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samedi 10 mai 2008

Suarès écrit sur Mein Kempf : blog de Pierre Assouline

 André Suarès


Voici un texte qui m'intéresse énormément et que je copie ici pour pouvoir le relire et le faire connaître aux amis qui visiteront Ma Librairie. Il renvoie au blog de Pierre Assouline : "La République des Livres" dans le Monde.
Je viens de voir à la télévision un documentaire sur Mein Kempf qui s'interroge sur ce livre, sur sa portée. Qui l'avait lu, avait-il été compris? Comment ses lecteurs avaient-ils réagi? La réponse de Suarès que je ne connaissais pas est magnifique et cela dès 1934. Quelle lucidité sans faille et quel dommage que ce cri n'ait pas été entendu! je suis en train de lire le livre de Gitta Sereny : Au fond des ténèbres . Voilà une réponse aussi aux nazis qu'elle interroge et qui prétendaient ne pas savoir! Ils n'avaient pas lu Mein Kampf?

08 mai 2008

Suarès avait pourtant prévenu

Loin de moi l’idée de remettre le couvert. Ou même de réactiver le débat. C’est juste que je m’en veux de n’avoir pas songé plus tôt à fouiller davantage dans ma bibliothèque avant d’écrire le billet sur l’opportunité de la réédition de Mein Kampf. J’y aurais retrouvé un auteur que me fit découvrir mon ami Michel Drouin, il y a une vingtaine d’années, un écrivain remarquable pour la gloire duquel il se dépense sans compter, André Suarès (1868-1948). Tout amoureux de l’Italie se doit d’avoir lu Le Voyage du Condottiere (curieusement introuvable depuis sa réimpression par François-Xavier Jaujard autrefois à l’enseigne de Granit, même au Livre de Poche), tout amateur de musique ses études sur Bach ou Debussy.
Suarès était un insurgé permanent au caractère ombrageux, hanté autant qu’habité, ce qui n’a pas facilité la diffusion de son oeuvre. Ecrivain et poète, pilier de la NRF et essayiste visionnaire, biographe inspiré de nombre d’écrivains et ardent dreyfusard, il était également un polémiste au ton volontiers prophétique, que l’on finissait par prendre pour un Cassandre de plus alors que l’Histoire donnait souvent raison à l’exceptionnelle acuité de son intelligence. Mais on sait à quel point il est inconfortable d’avoir souvent raison trop tôt. C’est à cela que je veux en venir. A ses Vues sur l’Europe, recueil dans lequel on voit combien il s’est acharné à dénoncer les dangers du nazisme dès 1933. Dans le désert. A la suite de mon billet sur Mein Kampf, Michel Drouin m’a amicalement invité à me replonger dans deux articles prémonitoires d’André Suarès. Dans le premier intitulé “Point de paix avec Mein Kampf” et publié dans Le Jour du 5 août 1935 et dans L’Indépendant de Blida du 13 août 1935, on peut lire notamment ceci, dans le style vif ardent qui était sa signature lorsqu’il se faisait pamphlétaire :
“On ne traite pas avec l’Allemagne, ou c’est qu’on veut être dupe. Pour un homme d’Etat, être dupe n’est pas un signe d’esprit ni la preuve qu’il est digne de mener les affaires. Mais vouloir être dupe, cette sottise ou cette ignorance est une forme ridicule de la trahison. Aujourd’hui, on ose parler des bonnes intentions d’Hitler et Londres se donne le luxe insensé d’y croire. Cependant, Mein Kampf est tiré à deux millions d’exemplaires (…) Un pareil délire de maniaque, vomissant l’insulte et la haine, une pareille doctrine de la destruction, prêchée par un chef d’Etat et ses ministres, devenu l’Evangile de tout un peuple, voilà qui ne s’est jamais vu. Les gorilles jusqu’ici n’ont pas publié de livre, et ils n’ont pas eu de philosophe à queue