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samedi 20 août 2011

Tom Wolfe : Un Homme, un vrai


Tom Wolfe a dit de lui-même qu'il voulait être "le greffier du siècle" et il s'appuie pour cela sur un énorme travail de documentation. Avec son roman paru en mai 2000 sous le titre "A man in full" traduit par : "un Homme, un vrai", il rédige donc un roman réaliste à la Zola, écrivain qu'il admire et dont il a parfois les outrances mais aussi le talent, une oeuvre pourtant bien ancrée dans notre temps.
Ici, c'est la ville d'Atlanta et sa population dont Tom Wolfe dresse les actes en "greffier" méthodique. Le tableau de cette ville du Sud, marquée par son passé malgré son gigantesque effort de modernisme et sa volonté évidente de concurrencer New York au niveau culturel et économique, est minutieusement brossé. Nous sommes amenés à visiter la ville, des plus basses couches sociales aux plus hautes, des zones les plus déshéritées où survit une population noire adonnée à la misère, la drogue et la violence aux beaux quartiers habités par les Blancs et dont le luxe défie l'imagination. Et ce clivage toujours existant entre les noirs plus nombreux (le maire est noir) et les blancs minoritaires mais qui possèdent l'argent, crée une situation explosive... Et donc, sur le point d'exploser, en effet, quand Le footballeur noir, Fareek Fanon, est accusé d'avoir violé une fille blanche de la haute société.
Le personnage central est Charlie Croker, d'origine modeste, promoteur immobilier de génie, devenu une des plus grandes fortunes de la ville mais que sa mégalomanie accule à la faillite, personnage fascinant d'une puissance extraordinaire, à la fois charismatique et odieux, arriviste et vulgaire, patron exploiteur qui licencie ses ouvriers sans aucun état d'âme, incarnant dans toute son horreur les relents du passé esclavagiste de la ville, machiste, homophobe, antisémite... et pourtant incontestablement courageux. C'est à lui que l'on va proposer ce marché : témoigner en faveur de Fareek Fanon ou perdre sa fortune.
Tout autour de lui gravite une foule de personnages principaux ou secondaires dont l'histoire nous est contée dans des chapitres parallèles selon le procédé cher à Tom Wolfe .
Il y a Inman Armholster, l'homme le plus riche et le plus en vue d'Atlanta, Roger II White (Roger Too White comme l'appelle ses camarades), avocat noir à qui ses frères de race reprochent d'être trop "beige", Wess Jordan, le maire de la ville qui a perdu ses illusions (et son honnêteté) quant à la politique, Raymond Peepgass, cadre secondaire d'une des grandes banques d'Atlanta, brûlant de prendre sa revanche sur les grands de ce monde, Harry Zale, collègue de Peepgass... Tout un peuple de vautours prêts à fondre sur leur proie dès qu'ils sentent une faiblesse chez elle et une occasion de gagner de l'argent sur son dos.
Enfin, vient Conrad Hansley, qui est le seul véritable être humain de ce roman finalement très pessimiste car il décrit des rapports humains qui ne sont régis que par l'argent, une société où l'amitié n'existe pas, où seule la position sociale a de l'importance.
Victime de Charlie qui le licencie de l'usine de congélation où il travaillait, Conrad va se retrouver en prison. C'est là qu'il s'efforce de rester un homme parmi des brutes sanguinaires qui ont perdu tout sens des valeurs et qui sont dressés pour le meurtre et le viol. Paradoxalement, c'est un livre sur les stoïciens qui va sauver Conrad et c'est avec Epictète que le jeune homme trouve la force de résistance nécessaire. Au milieu de cet enfer, la voix de ce grec venu d'au-delà des siècles retentit dans sa cellule d'une façon étrangement moderne. Et ces propos infiniment beaux guident le jeune homme qui est à mon avis celui qui donne le titre au roman : Un Homme, un vrai.
Je sais que mon interprétation est très personnelle et va à contre courant des critiques qui pensent que le titre fait référence à Charlie et à son attitude finale. Pour moi, le revirement de Charlie ne suffit pas à faire de lui "a man in full" et à effacer ce qu'il est réellement. D'ailleurs sa personnalité n'a pas changé puisque l'on apprendra, dans l'épilogue, qu'il se débrouille encore à faire de l'argent avec le discours d'Epictète. Non, l'homme véritable, c'est Conrad, celui qui a le courage d'affronter les pires conditions de travail dans l'entreprise de Charlie Croker pour nourrir sa famille, celui qui préfère être envoyé en prison plutôt que de plaider coupable alors qu'il est innocent, le seul qui se porte au secours du prisonnier violé par une brute, celui qui essaie toujours d'être en accord avec sa conscience.
Si parfois Tom Wolfe m'apparaît comme un peu lourd quand il veut faire passer certaines idées, je pense qu'il possède un réel talent dans l'art de construire un univers, de faire s'entrecroiser les fils de vies qui nous paraissent toutes non seulement crédibles mais aussi passionnantes.
Certes sa conception du roman est traditionnelle mais elle est pleinement réussie. A travers cet ouvrage, la société américaine est violemment mise en cause, avec ses monstrueuses inégalités, le racisme latent ou refoulé toujours prêt à refaire surface, le capitalisme sauvage qui foule aux pieds l'individu, les milieux financiers d'une âpreté impitoyable.
De plus, Tom Wolfe a l'art de peindre certaines scènes avec une telle puissance d'évocation que j'ai été complètement captivée, incapable de me décrocher de ma lecture. Je pense, entre autres, à la description du travail dans l'unité de congélation qui apparaît comme une antichambre de l'enfer ou aux scènes de délire collectif qui ont lieu la nuit dans la prison de Santa Rita.
Un bon roman dont la lecture est vraiment prenante et qui rend compte d'une réalité américaine bien loin de l'image édifiante que l'on veut nous en donner aujourd'hui.