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vendredi 28 mars 2025

Jules Verne : Le pilote du Danube

 

Dans Le Pilote du Danube, Jules Verne concocte pour nous une histoire pleine de dangers et de péripéties, roman posthume qu’il avait à l’origine intitulé Le beau Danube jaune mais son fils, Michel, lui préféra le titre actuel.

Nous sommes en Allemagne, en août 1876, à Sigmaringen où a lieu un concours de pêche auquel participent les plus habiles pêcheurs de La grande Ligue danubienne. Ce concours est gagné par un jeune homme qui se révèle le meilleur à la fois dans le nombre de prises et la taille de la prise. Il s'agit d'un hongrois Ilia Brush …. et celui-ci se dit prêt à réaliser un parcours en barge à partir de la source du Danube jusqu’à son delta en n’utilisant que les produits de sa pêche pour vivre. 3000 kilomètres ! Ce défi provoque l’enthousiasme de tous et de la presse. Chacun est là pour assister au départ triomphal au confluent des deux ruisseaux La Breg et la Brigach qui se rejoignent en amont de Sigmaringen pour former « le danau, d’où les français ont fait Danube. »

Ce Hongrois, personne ne le connaît.  Certains, pleins d’imagination, se demandent s’il n’est pas, en réalité, le chef des brigands qui infestent les bords du Danube et se rendent coupables de vols et de meurtres. D’autres, au contraire, pensent qu’il pourrait bien être, le chef de la police du Danube, Karl Dragoch, qui voyagerait ainsi sous un faux prétexte pour découvrir les coupables. De plus, dès le début de la course, un mystérieux passager, Michel Jaeger, s’invite à bord de la barge.

Pendant ce temps,  nous faisons connaissance d’un jeune homme, Serge Ladko, pilote du Danube, et de sa femme Natcha. Les jeunes époux vivent heureux à Roustchouk, en Bulgarie, au bord du Danube mais ils ont un ennemi, Yvan Striga, rival de Ladko, qui convoite la jeune femme.
En 1875 avait eu lieu le soulèvement de l’Herzégovine et la fièvre gagna les pays sous le joug de l’Empire ottoman. Au mois de Mai 1876 éclate la révolte du peuple bulgare, une rébellion mal préparée, étouffée dans l’oeuf et qui est suivie de représailles terribles ( voir Sous le joug de Ivan Vazov). Ladko, patriote ardent, quitte sa jeune épouse pour participer au soulèvement. Après la défaite, il ne peut rentrer en Bulgarie et bien vite, il n’a plus de nouvelles de Natcha. Serge Ladko décide alors d’aller la rejoindre incognito à Roustchouk.

Voilà ! Au lecteur de débrouiller les fils et de s’y reconnaître pour savoir qui est qui et qui est un autre ! Roman policier, roman d’aventures, roman historique et géographique, les centres d’intérêt sont multiples ! Vous traverserez les dix pays du Danube, visiterez les villes du Danube et leurs richesses... 

 


" En effet, d’un côté, à droite, est Buda, l’ancienne ville turque, et à gauche, Pest, la capitale hongroise. Elles se font face comme le font aussi, une centaine de lieues plus bas, Semlin et Belgrade, ces deux ennemis historiques.
C’est à Pest qu’Ilia Kursch avait l’intention de passer la nuit, peut-être même la journée du lendemain et la nuit suivante, toujours dans l’espoir d’avoir des nouvelles de l’absent. Aussi la barge, au milieu de cette flottille d’embarcations joyeuses, longeait-elle tranquillement la berge de gauche.
S’il eût été moins absorbé par le spectacle enchanteur que présentaient ces deux villes, leurs maisons à arcades, à terrasses, disposées en bordure des quais, les clochers des églises que le soleil à cinq heures du soir dorait de ses derniers feux ; oui, si toutes ces merveilles n’eussent pas sollicité son regard, peut-être aurait-il fait cette observation qu’eût faite assurément M. Jaeger : c’est que depuis un certain temps déjà, une embarcation, montée par trois hommes, deux aux avirons, un à la barre, semblait se tenir en arrière de la barge.

Vous naviguerez au mépris du danger, dans la violence des courants, les tourbillons, la tempête, évitant les rocs énormes qui se dressent sur le passage de l’embarcation, pénétrerez dans le défilé des Portes de Fer… Jusqu’à la Mer Noire.

Les portes de Fer par Fritz Lach

Pendant près d’une lieue, entre des murailles hautes de quatre cents mètres, le fleuve s’écoule, ou plutôt se précipite, à travers un lit qui n’en mesure pas la moitié en largeur. Au pied de ces parois sont entassés d’énormes rocs tombés des crêtes, et contre lesquels les eaux se brisent avec une extraordinaire fureur. C’est à partir de ce point qu’elles prennent cette couleur jaune foncée qui permet d’appeler plus justement le beau Danube jaune, le grand fleuve de l’Europe centrale.

Sans compter que toute une série de coups de théâtre, d'enlèvements, de personnages mystérieux et de méchants très méchants, de quiproquos et de confusion dans les identités de chacun, viennent corser le récit. Une lecture très plaisante, et, comme toujours chez Jules Verne, très documentée!

Chez Miriam Jules Verne : Le pilote du Danube 


Challenge Jules Verne Taloidu ciné chez Dasola


voir lien ici


jeudi 20 mars 2025

Yordan Raditchkov : le poirier et les Noms

Van Gogh : poirier en fleurs

 

Je présenterai bientôt un recueil de nouvelles de Yordan Raditchkov : Les récits de Tcherkaski. Yordan Raditchkov est considéré comme l'un des plus grands écrivains bulgares. Mais pour vous donner une idée de son écriture, voici le texte d'un autre recueil intitulé : Barbe de Bouc. J'adore !

