Sigidur, le père de l’horloger a été condamné à mort pour usurpation de paternité et pendu selon les austères lois danoises, puritaines, la religion s'immisçant dans la vie privée des gens, appliquées de manière injuste par les représentants du roi en Islande. Il explique aussi au roi comment son frère, au regard de la loi, peut-être considéré comme un bâtard. Tous ces récits perturbent grandement le souverain qui ressent un sentiment de culpabilité vis à vis de l’Islande en même temps qu’il s’identifie à l’horloger privé de père, lui qui a été un fils mal-aimé (son père est Frédéric V 1723-1766), victime d’une éducation austère et dure.
Frédéric V, le père de Christian VII ( château de Fredriksborg)
Peu à peu on s’aperçoit que le roi, malade mental, est écarté du pouvoir par son fils le futur Frédéric VI (1768-1839) et les conseillers de la cour. Les secrets ( bien mal gardés) finissent par voir le jour et la souffrance du roi se déverse en confidences auprès de l’horloger, son amour malheureux pour une prostituée, la trahison et l’exécution de son ami et médecin Stuensee convaincu d’adultère avec la reine Caroline Mathilde, la possible illégitimité de sa fille Louise-Augusta, vraisemblablement fille de Struensee.
La reine Caroline-Mathilde ( château de Fredriksborg)
L’idée géniale du roman réside d’abord dans cette « amitié », bien sûr, improbable, imaginée par Arnaldur Indidason, entre le roi du Danemark et un simple homme du peuple et qui permet de mêler étroitement le passé de son pays, l’Islande, et du Danemark, l’un soumis à l’autre qui lui impose ses lois et une implacable colonisation. Les romans historiques m'intéressent toujours parce qu'ils font vivre les personnages dans leur intimité, leurs pensées, comme si nous les avions réellement rencontrés (et le roman d'Indridason n'échappe pas à la règle), ils nous projettent dans une époque comme si nous en étions familiers. Aussi, lors de mon récent voyage à Copenhague, j'ai cherché partout, dans les musées et les châteaux, les personnages rencontrés dans ce roman. Cela n'a pas été difficile à trouver : toutes les demeures royales sont à la gloire de la monarchie danoise, actuelle ou ancienne, et Christian VII, son père Frédéric V, son fils Frédéric VI mais aussi Struensee, son médecin et Caroline Mathilde, son épouse la reine, sont partout présents.
Struensee, médecin, premier ministre, amant de la reine( château de Fredriksborg)
La vie et le caractère des personnages, le roi et l’horloger, (le titre rappelle celui d’un conte) se révèlent peu à peu aux lecteurs mais ils apprennent aussi l'un de l'autre même si ce n'est pas toujours facile d'être "l'ami" d'un roi qui peut vous envoyer à la potence à tout instant ! Tous deux découvrent leur parcours douloureux qui se rejoint au-delà de tout ce qui les oppose, au-delà la différence sociale et de la nationalité. C’est aussi une occasion pour Indridason de décrire la vie rude des hommes et des femmes islandaises. D’autres personnages comme le père, Sigidur et Gudrun, la belle-mère de Jon Sitversen, sont des personnages qui ont du relief.
Très intéressante aussi la description des étapes de restauration de l’horloge qui nous fait découvrir toutes les merveilles du mécanisme et la complexité de l’horloge. J'étais impatiente de la découvrir lors de mon voyage. Elle est au rez-de-chaussée du palais de Rosenborg dans un salon couvert de peintures, en particulier, flamandes.
Château de Rosenborg : Horlode d'Habrecht
Si j’ai quelques réserves envers le récit d'Indridason, elles s’adressent surtout à sa construction : au départ Jon Stiversen raconte l’histoire de son père au roi, mais lorsque le roi est absent, il s’adresse directement à nous, lecteurs. Si bien que lorsque Christian VII revient, il est obligé de recommencer le récit et d’en faire, en fait, un résumé. Ce qui crée des longueurs et ralentit l’action.
L’horloge d’Isaac Habretch
Château de Rosenborg : Horlode d'Habrecht
"Au même instant, un cliquetis discret se fit entendre à l'intérieur de l'horloge d'Habretch qui se mit en mouvement comme actionnée par une main invisible. Toute la merveille prit vie sous les yeux : les Âges de l'homme s'animèrent, l'Enfance céda la place à la jeunesse, la Lune avança sur son axe dans le ciel, les Rois mages défilèrent avec dignité en se prosternant devant la Vierge Marie, la Mort s'approcha et sonna l'heure, le coq se dressa, déploya ses ailes et se mit à chanter, comme s'il en allait de sa vie, les clochettes du carillon se mirent à tinter grâce au nouveau mécanisme que Jon avait fabriqué..."
L'horloge est une réplique en miniature de celle de Strasbourg. Elle
donne non seulement l’heure mais les semaines, les mois, les années et
les phases de la lune. Elle a une aiguille pour montrer les heures mais
pas pour les minutes, la technologie n’étant pas assez avancée
pour cela à l’époque. Les quatre âges de l'homme (enfance,
jeunesse, âge adulte et vieillesse) sont représentés pour évoquer le cycle de la vie et
c'est la mort qui sonne les cloches de la carillon. Il y a aussi un
calendrier hebdomadaire, symbolisé par les sept dieux qui ont prêté
leurs noms aux jours de la semaine.
