Pages

Affichage des articles dont le libellé est challenge Nature writing. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est challenge Nature writing. Afficher tous les articles

dimanche 3 mars 2024

Pete Fromm : Le lac de nulle part

 

Trig et Al, des jumeaux, garçon et fille, sont invités par leur père pour une "aventure " en canoë sur les lacs canadiens. Qu'est-ce qui les pousse à accepter cette invitation alors qu'ils n'ont plus vu leur père depuis des années ? C'est d'autant plus étonnant qu'ils le savent bien, on ne part pas dans ces régions au mois de Novembre, quand le froid s'abat sur le pays et que les lacs commencent à geler ? De plus les relations entre le père et la fille Al sont plutôt tendues !  Le désir, peut-être, maintenant qu'ils sont adultes et qu'ils ont chacun une vie séparée, de retrouver leur enfance, quand, avec leurs parents qui n'étaient pas pas encore divorcés, ils partaient camper à la dure, se nourrissant de leur pêche.  

De lac en lac, de portage en portage, de  bivouac en bivouac, les voilà qui s'enfoncent  toujours  plus loin dans cette nature sauvage que la civilisation n'a pas encore atteinte jusqu'au lac qui n'a pas de nom, le lac de Nulle Part.  Mais alors qu'ils s'aperçoivent que leur père n'a plus toute sa tête et qu'il les a perdus dans des contrées inconnues, la neige fait son apparition et le gel se referme sur leurs traces. Ce voyage au coeur des paysages canadiens se révèle aussi un voyage intérieur au pays de leur enfance, révélant les blessures profondes, les colères, les non-dits familiaux, mais aussi l'amour et la complicité encore intactes des jumeaux, deux contre tout !

Le récit de cette aventure, surtout au moment où s'amorce le retour problématique vers la civilisation, m'a tenue en  haleine car  Pete Fromm est un bon narrateur qui sait ménager ses effets. Les  dangers encourus par les personnages relancent savamment l'intérêt du roman. Pourtant, cette lecture ne pas pas entièrement convaincue. J'ai pensé mais en moins terrible, moins puissant, moins grandiose, au récit de Jack London L'amour de la vie (Ici)  dans lequel l'homme perdu dans le grand silence blanc lutte pour revenir à la civilisation dans un combat surhumain contre les pièges que lui tend la nature. Et ce livre n'est pas, non plus, au niveau d'un autre livre de Pete Fromm, Indiana Creek ! (voir   Ici) . Tout paraît édulcoré ! 

 C'est l'un des jumeaux, Trig, (Trigonométrie, leur père est mathématicien) qui raconte l'histoire à la première personne, ce qui explique que sa soeur, Al (Algèbre), et son père lui paraissent parfois incompréhensibles ! Mais, même lorsque l'on comprend mieux les personnages, on ne parvient jamais vraiment à être en empathie avec eux, peut-être parce que l'analyse n'est pas approfondie et que l'on ne peut croire aux retrouvailles de Al et de son père. On reste en surface. On est loin de la finesse psychologique de Avant la nuit (Ici) .

Bref la lecture du roman est agréable mais je n'ai pas retrouvé les émotions provoquées par les oeuvres de Pete Fromm que je cite ci-dessus et qui restent mes préférées.


Voir Aifelle ICI

 Une comète ICI

Violette ICI

dimanche 29 mai 2022

Jamie McLaughin : Dans la gueule de l’ours


Pour se faire oublier d'un puissant cartel de drogue mexicain qu'il a trahi, Rice Moore trouve refuge dans une réserve des Appalaches au fin fond de la Virginie, où il est employé comme garde forestier par un riche propriétaire qui lui demande d’assurer la sauvegarde des ours trop souvent décimés par les chasseurs.
Mais la découverte de la carcasse d'un ours abattu vient chambouler son quotidien : s'agit-il d'un acte isolé ou d'un braconnage organisé ? L'affaire prend une tout autre tournure quand d'autres ours sont retrouvés morts. Rice décide de faire équipe avec Sara Birkeland, une scientifique qui a occupé le poste de garde avant lui; Ensemble ils mettent au point un plan pour piéger les coupables. Un plan qui risque bien d’exposer le passé de Rice.
(quatrième de couverture)

Dans la gueule de l’ours, premier roman de Jamie McLaughin, a  obtenu le prix du roman policier en 2020. L’intrigue policière se déploie sur deux plans : d’une part, Rice Moore devra affronter les tueurs d’ours, chasseurs en colère, qui passent outre la loi mais aussi des gangs violents qui ont intérêt à tuer les ours. On apprendra pourquoi. Mais il devra aussi faire face aux trafiquants de drogue qui ne lui pardonnent pas sa trahison et finiront par le retrouver et là, ce sera encore une épreuve supplémentaire et pas des moindres ! Heureusement pour lui, Rice Moore est un dur à cuire, il sait se battre, et sait tirer. Bref ! ce n’est pas un enfant de choeur et il ne reculera pas !

