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dimanche 28 septembre 2014

Miklos Banffy : Chronique transylvaine




Miklós Bánffy est un homme politique et écrivain hongrois (1873-1950).
Issu d'une grande famille aristocratique de Transylvanie, il devient membre du parlement hongrois en 1901, puis ministre des Affaires Étrangères en 1921, après la chute de l'Empire austro-hongrois, malgré son peu de sympathie pour le régime de l'amiral Horthy. Ses efforts pour obtenir la révision des frontières issus des traités mettant fin à la première guerre mondiale ayant échoué, il quitte cependant rapidement le gouvernement.
Il rédige entre 1934 et 1940 une vaste Trilogie transylvaine qui décrit la chute du monde aristocratique hongrois, et plus particulièrement celui de sa région natale, à partir des années précédant la première guerre mondiale. (wikipédia)


Affiche de Farago Ceza (Hongaria National gallery)

 Chronique transylvaine est composé de de trois volumes aux titres révélateurs : Vos jours sont comptés, Vous étiez trop légers, Que le vent vous emporte inspirés d'une prophétie de Daniel (mise en exergue) qui prédit la chute de Babylone assiégé par Cyrus. La fin d'un monde, c'est donc le thème de cette chronique dont le récit court sur dix années de 1904 à 1914. L'action se déroule entre Budapest et la Transylvanie qui appartient alors à la Hongrie et fait partie de l'empire austro-hongrois.  Banfly fait le portrait d'une  noblesse hongroise  frivole, insouciante, égoïste, peu clairvoyante, qui dépense sa fortune dans des fêtes somptueuses, une noblesse qui ne pense qu'à s'amuser quitte à vivre au-dessus de ses moyens : bals, réceptions, chasses à courre, opéras, duels, luxe ostentatoire… il montre aussi l'impéritie des hommes politique et le marasme dans lequel ils tombent, tant ils sont incapable d'analyser une situation à l'échelle internationale, tant ils sont divisés, tellement préoccupés de faire triompher leur avis au détriment d'une analyse sérieuse de la situation, tellement soucieux de leur carrière, de leur succès, qu'ils ne voient pas le gouffre ouvert sous leurs pieds.  Il s'agit donc de la fin de la noblesse mais aussi de celle d'un empire. Après la défaite de 1918, l'empire austro-hongrois sera démantelé par le traité de Trianon en 1920. La Hongrie retrouve son indépendance mais est amputée d'une part de ses territoires, en particulier de la Transylvanie annexée à la Roumanie.

Le château de la famille Banffy au XIX siècle

Pour lire le livre, il faut d'abord accepter de se perdre un peu et j'avoue que c'est très difficile de rentrer dans cette analyse complexe qui détaille le passé et le présent du gouvernement hongrois, les différentes tendances, les enjeux politiques, mais qui montrent aussi le sort des minorités dans cette empire, en particulier des roumains de Transylvanie. Toutes les péripéties de l'histoire des Balkans nous sont racontées qui vont nous amener inexorablement vers l'apocalypse de 14-18.
Mais on s'accroche et on se passionne pour les personnages qui nous amènent dans cette aventure : le comte  Balint Abady est un jeune homme qui s'engage dans la politique avec un enthousiasme juvénile et sincère. Comme tous les jeunes gens de bonne famille il a fait ses études à Vienne.  Il se déplace désormais entre son domaine transylvain et Budapest où, élu député, il nous introduit dans la sphère politique.  Il va rencontrer  beaucoup de difficultés  quand il veut venir en aide aux paysans exploités par la bourgeoisie roumaine, notables qui s'enrichissent sur leur dos à force de malversations.
Il est amoureux de la belle Adrienne, un amour impossible car celle-ci est déjà mariée avec un homme inquiétant et menaçant, Pat Uzdy.  Le cousin de Balint,  Lazlo est orphelin de père et abandonné par sa mère et s'il est reçu par ses tantes qui occupent une haute place dans la société, il est considéré comme le parent pauvre. Occasion de découvrir toutes les nuances de hiérarchie et de préséance de cette société arrogante et futile qui jugent les gens sur leur titre et leur fortune. C'est pourquoi Laszlo va être éconduit quand on découvre l'amour qu'il voue à sa cousine Klara et réciproquement. Deux histoires d'amour contrariés dont je ne vous dis pas l'issue mais que on lit avec plaisir.
Si l'on suit ces personnages principaux tout en s'attachant à eux, il faut savoir que gravite tout autour d'eux une foule de personnages, parents, amis, épouses, maîtresses, notables, politiciens, mais aussi hommes du peuple, toutes classes sociales représentées, des personnages haut en couleur, intéressants, parfois étonnants, qui nous font pénétrer dans la vie et dans les mentalités des hongrois de cette époque.
 Et si Miklos Banffy nous entraîne dans la tragédie, solitude, suicide, folie, maladie, pauvreté, souffrances morales, il sait aussi manier l'humour comme dans le deuxième volume où certaines scènes sont dignes d'une comédie : ainsi la petite Margit qui embobine le pauvre Adam amoureux de sa soeur Adrienne et sous prétexte de le consoler le met dans la poche et se fait épouser! Ou l'épisode de la vache volée, ou encore le duel qui se prépare au nez et à la barbe du comte d'Eu venu prêcher la fin… des duels! Miklos Banffy est un bon conteur et rend son récit véritablement passionnant.

Paysage de la Transylvanie (source)

Il faut y ajouter la découverte de la Transylvanie, de ses châteaux pittoresques, de ses forêts à perte de vue, de ses réveils frais au petit matin dans la montagne, un beau sentiment de la nature que Balint partage avec nous, vision d'une cascade figée par le gel, approche de l'automne,  rencontre privilégiée d'un cerf majestueux au milieu de cette nature sauvage.  C'est garanti, après la lecture du livre, vous avez une furieuse envie d'aller visiter la Transylvanie!

Et puis il y aussi la coloration nostalgique du roman, un constat d'échec qui m'a fait penser au Guépard de Lampédusa. Miklos Banffy sait bien de quoi il parle puisqu'il pourrait être Balint Abbady. Noble, monarchiste et hongrois avant tout, il a cependant un regard attentif envers les minorités qui peuplent la Transylvanie. Il pense qu'une entente est possible à condition de faire les premiers pas dans leurs directions.  Il est libéral, modéré et surtout lucide. Il porte un regard amer sur cette société décadente qui n'a pas su prendre conscience du danger, trop avide de fêtes et de distractions et a roulé inexorablement dans le néant.

Sachez qu'il s'agit d'un gros "pavé" :  750 pour le 1er volume,  600 pour le second, et 420 pour le troisième. S'il y a eu des moments où j'ai peiné sur les explications politiques,  je dois dire que j'ai lu le livre en un temps record car il est très difficile de le lâcher. Alors, si vous avez du temps devant vous, n'hésitez pas!




Jozsef Rippl-Ronai (Hongaria National gallery)