Elle s'étage, de bas en haut, exposant d'abord l'aiguille des heures, puis l'aiguille des quart d'heure avec deux cadrans montrant les jours ( à gauche) et les saisons (à droite), puis la Vierge et les rois mages, au-dessus les âges de l'homme, ensuite la mort qui sonne l'heure, la lune ( je suppose ?) et le coq.
Dans le château de Rosenborg, elle n'était pas en fonctionnement mais elle est toujours en état de marche ! Vous pouvez écouter le carillon sur you tube.
L'horloge astronomique d'Habretch au château de Rosenborg
L'horloge astronomique d'Habretch La Vierge et les rois mages
"Par
exemple il avait maintenant saisi comment le déplacement des Rois
mages (autour de la Vierge) et celui, très lent, des figurines qui
représentaient les âges de l'homme et le cadran qui affichait les jours
de l'année fonctionnaient de concert pour constituer l'harmonieuse
symphonie de l'exacte mesure du temps." "
L'horloge d'Habretch Rosenberg, Copenhague : les quatre âges de l'homme
J'ai eu des difficultés a reconnaître les âges des hommes ! Mais oui, pourquoi pas ? A droite, l'enfance ou le page, au centre et de dos, la jeunesse ou l'écuyer, à gauche, la maturité ou le chevalier et j'aurais bien aimé savoir comment était représentée la vieillesse.
Horloge d'Habretch château de Rosenborg Copenhague
L'aiguille des quart d'heure surmontés de deux cadrans gravés : A
gauche, les jours de la semaine symbolisés par les dieux qui leur ont
donné leur nom en commençant en haut par dimanche, le soleil ; lundi, la lune ; mardi, Mars ; mercredi, Mercure ; jeudi, Jupiter ; Vendredi, Vénus ; Samedi, Saturne. A droite figurent les quatre saisons, l'hiver, le printemps, l'été, l'automne
Horloge d'Habretch château de Rosenborg Copenhague
Au niveau historique, contrairement à ce qui est communément admis,
cette horloge qui date de la fin du XVI siècle n'a pas appartenu à
Christian IV. Elle était dans le cabinet de curiosités de Gottorf en
Allemagne et a fini par être transférée à Copenhague sur l’ordre du roi
Frédéric IV (en 1764). Ce dernier avait conquis la ville et fait transférer les oeuvres d'art vers son pays. Elle a été placée d’abord à
Christianborg et puis, après des péripéties, elle a été installée
définitivement à Rosenborg en 1846.
Christian VII, la reine Caroline-Mathilde et Struensee
Johann Friedrich Struensee
Si je m'intéresse à ces personnages cités ci-dessus, c'est bien sûr, parce que je les ai rencontrés aussi dans un autre roman de l'écrivain suédois Per Olov Enquist : le médecin personnel du roi que j'aime beaucoup. Je reprends ici ce que j'en disais :
"Mais lors d’un séjour de Christian VII en Europe, on le confie au
docteur Struensee qui gagne la confiance et l'amitié du malheureux
souverain. Johann Friedrich Struensee va exercer une telle emprise sur
lui qu’il devient son premier ministre, le seul autorisé à signer des
documents sans avoir besoin de la signature royale. Autant dire que le
médecin est l’égal du roi et même plus puisqu’il règne seul, le jeune
malade ne pouvant comprendre ce qui se passe. Malgré la vindicte des
conseillers, Struensee gagné aux idées philosophiques, de Voltaire à
Rousseau en passant par Diderot, en profite pour entreprendre des
réformes fondamentales, révolutionnaires, très audacieuses, qui
suscitent le mécontentement non seulement des nobles mais du peuple. De
plus, l’amour réciproque de Johann Friedrich Struensee et de la reine,
Caroline Mathilde de Hanovre, soeur du roi d’Angleterre George III,
épouse de Christian VII qui a peur d’elle et la délaisse, va être un des
facteurs de sa chute…
Un complot fomenté par tous ceux qui souhaitent sa perte, en 1772, enlève son pouvoir au médecin qui sera exécuté. Je vous laisse découvrir les détails de cette extraordinaire histoire
dont Per Olov Enquist tire un récit passionnant, réflexion sur le
pouvoir, sur le rôle des Lumières, sur la vie…"
Un peintre satirique au musée Hishsprungske
Au musée de Hishspungsket le peintre satirique Christina Zarthmann a représenté ainsi la scène de séduction du médecin et de l'épouse. Pendant que le roi, l'air niais, affalé sur le canapé, inconscient de ce qui se passe, tourne le dos au couple et taquine un perroquet de la pointe de son épée, les deux amants jouent aux échecs, échangeant des regards amoureux sous l'oeil complice de la suivante.
Kristian Zarthmann musée Hirshsprunsket
Le style réaliste et caricatural de Zarthmann est assez surprenant surtout quand il s'agit de peindre la royauté.