L’aspect policier est intéressant non seulement par les péripéties qu’il nous fait vivre mais aussi parce que l’écrivain nous amène dans ce coin de terre reculé, à la réserve de Turk Mountain, dans les montagnes  de la Virginie, où les autochtones sont plutôt primaires, rébarbatifs voire racistes et violents. L'enquête menée par Rice Moore nous tient en haleine.

Quant au personnage, il est autre chose qu’un trafiquant primaire et brutal et c’est en ce sens qu’il nous apparaît comme intéressant.

Rice Moore a fait des études scientifiques qu’il n’a pu terminer et s’est fourvoyé dans un trafic de drogue pour suivre Apryl, la femme qu’il aime mais il risque tout pour se dégager de ce milieu.
C’est en scientifique, en écologiste, qu’il nous amène dans la forêt à la découverte d’essences variées, d’oiseaux et autres animaux qu’il reconnaît, nomme et décrit pour établir des preuves de leur présence et de leur nombre. Mais il nous fait aussi pénétrer dans ce monde sauvage en poète, en esthète, nous en faisant goûter la majesté, le silence et la beauté. C’est en gardien de la Nature qu’il agit, protégeant les ours, en accord avec la vie animale, assisté par une autre mordue, tout aussi folle que lui, Sara Birkeland qui revient après avoir été chassée de la réserve.

 Tenue de camouflage : Ghilie

Autre que policier, donc, ce roman de Nature writing montre le personnage s’enfonçant dans la forêt, gagné par la solitude, cherchant à communier avec la nature et ne faire qu’un avec elle. Enfermé dans sa tenue de camouflage, dans sa tenue de Ghillie, il devient végétal et bête, se fond au point de perdre sa propre identité, sombre dans une sorte de folie inspirée, presque chamanique, et vit des aventures qui échappent au rationalisme. Certains passages du livre qui décrivent cette aventure spirituelle tournent  au  fantastique et  se révèlent d’une étrangeté onirique. C’est fascinant ! (Prix Allan Poe en 2019)

" Il tenta  d'entrer en contact avec les oiseaux, s'en approcha en imagination. Il eut l'impression de demander la permission de se joindre à eux. La mésange à l'oeil vif bondit soudain et un petit scarabée noir fut dans son bec, les pattes s'agitant, l'exosquelette craquant, un goût huileux. Boire un peu de rosée à une goutte suspendue au bout d'un brin d'herbe. Lorsque les oiseaux s'envolèrent de la falaise, Rice s'envola avec eux, défiant tout bon sens, il nagea à travers l'air invisible, un moment de vertige quand tout en bas la rivière scintilla au soleil, la cime des arbres, les nuages dans le ciel infini, puis un temps d'arrêt pour reprendre ses esprits - une syncope musicale, un battement de coeur en moins, une longue goulée d'air dans les poumons - et une immense valve cosmique s'ouvrit, la vision de la gorge explosa dans son esprit, toute la gorge à la fois, toutes les couleurs, de l'infrarouge à l'ultraviolet, tout était vivant, des millions de voix parlaient en une fantasmagorie de présences bien réelles, le champ magnétique de la planète, elle-même pulsait puissamment autour de lui."

 
Le style de James Mc Laughin est d’une poésie précise. L’écrivain fait appel à tous les sens pour nous faire goûter les bruits de la nature, ses couleurs, sa texture, son goût même. Il épouse le regard de Rice, à la fois connaisseur des arbres et des bêtes qu’il aborde toujours avec respect et délicatesse  et  toujours sensible à la beauté.