" Mon père, cependant, cracha dans ses mains et empoigna la hache. Alors ma tante se mit à pousser des cris perçants, me traîna dans la neige jusqu'à l'arbre et s'interposa entre le poirier et mon père. " Je vais le couper ! " criait mon père et il faisait de grands gestes avec la hache. " Tu ne le toucheras pas ! " menaçait ma tante. " Je vais le couper !" disait mon père qui s'escrimait avec sa hache, " Je n'ai pas besoin d'un poirier stérile devant ma maison ". Ma tante ne cédait pas et elle jurait sur ce qu'elle avait de plus sacré que le poirier allait produire des fruits cette année, que cela ne faisait rien s'il était resté stérile de nombreuses années. - Bon, mais s'il n'a pas de fruits ? demandait mon père. Ma tante promettait en son nom et au nom du poirier qu'il donnerait des fruits, mais que s'il n'en donnait pas, alors mon père pouvait bien le couper avec sa hache en automne. Au printemps, le poirier se couvrit de fleurs et eut beaucoup de fruits. Plus tard, j'appris que toute l'histoire autour de la hache avait été inventée par ma tante pour que le poirier ait peur et donne des fruits. " 

 

 

Camille Pissarro : le noyer

Et ce  texte Les Noms extrait du recueil Le pot acoustique

"La soeur aînée de ma mère s'était mariée dans le village de Jivovtsi, dans l'ancien district de Berkovitsa. C'était une femme grande et svelte qui paraissait très douce. Son mari s'appelait Tseko. Ils avaient trois filles : Galouna, Veneta et Tsvetana. Galouna s'était mariée la première. Son époux s'appelait Yosko. Ils avaient une fille, elle-même baptisée Yochka. Pour moi ces noms ont toujours respiré la douceur et la bonté. Lorsque toutes ces femmes souriaient, des fossettes apparaissaient sur leurs joues.

Leur verger était dominé par un vieux noyer dont les fruits avaient une écorce molle. Dans la cour, se trouvait un puits qui abritait un très vieux poisson, devenu presque chauve avec les années. Le tout -parents, noms, noyer, puits et poisson - était situé sur la rive gauche de la rivière Ogosta. Les vieilles personnes l'appelaient l'Ogost sans prendre conscience qu'elle portait le nom d'Octave Auguste. Ainsi avait-on transmis le nom de la rivière depuis l'époque romaine à nos jours.

A ce jour, ma mère la désigne encore par son nom ancien".


 


 
( dans Les Belles Etrangères : 14 écrivains bulgares Edition : L'esprit des péninsules)

 

 

 

 

 

 

Yordan Raditchkov : 1929-2004




mardi 18 mars 2025

Théodora Dimova : Les Dévastés


 

Dans Les Dévastés, Théodora Dimova  raconte  le coup d’état du Front de la Patrie le 9 septembre 1944 soutenu par l’Armée Rouge qui pénètre en Bulgarie alliée à l’Allemagne nazie et la terrible répression qui a suivi, arrestations, exécutions sommaires, prise du pouvoir par le parti communiste appuyé par l’Union soviétique.

Théodora Dimova a choisi de parler de cette tragédie en suivant le parcours de jeunes femmes dont les maris sont arrêtés, torturés, exécutés, Raina, Ekaterina, Viktoria (et sa fille Magdalena). La petite-fille de Raina, Alexandra, vingt ans plus tard, nous dit ce qui est arrivé à Raina. Si les trois  personnages féminins principaux ne se connaissent pas, leur destin les ramène toutes les trois devant la fosse commune où le corps de leur mari a été jeté.

« Nous nous dispersons. Commençons à faire le tour des tombes, ombres noires parmi les tombes blanchies. Nous cherchons, nous fouillons du regard. Nous ne pouvons résister longtemps au froid et au vent. Tout à coup une femme s’écrie par ici, par ici. Nous y allons. Un immense rond noir. Recouvert de scories. La neige ne tient pas sur la fosse. Elle fond en tombant dessus. »

 
Les trois femmes appartiennent à la classe bourgeoise aisée, intellectuelles et préservées des duretés de la vie. La mort de leur mari, suivi d’une confiscation de leurs biens et d’une déportation constituent des épreuves terribles et Theodora Dimov nous fait partager avec beaucoup de talent, la détresse, l’angoisse, la misère de ces personnages.

Raina

 

Elena Karamihaylova : Portrait de ma soeur Magda

Raina est mariée à un intellectuel, journaliste, écrivain, Nicola, assez imbus tous deux de leur supériorité sociale. Raina est une femme belle, brillante, raffinée, qui anime des soirées littéraires mais elle est assez superficielle. Apparemment, elle ne s’est jamais posée de question sur ce qu’était le nazisme, sur la  responsabilité individuelle et collective face aux crimes commis par l’Allemagne nazie et son pays. Ce qui m’a frappée, ( et choquée) c’est qu’elle ne regrette pas que la Bulgarie se soit alliée à l’Allemagne nazie, non, ce qu’elle déplore c’est que le gouvernement n’ait pas rompu les relations diplomatiques avec la Russie. Elle et son mari Nicola paraissent être restés étrangers aux crimes dont se rend coupable leur pays. Ce dont se soucie Raina, peut-être pour tromper sa peur, c’est de la couleur du satin utilisé pour la restauration de ses fauteuils.

"Nous étions les Alliés d’Hitler, or, au parlement, les députés de l’opposition plaidaient en faveur de « l’amitié éternelle avec le grand peuple russe »" , amitié liée au souvenir du rôle de la Russie pendant la guerre Russo-Turque en 1878  qui a libéré la Bulgarie du joug ottoman. C'est évidemment comme le remarque Raina  une décision "shizophrénique" pour un pays qui est allié aux nazis !

Ekaterina

Elena Karamihaylova


Ekaterina est l’épouse d’un pope, Mina. Le couple est plus sympathique que Raina et Nicola, plus proche du peuple, conscients de ce qui se passe autour d’eux.  C’est dire que la religion tient une grande place pour elle. Quand son mari est tué, elle se met à écrire un journal pour que ses trois enfants n’oublient pas leur père et sachent qui il était. Il y a une scène très émouvante où Ekaretina achète un lustre à bas prix à une famille juive dans le malheur, ce qui provoque le désespoir de son mari.

« Comment as-tu pu offenser ces gens, Ekaterina, profiter de leur malheur et prendre à un prix dérisoire leur lustre. Tu n’as même pas payé le dixième de sa valeur. Comment as-tu eu le coeur de procéder de cette façon ! Et d’en être heureuse, qui plus est, d’en être fière. Il y  avait des larmes de profonde déception à mon égard dans les yeux de votre père, comme si je l’avais offensé, lui personnellement. … En un instant j’ai pris conscience de la monstruosité de mon acte.»


Viktoria et Magdelena

Elena Karamihaylova : autoportrait au chat

La troisième femme est Viktoria. Elle a adopté un bébé déposé devant sa porte, Magdelena.  Les souvenirs alternent entre elle et sa fille. Viktoria est musicienne et vit pour la musique. Elle aime la France où elle rêve d’habiter et donner des concerts mais elle est sacrifiée à un mari Boris, plein de suffisance, qui la pense incapable de gagner sa vie et refuse de partir. Il sera arrêté par Yordann, son fils illégitime, qui ne lui pardonne pas d’avoir laissé sa mère, femme de ménage, dans le besoin. Déportée, Viktoria travaillera dans une briqueterie. Sa fille préfère se souvenir d'elle baignée par la musique de Chopin :  

"Quoi qu'il me soit arrivé - lentes, tête rasée, poux, froid, chaussures trempées, pénurie, faim, lâcheté - je m'imaginais maman et son piano reluisant, et devant elle, sur le tabouret de cuir, avec sa longue robe en soie, les volants répandus en cercle autour d'elle sur le parquet jaune, on voit dépasser son pied qui presse très souvent la pédale droite, et son visage changeant à chaque mesure, et la musique qui était son état le plus naturel; tant que tout cela existait, il ne pouvait rien y avoir d'effrayant dans ce monde"..."

