Avec Sang impur, Hugo Hamilton écrit un roman autobiographique dans lequel il raconte son enfance à Dublin entre une mère d'origine allemande, anti-hitlérienne convaincue, qui a fui son pays après la guerre, et un père irlandais marqué par la haine des britanniques et par le passé de l'Irlande dont l'indépendance est encore récente.
A la maison, Hugo, ses frères et soeurs, n'ont pas le droit de parler anglais, les seules langues autorisées sont le gaélique et l'allemand. Les enfants sont soumis à une éducation rigide et austère et font les frais du nationalisme exarcerbé du père. Celui-ci pense que le triomphe de sa cause passe par l'éducation; il se sert d'eux pour faire triompher son rêve d'une Irlande débarrassée des scories de l'oppression britannique et retrouvant sa culture, la fierté de sa langue et de son génie. Nous sommes dans les années 50-60. Si les enfants subissent la pression paternelle et sa violence dans le cercle familial, ils doivent, à l'extérieur, affronter les brutalités et les insultes des autres qui les traitent de nazis. Hybrides de trois cultures, mi-allemand, mi-irlandais, mais aussi de langue anglaise, ils sont donc des "sang impur", traduction intéressante mais un peu réductrice, me semble-t-il, du titre anglais : "The Speckled People"...
J'ai beaucoup aimé ce livre qui n'est jamais manichéen dans la présentation des personnages. Si l'on partage le point de vue de Hugo, ses révoltes, son sentiment de haine pour le père, l'on ne peut s'empêcher d'éprouver de la compassion pour ce dernier tant le personnage est complexe : détestable, certes, fanatique, c'est un être en proie à une obsession dont il n'est plus maître et , finalement, il subira une double défaite. Non seulement, il ne parviendra pas à réaliser son utopie d'une Irlande entièrement gaélique, mais il se coupera entièrement de ses enfants et perdra leur amour. Une scène d'une violence contenue et pourtant extrême illustre bien cela. Celle où Hugo rencontre son père en ville et feint de ne pas le voir pour ne pas avoir à faire le trajet avec lui. Qui est le perdant, du père ou du fils dans cette lutte de tous les instants? le père, bien sûr; mais le fils ne s'en sort pas indemne, non plus, et l'on sent toute la souffrance éprouvée ; on sait qu'il n'a jamais guéri de son enfance. A côté du père, le personnage de la mère est splendide. Elle essaie de protéger ses enfants mais elle a perdu son indépendance, sa liberté de femme, en quittant son pays. Elle appartient, elle aussi, à la race de "the speckled people" et n'a plus de racines. Le courage qu'elle essaie d'insuffler à ses fils, la force qu'elle leur transmet, passent par la non-violence, sa manière à elle de résister à l'idéologie nazie; elle ne veut pas que ses enfants soient du côté de ceux "qui lèvent le poing", qui utilisent la violence pour imposer leur idée.
Le style, très simple, très pur, est empreint d'une forme de naïveté* qui traduit les sentiments et le questionnement d'un enfant perdu, fragile, qui ne comprend pas le monde qui l'entoure mais le subit.
Quand on est petit on ne sait rien. On ne sait pas où l'on est, qui on est, ni quelles questions poser.
De l'innocence de l'enfance naît la poésie, de ce récit douloureux, une émotion qui ne nous quitte pas durant toute la lecture de ce très beau roman.
Grosses brutes de vagues! J'ai crié parce qu'elles n'arrivaient jamais à nous attraper et elles le savaient.
On a ri quand le caillou a tapé sur une vague avec un ploc et elle, elle n'a rien pu faire d'autre que de se rendre et se coucher sur le sable, les bras en croix.
*C'est pourquoi je pense, Sang impur a pu être comparé à l'attrape-coeur de Salinger, un autre roman que j'ai adoré.