"Deux mésanges à tête noire se posèrent sur le buste de Rice et entreprirent d'arracher des brins de toile de jute. Son rire étouffé agita le tissu et plongea les volatiles dans la perplexité, mais ils ne s'envolèrent pas. Une mésange parut deviner que Rice était un être vivant et elle sauta sur la capuche pour examiner son oeil. Sara avait un jour déclaré que les mésanges à tête noire avaient des caractéristiques agréables qui poussaient les humains à les adorer, à les considérer avec un regard anthropomorphique - le front arrondi et protubérant, le bec court, leur corps minuscule couvert de plumes, leurs grands yeux. Rice examina la face de l'oiseau à quelques centimètres de son propre visage. L'oeil noir et luisant braqué sur le sien. Pas si mignon que ça finalement, pensa-t-il. Il semblait farouche, différent, impitoyable. Il sentit l'éclair d'une brêve reconnaissance le traverser. Il cligna des yeux et le mésange s'envola."

Il s’agit donc d’un roman passionnant, original, inclassable car à deux entrées, et l’on peut que recommander aux amateurs de romans policiers comme à ceux qui aiment la Nature writing et si vus aimez les deux, vous serez comblés !  Un beau livre,  bien écrit, surprenant !
 

 

Jamie Mc Laughin source

James McLaughlin a grandi en Virginie et vit désormais en Utah. Photographe passionné de nature, il est également l’auteur de plusieurs essais. Dans la gueule de l'ours est son premier roman. Il a été unanimement salué par la critique américaine (The New York Times, The Washington Post, USA Today ou Entertainment Weekly, etc.).
 

jeudi 5 décembre 2019

Pete Fromm : La vie en chantier




Pete Fromm est un auteur que j’aime et cela date de ma première lecture d’Indiana Creek suivi de Avant la Nuit.

Dans ce roman, La vie en chantier, Pete Fromm explore le thème du deuil et des sentiments paternels. En effet, quand Marnie meurt en accouchant, son mari Taz se retrouve seul avec un bébé, sa maison en chantier et son désespoir. Et ce n’est pas seulement la maison qu’ils avaient achetée ensemble, projet commun qui leur donnait bien des soucis, qui est en chantier mais toute sa vie ! Tout est chamboulé, sens dessus dessous.

Pete Fromm analyse avec beaucoup de vérité et de justesse les sentiments du jeune homme anéanti par le chagrin et ses rapports avec cette petite inconnue, sa fille Midge, ce bébé qui a besoin de lui. Si assumer sa paternité est parfois difficile, elle l’est encore plus quand on éprouve, comme Taz, le manque d’une présence aimée et que toute sa vie semble détruite.

Le roman est donc bien écrit, l’analyse du personnage principal sonne juste, ses relations avec Midge aussi, et pourtant, j’ai éprouvé une certaine déception…Peut-être parce qu’il n’est plus question de nature si ce n’est les quelques passages au cours desquelles les jeunes gens se baignent dans la rivière? Même s’il est légitime pour un auteur de vouloir se renouveler, j’avais envie de retrouver le nature writing propre à la collection Gallmeister. Mais, c’est aussi le côté "attendu" du roman que je n’ai pas aimé, introduit par le personnage de la jeune baby sitter, étudiante, qui va, avec un indéfectible dévouement, s’occuper du bébé et du père et tomber amoureuse des deux. Quelle patience ! Presque trop… non, trop ! Dès le début on sait ce qui va se passer. Ce n’est qu’une question de temps ! Et cela m’a gênée. J’ai trouvé le personnage trop prévisible et, du coup, peu crédible car finalement on sait peu de choses sur elle, sur ce qu’elle éprouve. On sent qu'elle n'intéresse pas l'auteur. De ce fait, elle m’apparaît juste comme un personnage utile pour amener le dénouement ! Et c’est un peu vrai aussi de Rudy, l’ami presque trop parfait !

Dommage ! Le roman a des qualités et Pete Fromm est un bon écrivain mais je n’ai pas adhéré à ce récit.

dimanche 23 septembre 2018

Richard Wagamese : Les étoiles s’éteignent à l’aube


Les étoiles s’éteignent à l’aube de Richard Wagamese éditions ZOE
Franklin Starlight a seize ans lorsqu'Eldon, son père, vieil homme alcoolique en fin de vie, le convoque à son chevet et lui demande de l'emmener au coeur de la montagne, là où les Indiens enterrent leurs guerriers. S'ensuit un saisissant périple à travers l'arrière-pays, où Eldon découvre le fils qu'il avait abandonné en totale symbiose avec la nature sauvage, et libère sa parole progressivement, lui restituant enfin son histoire familiale, et leurs origines indiennes. (quatrième de couverture)