Kristina Zarthmann : il était une fois un roi et une reine
La 4e de couverture de L'esclave islandaise de Steinunn Jihannesdottir paru aux éditions Gaïa nous fait savoir que : "En 1627 aux îles Vestmann, au sud de l'Islande, le Raid des Turcs enlève 400 Islandais, vendus comme esclaves par-delà les mers du sud. »
C’est cette histoire que l’écrivaine Steinum Johannesdottir va nous raconter en prenant pour personnage principal l'une des femmes enlevées : Gudridur. Pourquoi cette dernière ? Parce qu’elle a par la suite épousé l'un des plus grands poètes d’Islande, auteur de chants bibliques très appréciés, Hallgrimur, et ainsi sa vie est plus connue que les autres du moins après son retour. Gudridur accompagnée de son fils est amenée à Alger où elle et ses compatriotes sont vendus sur la place du marché. Vêtus d’habits de laine sous une chaleur torride, après un voyage en mer épuisant, malades, séparés de leur famille, certains d’entre eux meurent dès les premiers jours et sont enterrés dans un petit cimetière qui existe toujours à Alger.
C’est, pour Gudridur, l’apprentissage humiliant et terrible d’être ravalée au rang d'esclave et de vivre au service d’un riche dey, soumise à la fois sexuellement aux désirs du maître, et travaillant dur au service de la première épouse. Maladie, fièvre, coups de fouet, Gudrigur reste neuf ans esclave à Alger avant d’être rachetée par le roi danois Christian IV. Quant elle part, Gudridur doit laisser son fils là-bas. Converti à l’Islam, élève dans une école coranique, il n’a pas été racheté.
Tome 2 : le retour
Le voyage de retour à travers la Méditerranée, puis sur les routes de France et en mer jusqu’au Danemark sera tout aussi éprouvant. S’ajoute aux souffrances physiques, l’angoisse de ceux qui reviennent sans savoir si leurs conjoints les auront attendus, ni s’ils sont morts, ni si ceux qui sont restés au pays les accepteront après leur séjour chez les barbaresques.
L'intérêt du roman réside dans la description des voyages et de la vie dans les deux pays. Steinunn Johannesdottir rend sensible le contraste frappant qui existait entre les deux civilisations : l’Islande, ses chaumières basses, enfumées, obscures, en terre battue, ses feux de tourbe qui fument et empuantissent l’atmosphère, le froid, les vents incessants, la neige, les tempêtes et la difficulté de la lutte pour la survie. De pauvres marins partent et souvent meurent en mer pour assurer la subsistance de la famille. Alger, la belle, toute blanche sur la colline, le soleil avec le bleu du ciel et celui de la mer, les palais de mille et une nuits où Grudidur est enfermée comme esclave, avec ses fontaines, ses fleurs, ses fruits cueillis sur l’arbre, sa végétation luxuriante et ses bains, le hammam, un luxe extraordinaire. La vie de l'esclave dépend du maître; il peut être dur et maltraitant et les châtiments sont parfois horribles. L'un des compatriotes de Grudidur a eu le nez et l'oreille coupés pour s'être trompé de puits. Par contre son amie épouse un dey et préfère se convertir pour s’intégrer dans la société.
Un autre thème est celui de la religion, celle rigoriste et sévère des Islandais protestants. Les mentalités sont bien observés. Gudridur lutte pour conserver sa foi qui la soutient et l'empêche de sombrer dans le désespoir. Mais cette religion puritaine fait naître un sentiment de culpabilité et de faute quant à sa vie dans le harem.
L'esclave islandaise est un roman d’aventures mais aussi un roman historique. L’écrivaine s’est rendue en Algérie, pour connaître la
ville, les lieux où étaient vendus les esclaves, le cimetière des Islandais. Elle a refait le chemin du retour emprunté par les esclaves libérés. Elle s’appuie sur des recherches solides, des documents originaux comme, entre autres, la lettre écrite par Gudridur à son mari quand elle était prisonnière, celles envoyées au roi Christian IV par les Islandais, les récits racontés par ceux qui ont été libérés, les nombreux écrits suscités par cette terrible histoire depuis le XVII siècle les cartes, gravures, documents … et le reste est laissé à l'invention, à l'imagination, il s’agit d’une fiction intéressante et agréable à lire.
Jon Kalman Stefansson est un des grands écrivains contemporains de la littérature islandaise. Son oeuvre a reçu nombreux prix et il est traduit dans une vingtaine de langues. Pour ma part, Lumière d’été puis vient la nuit, est le premier livre que je lis de lui et j’ai aimé ce style poétique, cette nostalgie douce-amère, parfois pleine de dérision mais aussi de tendresse, qui retrace la vie quotidienne des habitants d’un petit village des fjords de l’ouest, village qui se meurt de mort lente, au déclin de ses quelques activités économiques. L’atelier de tricot ferme, la coopérative n’est plus ce qu’elle était. Réalité augmentée de tout ce qui est possible, nous entrons dans un monde surprenant où la raison bascule parfois. Le directeur de l’atelier du tricot se met à rêver en latin, une langue qu’il ne connaît pas et devient L’astronome, la tête près des étoiles, projetant le village au centre du cosmos, en équilibre au bord des trous noirs, dans cette nuit d’été shakespearienne où les fantômes des morts assassinés reviennent hanter l’entrepôt de la coopérative. On pénètre dans une forêt que traverse un fleuve majestueux, une petite robe de velours noir électrise l’assemblée… masculine. On est gagné par l’absurdité de la vie, la déraison qui s’empare des humains pas seulement en Islande mais dans l’ensemble de notre planète. il y a dans le roman de Jon Kalman Stefansson la conscience de l’abîme, à la manière de Pascal, « un néant par rapport à l’infini. », sans en appeler obligatoirement au divin, et en moins pessimiste, peut-être, parce que l’intérêt porté aux êtres humains donne une teinte chaleureuse au récit. Vous n’êtes pas non plus sans savoir qu’ici et là, nos précisons en Islande, à la surface de ce petit grain de terre posé sur un ciel infini et béant, certains désirent plus que tout se hisser sur les épaules des hommes pour sentir la chaleur qui remonte du col de leurs vêtements. Nous aimerions bien qu’on nous explique pourquoi : parce que nous sommes désorientés, parce que le sol s’est dérobé sous nos pieds, il n’y a plus que le vide pour nous empêcher de sombrer, et ce n’est pas une pensée rassurante.» Il y a aussi la conscience de la fin possible d’une civilisation car nous scions la branche sur laquelle nous sommes assis.
