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mardi 27 mars 2018

Karel Capek : La guerre des salamandres



La guerre des salamandres de l’écrivain tchèque Karel Capek est l’un de ces livres dont le titre m’a interpellée pendant des années, cité très souvent comme l’un des plus  grands classiques de la science-fiction politique et aussi comme un texte visionnaire. Une de ces oeuvres dont vous vous dites chaque fois : "Il faut que je la lise » ! Lecture à faire toujours repoussée, oubliée, mais qui reste dans un coin de votre mémoire. Et puis soudain dans le cadre du mois de La littérature de l’Europe de L’Est, voilà que, sans l’avoir cherché, à la bibliothèque, je tombe sur ce livre. Enfin !!

« Que dirions-nous si une espèce animale autre que l’homme proclamait que, vu son nombre, elle possède seule le droit d’occuper le monde entier et de dominer toute la nature » écrit  Karel Capek quand il publie La guerre des salamandres. Nous sommes en 1936. Hitler est au pouvoir depuis 1933 et Capek ajoute à propos de l’histoire qu’il a imaginée dans  laquelle les salamandres prennent le pouvoir : «  La critique l’a qualifiée de roman utopique. Je m’élève contre ce terme. Il ne s’agit pas d’utopie, il s’agit d’actualité. ». Une actualité qui allait bientôt aboutir à la deuxième plus grande boucherie du XX siècle mais Capek ne serait plus là pour la vivre. Il est mort en 1938.  On peut dire pourtant qu’il l’avait prévue.
La salamandre géante de Chine : 200 ans, 1m 40, 50 kg

Dans une petite île près de Sumatra, le capitaine Jan Van Loch découvre une espèce de salamandres douées d’intelligence, adaptées au milieu marin, qu’il décide d’utiliser pour exploiter les perles huitrières. C’est le début d’un capitalisme paternaliste à petite échelle et encore humain, car le capitaine adore ses salamandres et veille à ce qu’elles ne soient pas maltraitées. Mais à sa mort, plus rien ne retient les grandes sociétés capitalistes et c’est par millions qu’elles élèvent les salamandres, les vendent, les utilisent pour tous les grands travaux sous-marins, les instruisent militairement et leur donnent des armes pour faire d’elles de la chair à canon. Mais…. Les salamandres de plus plus nombreuses se révoltent et prennent le pouvoir.

Dans ce roman Karel Capek, sous le couvert d’un roman fantastique, dénoncent  toutes les abjectes idéologies en isme en commençant par le capitalisme, le nationalisme, le militarisme et l’impérialisme, le racisme…
Les salamandres représentent  les classes laborieuses malheureusement exploitées, des êtres intelligents considérés comme du bétail, achetés et vendus comme jadis les esclaves africains, sujets d’expériences médicales pour les progrès de « la science »,  puis au fur et à mesure que les salamandres développent une intelligence supérieure et que leur nombre s’accroît, elles vont symboliser l’impérialisme qui chercher à accroître ses territoires au détriment des autres peuples, puis la dictature en prenant le pouvoir.

 Karel Capek manie l’humour avec brio, et épingle tour à tour toutes les nations, en mettant en valeur leurs travers et leurs faiblesses et chacun en prend pour son grade, l’antisémitisme des allemands, l’orgueil et la prétention à la supériorité des anglais, le racisme des Etats-Unis avec les agissements haineux du Ku kux Klan, la vanité culturelle des français, et ceci pour notre plus grand plaisir !
Sous cette apparente de légèreté, le propos est pourtant sombre et grave car Capek a une vision lucide de la société de son temps et des dangers du national-socialisme. C’est un monde bien réel que l’écrivain dénonce et dont il fait la satire. Il déjà tout compris  de ce qui est en train de se mettre en place en Allemagne.
Tout en soulevant les questions philosophiques et morales liées à l’exploitation des salamandres, il réalise aussi une satire des législateurs qui multiplient les lois sans se mettre d’accord et sans cohérence, des savants qui écrivent des thèses d’une vacuité absolue.
Et il observe la menace montante du totalitarisme et les réponses inadéquates des nations qui laissent se développer cette peste brune sans réagir, des journaux qui ne s’intéressent qu’au sensationnel, à l'anecdote croustillante, et trahissent leur rôle d’éclaireur et d’éveilleur, du cinéma qui joue sur le strass et les paillettes et ne se préoccupe que de l’intérêt économique du film, n’apportant ainsi aucune réflexion sur le monde en crise.
Et oui, l’on rit en lisant La guerre des salamandres mais l’on ne peut s’empêcher de penser avec effroi à «l’ actualité » - du propos comme le soulignait l’écrivain lui-même -,  une actualité qui est aussi et toujours la nôtre et pas seulement celles des années 1930. A lire !!


