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lundi 25 novembre 2013

Léonor de Récondo : Pietra viva

Michel Ange : Le tombeau de Jules II Moïse (détail)

Dans un pierre vive /L'art veut que pour toujours/Y vive le visage de l'aimée  écrit Michel Ange dans un madrigal composé pour Vittoria Colonna que Léonor de Récondo place en exergue de son roman. Pietra viva : La pierre vive, la pierre qui enferme les formes que Michel Ange distingue avec  prescience, enfouies dans le marbre, et qu'il ramène à la surface en leur donnant vie. C'est cette quête que nous conte Léonor de Récondo  dans cet ouvrage qui présente quelques mois de la vie de Michel Ange dans les carrières de Carrare. Il y est venu pour arracher à la montagne les blocs de marbre qui lui permettront de réaliser les statues du tombeau monumental commandé par le pape Jules II à l'artiste. Pourtant, Michel Ange a une autre raison d'être là; il a fui Rome bouleversé par la mort d'Andrea, un jeune moine qu'il aimait et qui vient de mourir, le laissant désespéré par cette mort subite.
Je dois le dire clairement, la romancière malgré ses qualités de style et de conteuse n'est pas complètement parvenue à emporter mon adhésion. Je suis souvent restée en dehors devant cette analyse intelligente, certes, mais qui m'a semblé un peu trop cérébrale et où le sentiment reste muselé.. J'ai aimé pourtant la manière dont Léonor de Récondo conduit son récit pour ressusciter Michel Ange non seulement en tant qu'artiste, un des plus grands de son temps, mais aussi en tant qu'homme. La démarche est originale et réussie.

La romancière ne cherche pas, en effet, à écrire la biographie du sculpteur même si elle introduit très habilement de nombreux éléments  sur sa vie et sur l'histoire de son pays : son enfance chez une nourrice dont le mari est carrier et son initiation précoce à la pierre, ses dons exceptionnels pour le dessin, la mort de sa mère quand il a six ans, les oeuvres qu'il a déjà sculptées au moment du récit, sa rencontre avec Lorenzo le Magnifique, les autodafés de Savonarole, les terribles épidémies qui moissonnent les vies, les emportements de Jules II…
Mais à côté des faits historiques, concrets, il y a surtout de la part de la romancière tout un travail d'imagination, de compréhension intuitive, bref! un réel talent pour peindre l'homme sous l'artiste. Semblable en cela à la démarche du sculpteur qui taille dans la pierre vive pour délivrer les esclaves de la gangue qui les retient, Léonor de Recondo scrute la mémoire pour faire remonter les souvenirs perdus de Michel Ange et ainsi nous révéler le personnage de l'intérieur.
La mort d'Andréa, en effet, va le renvoyer à celle de sa mère qu'il s'est toujours efforcé d'oublier par crainte de souffrir. Il ne peut même plus se rappeler ses traits. Cette remontée du souvenir se fait par degrés successifs : un parfum d'abord, des images, et la lecture de la bible que lui a laissée Andrea en sont les moteurs. Peu à peu Michel Ange, prisonnier de lui-même, accède au souvenir, accepte les sentiments et la souffrance, émerge à la vie.
Ce thème  traité avec beaucoup de finesse est associé à celui de l'art et interroge sur le rôle que celui-ci doit jouer :  l'art comme travail de la mémoire, l'art pour conserver le souvenir du passé, l'art vécu comme une "fièvre de la pierre", comme une nécessité vitale.
Autres centres d'intérêt du roman : la vie des carriers et de leur famille, les dangers de l'exploitation de la pierre et les personnages vivants ou surprenants qui gravitent autour de l'artiste, le petit Michele doté d'une forte personnalité qui révèle Michel Ange à lui-même, Cavalino qui se voit comme un cheval, Topolino qui se faufile comme une "souris" entre les blocs de marbre, son épouse, Chiara , un beau portrait de femme… De beaux passages décrivent l'irréalité des paysages, de cette carrière et de cette pierre de lune, le marbre :
Imagine le visage des premiers hommes quand un bout de paroi est tombé, quand le blanc a scintillé et qu'ils ont découvert ces pierres si blanches, issues de cette montagne si vertes. Ils ont dû se retourner pour regarder la lune briller dans le ciel nocturne et se sont dits que des morceaux d'elle s'étaient échoués là.
Le roman de Léonor de Recondo, très bien écrit, présente donc de grandes qualités dans la manière d'aborder le personnage comme si elle l'extrayait de la roche, dans sa description du travail du carrier mais le style m'a paru un peu froid. Les phrases courtes, nettes, rapides, l'emploi du présent de narration qui donne une clarté crue aux actions, refusent tout sentiment. La romancière m'apparaît comme un chirurgien du style :  elle tranche dans le vif, elle dégage l'abcès, elle cautérise. La retenue, la distance volontaire qu'elle maintient par rapport à son personnage m'a donc laissée spectatrice plutôt que partie prenante du récit. C'est pourquoi si j'ai été intéressée et séduite intellectuellement je n'ai pas ressenti de véritable émotion.


Le tombeau de Jules II della Rovere



Dans Pietra viva Léonor de Recondo fait dire à Michel Ange : Le tombeau sera sur deux étages, comme une maison sans toit. Le tout entouré de colonnes, de fenêtres, de niches et de sculptures. A l'intérieur de ces murs, il y aura la tombe à proprement parler où l'on déposera le corps du Pape.

C'est en 1505 que Michel Ange se rendit à Rome où le pape Jules II della Rovere le chargea de construire  son tombeau sur cinq ans. Il devait mesurer 7 mètres de large et 8 mètres de hauteur et être orné de 40 statues. Il était prévu un niveau inférieur où figurerait l'homme, un niveau central pour les saints et les prophètes et un niveau supérieur représentant le Jugement Dernier.

Mais entre temps, Michel Ange, à la demande du pape, aura  à réaliser le plafond de la chapelle Sixtine, ce qui lui prendra quatre années à partir de 1508. Le pape Jules II l'inaugurera en 1512.

A noter aussi une autre interruption que le roman de Mathias Enard Parle-leur de batailles, d'amours et d'éléphants  situe en 1508.  A cette date, Michel Ange humilié par le pape qui refuse de lui donner une avance alors qu'il est en train de sculpter le Moïse, délaisse le tombeau pour se rendre à Constantinople à la demande du sultan Bazajet afin de contruire un pont sur le Bosphore.

Ce n'est qu'après la mort du Pape en 1513 que le sculpteur reprendra le tombeau qui ne sera achevé par étapes qu'en 1545. Celui-ci sera plus petit et placé contre un mur. Il sera mis en place non pas à la cathédrale Saint Pierre comme prévu initialement mais à l'église Saint Pierre in Vincoli. Les esclaves destinés à l'étage inférieur disparu, sont exposés pour quatre d'entre-eux à Florence et pour deux à Paris.

voir aussi le billet de Dominique A sauts et à gambades




Les quatre esclaves de Florence




Merci à Price Minister et aux éditions Sabine Wespieser











chez Eimelle