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vendredi 25 décembre 2020

Joyeux Noël 2020

Cyanotype d'Aurélia Frey

 Je vous souhaite de bonnes fêtes de Noël ! Et pour le plaisir des yeux et de l'esprit, fleurs et poésie !

 Rien qui m'appartienne
Sinon la paix du coeur
Et la fraîcheur de l'air.


Haïku de Kobayashi Issa(1763-1827) 

 

Cyanotype d'Aurélia Frey

 Quand souffle le vent du nord -
Les feuilles mortes
Fraternisent au sud.

Haïku de Yosa Buson

                                                                                               (1716 - 1783)

Cyanotype d'Aurélia Frey

Sans savoir pourquoi
J'aime ce monde
Où nous venons pour mourir.

Haïku
Natsume Sôseki
1867-1907

Cyanotype d'Aurélia Frey

Feuille morte au vent
de temps en temps
le chat la retient de sa patte

Haïku de Kobayashi Issa
(1763-1827)

mardi 4 février 2020

Yasunari Kawabata : Kyoto (2)

Kitagawa Utamaro
Dans Kyoto, roman publié en 1962, Yasunari Kawabata, écrivain japonais, prix Nobel de littérature, raconte l’histoire de Chieko, fille adoptive d’un grossiste en tissus, Sata Takichiro, et de son épouse Shige. Nous apprenons bien vite qu’elle est une enfant trouvée et, plus tard, qu’elle a une soeur jumelle. La rencontre fortuite des deux soeurs a lieu au cours de la fête de Gion et leur étroite ressemblance ne peut laisser place à aucun doute quant à leur gémellité. Mais alors que Naeko a été élevée dans un  milieu modeste, sur les hauteurs, et travaille à l’entretien des cryptomères, ces beaux arbres qui servent à la construction des  temples et des maisons, Chieko a fait des études et est devenue une jeune fille raffinée, capable d’apprécier la beauté sous toutes ses formes. Le tisserand Hideo qui est amoureux de Chieko se sent attiré par Naeko, sans trop savoir de laquelle il est réellement amoureux.  Mais ce n’est pas tant le thème du double, de la gémellité ni celui de l’éducation sociale que cherche à explorer Kawabata. Ce qui l’intéresse, c’est de montrer à travers les yeux attentifs et cultivés de Chieko la beauté de ce qui l’entoure. 

Hasegawa Kyuzo / Sakura Zu 1592
« A l'endroit où l'arbre penche fortement, un peu en dessous, on devine deux petites cavités dans le tronc ; dans chacune des cavités, ont poussé des violettes. Et, à chaque printemps, apparaissent des fleurs. D'aussi loin que Chieko se souvienne, il y a toujours eu ces deux souches de violettes sur l'arbre.
Trente centimètres environ séparent les violettes du haut de celles du bas. La jeune fille qu'était Chieko en venait à se demander :
« Arrive-t-il que les violettes du haut et celles du bas se rencontrent ? Se connaissent-elles ? Que signifie pour les fleurs "se rencontrer", "se connaître" "  ?
Des fleurs, il y en avait à chaque printemps, trois, cinq, au plus, c'était à peu près le compte. Pas davantage, et pourtant, dans les petites cavités au haut de l'arbre, à chaque printemps, surgissaient des boutons et s'épanouissaient les fleurs. Cjieko les contemplait de la galerie, ou, au pied de l'arbre, levant la tête ; s'il lui arrivait d’être frappée par la « vie » de ces violettes sur le tronc,  parfois leur « solitude » l’envahissait."

Cependant au-delà de cette beauté, Kawabata montre la progression constante de la modernité qui vient peu à peu saper les bases de la civilisation japonaise ancestrale. Ainsi Sata Takichiro, le père de la jeune fille, refuse d'utiliser des métiers mécaniques pour tisser des tissus à la mode, bon marché et aux couleurs vives.  Pour lui, le kimono représente un art de vivre épuré, lié à la spiritualité. La vulgarité des objets et des goûts nouveaux, l’industrialisation, les rapports uniquement mercantiles entre le vendeur et l'acheteur, le choquent comme le rendent triste la disparition des coutumes, l’atténuation du sentiment religieux et social, la réorganisation économique induites par l’occupation américaine du Japon après la guerre de 1945.