Richard Wagemese est un écrivain canadien d’origine amérindienne. J’avais peur en commençant ce livre sur le thème de la nature et des origines indiennes d’éprouver l’impression d’un déjà vu ou plutôt d’un déjà lu tant l’histoire paraît classique ... et effectivement elle est l’est, la nature jouant ici le rôle de lien entre le père et le fils, sorte de catharsis pour le père et voyage d’initiation pour le fils. C’était sans compter sur le talent de l’auteur, la force de ses descriptions, la beauté de la nature et l’humanité qu’il insuffle à ses personnages, qui font de ce roman une oeuvre personnelle et émouvante.

Si le voyage est initiatique pour Franklin car il s’agit d’un cheminement vers la mort, il y a un renversement de la situation habituelle. C’est le fils qui possède le savoir, la sagesse. Pendant ce périple dans la montagne, c’est le jeune homme qui nourrit son père en tirant parti des richesses de la forêt et de la rivière, lui qui le soigne, le protège, l’assiste dans la douleur et la mort. Franklin est un beau personnage, à l’image de Vieil Homme qui l’a élevé. En l’absence d'Eldon, en effet, le Vieil Homme lui a tout appris de la vie en milieu sauvage, respectant ses origines indiennes, mais aussi du travail de la ferme et de la sérénité que procurent le respect de la nature et l’accomplissement du travail bien fait. 

Le vieil homme lui avait fait le don de la terre à partir du moment où il avait été capable de s’en souvenir, et il lui avait montré comment la traiter et l’honorer, disait-il, et le garçon avait senti l’importance de ces enseignements et il avait appris à les écouter et à bien les reproduire.

  J’ai aimé cet aspect du roman qui nous introduit dans les secrets de la nature, dans le monde des plantes, des herbes médicinales, des bêtes sauvages. On sent que Richard Wagemesse, lui-même amérindien ojibwée comme ses personnages, en a une profonde connaissance.

Pour le garçon, le vrai monde c’était un espace de liberté calme et ouvert, avant qu’il apprenne à l’appeler prévisible et reconnaissable… Dire qu’il l’aimait, était alors un mot qui le dépassait, mais il finit par en éprouver la sensation. C’était ouvrir les yeux sur un petit matin brumeux pour voir le soleil comme une tache orange pâle au-dessus de la dentelure des arbres et avoir le goût d’une pluie imminente dans la bouche, sentir des odeurs du Camp Coffee, des cordes de la poudre et des chevaux. C’était sentir la terre sous son dos quand il dormait et cette chaleureuse promesse humide qui s’élevait partout. C’était sentir tes poils se hérisser lentement à l’arrière de ton cou quand un ours se trouvait à quelques mètres dans les bois et avoir un noeud dans la gorge quand un aigle fusait soudain d’un arbre.

Quant au personnage d’Elton, alcoolique, il fait osciller le lecteur entre rejet et compassion. Mauvais fils, mauvais mari, mauvais ami, mauvais père, selon les critères moraux habituels, ses actes peuvent inspirer l’horreur. Le récit qu’il fait à son fils permet de le connaître et le rend plus humain. Sa souffrance morale qui est aussi intense que les affres de la maladie, le sentiment de culpabilité qu’il éprouve, son désir de régénération, témoignent de la complexité de l’être humain. Rien n’est jamais tout noir ni tout blanc et l’on voit que cet homme en fin de vie, à jamais marqué par son enfance misérable et douloureuse, avait des capacités d’amour sincère, mais possédait en lui le germe de son autodestruction.

Des fois les choses tournent mal, explique le Vieil Homme à Franklin. Quand elles arrivent dans la vie, on peut presque toujours les régler.  Mais quand elles arrivent à l’intérieur d’une personne, elles sont plus difficiles à réparer. Eldon a été pas mal cassé, au fond de lui…

Peut-être le drame vient-il pour Elton, comme pour les amérindiens du Canada, du fait qu’il a été éloigné de sa culture et privé des valeurs qui auraient donné un sens à sa vie. C’est ce que semble penser l’auteur.
Dès que j’ai commencé ce livre, je n’ai pas pu le lâcher et l’ai lu d’une traite, d’un souffle, devrais-je dire. C’est un beau roman qui  redonne confiance en la nature humaine au-delà de ses défauts et ses noirceurs. Une lecture passionnante !