Nommé sept fois pour le Nobel de Littérature en 1932 et 1938, Karel Čapek, né le 9 janvier 1890 à Malé Svatoňovice dans la région de Hradec Králové en Bohême, mort le 25 décembre 1938 à Prague, est l'un des plus importants écrivains tchèques du XXᵉ siècle







jeudi 2 novembre 2017

Jean Hegland : Dans la forêt


Je suis vouée aux dystopies en ce moment ou aux romans post-apocalyptique si vous préférez. Quelle que soit leur appellation, c’est une rencontre  dont je ne saurais me plaindre car les livres que j’ai lus sont des réussites : Voir  Les buveurs de lumière de Jenni Fagan et Monde sans oiseaux de Karin Serres

C’est le cas de Dans la Forêt de Jean Hegland paru aux éditions Gallmeister qui, outre une dystopie, est aussi un livre de « nature writing ».

  Eva et Nell, sa soeur aînée, se retrouvent seules dans leur maison isolée, en pleine campagne, à l’orée de la forêt, après la mort de leurs parents et une catastrophe planétaire. La situation est  terrible :  plus d’électricité, plus d’approvisionnement, les gens meurent de faim, des épidémies se propagent, les villes se vident faute d’habitants, la pénurie d’essence empêche les déplacements, plus de téléphone, d’internet, de radios, de télévision; toutes les communications avec l’extérieur sont impossibles.  Les causes de la catastrophe sont assez floues, mais l’on sait que le monde est en guerre. Les deux jeunes filles vont devoir apprendre à survivre, d’abord avec l’illusion que tout va redevenir comme Avant, puis en sachant que la situation n’est pas réversible.

Le récit alterne entre plusieurs moments du passé, de leur enfance un peu marginale, avec des parents qui les font vivre dans la nature, à l’écart de la civilisation à laquelle elles aspirent, en rébellion contre ce genre de vie :  Eva est danseuse, Nell veut entrer à Harvard … au présent où il faut trouver le courage de continuer en abandonnant toute illusion. Le danger est partout, la mort, la famine, la maladie, le découragement, l’envie de suicide, l’ours qui rôde dans la forêt; mais de tous, le plus dangereux, c’est l’Homme. Rescapé de l'ancienne civilisation, il abuse de son pouvoir et symbolise le Mal.
Jean Hegland peint avec beaucoup de lucidité les rapports entre les deux soeurs, les alternances amour-répulsion, la désespérance, la peur. Les jeunes filles sont très dissemblables de caractère, de goût et il ne faut pas oublier qu’elles sont très jeunes et vulnérables : Dix sept, dix huit ans.

Séquoïa géant Yosemite Park source
La partie tournée vers le passé est intéressante mais c’est lorsque les personnages doivent affronter la réalité, après la catastrophe, que la lecture se révèle particulièrement passionnante. La nature devient alors mère nourricière, source de vie  et c’est avec exaltation que Nell et, par la suite Eva, découvre toutes ces richesses qu’elles ne soupçonnaient pas jusqu’alors.
Je reste très sceptique sur le dénouement proposé par l’auteure pour qui la survie ne viendrait que du retour à la vie primitive mais j’ai toujours aimé, depuis Robinson Crusoé, ces « robinsonnades », qui montrent l’humain capable de tirer sa subsistance de la terre, de la forêt, de l’eau et de son intelligence. Un retour à la nature assez exaltant, que proposaient aussi les romans de Giono. Le mythe du bon sauvage à la Rousseau est aussi revisité à travers les lectures de Nell qui découvre le destin de deux femmes amérindiennes chassées par les blancs et qui ont réussi à survivre dans la forêt.