Temple de Kyoto
La description de Kyoto est si précise avec les noms des différents quartiers de la ville, des itinéraires pour s’y rendre, les diverses fêtes religieuses, les précisions sur la fabrication des tissus, que d’aucuns ont pu dire qu’il s’agissait d’un guide touristique !
Il n’en est rien, évidemment. L’intention de l’auteur est tout autre. Même s’il s’attache à la description précise des lieux, Yasunari Kawabata écrit Kyoto pour célébrer la beauté de la ville et de la nature et pour en  en montrer la fragilité. Il pratique ce que les japonais ont appelé le mono no aware qui est une sensibilité à la mort des choses et une empathie pour leur vie détruite. Les fleurs vivent mais leurs pétales tombent. Le temps de la floraison est si court. Et au-delà, les êtres humains ne sont-ils pas comme les fleurs, si belles, si vivantes, mais avec un vie si brève. 

Shimura Tatsumi
Yasunari Kawabata montre, à travers les changements qui ont lieu à l’époque de l’écriture  du livre, que la ville ancienne est en train de disparaître par pans entiers. Il porte sur cet effacement, ce que l’on appelle le regard ultime, le matsugo no me, ce regard que l’on attache à une chose ou un être que l'on voit pour la dernière fois, et qui, est une annulation de cette chose ou cet être. Et il y a, bien sûr, un sentiment poignant de nostalgie qui résulte de ce constat. Au moment même où l’on est pénétré par le sentiment de la beauté que font naître les évocations poétiques de Kawabata, on éprouve le regret de savoir que ce n’est plus. C’est donc bien intentionnellement que l’écrivain a nommé son oeuvre Koto en japonais, l’ancienne capitale, et non Kyoto, le titre moderne choisi pour la traduction française.
Le style de Kawabata repose donc sur le recueillement, le silence, la contemplation qui élève l’âme. On peut dire que ni l’intrigue, ni les personnages ne sont primordiaux dans ce roman. J’ai dû étudier ce livre à l’université quand j’étais étudiante et je me souviens qu’il m’avait peu enthousiasmée. Il en est tout autrement aujourd’hui. J’ai été subjuguée par la magnificence des descriptions de Kawabata, touchée par la disparition de cette beauté précieuse, sensible à la fragilité des choses. Et puis finalement, j’ai aussi trouvé les personnages attachants, j’ai aimé faire la rencontre de Chieko si fine et délicate et de Naeko, humble mais pleine de dignité, et j’ai partagé leurs pensées intimes avec beaucoup de bonheur. Un très beau livre !



"De l'autre côté du pont il y a un cerisier que j'aime."
Ses doubles fleurs pourpres étaient d'une extrême beauté. C'était un arbre célèbre. Les branches retombaient à la manière du saule pleureur, puis se déployaient largement. Lorsqu'ils furent sous l'arbre, une brise imperceptible dispersa des pétales aux pieds de Chieko, sur ses épaules.
Déjà, à l'ombre de l'arbre, les fleurs étaient tombées, éparses sur le sol. D'autres dérivaient à la surface de l'étang. Mais quelques-unes seulement, sept ou huit, peut-être...


dimanche 2 février 2020

La citation du dimanche : Yasunari Kawabata : Kyoto (1)

Peinture de Rin Nadeshico ICI

Je présenterai bientôt mon commentaire sur la lecture du roman de Yasunari Kawabata : Kyoto. En attendant, voici un passage intéressant qui nous amène à réfléchir sur la condition humaine.

Il y a de nombreux amateurs de grillons au japon.  Chieko, une jeune fille japonaise, élève des grillons dans un vase.
 