Et  vous pouvez lire aussi tous ces billets dont les avis sont élogieux.





lundi 25 septembre 2017

Emily Fridlund : Une histoire des loups


Madeline, adolescente un peu sauvage, observe à travers ses jumelles cette famille qui emménage sur la rive opposée du lac. Un couple et leur enfant dont la vie aisée semble si différente de la sienne. Bientôt, alors que le père travaille au loin, la jeune mère propose à Madeline de s’occuper du garçon, de passer avec lui ses après-midi, puis de partager leurs repas. L’adolescente entre petit à petit dans ce foyer qui la fascine, ne saisissant qu’à moitié ce qui se cache derrière la fragile gaieté de cette mère et la sourde autorité du père. Jusqu’à ce qu'il soit trop tard.(Quatrième de couverture)

Je le dis tout de suite, j’ai eu du mal à entrer dans le livre d' Emily Fridlund  Une histoire des loups. En effet, l’atmosphère  qui règne dans ce coin des Etats-Unis, cette région des Grands Lacs, paradis des pêcheurs, « capitale mondiale du doré jaune » est rien moins que plaisante. Paradoxalement, on  étouffe dans ces grands espaces naturels voués au froid et à la solitude dès novembre quand les lacs sont gelés. Les personnages et les rapports humains y sont pesants.
La structure du roman a compté, aussi, je pense, dans la difficulté que j'ai eue d’adhérer au récit. La composition est complexe avec des retours en arrière dans  l’enfance de Madeline et de la communauté religieuse  dans laquelle elle a vécu. Tous les moments du passé, du présent et du futur se chevauchent, l’école, sa vie d’adulte, ses moments avec les Gardner, ses études, son travail… C’est parfois un peu trop touffu et détourne de l’action mais l’écrivaine mène sur différents fronts toutes ces temporalités avec une grande maîtrise.

J'ai cependant fini par apprécier ce roman grâce à son écriture suggestive, jamais vraiment rationnelle, qui laisse deviner ce qu’il y a derrière les apparences. Tout au long du roman l'on sent en effet que des choses nous échappent comme ils  échappent à la narratrice, Madeline. On a l’impression parfois que les faits sont faussés, qu’il y a une sorte de distorsion entre la réalité et ce que voit ou comprend l’adolescente. Dans l’intrigue principale, les portraits des personnages de la maison du lac, le petit Paul Gardner, sa maman Patra et son père Léo, introduisent une sorte de malaise inexplicable au premier abord. Tout est un peu flou au début et ce n’est que peu à peu que la  mise au point se précise.
De même que se passe-t-il avec le professeur de Madeleine, Mr Grierson, et une élève de la classe, la jolie Lily, intrigue que l’on pourrait qualifier de secondaire, mais qui court en filigrane tout au long des pages ?
Cet art de la suggestion m’a rappelé - un peu- la manière de Laura Kashishke dans  Esprit de l’Hiver.  Mais la comparaison s’arrête là.

L’histoire est intéressante, les thèmes traités sont passionnants, qui mettent en cause la société américaine avec les superstitions, les obscurantismes liés à la religion. L’on peut y ajouter l’inégalité sociale, la pauvreté, la mise à l’écart de ceux qui ne sont pas conformes, la dureté des relations humaines. Et puis il y a, bien sûr,  -c’est un roman paru chez Gallmeister-, la présence de la nature, à la fois belle et rigoureuse, du canotage et de la pêche sur les grands lacs, et le passage des saisons.
Ce roman témoigne d’un réel talent et malgré les restrictions que j’ai évoquées, c’est une oeuvre qui mérite d’être lue. Quant aux loups, je vous laisse les découvrir !







samedi 3 décembre 2016

Bruce Holbert : L'heure de plomb aux éditions Gallmeister



L’heure de plomb de Bruce Holbert paru aux éditions Gallmeister emprunte son titre au poème d’Emily Dickinson cité en exergue :
 C’est  l’heure plomb-
Dont on se souvient si on y survit,
Comme les gens qui Gèlent se rappellent la Neige-
d’abord-le Froid- puis
l’Engourdissement -puis l’abandon-