prenante pour les écrire. Tous les assassins, tous les faillis, tous les professeurs de l’Hitlérie répandent cette Bible sauvage : elle est le livre du pur Allemand, autrement dit du bon Aryen. Le diable passait pour être logicien : la brute désormais est ethnologue. Après quoi, traitez avec ces assassins, qui mentent et trompent toujours, quand ils ne peuvent pas se livrer aux délices de l’invasion ou du massacre. Traitez, et si vous êtes assassinés traîtreusement, pris d’assaut au milieu de la nuit, vous l’aurez voulu et vous vous l’aurez mérité (…) Ils haïssent toujours : le mépris est la forme la plus hideuse de la haine, la plus lâche aussi. Et la haine est la matrice de la destruction (…) Il n’est pas permis à un peuple humain et noble de traiter avec l’Allemand”.
Quant au second article tout aussi saisissant, sur le même sujet, intitulé simplement “Mein Kampf”, il fut publié dans le NRF du 1er décembre 1934 et repris dans Panurge du 20 mars 1936 :
“Celui qui veut tirer quelque miel, fût-ce le plus âcre, de tout ouvrage de l’esprit, doit prendre sur soi pour lire Mein Kampf jusqu’au bout. Le courage de poursuivre ne suffit pas. Cet orage de stupidité, cette explosion de miasmes n’inspire pas moins d’ennui que de dégoût. Tant d’orgueil dans la sottise et la méchanceté, une telle impudence à s’adorer soi-même et à dégrader les autres, tant d’affirmations meurtrières sans l’ombre d’une preuve, le délire de ce primate qui s’accorde tout pour tout refuser à autrui, qui raisonne avec ses griffes et argumente avec ses crocs, ce radotage enragé mène le lecteur de nausée en nausée (…) Il répète cent fois le même propos. ce rabâchage est un signe de la manie : dix fois moins long (N.D.L.R. 700 pages), Mein Kampf ne serait ni plus ni moins vrai, ni plus ni moins complet (…) Sa cellule est tout un peuple; il a l’écho de soixante millions d’hommes; loin d’être enchaîné, c’est lui qui est le maître absolu de leur liberté (…) A l’étranger, il est à peine croyable qu’on doute de sa malfaisance et qu’Hitler trouve encore une excuse. On feint de croire que l’homme de Mein Kampf n’est pas celui qui règne sur l’Allemagne désormais : on soutient qu’en dix ans, il a dû changer et n’être plus si sauvage. Quel aveuglement. Dans ce livre, il y a tous les crimes d’Hitler commis cette année, et tous ceux qu’il pourra commettre encore. Ils y sont, il les annonce, il s’en vante plus même qu’il ne les avoue. Il dit, en termes exprès, qu’il faut mettre le feu au Reichstag, et il l’a fait. Et vous cherchez encore l’incendiaire, le coupable ? (…) Que faut-il de plus que ce livre ? Il confesse les intentions. Tout y est, et tout y aura été, quoi que cet homme fasse. Il serait bon que tous les Français le connaissent, et on les empêche de le lire (…)”
On connaît la suite, les accords de Munich et le honteux soulagement qui s’ensuivit. Michel Drouin, qui fut professeur d’Histoire et qui est l’un des meilleurs spécialistes de l’histoire de la Nouvelle Revue Française, me rappelle qu’à la suite de ce texte, la revue enregistra des désabonnements et André Suarès fut accusé d’”hystérie” par Jean Schlumberger. A noter également qu’on ne trouve rien de comparable, de cette encre et de cette force, ni même rien dans le même ordre d’idées, chez les autres “grands” de sa génération, les Gide, Claudel, Valéry, Giraudoux, Rolland, Bernanos. “Et dire qu’il se voulait avant tout poète et musicien…” Ce n’est pas tant qu’André Suarès nous manque, à nous qui le connaissons si peu; c’est surtout qu’il nous manque un André Suarès.