Vase de  Tamba

« Dans un vase, c’est cruel, non ? » avait-elle dit, mais son amie lui répondit que c’était encore préférable, plutôt que de les élever en cage et qu’ils meurent. (…)
A présent les grillons de Chieko se sont multipliés, si bien qu’il fallu deux vases de Tamba. Chaque année ramène, aux environs du premier juillet, l’éclosion des oeufs, puis, vers la mi-août, ils commencent à chanter.
Et c’est ainsi que dans l’étroitesse d’un vase, dans son obscurité, ils vivent,  chantent, pondent et fixent leurs oeufs, meurent. Puisqu’ils perpétuent l’espèce, oui, c’est préférable à les élever en cage et qu’ils ne vivent que l’espace d’un été, mais il reste que c’est une vie au fond d’un vase : pour eux, le vase est l’univers.
« L’univers dans un vase » c’est une ancienne légende chinoise, que Chieko connaissait. Le vase renferme un palais d’or et des tours de perles, des nectars exquis et les mets rares des monts et des mers; le vase clos était un « autre monde » coupé de la réalité qui est nôtre, un lieu enchanté. C’est une des nombreuses légendes des ermites magiciens.
Si les grillons sont dans un vase, ce n’est évidemment pas qu’ils veulent fuir le monde. Savent-ils même qu’ils sont dans un vase… ? Et ainsi passe leur vie.

Et qu'en est- il de l'homme ? semble nous dire Kawabata.

**

Rin Nadeshico : Cheiko ?
Voilà comment je m'imagine la jeune et jolie Cheiko, le personnage principal de Kyoto de Kawabata, à partir de ce dessin de Rin Nedishco, peintre contemporaine.

Le père adoptif de Cheiko, vendeur en gros d'étoffes et de kimonos fabriqués à la main, dessine lui-même le motif des tissus destinés à sa fille, refusant de sacrifier à la modernité, aux couleurs trop criardes, à son goût,  et sans raffinement.

Aussi la jeune fille devait-elle être plutôt semblable aux "peintures de belles personnes ", les "bijin-ga de l'époque Edo " (1603_1870), style de peinture qui a perduré jusqu'au début du XX siècle et dont Rin Nedshico s'inspire.

Bijin-ga de Kitagawa Utamaro (1800)
Bijin-ga de Utagawa Yoshitsuru
Grande Bijin en promenade de Sugimura Jihei
Bijin à l'horloge de Sukenobu (XVIII siècle)
Bijin avec ombrelle de Toyohara Chikanobu (1890)
Miyagawa Choshun

dimanche 22 décembre 2019

La Citation du dimanche : L'hiver avec Matsuo Basho

Zhou Cong : Au coeur de l'hiver blog de l'artiste ICI


Matsuo Basho : Poète, peintre et moine bouddhiste japonais (Veno, province d'Iga, 1644-Osaka 1694).
Matsuo Basho, de son temps, fut considéré comme l'un des « six sages du haïku ». Aujourd'hui, on le compte parmi les trois grands écrivains de l'époque des Tokugawa, aux côtés de Saikaku et de Chikamatsu. C'est que Basho a su élever le haïku au rang d'un art, alors qu'avant lui ce genre ne pouvait prétendre qu'à celui de prouesse stylistique. 
Issu d'une famille de bushi (guerriers), Basho reçoit en même temps que son seigneur l'enseignement d'un disciple du poète Kitamura Kigin. À vingt-deux ans, libéré de la tutelle féodale par la mort de son suzerain, il prend l'habit de moine et se rend à Kyoto, où il étudie sous la direction de Kigin. Sept ans plus tard, il quittera Kyoto pour Edo ; c'est alors qu'il publiera son premier recueil de poèmes. Même si ces premières tentatives poétiques sont souvent empreintes de l'influence de Kigin, le style personnel de Basho s'y dessine déjà. À partir de 1681, il mène une vie consacrée à l'étude, à la méditation, à la poésie, dans un « ermitage au bananier (basho) » situé dans un faubourg d'Edo. 
 Bien plus que la description d'un paysage, chaque haïku est la cristallisation d'un sentiment, d'une impression, d'une émotion face à ce paysage. (encyclopédie Larousse voir ici)

 L'Hiver avec Matsuo Bashõ  ( 1644-1695 )

Zhu Con : Tranquillité d'une nuit d'hiver
 
 Le corbeau d’habitude je le hais
Mais qu’il est beau
ce matin sur la neige !