Mais en attendant, ce qui intéresse l’écrivain, c’est donc et avant tout l’homme. Il raconte au gré des saisons, neige, vent et soleil, entre clarté pâle et longue obscurité, l'histoire des villageois. Et tous ces récits forment une chronique attachante qui entre rires, surprises, émotions, entre amours et deuils, peint un pays, des mentalités, un mode vie mais aussi capte tout ce qu’il y a d’universel dans la nature humaine : jalousie terrifiante de Asdis, trahie par son mari Kjartan, premiers émois amoureux d’un jeune homme naïf, David, bonheur d’un homme simple, Jakob, chauffeur routier, « peu de choses, en effet, sont plus plaisantes que de conduire un camion », curiosité d'Agusta la postière qui nourrit le vide de sa vie des lettres qui passent entre ces mains, désespoir d’un homme veuf, Hannes, solitude angoissée de Benedikt, caractère joyeux de Puridur et son rêve secret… Et tant d’autres. Jon Kalman Stefansson nous offre en microscome un tableau complet d'une société islandaise qui pourrait être aussi la nôtre !
Le temps passe, nous vivons, puis nous mourons. Mais qu’est-ce que la vie ? La vie, c’est quand Jonas pense à la courbe de l’aile d’un oiseau, c’est quand il s’endort, bercé par la respiration profonde de Porgrimur, oui, c’est tout à fait ça, mais pas uniquement et quelle est la largeur de l’espace qui sépare cette vie de la mort, d’ailleurs cet espace existe-t-il, et si oui, quel nom lui donner ?
Un beau livre au rythme lent comme la vie au bord du fjord mais qui nous projette au milieu des étoiles, nous maintenant toujours en équilibre au bord du vide.
Lumière d’été puis vient la nuit est le premier livre de Jon Kalman Stefansson. Paru en 2005, il n'a été traduit que cette année par Eric Boury et paraît chez Grasset pour cette rentrée littéraire.
Certains livres de la rentrée littéraire 2020 m'ont tentée et j'ai "craqué" sur ces titres qui ne sont pas obligatoirement ceux qui sont en tête de la course aux prix, je crois...
Et j'en ai déjà lu deux avec beaucoup de bonheur : Chavirer de Lola Lafon et Le Silence des vaincues de Pat Barker que je vous présenterai bientôt. Je ne regrette pas mon choix !
Chavirer de Lola Lafon
1984. Cléo, treize ans, qui vit entre ses parents une existence
modeste en banlieue parisienne, se voit un jour proposer d’obtenir une
bourse, délivrée par une mystérieuse Fondation, pour réaliser son rêve :
devenir danseuse de modern jazz. Mais c’est un piège, sexuel,
monnayable, qui se referme sur elle et dans lequel elle va entraîner
d’autres collégiennes.
2019. Un fichier de photos est retrouvé sur le net, la police lance
un appel à témoins à celles qui ont été victimes de la Fondation.
Devenue danseuse, notamment sur les plateaux de Drucker dans les
années 1990, Cléo comprend qu’un passé qui ne passe pas est revenu la
chercher, et qu’il est temps d’affronter son double fardeau de victime
et de coupable.
Le silence des vaincues de Pat Baker éditions Charleston : Une Illiade écrit par une femme, Briséis.
"Elle était reine.
Briséis de Lyrnessos, vénérée et respectée. Mais, hors des murs du
palais, la guerre de Troie fait rage et bientôt la cité de Lyrnessos
tombe sous les assauts grecs. En quelques heures, Briséis voit son mari
et ses frères massacrés ; de reine, elle devient esclave. Un trophée
parmi d’autres pour l’homme qui l’a conquise : le divin Achille dont les
générations futures chanteront les exploits. Captive du camp grec,
Briséis doit choisir : se laisser mourir ou survivre.
ou encore Richard Russo Retour à Marha'sVineyard dont Ingammic propose une LC voir ici J'espère avoir l'un des trois demandés chez Masse Critique Babelio! J'attends la réponse avant d'acheter !
* remarque ajoutée le 12/09 ; je n'ai eu aucun des livres ! Des romans de la rentrée littéraire, tout le monde a dû s'y précipiter ! Et comme c'est tiré au sort !