Bulgarie entre 1930 et 1945

Le tsar de Bulgarie : Boris III

Comme je connais mal l’Histoire du pays, je me renseigne chaque fois sur les époques que traitent les romans en lisant des articles dans le net.

Avant d’aller plus loin, j’ai voulu savoir ce qu’est le Front de la Patrie, coalition politique bulgare de la Résistance (voir  ICI wikipédia ), constitué par le parti communiste, le parti agraire et le parti des ouvriers, pendant la seconde guerre mondiale pour lutter contre la dictature militariste pro-nazie du Royaume de Bulgarie et contre l’Allemagne nazie.

En effet, le Tsar Boris III  a succédé à son père en 1918 à la tête de la Bulgarie. Il meurt en 1943. Dans les années 1930, il a mis en place une dictature militaire dans laquelle les partis sont interdits. La Bulgarie se rapproche de l’Allemagne nazie qui doit lui permettre de récupérer les territoires perdus prenant la première guerre mondiale.
Je cite le début de l’article de l’encyclopédie Multimédia de la Shoah et vous renvoie à sa lecture  si vous voulez en savoir plus ICI 

« Au début du mois de mars 1941, la Bulgarie rejoignit les forces de l'Axe et, en avril 1941, prit part à l'offensive conduite par l'Allemagne contre la Yougoslavie et la Grèce. En retour, la Bulgarie reçut de Grèce, l'essentiel de la Thrace et de Yougoslavie, la Macédoine et une partie de la Serbie orientale. Bien qu'ayant participé à la campagne des Balkans, la Bulgarie refusa d'entrer en guerre contre l'Union Soviétique en juin 1941.
En juillet 1940, la Bulgarie instaura une législation antisémite. Les Juifs furent exclus des emplois publics et subirent des discriminations liées à leur lieu de résidence et des restrictions économiques. Les mariages entre Juifs et non-Juifs furent interdits.
Pendant la guerre, la Bulgarie alliée de l'Allemagne ne déporta pas ses ressortissants juifs. Cependant, elle déporta les Juifs non bulgares des territoires yougoslaves et grecs qu'elle avait annexés. En mars 1943, les autorités bulgares arrêtèrent tous les Juifs de Macédoine et de Thrace. 7 000 Juifs de Macédoine (qui faisait auparavant partie de la Yougoslavie) furent internés dans un camp de transit à Skopje. Environ 4 000 Juifs de Thrace furent déportés vers des points de rassemblement à Gorna Dzhumaya et à Dupnitsa et livrés aux Allemands. Au total, la Bulgarie déporta plus de 11 000 Juifs vers des territoires contrôlés par l'Allemagne. A la fin du mois de mars 1943, la plupart d'entre eux avaient été déportés au camp de mise à mort de Treblinka, en Pologne. » (…)


Voir le billet de Miriam


Théodora Dimova est la fille de l'écrivain bulgare Dimitrar Dimov dont j'aimerais tant lire "Tabac". Hélas ! je ne l'ai trouvé qu'à des prix inabordables. Je vais voir si je le trouve en médiathèque mais ce serait étonnant !

 

 Peintre bulgare

Peintre bulgare : Elena Karamihaylova Ici

 

 


dimanche 16 mars 2025

Elena Alexieva : Le prix Nobel

 


 

Le prix Nobel est un roman policier écrit par l'écrivaine bulgare Elena Alexieva.

Eduardo Ghertelsman, écrivain d’origine chilienne qui vient d’obtenir le prix Nobel, accompagné de son agent littéraire Nastassia Voks, arrive à Sofia où il est accueilli par son éditrice bulgare pour une conférence. Le premier contact avec la ville est révélateur. Il tombe dans un embouteillage « cauchemardesque », sur une chaussée défoncée, et à la remarque polie de Nastassia :« maintenant que vous êtes dans l’Union européenne*, vous aurez certainement les moyens d’améliorer votre infrastructure », l’éditrice se contente de lever « dramatiquement »  les yeux au ciel, et le chauffeur s’étouffe dans ce que l’on ne sait définir comme un rire ou comme une toux. Le roman est paru en 2011 et le ton est donné. On sent que l’écrivaine ne va pas se priver de nous montrer les coulisses secrètes de son pays, la corruption, et la dérive mafieuse!

 L’éminent écrivain, désabusé, ne se fait aucune illusion sur les ressorts de la célébrité et de l’engouement du public  : « Après une vie entière consacrée à la littérature, Ghertelsman, se rendit compte qu’un écrivain en vie n’était jamais aussi bien accueilli qu’un écrivain mort ». Après la conférence, il sort se promener le soir dans la ville et disparaît ! Une demande de rançon suit. Le gouvernement est dans tous ses états ! La disparition d’un prix Nobel est un coup dur et ne va pas améliorer la réputation de la Bulgarie auprès de l’Union européenne et surtout des Etats-Unis ( ce qui est le plus important !).

C’est alors que nous faisons la connaissance de l’inspectrice Vanda Belovska. Elle a été rétrogradée pour avoir mis les pieds dans le plat, si j’ose dire, autrement dit, le coupable qu’elle a débusqué dans une précédente affaire, était un peu trop haut placé pour elle. Bref ! elle a été rejetée par le « Système », ou quel que soit le nom qu’on lui donne.

« Vanda ne craignait pas tant l’acide, l’agression physique ou les balles. Elle avait bien plus peur de ce qui allait arriver ensuite. Si quelqu’un avait décidé de se venger, mieux valait qu’il ne fasse pas les choses à moitié ! Elle s’était habituée à combattre activement sa peur de la violence en se confrontant à la violence même. Mais pour pouvoir se le permettre, elle avait besoin d’un dos : Le Sytème. »

Et voilà qu’on la « réhabilite » et qu’elle est chargée de l’affaire ! Elle comprend vite, en étant reçue par le ministre, un ancien camarade de classe, que, si elle échoue, ce ne sera que plus aisé de lui faire porter le chapeau !  Un meurtre, celui d’un autre écrivain, bulgare, cette fois-ci, relance l’enquête et entraîne Vanda dans un village abandonné, proche de Sofia, où les Roms se sont installés au milieu des ruines.