Et maintenant
Allons contempler la neige
Jusqu’à tomber d’épuisement !
                                                           
Zhou Cong : Hermitages
Neige du matin
Les poireaux sont des repères
Dans le jardin

Le coquelicot blanc
d’une averse hivernale
a fleuri

Peinture traditionnelle chinoise

En cherchant des images pour ces poèmes, j'ai découvert le blog de Zhou Con, artiste d'origine chinoise, installée à Brest. Je vous invite à aller voir son oeuvre ICI

mercredi 6 avril 2016

Kazuaki Takano : Treize marches






Kazuaki Takano est né en 1964 à Tôkyô. Il a étudié le cinéma aux États-Unis et, à son retour au Japon, est devenu scénariste. Les Treize Marches se sont vendues à plus de 400 000 exemplaires au Japon. (source  Presse de la cité)







Treize marches de Kazuaki Takano  est qualifié de thriller mais il  présente beaucoup d’autres centres d’intérêt. Il décrit le système judiciaire japonais, ses failles et ses erreurs, et peint aussi la mentalité japonaise vis à vis de la culpabilité et du pardon.

Le récit

Ryô Kihara est condamné à mort pour un crime qu’il n’a pas commis. Il est amnésique et ne se souvient donc de rien. Mais dix ans après le drame, alors qu’il attend l’exécution de la peine, un souvenir lui revient en mémoire : il se revoit monter treize marches d’escalier. Il cherche alors à faire réviser son procès.
Jun’ichi Mikami a été condamné à deux ans de réclusion pour avoir tué accidentellement un homme qui lui avait cherché querelle dans un bar. A sa remise en liberté, il est contacté par Shôji Nangô, gardien de prison chargé de la réinsertion des prisonniers, qui lui demande de l’aider à prouver l’innocence de Kihari.

Le roman à suspense

Le roman fonctionne effectivement en jouant sur les nerfs du spectateur. Pour sauver Ryô Kihara condamné à mort, une course contre la montre est engagée. Il faut que Jun’ichi Mikami et Shôji Nangô aient trouvé les preuves de son innocence avant que l’ordre d’exécution ne soit signé car, alors, plus rien ne pourra arrêter la marche de la justice. Parallèlement à leur recherche, on suit le document qui décidera du sort de Kihara, de bureau en bureau, jusqu’à la signature suprême, celle du garde des Sceaux. Chaque minute qui passe, chaque retard, chaque échec sont donc une avancée vers la peine capitale. Le roman se lit donc bien comme un thriller et l’intrigue, d’ailleurs assez complexe, avec de nombreux rebondissements, tient le lecteur en haleine.

La justice japonaise et la peine de mort 

Voir Ici source Mediapart
Mais le roman est aussi et surtout un réquisitoire contre la peine de mort. Kazuaki Takano dépeint l’horreur d’une justice qui, telle une machine implacable, peut condamner un innocent. Une justice qui bien souvent se révèle aléatoire, condamnant l’un, absolvant l’autre, parfois inconséquente. Mais il va plus loin. Il montre tout l’inhumanité de cette attente de la mort qui peut survenir des années après la condamnation. C’est avec beaucoup de conviction que l’écrivain communique au lecteur, l’angoisse intolérable de ces prisonniers qui guettent le bruit des pas dans le couloir de la mort.. Devant quelle cellule vont-ils s’arrêter? L’arrivée de la Mort se fait dans un silence halluciné rompu par les cris de révolte du condamné qui comprend que son heure est arrivée. Mais l’horreur culmine lors de la description de l’exécution par pendaison, vue cette fois par les gardiens.  Il s’agit d’un acte que chacun d’entre eux portera inscrit dans sa chair et dans son esprit. A travers les angoisses et le sentiment de culpabilité du gardien Shôji Nanko qui se considère comme un meurtrier, nous comprenons toute la barbarie de la peine capitale. Kazuaki Takano détaille par le menu les étapes d’une mise à mort en pénétrant dans la tête et le coeur des hommes chargés de la pendaison. Ce qui n’est souvent qu’une idée abstraite se concrétise en quelque chose de terrifiant.

Culpabilité, repentir, rédemption

Enfin, autre intérêt du roman, la mentalité japonaise par rapport au sentiment de culpabilité et de pardon.  La notion de repentir est primordiale. Un assassin qui éprouve des regrets et les exprime peut éviter la peine capitale même si, bien sûr, se pose le problème de la sincérité. Cela aboutit à des aberrations :  Ryö Kihara, amnésique, ne se souvient pas qu’il a tué. Il ne peut donc éprouver de repentir si bien qu’il est condamné à mort! La réparation financière compte aussi beaucoup pour prouver la bonne foi du condamné et atténuer sa culpabilité. Un homme riche s’en sortira donc mieux qu’un pauvre. Jun’ichi Mikami est forcé lors de sa mise en liberté conditionnelle d’aller présenter ses excuses au père de la victime, une démarche terrible, pour l'un comme pour l’autre. La question de la rédemption et du pardon par le repentir est donc essentielle dans la société japonaise. Nango, gardien de prison, qui a tué légalement deux hommes, ne peut pas être jugé ni châtié. Il doit chercher ailleurs la rédemption.

