Quel étrange personnage que cet Aimé Victor Olivier, vicomte de Sanderval, qui est le héros de la biographie romancée de Tierno Monénembo : Le roi de kahel! Un personnage qui fut célèbre à son époque, à la fin du XIXème siècle, connu dans la France entière et ailleurs... puisque la Grande Bretagne a essayé de l'acheter (incroyable scène relatée par Tierno Monenembo) et le Portugal lui a offert son titre de Vicomte.
C'est pour notre plus grand plaisir que l'auteur fait revivre cet homme, issu d'une famille de la bourgeoisie française industrielle lyonnaise, haut en couleurs qui part, casqué et ganté de blanc, protégé par son inséparable ombrelle, suivi par sa vaisselle de porcelaine, conquérir le Fouta-Djalon, une grande région montagneuse de Guinée, afin de s'y tailler un royaume et de devenir roi. Le plus extraordinaire, c'est qu'il y parviendra et règnera sur le plateau de Kahel que lui donneront l'almamy, chef suprême du Fouta-Djalon et les autres rois Peuls, qu'il y lèvera une armée, y battra monnaie à son effigie, développera l'agriculture, organisera le commerce... Il n'en sera délogé que par les visées colonialistes de la France qui fait du Fouta-Djalon un protectorat français, puis intervient militairement et remporte la victoire sur Bokar Biro, le dernier almamy indépendant, à la bataille de Porédaka. La majeure partie du Fouta sera intégrée alors à la colonie des Rivières du sud et deviendra la Guinée française.* Le roi de Kahel se verra contraint de rentrer en France.
Le plaisir de ce livre vient donc tout d'abord de la rencontre exceptionnelle avec cet homme dont on aurait du mal à admettre la vraisemblance s'il était un héros de roman. Mais il a existé et le travail de biographe accompli par Tierno Monénembo est extrêment documenté et sérieux. L'histoire rocambolesque de ce personnage, ses aventures hors du commun qui l'amènent parfois jusqu'aux portes de la mort, n'en sont que plus extraordinaires. Le lecteur goûte ce mélange d'épopée mi-tragique, mi-comique, assaisonnée des élucubrations pseudo-philosophiques du vicomte sur l'Absolu. On ne peut s'empêcher d'admirer la pugnacité à toute épreuve de cet aventurier, le grain de folie qui lui fait accepter les dangers, les privations, les souffrances, on savoure son intelligence capable de comprendre les peuls, d'assimiler leur culture au point de les battre à leur propre jeu dans le domaine des négociations politiques et économiques, de renchérir sur leur ruse, leurs mensonges, domaines où ils sont experts.
Un autre plaisir et pas des moindres, c'est la découverte de ce pays, de ses paysages, de ses villes, Timbo, Labé, de la naissance de Conakry, des Peuls avec leur organisation politique complexe, leurs moeurs, leurs coutumes. On s'intéresse aux conflits internes, aux luttes fratricides, à quête du pouvoir qui se résout dans le sang comme dans une tragédie shakespearienne. C'est donc une rencontre avec un moment de l'Histoire de ce pays avant la colonisation, quand les Peuls, cette race de seigneurs, avec leur grandeur, leur arrogance, leur beauté, mais aussi leur fourberie qu'ils élèvent au rang d'art, régnaient encore sur un territoire indépendant.
Un bon livre, donc, que j'ai lu avec beaucoup d'intérêt d'autant plus qu'il m'a fait découvrir une civilisation que je connais mal.
*Une autre partie du Fouta est occupée par la Grande-Bretagne et devient la Sierra-Leone
Republié de mon ancien blog qui ferme définitivement ses portes fin Mai après un an de transfert d'articles!