Je ne sais pas si l’intrigue policière vous paraîtra convaincante mais personnellement j’ai été déçue par l’enquête qui avance lentement et qui est, une fois résolue, assez peu vraisemblable à mon goût. Mais pour moi, l’intérêt du roman est ailleurs et d’abord dans le personnage, Vanda, qui se révèle complexe et qui, dans sa solitude et son angoisse, me touchent. Vanda est une femme seule face à une société hostile. Sa seule relation est son collègue de bureau l’inspecteur Kreustanov. Et son seul compagnon est (non pas un chat comme tout bon inspecteur qui se respecte) mais un iguane, par dessus le marché pas très aimant, ni toujours commode ! C’est la richesse du personnage qui donne vie au récit, son questionnement aussi sur la vie, sur ce qui l’entoure. Par exemple, sa relation avec sa mère, source de culpabilité et de remords, dont elle n’est pas proche mais qui, malade, ne peut se suffire à elle-même et qu’elle doit aider; ses rapports avec la corruption, avec l’autorité, son refus de se laisser transformer par le Système alors qu’elle est obligée de se « blinder » face à la violence, la pauvreté, les minorités rejetées, au risque de perdre son humanité.

" Là où elle était, elle savait au moins de quel côté elle se se trouvait. En revanche, plus haut dans la Hiérarchie, les frontières se brouillaient, et c’était là une particularité à laquelle nul ne pouvait échapper. Tous n’étaient pas corrompus ou criminels, au contraire. Mais la seule chose qui les empêchait de l’être, c’étaient leurs propres conceptions ou volonté. Quant au reste, c’était le principe sur lequel reposait l’Etat dans sa totalité. Le Monde entier, se dit Vanda… "

La vision que Vanda nous donne de la société bulgare et du pouvoir donc est au centre du livre ainsi que son refus d’y participer. Elle dénonce un Système qui broie l’individu. L’alternance du pouvoir qui porte au sommet un chef pour le faire tomber l’instant d’après, la pousse à refuser toute distinction et tout poste important.
"Toute ascension se termine par une chute, se dit philosophiquement Vanda.
Même leur chute ne transformait pas ces fonctionnaires en héros tragiques. Au contraire. Une fois qu’ils s’étaient écroulés, il ne fallait que quelques jours pour qu’ils tombent dans l’oubli."

C’est pourquoi on comprend bien le dénouement, un peu déroutant de prime abord, mais il s’agit pour elle de choisir de rester humaine.

J’ai beaucoup aimé aussi les réflexions sur le monde de l’édition où tout est bon pour faire de l’argent, où la littérature est traitée comme un marché, où la création littéraire devient "un métier" comme un autre avec ses obligations de rendement.
Hasard de la lecture, moi qui lis en ce moment pour le challenge sur le Chili, il se trouve que le chef d’oeuvre d’Eduardo Ghertelsman lu par Vanda, Sang et aube, raconte comment l’écrivain se cache dans une cave après le coup d’état de Pinochet. Au questionnement sur la société apparaît aussi un questionnement sur la littérature, sur son pouvoir.

« De ses pages jaillissait une souffrance qui ne pouvait être feinte. L’impression hautaine qui en émanait ne pouvait pas non plus être feinte. Vanda n’arrivait pas à s’expliquer comment il était possible qu’un homme qui courait après la mort comme après une carotte attachée à un bâton tenu à l’autre bout par la mort elle-même - sauf que ce n’était pas la sienne à lui, mais celle de tout ce qui était en train de périr autour de lui- se permit d’être aussi intransigeant. Et ce, non pas qu’il n’ait rien à perdre, au contraire, il espérait gagner. »

Donc, au final, j’ai  trouvé qu'il y avait  de nombreuses raisons d'aimer ce roman qui présente plusieurs entrées très diverses et intéressantes.


* Entrée de la Bulgarie et de la Roumanie dans l’espace Schengen le 1er Janvier 2005. Entrée dans l'UE le 1er janvier 2007.
 

 


 

vendredi 14 mars 2025

Challenge Bulgarie : Bilan provisoire et Idées de lecture

 BILAN BULGARIE ET IDÉES DE LECTURE

 


 


Claudialucia

 Challenge Bulgarie : Littérature Histoire Art qui se joint à moi ?

 Les peintres bulgares : Vladimir Dimitrov Le Maître et Radi Nedelchev

Elena Alexieva : Le prix Nobel 

 Elitza Guieorgieva : Les cosmonautes ne font que passer

Kapka Kassabova : Elixir 

Yordan Raditchkov  : Le poirier/ Les noms

Ivan Vazov : sous le joug

Jules Verne : Le pilote du Danube

Yordan Yolkov Un compagnon mon billet 

Yordan Yolkov Soirée étoilée mon billet


Fanja

Le pays du passé de Gueorgui Gospodinov 

 

Je lis je blogue
 

Viktor Paskov Ballade pour Georg Henig

 

Miriam :

Theodora Dimova : Les dévastés

Kapka Kassabova Elixir ou la vallée de la fin des temps

Kapka Kassabova : L'esprit du lac 

Kapka Kassabova : Lisière

Marie Kassimova-Moisset :  Rhapsodie balkanique 

Angel Wagenstein :  Adieu Shangaï

Angel Wagenstein : Le pentateuque ou les cinq livres d'Israel

Jules Verne : Kereban le têtu 

Jules Verne : Le pilote du Danube 



Rappel du challenge :

Je pars en voyage en Bulgarie au mois de mai et je commence à lire des livres d'auteurs bulgares fort intéressants.  Qui veut me rejoindre pour découvrir la littérature bulgare ? 

Il s'agit d'une littérature peu connue. Personnellement, je n'avais rien lu jusqu'à maintenant. J'ai commencé avec quelques titres, c'est pourquoi je publierai dès le mois de Mars. Mais la date du début du challenge sera au Mois d'Avril pour vous permettre de trouver des titres. j'ai pioché, en particulier dans les nombreuses lectures de Miriam.

Donc, à partir du mois de Mars ou Avril jusqu'à la fin septembre, je propose que l'on découvre la littérature bulgare mais aussi l'histoire du pays et les arts, peintures, icônes, fresques, architecture...

 Laissez vos liens ici.