Treize marches peut donc avoir des entrées différentes et je dois dire que j’ai été passionnée par les divers aspects du roman.

Treize marches paraîtra le 21 Avril aux éditions Presse de la cité.

Merci à Dialogues croisés et aux éditions Presse de al cité




lundi 21 mars 2016

Yôko Ogawa : La Jeune fille à l'ouvrage



J’avais été fascinée par l’écriture de Yoko Ogawa découverte avec Le musée du silence, Amours en marge, Parfum de glace, La piscine… Mais j’ai été tellement déçue par L’hôtel Iris que j’ai cessé de la lire. Ce recueil de nouvelles, paru chez Actes Sud en 2016, mais écrit il y a une vingtaine d'années,  me permet de renouer avec cette grande écrivaine japonaise.

La dentelière de Vermeer

J’ai retrouvé dans ces nouvelles ce qui fait la spécificité de Yoko Ogawa, cette observation fine, minutieuse qui accorde tant d’importance aux détails : dans La jeune fille à l'ouvrage, le narrateur note : sur le tissu, les doigts de la  petite fille jouent comme ceux d’un petit animal; Ils font réellement toutes sortes de choses; Démêlent le fil, caressent, et piquent le tissu, tirent sur l’aiguille.
On dirait un portrait à la Vermeer, un tableau qui fixe et retient tous les détails d’une scène prise sur le vif et figée dans l’instant.
C’est à partir de ce souvenir de la brodeuse et de sa boîte à ouvrage rouge que le thème de la mémoire si cher à Yoko Ogawa ressurgit :  le narrateur voyage entre présent et passé, et, tandis que sa mère agonise dans le service des soins palliatifs de l’hôpital, le jeune homme revoit son enfance. Même retour entre passé et présent dans Aria où le narrateur retrouve sa vieille tante pour son anniversaire et se souvient d’elle quand il était enfant. Travail aussi sur la mémoire dans Transit mais la mémoire historique, celle des camps de concentration où les grands parents de la narratrice ont trouvé la mort. Le retour sur les lieux permet de lever les flous de la transmission du  souvenir et de prendre conscience de la fragilité et des erreurs la mémoire. Et dans l’univers du nettoyage de la maison, c’est par le récurage de sa maison, par l’effacement des salissures accumulées pendant une trentaine d’années que la maîtresse de maison fait table rase de son passé. Comme si la propreté immaculée pouvait venir à bout des souvenirs et donner un nouveau départ dans la vie.
La cruauté de la vie est toujours présente mais ce qui domine toujours dans les nouvelles précitées, c’est la nostalgie et la poésie liées au thème de la mémoire et ce qui me frappe, ce sont ces dénouements qui n’en sont pas. Ici pas de chutes qui surprennent et provoquent un choc. Plutôt un lent délitement, une non-fin, les gens se séparent en se disant au revoir, banalement comme dans Transit, Aria ou Jeune fille à l’ouvrage. Il n’y a rien de plus. Tout se dissout dans la banalité quotidienne.  On ne peut réparer le passé, on ne peut pas agir sur lui.