Comment je choisis mes livres ? Je lis les critiques, bien sûr, et en particulier les vôtres, amies blogueuses ainsi les billets que vous avez rédigés sur Des vies à découvert de Barbara Kingsolver m'ont donné envie de découvrir le livre !Keisha voir ici
Ensuite le nom de l'auteur peut emporter l'adhésion mais il y a aussi le thème général. Pour Chavirer, le thème me faisait peur mais j'ai fait confiance à Lola Lafon, et j'ai eu raison ! Pour Le silence des vaincues, c'est le thème qui m'a emballée, je ne connaissais pas l'auteur. Et quelle belle découverte! C'est un coup de coeur !
Pour Loins-Confins, le résumé de la quatrième de couverture m'a intéressée et puis j'aime beaucoup la première de couverture de ce livre publié dans les éditions La Brune aux Rouergue. Et oui, l'attrait du livre compte aussi !
Il y
a longtemps de cela, bien avant d’être la femme libre qu’elle est
devenue, Tanah se souvient avoir été l’enfant d’un roi, la fille du
souverain déchu et exilé d’un éblouissant archipel, Loin-Confins, dans
les immensités bleues de l’océan Frénétique. Et comme tous ceux qui ont
une île en eux, elle est capable de refaire le voyage vers l’année de
ses neuf ans, lorsque tout bascula, et d’y retrouver son père. Il lui a
transmis les semences du rêve mais c’est auprès de lui qu’elle a aussi
appris la force destructrice des songes.
Dans ce beau et grave roman qui joue amoureusement avec les mots et les
géographies, Marie-Sabine Roger revient à ce combat perdu qu’on nomme
l’enfance et nous raconte l’attachement sans bornes d’une petite fille
pour un père qui n’était pas comme les autres.
Térébenthine choisi pour le débat sur la peinture considérée comme dépassée. Il faut dire que c'est un art que j'aime énormément et ce rejet me paraît stupide. Comme si l'art conceptuel et l'art pictural ne pouvaient pas coexister. Ceux qui dictent "la mode" dans l'art créent des formes d'académisme. C'est dire que le sujet m'intéresse !
Quand la narratrice s’inscrit aux Beaux-Arts, au
début des années 2000, la peinture est considérée comme morte. Les
professeurs découragent les vocations, les galeries n’exposent plus de
toiles. Devenir peintre est pourtant son rêve. Celui aussi de Luc et
Lucie, avec qui elle forme un groupe quasi clandestin dans les sous-sols
de l’école. Un lieu de création en marge, en rupture. Pendant ces
années d’apprentissage, leur petit groupe affronte les humiliations et
le mépris. L’avenir semble bouché. Mais quelque chose résiste,
intensément.
J'ai eu envie de découvrir Lumière d'été puis vient la nuit parce que le livre parle de l'Islande, un pays que je rêve de visiter après la Norvège, la Suède et la Finlande. Il a l'attrait des pays nordiques que j'aime tant. La photo de la première de couverture introduit le rêve.
Dans
un petit village des fjords de l’ouest, les étés sont courts. Les
habitants se croisent au bureau de poste, à la coopérative agricole,
lors des bals. Chacun essaie de bien vivre, certains essaient même de
bien mourir. Même s’il n’y a ni église ni cimetière dans la commune, la
vie avance, le temps réclame son dû. Pourtant, ce quotidien si
ordonné se dérègle parfois : le retour d’un ancien amant qu’on croyait
parti pour toujours, l’attraction des astres ou des oiseaux, une petite
robe en velours sombre, ou un chignon de cheveux roux. Pour certains,
c’est une rencontre fortuite sur la lande, pour d’autres le sentiment
que les ombres ont vaincu - il suffit de peu pour faire basculer un
destin. Et parfois même, ce sont les fantômes qui s’en mêlent… En
huit chapitres, Jón Kalman Stefánsson se fait le chroniqueur de cette
communauté dont les héros se nomment Davíð, Sólrún, Jónas, Ágústa,
Elísabet ou Kristín, et plonge dans le secret de leurs âmes. Une ronde
de désirs et de rêves, une comédie humaine à l’islandaise, et si
universelle en même temps. Lumière d’été, puis vient la nuit charme, émeut, bouleverse.
Traduit de l'islandais par Éric Boury
Et Frank Buysse, Buveurs de vent, pour le thème, le résumé, le titre (que je trouve beau) mais je n'ai pas lu de critiques.
Ils sont quatre, nés au Gour Noir, cette vallée
coupée du monde, perdue au milieu des montagnes. Ils sont quatre, frères
et sœur, soudés par un indéfectible lien.
Marc d’abord, qui ne cesse de lire en cachette.
Matthieu, qui entend penser les arbres.
Puis Mabel, à la beauté sauvage.
Et Luc, l’enfant tragique, qui sait parler aux grenouilles...
Tous travaillent, comme leur père, leur grand-père avant eux et la
ville entière, pour le propriétaire de la centrale, des carrières et du
barrage, Joyce le tyran, l’animal à sang froid…
Dans une langue somptueuse et magnétique, Franck Bouysse, l’auteur de Né d’aucune femme, nous
emporte au cœur de la légende du Gour Noir, et signe un roman aux
allures de parabole sur la puissance de la nature et la promesse de
l’insoumission.
A bientôt pour mes billets sur Chavirer de Lola Lafon et Le silence des vaincues de Pat Barker!
Deux petits polars en un billet... ou plutôt un « gros » polar (600 pages) Le Pacte de Lars Kepler et un petit, Sott de Ragnar Jonasson, (342 p), un suédois et un islandais.