 




mardi 11 mars 2025

Elitza Guieorguieva : Les cosmonautes ne font que passer

 

 

Le vrai ou le faux

Elitza Guieorguoieva, née à Sofia en 1982, vit en France


"Ton grand-père est communiste. Un vrai, te dit-on plusieurs fois et tu comprends qu’il y en aussi des faux. C’est comme avec les Barbie et les baskets Nike, qu’on peut trouver en vrai uniquement si on possède des relations de très haut niveau. Les tiennes sont fausses… "

Ce passage du roman Les cosmonautes ne font que passer d’Elitza Guieorguieva, dans un chapitre intitulé Le vrai ou le Faux, donne le ton. C’est par l’humour que l’écrivaine nous amène à voir son pays à travers le regard d’une petite fille.  Nous sommes en Bulgarie communiste, l’attrait du capitalisme même chez les enfants est puissant et la question du vrai ou du faux ne touche pas, comprend notre héroïne, que les baskets et les Barbies mais aussi les hommes et les gouvernements. Ainsi son grand-père adoré est un « vrai communiste », elle jouera sur ce comique de répétition à plusieurs reprises. Il s’est battu contre le fascisme en résistant dans les montagnes de son pays (allié aux nazis), il n’a tiré aucune richesse, aucun pouvoir, de son engagement. Et puis, il y a les faux, et oui, ceux qui sont au pouvoir, qui ont exercé la répression, qui ont installé la dictature comme Todor Jivkov*, qui semble être dans le collimateur de ses parents. Ceux-ci s’enferment dans la salle de bain et font couler de l’eau pour couvrir leurs critiques et leur colère. La fillette se demande bien pourquoi. Elle-même est trop jeune pour souffrir de l’embrigadement, des discours tout faits, imposés, comme ceux de la camarade directrice de l’école, des journaux qui déforment la vérité, du manque de liberté. Elle porte un regard innocent et sans à priori sur ce qui l’entoure. Mais nous, lecteurs, bien sûr, nous prenons conscience du manque de liberté et de la corruption du pouvoir puisqu’il faut avoir des « relations » pour obtenir ce qui est "vrai". Ce roman est un vrai enchantement tant le ton est vif, amusant, plein de fraîcheur comme la petite fille qui raconte son histoire. Elle n'est pas malheureuse avec une imagination délirante, des parents aimants et, chaque année, une lettre au Père Gel qui lui apporte un cadeau. ( Le Père Noël n'est pas à la mode dans la Bulgarie communiste).

Une vocation de cosmonaute

Youri Gagarine


L’héroïne de ce roman n’a que sept ans lorsqu’elle entre à l’école Youri Gagarine dans une Bulgarie sous contrôle soviétique. Le sourire du premier homme de l’espace, le sapin que le cosmonaute a planté devant l’établissement scolaire, lors d’un visite en Bulgarie, emplit l’enfant de rêve et lui donne envie de devenir cosmonaute. Et ce n’est pas gagné même si elle s’entraîne à l’apesanteur et espère avoir un soutien de « son amie éternelle », Constanza, plutôt portée sur la toilette, les robes fluo et la gymnastique rythmique.  Ses parents mettent beaucoup de mauvaise volonté pour booster sa carrière ! Elle cherche à convaincre son chien Joki, pas obligatoirement motivé lui aussi, de tenter l’aventure spatiale. Ainsi quand son grand-père, le seul qui la soutienne, l’amène au musée des cosmonautes, Joki ne semble pas toucher par la grâce en regardant l’image de Laïka, la première chienne de l’espace. Par contre…

« Il montre bien plus de respect à Ivan, le premier chien bulgare destiné aux vols spatiaux, mort d’une crise d’asthme lors de l’entraînement. Son corps empaillé est exposé au milieu de la salle et Joki, après un moment de choc, se met à aboyer avec beaucoup d’émoi, à la suite de quoi vous êtes priés de quitter les lieux plus vite que prévu. »

Nirvana et transition démocratique

Punk

Enfin vient la chute du mur de Berlin! La fin du communisme ! La liberté ! La fillette entre dans l’adolescence. Elle aura quatorze ans à la fin du roman. Elle renonce à sa vocation de cosmonaute ayant appris que tout était faux dans l’Odyssée de son héros : Youri a failli griller dans sa capsule, et le sapin qu’il a planté est mort dans sa prime jeunesse, remplacé par un autre, donc forcément « faux » !
Amoureuse de Nivarna et de Kurt Cobain, la voilà punkette, chargée de chaîne (arrachée à la chasse à eau des toilettes, elle lance la mode). Elle entreprend une carrière de chanteuse ( pour ne pas faire mentir la voyante de sa mère), compositrice, guitariste (elle ne sait pas jouer de l’instrument mais c’est d’autant mieux pour exprimer sa révolte). Joki est nettement plus doué comme chanteur que comme cosmonaute et il hurle de concert avec elle. Pauvres parents ! Et pendant ce temps l’apprentissage de la liberté et du capitalisme se poursuit.  Et la jeune fille dresse des listes selon son habitude, listes dans lesquelles Elitza Guieorguieva manie l’ironie d’une manière très réussie !

« C’est la transition démocratique. Tout est cher et tout le monde est pauvre.
Maintenant c’est officiel.
a) Il n’y a plus rien à manger
b) il n’y a plus rien à vendre dans les magasins
c) Et rien avec quoi acheter. »


Son père est au chômage, les coopératives et les usines ferment, les prix flambent, l’inflation réduit à rien les quelques petites économies faites pendant vingt ans par sa mère, on inaugure le premier Mc Donald en Bulgarie (quel progrès !), les mutras * se déchaînent, la maffia s’organise, les maffieux costume cravate arrivent au pouvoir  (démocratiquement) … Sa grand-mère la fait baptiser, son grand-père est désespéré, il perd les mots et le mémoire, et elle l’abandonne dans la rue, perdu, désorienté, par crainte d’être vue avec un communiste ! Sous le ton apparemment léger et le rire, la critique se fait plus précise et plus dure.

 « C’est la transition démocratique, la censure n’existe plus, tout le monde est satisfait : la ville se remplit de sex-shops, de boîtes d’entraîneuses, de bars à strip-tease, de vidéoclubs au contenu douteux mais curieux ». Toutes les joies de la liberté et du capitalisme !

Oui, le tableau est désastreux mais c’est conté avec un tel humour que l’on en rit.  J’ai adoré ce livre, la vision de la petite fille qui va peu à peu sortir de l’enfance et mieux appréhender ce monde qui l’entoure… L’humour naïf passe alors à l’ironie acerbe ! Au cours de ces quelques années, tout va changer dans ce pays qui sort du communisme, sinon pour le pire, en tout cas, pas pour le meilleur ! Rire de ce qui est sérieux, de ce qui fait mal, chercher à comprendre, renvoyer face à face le communisme et le capitalisme, tous deux effroyables dans leur manifestation dévoyée.


