Pour ceux qui pensent, trompés par le titre, que le roman d'Elizabeth Gaskell Les amoureux de Sylvia est une gentille histoire d'amour, détrompez-vous tout de suite. Le livre est noir et le destin de la jeune Sylvia s'englue bien vite dans cette Angleterre de la fin du XVIII siècle, aux lois féroces, implacables pour les humbles, et au passé tragique sur fond de guerre napoléonienne.
Un roman historique noir
Nous sommes en 1796. Sylvia, une jolie paysanne, fille unique, gâtée et adulée par ses parents, aperçoit pour la première fois Kinraid, le harponneur, de retour de la campagne de pêche sur le baleinier qui le ramène dans sa ville de de Monkshaven. Elle est immédiatement séduite par ce jeune homme qui a une belle prestance, au grand dam de son cousin Philippe qui l'aime passionnément et est prêt à tout pour obtenir sa main. Située sur les côtes Nord-est de l'Angleterre, la ville est un port dont l'activité principale est l'industrie de la pêche à la baleine. Rien d'étonnant à ce que la majorité des jeunes gens y fassent leur carrière. Ils peuvent même s'ils sont travailleurs et intelligents faire leur fortune. Mais l'Angleterre est en guerre et ses maudits français menés par Bonaparte la menace. Aussi les engagements forcés font-ils rage! Il s'agit de recruter le plus d'hommes sur les navires de sa majesté et bien souvent les baleiniers qui reviennent chez eux après de longs mois d'exil en mer tombent dans les filets des recruteurs qui les contraignent à les suivre à peine ont-ils mis le pied sur la terre ferme. Cette situation va entraîner bien des malheurs : Kinraid n'y échappera et le père de Sylvia qui ose se révolter et aider les garçons ainsi enlevés à leur famille en fera les frais. Le temps de l'insouciance et de l'amour est fini pour Sylvia.
Ancré dans une époque chaotique, le roman d'Elizabeth Gaskell a le mérite de faire revivre, à la fin du XVIII siècle, la société d'une province anglaise, dans des milieux modestes, les activités liées à la pêche, à la terre et au commerce et d'évoquer l'irruption tragique de l'Histoire.
Des personnages contrastés
L'un des intérêts de ce beau roman sont d'abord les personnages dont Gaskell mène l'analyse comme toujours avec finesse. La transformation de Sylvia, jeune coquette, heureuse de vivre, légère voire un peu égoïste, confrontée au malheur est saisissante. Dans les romans d'initiation, les jeunes gens évoluent progressivement et la leçon qu'ils reçoivent de la vie, si elle est irréversible, est cependant plus étalée dans le temps. Dans le roman de Gaskell, la transformation de Sylvia est soudaine, violente et emporte tout sur son passage, la jeunesse et les rêves de bonheur.
Comme toujours aussi, l'écrivaine évite le manichéisme. Ses personnages ont tous des qualités et des zones d'ombre. L'attitude de Philip envers Sylvia est basse, cruelle et impardonnable mais son amour est indéfectible. Ce sentiment fait la grandeur de ce personnage par ailleurs terne, sans panache et coincé par la religion. A côté, le brillant Kinraid paraît bien léger et peu constant. Pourtant il est capable, contre tout attente, de fidélité. Mais il n'a pas, au niveau des sentiments, l'étoffe d'un héros à la différence de Philip qui paiera de ses souffrances et de sa vie l'offense faite à Sylvia.
Le pardon ne semble possible qu'à ce prix et il semble que le sentiment religieux et l'idée de la prédestination soient très présentes ici, plus je crois que dans les autres oeuvres de Gaskell.
Un roman très pessimiste donc, avec des personnages attachants dans un contexte historique passionnant, c'est ainsi que l'on peut résumer ce livre que j'ai beaucoup aimé.
Et un roman d'un écrivain victorien pour le challenge d'Aymeline-Arieste
Ce roman avec ses 670 pages est digne de figurer dans le challenge Pavé de l'été