Lars Kepler est le pseudonyme d’un couple d’écrivains suédois Alexandra et Alexandre Anhdoril. Nous sommes à Stockholm. Le thème principal du roman Le Pacte porte sur les ventes d'armes illicites consenties de manière frauduleuse à des états coupables de génocide ou proches des djihadistes. Cette dénonciation est vécue à travers les aventures d’une jeune femme, Pénélope, pacifiste convaincue, présidente de l’association pour la paix et l’arbitrage. Pourchassée par un tueur, elle ne comprend pas pourquoi elle est ainsi devenue une cible.
En arrière-plan, kastskar, l'île où Pénéloppe s'est arrêtée.
Pénélope est sur le bateau de son amoureux Bjorn et s’apprête à passer de bons moments avec lui mais sa mère lui impose la présence de sa soeur Viola. Pour s’isoler, elle met pied à terre avec Bjorn à Kasrska, sur l’une des trente mille petites îles de l’archipel de Stockholm, en laissant Viola dans le bateau ancré près de là. Quand elle revient sa soeur est morte, assassinée. Bjorn et elle échappent de peu à leur poursuivant et commence alors une course-poursuite haletante et désespérée.
Parallèlement la police, en la personne de Joanna Linna, enquête sur la mort de Carl Palmcrona, directeur général de l'Inspection pour les produits stratégiques, l'homme chargé de valider les contrats d’armement de la Suède. Il est retrouvé pendu chez lui : suicide ou meurtre ? Le corps de Viola retrouvé à bord du yacht passe d’abord pour un accident. Bientôt, le policier va être amené à lier les deux affaires.
La lecture procure des moments de tension réussis surtout lors de la fuite de Pénélope qui relève du cauchemar. Mais j’ai eu l’impression de passages moins soutenus, moins bien écrits, et je me suis demandée si c’était l’écriture à quatre mains qui en était responsable ou seulement un manque d’inspiration. Le roman est intéressant par ce qu’il nous apprend des ventes d’armes et des trafics qui y sont liés même si l’on n’a pas besoin d’aller en Suède pour découvrir cela ! Hélas ! Le récit est pessimiste, car tout amène à croire que rien n’arrêtera jamais cette corruption ! Le Pacte a des visées politiques mais il ne va pas très loin dans la critique car la complexité de l’intrigue nous amène ailleurs, à l’aspect thriller du livre que les auteurs semblent avoir privilégié : complots, personnage mystérieux et pactes sanglants que rien peut rompre. C'est l'aspect que j'ai le moins apprécié. En résumé, Le Pacte est un thriller qui fonctionne assez bien mais pas un coup de coeur.
C’est le premier livre que je lisais avec ce personnage récurrent de l’inspecteur Joanna Lina. Certaines critiques disent que ce roman n'est pas le meilleur et que le policier se révèle plus intéressant dans d'autres enquêtes.
Ragnar Jonasson : Sott
J'avais lu avec plaisir le livre de Ragnar Jonasson Snjorqui décrivait avec brio le sentiment de claustrophobie qui s'emparait de l'inspecteur Ari Thor, envoyé dans une ville du Nord profond de l'Islande, Siglufjordur. Coupé du reste du monde par une tempête, l'inspecteur menait ses enquêtes dans une atmosphère angoissante.
Avec Sott, nous
retrouvons donc l'inspecteur. Cette fois-ci, il n'est plus fâché avec
Kristin, il s'est réconcilié avec elle et il la voit régulièrement
malgré l'éloignement puisqu'elle travaille dans la capitale et lui est
toujours en train de végéter à Siglufjordur. Il faut savoir qu'il fait si noir et si froid dans cette ville et
pendant si longtemps que Reykjavik passe pour une ville du sud chaude,
lumineuse et privilégiée! Ceci pour faire comprendre la situation.
L'écrivain renouvelle le scénario précédent. Ari Thor, est à nouveau isolé de tout, la ville étant mise en quarantaine à la suite d'une épidémie.
Siglufjordur, plutôt joli.. hors hiver!
Bon, comme point de départ, je constate que Jonasson ne fait pas dans l'original. Mais voyons l'intrigue. Un homme vient le trouver pour élucider la mort de sa tante qui a été classée comme accidentelle il y a vingt ans de cela. Il a, en effet, trouvé une photo qui introduit un doute et est incontestablement une raison pour relancer l'enquête. Ari Thor s'y emploie, ce qui nous permet de découvrir un fjord et une ferme encore plus reculés et coupés de tout en hiver que ne l'est Siflufjordur ! Et ce n'est pas peu dire!
L'intérêt du roman, à mes yeux, réside là, dans la description de cette ferme et des activités des habitants, dans la description d'une vie dure, d'un isolement presque total qui privait les gens de tout secours avec des chemins enneigés, dangereux à travers la montagne. Les recherches de l'inspecteur nous font découvrir qui étaient ces personnes, leurs rapports entre eux, les non-dits, les haines, les rancunes et la personnalité de chacun se révèle à nous. Nous nous rendons avec Ari Thor dans ces lieux maintenant reliés par une route. Un long tunnel traverse la montagne. L'écrivain rend très bien la pesanteur qui règne dans cet endroit, l'absence de vie qui peut expliquer la folie des hommes.