L’heure de plomb, c’est celle que vivent les jumeaux, Luke et Matt Lawson perdus dans la neige, un soir de tempête. Nous sommes en 1918 dans l’état de Washington et le blizzard qui s’abat sur le pays pendant cet hiver est si rigoureux qu’il reste gravé à tout jamais dans les mémoires. Matt est sauvé par son institutrice. Luke meurt de froid ainsi que le père des deux garçons parti à leur recherche. Le père enseveli sous la neige n’est pas retrouvé.
Le roman raconte l’histoire du survivant, Matt, marqué à tout jamais par le drame. Il a 14 ans et se voit voler son enfance, obligé de travailler dans le ranch familial pour remplacer son père, rongé par la culpabilité. Il occupe ses temps libres à la recherche du disparu, une idée fixe qui le hante. C’est au cours de ses pérégrinations dans la région qu’il rencontre Wendy, une adolescente qui l’aide dans sa quête. Elle deviendra le grand amour de Matt devenu adulte. Mais rien n’est simple pour lui. Incapable de vivre un vie normale, de dire ses sentiments, il ne peut les exprimer que d’une manière exacerbée et est sujet à des crises de violence qui effraient la jeune fille. Le récit dira si l’on peut guérir d’une telle enfance.
A côté de ces deux jeunes gens gravitent de nombreux personnages que nous suivrons pendant une soixantaine d'années, l’institutrice Linda jefferson veuve en mal d'enfant, la mère de Matt repliée sur son deuil, son patron le vieux Roland et son fils Jarms définitivement abimé par l’abandon de sa mère.. Des portraits d’hommes et de femmes forts mais blessés par la vie, tous en manque de l'essentiel, l'amour; des êtres parfois primitifs, façonnés par la Nature impitoyable, par cette terre belle mais meurtrière qui exige d’eux d’être durs au mal, à la souffrance. Des êtres violents jusqu’à la folie, et prêts au meurtre; des relations entre hommes et femmes parfois bestiales ... et pourtant dans cet univers noir,  la tendresse et l'amour véritable peuvent naître et durer.  Et c'est justement parce que l'amour existe, celui de Matt et de Wendy, celui de Roland pour les bébés, que l'espoir renaît et nourrit le récit.

On ne peut qu’être secoué par ce récit haletant qui croisent des destinées terribles racontées sans concession, sans apitoiement, dans un style qui va droit au but et appuie là où cela fait mal. J’avoue que j’ai eu de temps en temps un rejet de ces personnages, de leurs excès, leur brutalité, leurs actes barbares. Mais le talent de Bruce Holbert est incontestable et ne peut laisser indifférent et sa voix résonne longtemps après la fin du livre.


lundi 24 octobre 2011

Parlons un peu challenges? (2)

Après Parlons un peu challenge? (1) ICI voici mes autres challenges en cours

La  Lecture

Mon Challenge préféré :   George Sand chez George et moi



J'aimais déjà George Sand avant de commencer ce challenge : ses romans, bien sûr, mais aussi la femme, avec ses idées socialistes, généreuses, malgré son rang social qui aurait pu faire d'elle une privilégiée, préoccupée seulement du bien être et du confort de sa classe sociale. Il me plaisait aussi qu'elle lutte par ses écrits et son attitude pour le statut des femmes. Avec ce challenge,  j'ai été carrément bluffée en découvrant les multiples facettes du talent de l'écrivaine qui aborde tous les thèmes, tous les genres aussi. Bravo à George, donc, qui a initié ce challenge et qui nous fait profiter aussi de ses grandes connaissances sur Sand avec ses billets du samedi sandien intéressants et détaillés.
 Pour ce challenge J'ai lu 12 romans ICI et.. ce n'est pas fini!


 Le Challenge Nature Writing chez Folfaerie 


Hélas! je suis venue un peu trop tard à ce challenge qui va bientôt finir.  Mais il aura eu l'immense mérite de me faire découvrir de très beaux livres et des auteurs que je ne connaissais pas. Bien sûr, je ne vais pas m'arrêter en si bon chemin!
J'ai lu cinq livres pour l'instant de Pete Fromm, Edward Abbey; Gerard Donavan, David Vann : ICI. je vais bientôt lire des nouvelles de Jack London, l'auteur vénéré de mon enfance.
 Merci à Folfaerie, blog Au coin du feu, pour cette belle découverte .