Très différents sont les autres nouvelles, étranges et bizarres parfois horribles. Ce qui brûle au fond de la forêt nous plonge dans un univers fantastique. Elles présentent toutes un mélange de cruauté et de perversité : dans La crise du troisième mardi une toute jeune fille entraînée dans une chambre d’hôtel par un homme âgé est terrassée par une crise d’asthme. Parfois la chute de la nouvelle est violente, dérangeante, tordue, en particulier dans L’encyclopédie ou Morceaux de cake. J’éprouve une certaine répulsion à la lecture de ces dernières nouvelles, sachant, bien entendu, que c’est ce que veut nous faire éprouver l’auteure et qu’elle excelle aussi dans ce genre morbide, aux détails crûment réalistes.
 L’autopsie de la girafe en est un exemple : Certainement que son cerveau avait été déjà prélevé, et que ses intestins  désinfectés avaient été retirés. Les mains de mon amoureux humides de sang, de fluides corporels et de produits pharmaceutiques devaient les caresser avec précaution. 
 Mais le style même dans les passages les plus réalistes, les plus durs, réservent des moments poétiques comme l'analogie établie entre la girafe et les grues, toutes si belles :
 Autour de chaque grue se dressaient un échafaudage de tubes métalliques et des machines aux  formes complexes posées de ici ou là  qui n’entravaient pas leur fierté ni leur dignité. La peinture jaune étincelait, les bras s’étiraient avec grâce, et les câbles qui s’enroulaient autour paraissaient vigoureux. Les trois crochets immobiles dans l’espace ressemblaient à des offrandes spécialement choisies. 
Tous ces récits témoignent d’un mal-être, de la banalité ou du non-sens de la vie même dans les rapports amoureux. Et lorsque la passion  existe, elle se révèle cruelle et  dévoyée, elle parasite l'autre (L'encyclopédie) ou le sacrifie (Ce qui brûle au fond de la forêt).
Une écrivaine de talent! Une vision pessimiste de la vie!

Lire Le billet de Lewerentz


Merci à Dialogues croisés et à la librairie Dialogues


samedi 22 mars 2014

Fuyumi Soryo : Cesare




En choisissant Cesare dans la liste de BD proposés par Price Minister, je ne m'attendais pas à recevoir un manga, genre que je n'ai jamais vraiment lu. Je ne connaissais pas , en effet Fuyumi Soryo dont j'apprends qu'elle est une mangaka connue. Telle est mon ignorance, oui!

Cesare est le premier des huit volumes publiés par  Fuyumi Soryo : un peu frustrant au niveau de l'histoire car l'on est à peine entré dans le récit que la lecture est terminée et il faut attendre le tome suivant. Ma déception prouve, cependant, que la lecture est intéressante car l'on sent derrière ce travail des recherches approfondies et une grande connaissance de l'Histoire de César Borgia et de la Renaissance italienne.

Le scénario

Cesare, César Borgia (1475_1507), est le fils du cardinal Rodrigo Borgia, issu d'une famille espagnole, devenu pape sous le nom de Alexandre VI. Sa mère est  Vannoza Cattanei, d'une famille du duché de Mantoue, et maîtresse de Rodrigo Borgia.  On sait que César Borgia deviendra un prince et guerrier puissant. Mais pour le moment, nous sommes en 1490 et Césare est un étudiant dilettante à l'université de Pise avec son ami, Don Micholotto.

L'histoire n'est pas racontée de son point de vue mais sous l'angle d'un jeune homme de famille modeste, Angelo da Canossa , (référence à Michel Ange, bien sûr), florentin, petit-fils d'un maître carrier que Lorenzo de Médicis a pris sous sa coupe et envoie à l'université.  Le jeune homme plein de bonne volonté, intelligent, mais ne connaissant pas les usages, va multiplier les maladresses, offensant Giovanni de Médicis, le fils de Lorenzo, se mettant à dos les français et recevant l'aide des espagnols et de Cesare, en particulier.

Des personnages
Angelo da Canossa
Le récit s'intéresse aux personnages dont il révèle la psychologie, timidité, naïveté d'Angelo, le personnage fictif, séduction et ouverture d'esprit de Cesare Borgia, suffisance de Giovanni de Médicis, courtisanerie de son entourage. Dans ce premier tome, le personnage de César Borgia est plutôt positif, il présente un côté mystérieux de beau ténébreux, renforcé par le sévère habit espagnol et par l'aura de sa puissante famille pourtant si décriée.  Mais il tend la main à un fils du peuple, ne s'embarrassant pas des préjugés sociaux.

 Le contexte historique

Cesare et Henri, le français

Fuyumi Soryo nous introduit dans les dessous de la politique de l'époque, le jeu des pouvoirs, nous présente les factions rivales. Déjà plane dans la ville l'ombre sinistre de Savonarole dont l'influence est en train de grandir.
Les étudiants  français sont présentés et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'ils ne sont pas gâtés. La Renaissance français est tardive, en effet, par rapport à l'Italie et l'auteur montre une civilisation encore attardée dans le Moyen-âge. Mais on peut penser qu'en 1490, des jeunes gens ayant choisi d'étudier dans l'université fondée par Lorenzo Le Magnifique devraient manifester une plus grande ouverture d'esprit! Mais bref, c'est un détail! Passons sur mon chauvinisme!