Par contre, je n'ai pas du tout aimé le dénouement dans lequel le héros fait preuve d'un manque de sensibilité voire d'humanité envers l'homme qui lui a commandé cette enquête et, ceci, d'autant plus que les conclusions d'Ari Thor ne sont que des supputations. A mon avis, il n'a pas de preuves à l'appui. Cela rend le personnage peu sympathique et ne convainc pas le lecteur.
Miss Islande de Audur Ava Olafsdottir raconte l’histoire d’une jeune femme qui porte le nom du volcan islandais, Hekla. Elle part à Reykjavik, quittant sa région natale, dans le nord, pour être écrivain. Elle s’est aperçue bien vite qu’il est difficile de réaliser son projet -qui est aussi une vocation- quand on est une femme. De caractère bien trempé, volontaire, elle décide de tracer sa route sous un nom d’emprunt. Non, nous ne sommes pas dans l’Angleterre victorienne des soeurs Brontë mais en Islande dans les années 1960 ! Hekla est née en 1942. Le premier chapitre du livre s’intitule d’ailleurs : « Poète est un mot masculin ». Seule son amie Isey, mariée trop jeune et déjà mère, et Jon John, son ami d’enfance, homosexuel, ainsi que son père, sont au courant.
Le récit raconte les difficultés rencontrées par Hekla : travailler dans un café, subir les humiliations quotidiennes, gestes déplacés, harcèlement sexuel, d’hommes avinés, refuser de participer au concours de Miss Islande, seule « carrière » envisageable, semble-t-il, pour une jeune femme quand elle est jolie, et trouver le temps de continuer à écrire !
Mais être une femme au foyer, ne semble pas beaucoup plus désirable. C’est ce que l’on se dit quand on voit Isey, ses regrets non exprimés, son enfermement entre quatre murs, son manque de communication avec son mari, et, malgré l’amour porté à ses enfants, la peur d’être enceinte sans pouvoir être maîtresse de son corps, sans possibilité de contraception.
Le roman explore aussi le thème de l’homosexualité. Il montre les souffrances de Jon John qui doit cacher ce qu’il est, et pourtant subir les railleries, les brimades, la brutalité de ses camarades de travail pendant ses expéditions en mer.
Ces deux derniers personnages, fragiles, sont intéressants. J’ai aimé ce qu’écrit Isey dans son journal intime qu’elle cache dans une seau mais qui contient de jolies perles poétiques. Par contre, le personnage de Hekla n'est pas attachant. Les relations qu’elle entretient avec Starkadur, l’homme avec qui elle va vivre, ne la rendent pas obligatoirement sympathique. Elle est très froide et n’a d’empathie que pour ses amis et son père. On sent qu’elle est prête à sacrifier tout ce qui freinerait ses projets.
C’est peut-être pour cela que le roman malgré ses qualités évidentes d’écriture ne m’a pas toujours touchée bien qu'il ait reçu le prix Médicis étranger.
Ce que je préfère, dans le roman, se situe dans le chapitre placé avant l’histoire d’Hekla : le passage où la mère d’Hekla, enceinte, rencontre l’aigle qui la raccompagne jusqu’à son logis, celui où le père amoureux des volcans donne son nom à la fillette et l’amène avec lui voir les éruptions.
En fait, c’est là que je retrouve l’écriture que j’aime, Audur Ava Olafsdottir et son rapport avec la nature et la terre mère, l’Islande.
Dépaysement total pour moi dans ce roman de Audur Ava Olafsdottir : Le rouge vif de la rhubarbe qui raconte l’histoire d’une adolescente, Agustina, sur une petite île islandaise. La fillette dont le père est parti avant sa naissance est confiée à la vieille Nina. Elle reçoit régulièrement des lettres de sa mère qui étudie les oiseaux à l’autre bout du monde.
Le cadre constitue un lieu à part, très beau mais assez inhospitalier puisque aucun arbre n’y pousse sauf la rhubarbe sauvage qui y abonde et se révèle être « la principale forêt du village ». Sa couleur rouge donne le titre au roman et sa couleur au paysage. C’est un îlot battu par les vents, les embruns et le sel, avec sa plage de sable noir et son village accroché à la pente d’une montagne qui culmine à 844 mètres! C’est cette montagne que la jeune Agustina, quatorze ans, rêve de franchir. Ce qui constitue un défi pour la jeune fille dont les jambes sont paralysées mais qui se déplace sur ses béquilles avec une dextérité courageuse, cherchant à se dépasser malgré ses "jambes de coton".
Le rouge vif de la rhubarbe est roman d’apprentissage. Agustina va à l’école, elle subit les moqueries des camarades, mais rencontre aussi un garçon, Salomon, qui l’apprécie et se montre gentil avec elle. Sa mère lui manque et elle espère pouvoir la rejoindre un jour. Elle est proche de la nature dans laquelle elle se réfugie souvent.
Mais les difficultés de la jeune fille qui rêve d'avoir des jambes font d’elle « une sirène », un personnage à part, introverti, réfléchi. La nature sauvage qui l’entoure joue un grand rôle dans la formation de son caractère. Tout ceci donne une poésie, une étrangeté et un charme particulier au roman.
Le mot islandais Ör nous dit Audur Ava Olafsdottir « signifie cicatrices. Le terme s’applique au corps humain mais aussi à un pays, à un paysage malmené par la construction d’un barrage ou d’une guerre.»
