Térébenthine, c’est le surnom péjoratif que les étudiants ont donné au groupe de la narratrice et de ses deux compagnons, Luc et Lucie, qui ont choisi d’étudier la peinture dans les années 2000 à l’école des Beaux-Arts de Lille. Car, sachez-le ! La peinture est morte ! On ne parle plus que performances et installations. Je n’ai rien contre l’art conceptuel que je trouve parfois passionnant malgré certains excès, ni contre les artistes conceptuels mais contre ceux qui considèrent l’art comme un marché, contre ceux qui font de l’art une question de « mode », contre les théoriciens dictatoriaux, enseignants, philosophes de l’art, qui la plupart du temps sont incapables de créer eux-mêmes, mais imposent leur point de vue et mettent dans un même moule uniforme et sans personnalité les jeunes créateurs en formation.
Apprendre à dessiner, à peindre, est passé de mode ainsi l'ont-ils décrété !
Carole Fives raconte, c’est son expérience personnelle, comment elle et ses compagnons peintres sont relégués dans les sous-sol de l’école. Ils n’ont pas de professeur de peinture (le dernier n’a pas été remplacé) et subissent le mépris des enseignants comme de leurs condisciples.
« La figuration est morte, dit un des professeurs, tout autant que la défiguration… C’est l’objet qui nous parle le mieux du monde contemporain, pas l’image ! »
ou encore
« dans l’échelle du développement psychique, les peintres ne dépassent jamais le stade anal. La peinture, c’est la merde avec laquelle jouent les petits enfants . »
C’est pour ce thème que ce livre m’a intéressée car il questionne notre rapport à l’art et il montre que non seulement les artistes sont pris au piège des « décideurs » mais le public aussi ! Où est notre liberté? Je me le demande ! L’art, après tout, n’est qu’un enjeu économique aux yeux de certains ou une affaire de snobisme, de domination d'une "élite" qui se pose comme intellectuelle et méprise ceux qui ne leur lèchent pas les bottes !
Que nous laissions aux imbéciles, aux snobs et aux « marchands » le soin de faire la « mode » dans l’art est grave. Grave, car il décide de la vie et la mort des artistes. De ces trois étudiants ostracisés, Caroline Fives raconte comment elle-même se tourne vers l’écriture, l’autre vers l’enseignement, et le dernier qui a voulu vivre de sa peinture se suicide. Aucun peintre n’a donc émergé de la formation des Beaux-Arts de Lille dans les années 2000 !
Grave, car il crée, sous prétexte d’innovation et de modernité, une autre forme d’académisme. La hiérarchisation des genres picturaux établie par l’académie plaçait la peinture historique au sommet de l’échelle. On ne pouvait pas être un grand peintre si l’on ne s’illustrait pas dans le Grand genre... Maintenant, l’art doit être « conceptuel » ou il n’est pas ! C’est la même rigidité que l’on retrouve de nos jours qui brime la sensibilité (Ah! Bannissez ce mot que je ne saurais voir ! ), l’imagination, la liberté d’expression de chacun. Il faut accompagner son travail d’un discours qui prime sur l’oeuvre elle-même. Que ce discours soit sincère ou non, peu importe ! Caroline Fives s’en aperçoit bien vite ! Si elle veut réussir à ses concours de fin d'année qui sanctionnent ses études, peu importe le travail qu’elle présente, ce qui est important, c'est d'entrer dans le moule.
L'émotion dans l'art
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Les images noires de Christina Boltansky : effacement du souvenir
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Parler d’émotion à propos de l’art ? Ringard ! Ridicule ! Dépassé !
Les écoles d'arts, en France, contribuent donc, largement, par leur enseignement à ce nouvel académisme !
Si je trouve cet état de choses lamentable, c’est parce qu’aucune de ces formes d’art ne devrait s’éliminer. Je ne vois pas pourquoi la peinture ne pourrait pas être elle aussi conceptuelle, et pourquoi l’art conceptuel ne pourrait pas provoquer l’émotion ! C’est le but même de l’art : impliquer l’esprit et le corps, faire naître des sensations, susciter des réactions, parler à l’imagination, émouvoir, toucher, questionner, provoquer…
L’art est irréductible au pur concept, l’art ne peut se passer du corps et de son intuition
écrit l'auteur.
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Pipilotti Rist
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Personnellement, quel que soit le mouvement contemporain auquel appartient un artiste, je ne m’y intéresse que s’il me touche, me parle, me retient ! Le discours qui accompagne l’oeuvre ne peut m’intéresser que si je ressens quelque chose devant elle. Le nouveau réalisme d’Arman, le land art d’Andy Goldworthy ou de Nancy Holt, les installations de Christian Boltasnsky, d’Annette Messager, les oeuvres lumière de Claude Levêque, ou de Pippilotti Rist font naître des émotions, tout comme certaines peintures ! Celles de Rotko par exemple ! Caroline Fives parle avec beaucoup de justesse de ce qu’elle a éprouvé à New York devant les oeuvres de ce peintre. C’est une expérience que j’ai eu la chance vivre aussi. Lisez ce qu’en dit Caroline Fives et vous comprendrez pourquoi j'en veux à ceux qui veulent nous en priver. Les étudiants sortant des Beaux-Arts ne savent ni peindre, ni dessiner et on leur en a fait passer l’envie, voire on les a poussés à mépriser cet art !
Et puis il y a Rotko, le choc Rotko. Tu avais déjà vu les toiles immenses de ce peintre sur des catalogues, dans des magazines. Jamais en vrai. Tu flottes au milieu des monochromes en suspension, tu te perds, tu oublies pourquoi tu es là. C’est une pure expérience de la couleur, du silence, puis finalement une grosse envie de chialer. Tu sais que beaucoup de gens ressentent ça, tu sais que tu n’es pas la première à craquer devant Rotko,, ses toiles sont connues pour faire éclater les gens en sanglots, lui faire baisser les armes. Ce que l’art conceptuel s’emploie depuis des années à détruire, ce que l’art conceptuel refoule depuis des années, éclate sur les toiles de Rotko : l’émotion. Toute l’intelligence du monde ne peut rien y faire, l’art est avant tout une affaire d’émotion.
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Mark Rokto
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La place des femmes dans l'art
Le deuxième thème du roman - il me touche aussi - est celui de la place de la femme dans l’art. Les artistes féminines sont nombreuses et elles aussi ont influencé l’art contemporain. Aucune n’est présentée dans le cours du professeur d’histoire de l’art à l’école des Beaux-Arts de Lille, nous dit Caroline Fives.
Malheureusement, ceci est trop vrai et dans tous les arts ! Allez aux Rencontres de la photographie d’Arles et, en dehors de quelques rares élues, vous constaterez que les photographes représentés sont en majorité des hommes, choisis, bien sûr, par un jury masculin.
Si vous intéressez à l’art, en particulier à la peinture, lisez Térébenthine, le livre de Caroline Fives. Il est au coeur des questionnements de l’art contemporain et de son devenir.
Enfin bonne nouvelle ! Il paraît qu’en 2020, la peinture est à nouveau à la mode !!