*Todor Jivkov 



"Todor Khristov Jivkov (Toдор Xpиcтoв Живков ) né le 7 septembre 1911 et mort le 5 août 1998, est un homme politique communiste bulgare. Il est durant 33 ans le principal dirigeant de la république populaire bulgare. Il est responsable d'un épuration ethnique contre les Turcs de Bulgarie." Voir ICI

 

 

 

* Mutra
 

"Sous le communisme, le mot bulgare mutra signifiait généralement « visage de mufle ». Il était utilisé comme une insulte pour décrire quelqu’un, généralement un homme, comme laid et répugnant. Après l’effondrement du communisme, dans les années 1990, le sens du mot a changé. La Bulgarie a entamé sa transition traumatisante d’une société et d’une économie communistes réglementées vers une démocratie.
C’est l'âge d'or des mutri bulgares. Ils se lancent dans des activités plus ou moins illégales. Ils se promènent dans les quartiers en offrant une « protection rémunérée ».
En un rien de temps, un réseau nébuleux de crime organisé impliquant la drogue, la prostitution, la contrebande, le trafic d’êtres humains, le trafic d’armes et l’exportation illégale de pétrole se met en place. Les mutri opèrent en toute impunité car ils savent que la police préfère fermer les yeux,  en échange de pots-de-vin et de faveurs.
Dans les années 2000 la Bulgarie a adhéré à l’Otan et à lUE, les mutris se sont adaptés. Ils  sont devenus des cols blancs. Leur argent a été blanchi. L’intégration entre le crime organisé et l’Etat est totale.
En 2009, Boyko Borisov devient premier ministre. Il agit à la tête de l’état comme un mutra, utilisant des agences pour extorquer les entreprises. Les mutras possèdent leur propre médias. La liberté d’expression a décliné. Et il en est toujours ainsi en 2020."

Voir ICI


 


mercredi 5 mars 2025

Kapka Kassabova : Elixir dans la vallée à la fin des temps


 

Kapka Kassabova avec Elixir dans la vallée à la fin des temps nous emmène en Bulgarie, dans les montagnes des Rhodopes, au coeur de la vallée où coule le Mesta et où vivent les Pomaks, ce peuple enraciné dans la terre, musulman mais non turcophones. Le pays des 742 plantes médicinales. Dans ces paysages encore sauvages malgré l’exploitation intensive qui eut lieu pendant la période communiste, tout paraît connecté, les sommets, les gens et les plantes si bien que l’on y sent quelque chose de « l’ancien temps »

"La Bulgarie, comme je l'ai découvert, est un des premiers pays exportateurs de plantes médicinales et culinaires. Nombre d'entre elles sont toujours récoltées dans la nature, et le bassin de la Mesta est une plaque tournante dans ce secteur du fait de sa richesse écologique : trois chaînes de montagnes, une superposition de plusieurs microclimats, le tout quasiment épargné par l'industrie. Et même par la mécanisation ou la modernité jusque dans les années 1950. L'Etat communiste exploita ensuite la vallée au maximum ".

Dans cet ouvrage, Kapaka Kassabova, écrivain bulgare, installée en Ecosse, part à la recherche de son enfance, des souvenirs de sa grand-mère qui l’a initiée à la cueillette des plantes et à leur savoir, en quête de cet élixir qui est le titre de son ouvrage et dont la composante essentielle est « l’émerveillement » . Mais ajoute-t-elle  : « C’est à vous de le chercher ». « Tout ce que je sais, c’est que notre Terre le fabrique dans son chaudron, en permanence, partout, et que vous faites partie de la recette insensée ».
Elle entre en contact avec les derniers cueilleurs, détenteurs de ce savoir ancestral : les guérisseuses, magiciennes ou sorcières, ou encore saintes, Stoyna, Vanga qui sont vénérées, mêlant christianisme et paganisme. Rocky est l’ensorceleur, Emin, celui qui murmure à l’oreille des chevaux, Tatie Salé est une charmante sorcière au nez crochu et aux yeux chafouins. Tout le pays baigne dans la magie et l’animisme, ce qui n’empêche pas pourtant une approche réaliste des souffrances du peuple Pomak et des difficultés économiques qu’il continue à éprouver.
Dans ce pays, l’Histoire paraît déposer différentes strates qui se superposent pour former un tout mais l’on peut sentir la présence de chacune de ces périodes en restant attentifs : Qui vit sans la nature oublie. Qui vient en pareil endroit se souvient. »

Nous nous intéresserons ici, en particulier, à la Grèce antique si étroitement liée au Rhodopes dont elle est limitrophe, dans ce pays qui vit naître Orphée et où se trouve la grotte ouvrant sur les Enfers. Les plantes entretiennent avec la mythologie des liens étroits : le pissenlit nourrit Thésée et lui donne la force de s’attaquer au minotaure, l’Iris, déesse de l’arc-en-ciel est l’alchimiste originelle, archétype de la Tempérance, figure ailée munie de deux coupes, l’Atropa belladonne évoque les trois Parques, la première déroule le fil, la deuxième le tisse, la troisième Atropa la coupe…
Mais d’autres époques apparaissent.  Les différentes croyances se mêlent,  les formules rituelles, la magie changent d’époque, la samodiva, la nymphe des bois de ce pays n’a rien de bienveillant et change d’apparence  à sa guise, héritière de  la Grecque Thracé, fille du Dieu Oceanos.

Les Rhodopes : les massifs de Pirin et Rila

C’est ainsi que l’écrivaine nous invite à cette communion avec la nature qui ne peut se faire que par l’écoute et le respect. Tout y est musique. La Nature de Kapka Kassabova est bruissante de vie, de paroles, d’incantations :  les fourmis chantent, les pierres, les fleurs, les arbres parlent, révèlent leurs secrets à ceux qui savent les écouter.
La montagne jouait ses variations pour nous. Le Pirin était un conteur virtuose, avec ses fleuves, ses sources, sa palette de verts, ses ruines et ses fantômes.

 La rumeur de la forêt sans cesse en mouvement est « un pas de danse du soleil sur la mousse », les astres appellent, l’arbre sacré, le chinar, vibre, le géranium confie ses pouvoirs à la guérisseuse Vanga « Je sers à calmer les nerfs. Faites-le savoir autour de vous, il me dit. »  Rocky l’Ensorceleur lui confie «  Toutes les plantes sont amour. Mais tu dois apprendre à parler leur langue. Voilà c’est tout pour cette fois. J’espère que ce n’est pas trop tard. ».

Outre la connaissance des plantes médicales, Elixir est un hymne à la nature, un panier de goûts et de saveurs, un enchantement des yeux et des oreilles,  un appel à tous les sens, à la vie. Et j'aime ce style poétique !