 L'influence de la Renaissance italienne

Sandro Boticelli

Au niveau du graphisme, j'ai aimé la reconstitution de la ville de Pise, entourée de champs mais qui possède déjà sa parure de dentelles avec sa tour, son baptistère et sa cathédrale. Le soin apporté aux détails, vêtements,  repas, intérieur de l'université, palais où vit Cesare,  nous permet d'entrer dans la vie de la Renaissance.
L'influence des peintres italiens y  est très nette. On pense à aux oeuvres de Benozzo Gozzoli, Sandro Boticelli pour l'idéalisation,  la finesse et la beauté des personnages, et, bien sûr, aussi à Vinci, Lippi, Mantegna et tant d'autres...


Jeune homme Filippino Lippi

J'ai donc été ravie de me glisser dans cette lecture inhabituelle pour moi et de me retrouver, à partir d'un manga japonais,  en pleine Renaissance italienne!


Ecole de Domenico Ghirlandaio

Un musicien Léonard de Vinci
Enfin, je laisse à d'autres plus expérimentés que moi sur les mangas le soin de vous donner plus de détails :

Les diagonales du temps

blog de l'Express

Il faut noter : 18/20





Merci à Price Minister pour cette agréable découverte

dimanche 12 mai 2013

Ryûnosuke Akutagawa : Rashomon et autres contes


Résultat de l'énigme n°65

Les vainqueurs du jour sont : Asphodèle, Dasola,  Dominique,  Eeguab, Somaja...

Le recueil de nouvelles : De Ryûnosuke Akutagawa : Rashomon et autres contes
                    
Le film :  Rashomon de Akira Kurosawa



Ryûnosuke Akutagawa (1892-1927)
  
Né à Tokyo, Akutagawa, auteur de plus de 200 récits très courts,  est considéré à juste titre comme un des écrivains majeurs du Japon. Brillant élève et étudiant il se nourrit à la fois des classiques Chinois et Japonais et de la littérature occidentale (il fut le traducteur de Yeats et d'Anatole France). Il publie sa première nouvelle en 1914 (Vieillesse). Enseignant, il décide  de se consacrer entièrement à l'écriture en 1920, il cherche dans ses textes à réaliser la fusion entre  la culture classique orientale et la littérature occidentale, fusionner  tradition et modernité. Un grand nombre de ses nouvelles parlent du Japon médiéval, mais l'écriture est très moderne et personnelle. Les récits sont rigoureusement construits, la langue souvent poétique est épurée, chaque phrase est calculée pour obtenir les effets et le émotions  recherchés. Dans ses récits historiques, ses contes Akutagawa parle certes de son pays, mais aussi de lui-même,  de sa vision de l'homme, de ses propres angoisses. Souffrant d'hallucinations, l'écrivain mettra fin à ses jours à l'âge de 35 ans.
Rashômon et autres contes

  Dans le livre paru en format de poche, l'éditeur  a réuni quatre contes qui  nous permettent d'approcher l'oeuvre de l'écrivain.

Rashômon est une des premières nouvelles écrites par Agatagawa en 1915. A l'époque médiévale, à Kyôto ravagé par une suite de calamités, un homme de basse condition s'est réfugié pour se protéger de la pluie sous le portique (= Mon) du démon (= Rashô) transformée en charnier.  Le personnage, un modeste employé a été chassé de son emploi par son patron. Au milieu des cadavres, il rencontre une vieille femme fantomatique qui arrache les cheveux aux cadavres. Horrifié, il dépouille la vieille femme de ses vêtements. Pour survivre il s'est  décidé à devenir voleur. La nouvelle pose la question du Bien et du Mal. Pour survivre le pauvre perd son humanité. Le Mal n'est-il pas indissolublement lié à la misère?

Dans le fourré (1922), à la suite d'un meurtre survenu en forêt, sept personnages témoignent devant la justice : un bûcheron, un moine, un mouchard, un brigand, une vieille femme, la femme de la victime, et l'esprit du mort par l'intermédiaire d'une sorcière. Les témoignages apparaissent contradictoires le brigand et l'épouse s'accusant du meurtre, la victime parle de son suicide. Quelle est la vérité? les personnages semblent préférer s'accuser de crimes plutôt qu'être pris pour des lâches et ternir leur réputation. L'orgueil de l'Homme est incommensurable puisque même dans la mort il préfère sauvegarder son image plutôt que la vérité.