Jonas Ebeneser pour sa part a sept cicatrices. La première étant celle de la vie, elle-même. « Nous sommes tous porteurs d’une cicatrice à la naissance : notre nombril » explique l’auteure. Jonas est un écorché vif de naissance. Tout est blessure pour lui, un oiseau à l’aile cassée, la méchanceté des hommes entre eux, les guerres. Une autre cicatrice, l’abandon de son père. Et puis sa mère Gudrun, professeur de maths, a laissé son esprit aux oubliettes et survit dans une maison de retraite. Son amour Gudrun a trouvé un autre homme et est partie. Sa fille Gudrun-Nymphéa, il l’a appris au moment de la séparation d’avec sa femme, n’est pas de lui. Et le tatouage d’un nymphéa blanc sur la poitrine pour cacher l’une de ses cicatrices ne semble pas remédier à la blessure initiale.
C’est donc un homme qui ne peut guérir. Et c’est dans un pays blessé, un pays qui sort de la guerre, qu’il décide de partir quand il veut se suicider.
Je suis entrée dans le livre d’Audur Ava Olafsdottir avec bonheur. J’aime cette écriture limpide, poétique et intimiste. J’ai retrouvé le goût de cet univers qui parle de personnes sensibles, attentives aux autres.
Pourtant, lorsque le récit s’oriente vers le départ dans un autre pays, j’ai éprouvé de la déception. Il m’a semblé que c’était un poncif : il y a tellement dans la littérature actuelle de personnages féminins (en général) désespérées qui partent à l’étranger pour y découvrir la guérison voire l’amour ! Et le fait que ce soit un pays qui sorte de la guerre et que Jonas parte, en plus, muni d’une boîte à outils, m’a paru invraisemblable.
Il y a donc eu un flottement dans ma lecture avant que je ne me rende compte, d’après l’orientation du récit, que oui, bien sûr, c’est invraisemblable mais que le récit est métaphorique, qu’il ne faut pas s’en tenir à une interprétation réaliste comme je le faisais ! Les réparations que Jonas est amené à faire dans ce pays où tout est détruit, où plus rien ne marche, le répare lui-même, panse les blessures, atténue les cicatrices.
Jonas y apprend beaucoup de choses, évidentes mais que l'on oublie trop souvent, que c’est en s’occupant des autres, en agissant qu’il se sentira plus fort, que l’amour paternel et filial (c’est Nymphéa qui le lui dit) ne tient pas à un chromosome mais à l’amour, aux soins affectueux, au dévouement, au respect, au partage, et à tous les bons et même les mauvais moments d’une vie commune.
Finalement, malgré ce moment d'hésitation, j'ai aimé ce roman. La pensée d’Audur Ava Olafsdottir est simple, certains diront un peu trop gentille donc simpliste, mais je ne suis pas d'accord. Car l’optimisme, la foi en l’homme et au triomphe de la bonté, sont autant de baumes qui permettent de panser les Ör de notre vie personnelle, la noirceur de la haine, les horreurs des guerres.
Snjor de Ragnar Jonasson. Encore un policier nordique ! Cette fois, nous sommes transportés en Islande du Nord, dans une ville Siglufjordur, si éloignée, si coupée du reste du monde et si froide que Reykjavik, par contraste, semble être une villégiature tropicale ! Oui, j'exagère un peu mais n'oublions pas que j'ai vécu longtemps à Marseille.
Ceci dit, un des intérêts du roman, entre autres, c'est ce dépaysement total dans une ville plongée dans la nuit hivernale, ensevelie sous des mètres de neige (Snjor, la neige) dont la seule voie de communication par la route est le plus souvent coupée par des avalanches, un lieu sans lien avec le reste du monde quand sévissent blizzards et tempêtes! Une ville où tout le monde se connaît avec ce que cela suppose de positif (l'amitié, la solidarité) mais aussi de négatif (le manque d'intimité, l'obligation des rapports sociaux même avec des gens que l'on n'aime pas, les racontars, les rumeurs malveillantes.). Une ville où la porte n'est jamais fermée à clef de jour comme de nuit et pourtant ! Lorsque un écrivain célèbre tombe d'un escalier d'une manière suspecte et se tue, lorsqu'une jeune femme est découverte assassinée dans la neige, l'inquiétude et la peur font son apparition à Siglufjordur.
Le personnage principal est le jeune policier Ari Thor, frais émoulu de l'école de police, qui vient d'être affecté dans la ville. Dans l'Islande en proie à la récession économique, il est bien heureux de trouver un travail mais il doit quitter pour cela sa petite amie Kristin qui vit à Reykhavik. Au-delà de l'intrigue policière, on suit avec intérêt, le délitement de cet amour à cause de l'éloignement et plus subtilement d'une différence sociale responsable d'une fêlure entre les deux. On voit sa difficile acclimatation à ce pays si rude, ses angoisses, son impression d'étouffement. Puis l'on fait connaissance avec les autres protagonistes de l'action dont la belle Ugla qui ne laisse pas Ari Thor indifférent.
Une intrigue que l'on suit avec plaisir, des personnages intéressants, la découverte d'un pays, une atmosphère oppressante, voilà qui ce qui fait la réussite du roman où l'on se sent pris à partie, enfermé dans un huis clos à l'islandaise. C'est d'ailleurs le sous-titre du roman. Et je compte lire la suite qui s'intitule : Mörk.