Séquoïa tombé
 L’écrivaine parvient à donner une puissance poétique à cette thèse à travers la description du tronc creux du séquoia géant tombé à terre, véritable caverne des origines où vont se réfugier les personnages comme dans un utérus maternel. C’est évidemment un symbole fort de cet abandon de la civilisation et du retour à l’essentiel.
C’est très beau et j'en aime le symbolisme et la poésie !
Ceci dit dans un monde réel, je ne parie pas deux sous sur la survie de deux femmes et d’un bébé dans une souche d’arbre pendant un hiver entier ! Je comprends très bien la dénonciation de la technologie abrutissante qui nous envahit, nous rend dépendants, nous éloigne de l’essentiel. Pour le reste, la négation du progrès n’a jamais été mon fort ! Celui-ci n’est en lui-même ni bon, ni mauvais, c’est l’usage qu’en font les humains qui le déterminent.  Et Voilà ! retour à la case départ : Rabelais.

Il n'empêche que ce livre est bon, bien écrit, à la fois poétique et addictif  et que j'ai beaucoup aimé sa lecture.

Et je découvre dans Le Monde une critique de Dans la forêt illustrée par une photographie de Aurélia Frey ICI


Voir Aifelle ICI  ; Dominique ICI

mardi 19 septembre 2017

Karin Serres : Monde sans oiseaux



Il paraît qu’autrefois certains animaux traversaient le ciel grâce à leurs ailes, de fins bras couverts de plumes qui battaient comme des éventails. Ils glissaient dans l’air, à plat ventre, sans tomber, et leurs cris étaient très variés. Ils étaient ovipares, comme les poissons ou les lézards, et les humains mangeaient leurs oeufs. On les appelait les « oiseaux ».
Comment décririons-nous un oiseau si nous n’en avions jamais vus ? Si nous n’en avions entendu parler que par ouï-dire? C’est ainsi que commence par cet instant de poésie triste et d’étrangeté le livre de Karin Serres dont c'est le premier roman : Monde sans oiseaux aux éditions Stock.


Bien sûr, le lecteur comprend que cette dystopie présente un monde de l’Après, un Après à goût de catastrophe que l’homme n’a pas su éviter mais qui signe une disparition des espèces et du monde ancien. Mais rien n’est dit vraiment si ce n’est par petites touches, et nous restons dans un entre-deux, un univers dont l’étrangeté nous frappe malgré la familiarité que nous en avons. Le fantastique s'y introduit au milieu du quotidien même si celui-ci n’est que le résultat de mutations malencontreuses commises par les apprentis-sorciers que sont les hommes! Ainsi ces petit cochons fluorescents amphibies qui servent de nourriture mais peuvent devenir des animaux de compagnie. Et que dire de ces maisons sur roulettes que l’on hisse sur le flanc de la montagne à mesure que l’eau avance !
Dans ce roman, la mort et la vie sont étroitement mêlées. Les morts du village enfermés dans des cages sont engloutis au fond du lac. Ce lac d’où vient la vie (la nourriture) mais dont la montée semble inexorable. Ce lac où l’on se noie, où l’on devient statue de glace par les hivers de grand froid. La description du cimetière sous-marin est absolument hallucinante car le style de l'auteure à l'art de faire surgir des images.

Dans ce monde rude, figé dans le passé, vit une petite fille rêveuse qui écrit des poèmes et nous retrouvons en elle nos rêves d'enfants : être Jo dans Les Quatre filles du Docteur March, pleurer en lisant la Ballade du roi des Aulnes. Mais... la banalité de ce monde s'arrête là et d'abord avec le prénom de l’héroïne : Petite Boîte d’os. Ce prénom donné par son père témoigne à la fois de la petitesse de l’homme mais aussi de sa grandeur, du cerveau qui lui permet de penser : « Nous ne sommes qu’un sac de flan mou dans une petite boîte d’os ! » . Une petite boîte d'os qui n'a pu empêcher l'irréparable car pendant tout le roman l'on a conscience de l'impossible retour en arrière et l'on se sent ému par cet univers en disparition.

Petite Boîte aime le vieux Jeff qui a fui le « déluge » et puis est revenu chez lui. C’est l’amour qui la maintient en vie, un amour fort, puissant, entier pour Jeff, son fils Knut, et aussi pour la nature omniprésente. Car la ville existe de l’autre côté du lac mais elle est encore plus âpre et plus cruelle.

Ce roman qui reprend un thème de science-fiction rebattu à notre époque surprend par son regard neuf, l’originalité du traitement. Il touche et émeut par sa nostalgie, son goût doux-amer qui au moment où l’on découvre toute la beauté de la nature nous fait savoir qu’elle n’est plus. Le style de l’écrivaine suggestif, plein de finesse, est à la fois poétique et réaliste, doux et violent. Un beau roman. A découvrir !