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vendredi 17 octobre 2008

Entre les murs : (2) « Je ne suis pas fier d’être français »

 De Entre les Murs à Comment peut-on être français?

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De Laurent Cantet à Chahdortt Djavann 

J'ai lu aujourd'hui l'article de l'Express du 16 au 22 octobre intitulé Entre les murs de la classe politique. Il confirme bien, au niveau des politiques, le malaise que j'avais senti à propos de ce film dans le milieu enseignant et cela  pour les mêmes raisons. Je cite des passages de cet article :
Xavier  Darcos interviewé : "j'ai une opinion plus que réservée sur ce film. Même s'il dit une chose vraie : on ne peut pas tenir l'école si on ne fait pas école". Luc Chatel, le porte-parole du gouvernement, trouve le film  caricatural mais il ajoute : "  En revanche, j'ai adoré Etre et Avoir"
"Le nom est lâché écrit le journaliste de l'Express, Ludovic Vigogne.  Le document de Nicolas Philibert montrait une classe unique en Auvergne. On est loin d'Entre les murs bien moins consensuel et bien plus politiquement incorrect qui relate l'échec d'un enseignant, montre des profs en détresse et souligne les ratés de l'intégration."
Quant à gauche, même malaise. L'avant -première  organisée à L'hôtel de ville de Paris  "a tourné au débat entre ceux qui ont aimé et ceux qui ont été dérangés"
Bruno Julliard, l'adjoint à la jeunesse, fait parti de ceux qui ont apprécié : "c'est un film assez proche de la réalité, même si elle ne plaît pas à tout le monde".
Fin de citation.
Une  vérité qui fâche! C'est donc rassurant de juger le film caricatural. Et c'est plus facile, bien sûr, de critiquer le professeur plutôt que le système éducatif, plus facile de faire reporter l'échec sur un individu plutôt que sur le collectif et l'ensemble de la société. C'est plus facile de  nier la responsabilité de tous les gouvernements qui se sont succédé par rapport à l'intégration et l'échec scolaire et de préférer Etre et Avoir qui, effectivement, ne dérange personne! J'aimerais bien voir ce que ferait monsieur Darcos pour enseigner la littérature à des élèves qui ne maîtrisent pas la langue française, qui n'apportent pas leurs affaires en cour et à qui il faut d'abord enseigner la politesse et le civisme, j'aimerais que Monsieur Châtel enseigne dans certaines ZEP où règne une violence sans commune mesure avec la contestation des élèves de Entre les Murs. Caricatural, dit-il?
Et puisque, décidément, Entre les Murs est  dérangeant,  je voudrais exprimer, moi aussi, le malaise que j'ai éprouvé, provoqué par un dialogue du film. L'incident survenu au début du match France-Tunisie à propos de La Marseillaise le fait ressurgir :
Un (ou une?) élève lance au professeur : "je suis pas fier d'être français" et celui-ci lui répond : "Moi non plus, je ne suis pas fier".
Evidemment, j'ai conscience, dans la France d'aujourd'hui, que  se déclarer choquée par ce dialogue c'est se rendre suspect de nationalisme -  et je sais tout ce que l'on peut mettre derrière ce mot qui veut tout dire et son contraire - c'est-à-dire, racisme, xénophobie, fanatisme, intolérance,  lepénisme et je ne sais trop quelles autres calamités. Et pourtant, moi, je suis fière d'être française! Alors, là! on va crier haro sur le baudet (votre humble serviteur! pas flatteur, je sais!) et me dresser la liste de toutes les tares de la France!
Je n'ai pas l'intention ici de parler des grands écrivains, philosophes, savants, artistes qui ont fait et font la France (être fier d'eux me paraît naturel pour un français) et d'exalter les grandeurs  et les beautés de la France  (elles sont nombreuses); je ne veux pas, non plus, me lancer dans une liste des imperfections et faiblesses de notre pays (tout aussi nombreuses), colonialisme passé, chômage, précarité, inégalité ...
Je comprends, d'autre part, le sentiment d'exclusion qui anime les enfants français issus de l'immigration et pourquoi (même si je ne l'approuve pas), ils se défendent de cette manière mais il me semble qu'il y aurait là matière à une mise au point  avec les élèves sinon on ne pourra s'étonner s'ils continuent à  siffler L'hymne national. Et oui, monsieur Darcos, encore une fois ne pas "faire école" aux élèves au risque de ne pas "tenir l'école".. Perte de temps? Et pourtant!