La lune semblait pétrie de beurre baratté. Je sentais la sève monter dans les pins, comme le sang afflue vers l'épiderme. Aux phases de pleine lune, tout ce qui est là est doublement là.

« Mon dos absorbait la chaleur du sol et je me muais en ver de terre. Le bruissement de la forêt de haricots verts, l'odeur de résine du tas de bois, le sirop de pin de Zaidé dans le bocal, les hirondelles décrivant en silence des cercles sur les cimes – tout frémissait dans la lumière telle une toile d'araignée, puis volait en éclats à mon réveil, visage brûlé, soleil éclipsé ».

Vanga : « Pas de fleurs coupées surtout, précisait-elle. Elles sont comme des enfants aux mains tranchées… Apportez-moi une plante vivante. »

 

Voir le billet de Miriam Ici 

 

 


 

dimanche 2 mars 2025

Ivan Vazov : Sous le joug

 

Je n’ai pas encore beaucoup lu de livres d’écrivains bulgares mais assez pour avoir déjà un chouchou : Ivan Vazov : Sous le joug, un classique de la littérature bulgare que j’ai énormément aimé. C’est donc par lui que je commence.


V. Antonov : Les insurgés de 1876

L’ouvrage a été écrit par Ivan Vazov pendant son exil en Ukraine, à Odessa en 1888 et est paru en 1890. Vazov y raconte le soulèvement bulgare d’Avril 1876 contre l’empire ottoman qui fait régner une oppression terrible sur le peuple bulgare depuis le XIV siècle. Les paysans, artisans, tailleurs, marchands, hommes du peuple, habitués à la soumission, vont être gagnés par l’enthousiasme d’une poignée d’intellectuels pour la liberté. La révolte s’organise partout en Bulgarie et pour nous dans le petit village de Bela Cherkva  (c’est le village natal de Vazov, Sopot, que l'écrivain a rebaptisé) et l’on ne peut pas dire que ce soit dans la discrétion la plus totale. Tout le monde finit pas être au courant, y compris le Bey qui les considère avec mépris et les laisse faire. "Charivari de lièvres"  disaient les effendi débonnaires».  

 

Bashibouzouks, mercenaires turcs
 

Comment se battre, en effet, contre l’un des plus puissants empires du monde avec son armée régulière de soldats bien entraînés, appuyée par des mercenaires, ses bachibouzouks sanguinaires, tous armés jusqu’aux dents, quand on n’a que quelques vieilles pétoires et des canons creusés dans des troncs de cerisiers !  Et oui, j’ai bien dit, des cerisiers !  coupés par des patriotes dans leur jardin et évidés par le tonnelier qui les cercle de fer comme un tonneau !  

 

Canon-cerisier


C’est le géant Borimetchka - son nom signifie le tueur d’ours car il s’est battu à mains nus contre un ours- personnage pittoresque du roman, qui monte le cerisier sur ses épaules au sommet de la montagne, à Zli-Dol, au-dessus de la ville de Klissoura. Et le premier essai de ce canon improvisé donne lieu à une scène hilarante. Si vous cherchez, comme je l'ai fait, Zli-Dol, Sopot et Klissoura sur la carte, vous vous  trouverez en face du monument à la gloire du soulèvement de 1876, de la statue du géant Borimetchka et de cerisiers-canons.


Le géant Borimetchka 

 

" Dans l’attente palpitante du grondement, les insurgés s’écartèrent un peu, quelques-uns se couchèrent dans les tranchées pour ne rien voir, certains même se bouchèrent les oreilles, fermèrent les yeux. Quelques secondes se passèrent dans une atroce, indicible tension… La fumée bleue continuait à planer au-dessus de la mèche, mais n’arrivait pas à l’allumer. Les coeurs battaient à se rompre. Enfin une petite flamme blanche courut à la mèche, celle-ci s’enfuma… et le canon rendit un son grêle, grognon, rauque comme celui d’une planche sèche qu’on rompt, quelque chose de semblable à une toux, puis il s’enveloppa d’une épaisse fumée.  Sous la pression de cette toux, le canon se fendit et cracha sa charge à quelques pas de distance."

Comment Ivan Vazov nous intéresse à ce grand moment de l’Histoire bulgare ? Et bien en nous le faisant vivre au niveau des personnages. Notre héros Ivan Kralich, un beau jeune homme, ardent révolutionnaire, courageux, au sens de l’honneur rigoureux, s’est échappé de la forteresse de Dyabakir en Anatolie et se cache sous le nom de Boïtcho Ognianov à Bela Cherkva. Là, il rencontre Rada Gozpojina, jeune orpheline élevée au couvent, en tombe amoureux et réciproquement. Les patriotes l’aident à s’intégrer et à organiser la rébellion. Le tchorbajdi Marko lui procure un poste d’instituteur. Le médecin Sokolov, un personnage farfelu, qui élève une ourse et n’a d’ailleurs aucun diplôme de médecin, devient son ami, de même Kandov, un jeune socialiste idéaliste dont l’amour fou pour Rada causera bien des tourments.  J'aime la consultation médicale de Kandov qui demande au médecin comment ne plus être amoureux. Et puis tous les personnages du village qui constituent une humanité vivante, bruyante, bavarde, parfois médisante, et toujours active dont l’écrivain se fait proche. Tout ce monde se trouve gagné par une effervescence révolutionnaire, un désir de liberté, une volonté de relever la tête, de secouer le joug.

"Submergeant tout, l'enthousiasme prenait chaque jour une force nouvelle. Les préparatifs suivaient; pour fondre des balles, vieux et jeunes laissaient inachevé le labour de leurs champs et les citadins plantaient là leur commerce. Des courriers secrets faisaient chaque jour la navette entre les divers groupements et le comité central de Panaguritché; la police clandestine surveillait la police officielle."

"... le printemps venu très tôt cette année-là, avait transformé la Thrace en un jardin de paradis. Plus merveilleuses et luxuriantes que jamais, les roseraies étaient épanouies. Les plaines et les champs portaient des moissons magnifiques, que jamais personne ne récolterait."
 

Mais ce qui m’a surprise dans ce roman, c’est que Ivan Vazov nous décrivant ce soulèvement tragique parvient à nous faire rire car l’humour est maintes fois présent dans le roman et donne des scènes savoureuses.

Ainsi le Géant Borimetchka veut épouser Raika mais il n’ose pas la demander en mariage. La jeune fille attend la noce avec impatience, les parents sont plus que consentants mais…! Tout le village est dans l’attente, ses amis l’encouragent, mais… Non, il est trop timide. Alors ? Il l’enlève ! C’est la joie !  Il semble qu'un enlèvement soit plus facile qu'une demande en mariage ! On fait la fête.