Dans Figures Infernales (1917) Akutagawa nous raconte l'histoire de la réalisation du Paravent des Figures infernales par l'artiste Yoshihidé, qui ne peut peindre que ce qu'il voit. Mais comment peindre l'Enfer sans l'approcher? Ce récit très noir et pessimiste montre un artiste prêt à tous les sacrifices pour atteindre le sommet de son art et pose les problèmes de l'art et de la morale.

La dernière nouvelle nous présente  le portrait d'un ridicule sous-officier qui souhaite se rassasier d'un mets royal, un Gruau d'ignames (1915) à la cannelle. Akutagawa sait aussi à côté de ses récits noirs,  peindre les ridicules des personnages et manier l'ironie.


Quatre nouvelles puissantes et noires d'un très grand écrivain.

 Akira Kurosawa : Rashomon

rashomon1bis
Akira Kurosawa s'inspire de deux nouvelles de Akutagawa,  Rashômon qui donne le titre et le cadre du film et Dans le fourré, le récit. Il situe l'intrigue dans le Japon du XII ème siècle, une période de troubles et de guerres civiles.

Sous le portique (Mon) du démon (Rashô)  trois hommes sont venus de mettre à l'abri  car la pluie tombe violemment. Un moine et un bûcheron discutent d'un procès auquel ils ont assisté et témoigné. Le troisième homme les incite à raconter l'histoire. Le corps d'un samouraï, Takehiro, a été retrouvé sans vie et son épouse Masago a été violée par un bandit de grand chemin, Tamojaru. Mais le procès ne permet pas de reconstituer avec certitude les faits, les conditions du meurtre du Samouraï, car les six témoignages  recueillis lors du procès donnent des versions largement contradictoires. Qui dit la vérité? Tamojaru qui s'accuse du meurtre et du viol ? Mais peut-on parler de viol ? Masago était-elle consentante? A-t-elle tué son mari? Tikahiro, qui parle de l'au-delà par l'intermédiaire d'un médium s'est-il suicidé ou a-t-il cherché à fuir et a été abattu comme un lâche? Et qu'a vu réellement le bûcheron, seul témoin extérieur au meurtre ? Lorsque la pluie cesse, les trois hommes se séparent, mais les cris d'un enfant abandonné attirent le bûcheron qui décide de l'adopter. Le moine le remercie: "Ton geste a restitué ma foi en l'humanité".

Pour Kurosawa: "Les hommes sont incapables d'honnêteté envers eux-mêmes. Ils ne peuvent pas parler d'eux sans embellir leur image. Ce film est comme un tableau enroulé qui, en se déroulant, dévoile le Moi humain." Cette déclaration  peut paraître très pessimiste, mais  le dénouement  du film (différent du  conte de Akutagawa)  nuance le propos. Quand le bûcheron emmène l'enfant, Kurosawa nous affirme qu'il ne faut jamais désespérer de l'âme humaine.

 Extrait du billet de Wens que vous pourrez aller lire en entier ICI :

Rashomon film de Kurosawa

Rashomon Ryûnosuke Akutagawa

dimanche 28 octobre 2012

Haïkus des quatre saisons, estampes d'Hokusaï



Voilà un petit livre d'Haïkus à recommander aux amateurs. Magnifiquement illustré par les estampes d'Hokusaï il nous emporte sur les ailes de la poésie à travers les saisons. Un très joli écrin pour ces  poèmes qui respirent la douceur et la paix.

J'ai choisi pour vous en ce Dimanche d'automne qui ressemble à l'hiver, avec selon les régions où nous vivons, la pluie, la neige ou le Mistral, ces quelques mots qui volent vers vous :


Hokusaï


Mes os mêmes
sentent les couvertures -
nuit glacée

                                                                        Shiki                                                  

Les soirs des hommes d'autrefois
furent semblables au mien
ce soir de froide pluie. 
                       Buson

De temps à autre
les nuages accordent une pause
 à ceux qui contemplent la lune.
                       Basho



Hokusaï