Rappeler, par exemple, à ces adolescents que la France, malgré ses insuffisances, est tout de même le pays qui finance leurs études, leur santé,  et que nous détenons encore un des  meilleurs systèmes de santé en Europe (et par rapport aux Etats-Unis, la France est de ce point de vue, un  paradis!). Leur dire que la France est une démocratie, fragile comme toutes les démocraties, qu'il faut veiller à protéger,  mais qui garantit la liberté de pensée, d'expression, celle de croire au Dieu de son choix comme celle de ne pas croire! La preuve, c'est que je peux critiquer notre ministre de l'éducation, le porte parole du gouvernement ou, si je le voulais, le pape dans mon blog.
Et c'est pour cela que notre pays n'est pas méprisable puisqu'il dépend de nous, donc, que cette démocratie se maintienne et s'améliore, il dépend de nous, donc, de lutter contre l'exclusion..
Evidemment, tout ne va pas bien en France et comme le dirait Voltaire (un français dont je suis fière!) : "Tout n'est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes"!
Mais, à ce propos je crois que le mieux, justement, serait de laisser la parole à Chachdortt  Djavann, écrivain français, d'origine iranienne. Pour avoir vécu en Iran dans un régime totalitaire religieux puis en immigrée à Paris, elle sait de quoi elle parle et ne peut être suspecte de xénophobie et de racisme!  Dans son roman, Comment peut-on être français?,  Roxane, une jeune immigrée d'origine iranienne  écrit une lettre fictive à Montesquieu (Tiens! encore un français qui nous fait honneur!):
"Je ne prétends pas que le système social soit parfait en ce pays, mais je serais ingrate de dénoncer ses insuffisances, moi qui viens d'un pays ou aucune protection sociale n'existe. D'autres s'en chargent, et c'est fort bien ainsi puisque le droit de critiquer est assurément la condition du progrès.  Il suffit pour s'en convaincre, de constater la stagnation des Etats où il ne s'exerce pas."
ou encore :
"J'ai lu dans le journal que Paris est une des capitales d'Europe où les policiers se montrent avec le plus d'ostentation.  Il n'est pas de bon ministre de l'intérieur qui n'apparaisse un jour ou l'autre à la télévision pour parler de prévention et de répression. Les plus libéraux disent qu'il n'y a pas de répression efficace sans prévention, les autres disent l'inverse. De qui a-t-on peur qu'on entende ainsi les réprimer faute de pouvoir les éduquer? La liste est longue et s'y mêlent des catégories bien diverses, aussi bien  les criminels qui braquent les banques, assassinent à l'occasion ou commettent des larcins d'importance que les trafiquants de drogue, grands et petits, ou encore des jeunes gens qui réussissent mal à l'école, cherchent en vain un emploi et ne trouvent d'échappatoire que dans la délinquance ou, lorsqu'ils sont mahométans, dans la religion. Il ne manque pas de mollahs (...), pour les pousser dans cette voie, et quelques-uns sont même partis faire la guerre qu'ils appellent Djihad en Afghanistan. Les malheureux! S'ils avaient la plus petite idée de ce qu'est un régime religieux, je pense qu'ils rougiraient de prétendre échapper aux duretés de l'exclusion par les folies de l'aliénation.
Je crois bien que, s'ils jugeaient les pays qui leur servent de modèles et d'inspirateurs à l'aune de leur exigence lorsqu'ils jugent celui où ils vivent, ils se persuaderaient aisément que leur avenir n'est pas ailleurs et qu'ils ont  mieux à faire, ici, que de veiller sur la vertu de leurs soeurs faute de pouvoir les égaler à l'école. Certes, ils ont quelques bonnes raisons de se plaindre. Mais leur remède est mille fois pire que le mal dont ils se plaignent. Il y a chez certains une paresse d'esprit et un manque de courage qui les entraînent à céder au vertige de la haine et de la mort plutôt qu'à affronter les difficultés de la vie"

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