Un grand morceau de bravoure est aussi la représentation théâtrale du Martyre de Geneviève ( de Brabant) joué par les hommes du village. Boïtchko joue le rôle du comte et y gagne son surnom et la sympathie du village. Et qu’en est-il de Fratu, le malheureux interprète de Golo qui martyrise la comtesse Geneviève et la jette en prison ?  Le public pleure, l'accable d’invectives. Le Bey invité -même s’il ne comprend pas le bulgare- pleure de son côté et s’étonne que l’on ne pende pas ce misérable. C'est ce qu'il aurait fait, lui !Une commère « s’approche de la mère de Fratu et lui dit : Dis donc Tana, ce n’est pas bien beau la conduite de ton Fratu ! Quel mal lui a donc fait la petite femme ? »

 

Antoni Potiovski : le massacre de Batak

 

Mais sous le rire, l’on sent tout l’amour que l'écrivain éprouve pour son pays, la nostalgie de cette époque héroïque et la souffrance de la défaite, toute l’admiration pour ce peuple courageux et fou qui s’est lancé dans une bataille où il n’avait aucune chance de triompher ! Quitte à le regretter après ! Les dirigeants de ce soulèvement, appelés les apôtres, -qui pour la plupart ont donné leur vie -  savaient bien pourtant que la bataille était perdue d’avance mais ils voulaient obtenir le soutien de l’Europe et de la Russie en attirant leur attention sur la barbarie turque. Plus de 30 000 victimes, des dizaines de villages dévastés, comme Batak dont les habitants furent tous égorgés, cinq mille enfants, femmes et vieillards. Ainsi Victor Hugo en Mai 1876 dénonce les massacres, de plus, il plaide contre les empires meurtriers pour une constitution des Etats-Unis d’Europe. Dostoiewski et Tolstoï interviennent aussi. Les russes, à la suite du soulèvement, déclarent la guerre aux Turcs (1877-1878), ce qui entraînera la libération de la Bulgarie.

Tous les ingrédients sont là pour faire de ce roman un plaisir de lecture, émotion, aventures, héroïsme, trahisons, dangers, souffrances, amitié, amour et rire mais aussi connaissance d’un peuple, de ses coutumes et ses croyances, rencontre de ses héros et de ses disparus, de sa révolte contre le joug qui le soumet.  

 


 

Chez Moka

 


Lu  dans une vieille collection club bibliophile de France en deux tomes de plus de 250 pages chacun.

 

jeudi 27 février 2025

Bulgarie : Les peintres bulgares (1) : Vladimir Dimitrov-Maïstora dit Le Maître et Radi Nedelchev

 

Vladimir Dimitrov-Maistora (Le Maître)


Pour composer le logo du challenge Bulgarie, j'ai utilisé les images de deux peintres bulgares que j'espère bien rencontrer dans les musées de Sofia au mois de Mai.  Je ne les connais absolument pas en dehors de mes recherches sur le net mais je les aime beaucoup.


Vladimir Dimitrov-Maistora dit Le Maître (1882-1920)
 
 
Vladimir Dimitrov-Maïstora dit Le Maître


Vladimir Dimitriov Le Maître est l'un des plus grands peintres de Bulgarie. Il est appelé Le Maître dès ses études à l'école des Beaux-Arts de Sofia tant son talent était déjà affirmé. Il est né en 1882 dans le village de  Chichkovtsi  dans le district de Kustendil en Bulgarie occidentale où est aménagée à l'heure actuelle une maison-musée exposant ses oeuvres.  C'est là que le peintre a puisé son inspiration  pour ses tableaux de jeunes filles aux fleurs et aux fruits, ses portraits de paysans et de paysannes, ses "madones". Il peint les coutumes locales, la vie quotidienne de ce peuple rural. Il est adepte du tolstoïsme et refuse la richesse, vit simplement, est connu pour sa générosité et son grand coeur.


Vladimir Dimitrov Le maître : La madone bulgare


Ce tableau a porté le nom de Jeune fille de Chichkovtsi avant d'être envoyé à la biennale de Vienne où il revint couronné d'une médaille d'or et avec le titre de : La madone bulgare.

“La jeune fille peinte par le Maître est Dafina Kotéva du village de Chichkovtsi qui à l’époque avait à peine 14 ans. Le tableau dégage une énorme douceur, un visage blême sur fond d’une nature vibrante en couleurs éclatantes en arrière-plan. La jeune fille est représentée en gris et ocre, ce sont également les couleurs de sa tenue, un costume traditionnel, son visage et ses mains. On ne voit pas de tresses bigarrées qui caractérisent les costumes de la région de Kustendil. Il y a un contraste bizarre entre la fille qui évoque un spectre diaphane et l’arrière-plan de pommes mûres et de fleurs écarlates." voir ICI 

La jeune fille est atteinte de la tuberculose et meurt peu de temps après que Le Maître a réalisé son portrait. Sa famille était pauvre et n'avait pas de photo d'elle. Le Maître a peint le visage de Dafina pour le donner à ses parents. 


Dafina Kotéva : La madone bulgare


Lorsqu'on s'approche du tableau on voit dans ses yeux des pommes rouges cerclées de petites feuilles vertes, symbole de l'arbre de la connaissance.

Vladimir Dimitrov Le Maître


Il existe quelque chose de très particulier dans les œuvres du Maître – non seulement il crée son propre style en tant que peintre mais il arrive aussi à y incarner des caractéristiques nationales. Il déclare – je veux peindre les hommes sur mes tableaux de manière à ce qu’on comprenne tout de suite que ce sont des Bulgares indique Svetla Alexandrova – commissaire à la galerie d’art  « Vladimir Dimitrov – le Maître » à Kustendil. ICI

Vladimir Dimitrov Le Maître


Radi Nedelchev ( 1938_ 2022 )


Radi Nedelchev

Radi Nedelchev est né en 1938 à Ezertché dans l'oblast de Razgrad. Il s'installe à Roussé en 1954 dans la cinquième ville de Bulgarie, au nord-est du pays, où il meurt en 2022. Il est surtout connu pour ses oeuvres de style naïf qui représentent des scènes de la vie quotidienne, des fêtes populaires et des paysages.

Il a eu des expositions dans cinq pays et a été acheté par des collectionneurs étrangers. Sous le régime communiste, le manque de visibilité dans les pays occidentaux l'empêchent faire la carrière qu'il aurait méritée. Je n'ai pas trouvé beaucoup de renseignements sur lui en français à part wikipedia ICI.

 

Radi Nedelchev


Radi Nedelchev



Radi Nedelchev


Radi Nedelchev


Radi Nedelchev