La littérature fait son cinéma chez Will dans Kabaret culturel


 Je viens à peine de découvrir le challenge de Will qui unit la passion de la lecture à celle du cinéma. C'est donc pour moi! Et j'ai choisi tout de suite la catégorie supérieure, grande actrice! Une belle idée!
Mes participations sont ICI


Le challenge Carol Oates chez George



Je l'ai choisi car j'aime cette écrivaine depuis le jour où je l'ai découverte avec  deux romans qui restent pour moi ces chefs d'oeuvre : Nous étions les Mulvaney et Chutes. Oates a été pressentie plusieurs fois pour le prix Nobel de littérature et le mériterait bien. Elle  a une puissance d'analyse des personnages et de la société extraordinaires et ses romans sont cruels parce que sans concession. Sa lecture me donne souvent l'impression de recevoir une volée de coups et c'est pourquoi j'ai besoin d'arrêter parfois de la lire. Mais c'est pour mieux repartir car c'est une vraie vision de la société que nous donne Oates  et elle nous parle de la nature humaine.. Encore une bonne idée de George. j'ai lu 10 romans ICI

Le challenge Nouvelles de Sabbio



L'art de la nouvelle est extrêmement difficile. Normalement, je ne suis pas très nouvelles, moi qui aime les romans et les gros pavés! Souvent les nouvelles me déçoivent car elles me laissent en attente, sur ma faim. J'aimerais en savoir plus sauf.. quand elles sont écrites par de grands écrivains comme Raymond Carver, par exemple. Alors c'est sublime. Le challenge est initié par Sabbio qui, je l'espère, va revenir bien vite sur son joli blog, A l'ombre de mon cannelier! Mes participations voir ICI

Un mots, des titres, chez Calypso



Calypso propose un mot : bleu, soleil... Et c'est à nous de choisir un titre qui contient ce mot pour une lecture commune très variée. J'aime  l'idée de Calypso, j'aime aussi que l'on aille de blog en blog ensuite lire ce que les autres lectrices ont découvert.
Les mots auxquels j'ai participé : Bleu; Soleil, Nuit.. le prochain est "secret" pour le 1er décembre ICI  



Il s'agit de lectures communes concoctées selon un menu qui vaut au moins****! Venez nous rejoindre chez Ogresse : plus on est de fous...

 Mercredi 12 octobre
Apéritif
  BRETON A. Nadja.

Jeudi 10 novembre
Entrée
  DOSTOÏEVSKI F. Le Double.  ET/ OU Crime et châtiment

Samedi 10 décembre
Premier plat
  ZWEIG S., Le Joueur d’échecs.
                                                                       Voir la suite ICI

Et j'adore ce logo!
Pour le 10 Novembre, j'ai choisi de lire Le double de Dostoievsky

 Challenge Marylin chez George



 C'est mon mini challenge, juste pour le plaisir de revoir des films que j'aime, de découvrir des écrits sur Marylin : ICI  ...


                                                                   1% chez Hérisson


Puisque je lis des livres pour la Rentrée littéraire,  je me suis inscrite ici mais c'est tout nouveau et pas encore au point pour moi. Pour les livres de la Rentrée 2011 voir ICI




J'aime beaucoup aussi le Blogoclub de Sylire et Lisa où nous pouvons choisir tous ensemble le livre commun à partir d'un thème proposé par les initiatrices. Des lectures enrichissantes et un beau travail d'organisation.  Pour le 1er Décembre, le thème était le voyage et le livre retenu, parmi de nombreux autres, est : L'extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S Spivet de Reif Larsen,

Les Ateliers d'écriture


Je participe à l'atelier d'écriture du Skriban chez  Gwenaelle.
Le vendredi, tous les quinze jours, Gwenaelle nous propose un thème. Nous écrivons un texte en respectant les consignes (hum! sauf les étourdis!) qui sont publiés le dimanche dans l'Atelier du Skriban :  Ecriture et échange! On s'amuse chez Gwen!




Et à l'atelier d'écriture  désirs d'histoire  de Olivia. Chaque mardi les participants proposent un mot  Olivia les récolte, en dresse une liste et il faut écrire un texte en y glissant les mots imposés. Il faut parfois se creuser la cervelle pour les utiliser mais ça marche!

Jeux et Enigmes littérature/ Cinéma




Wens et moi, nous proposons chaque samedi un jeu-énigme :  Un livre/ un film. Il s'agit de découvrir à partir de l'extrait d'une oeuvre littéraire quel est le titre et l'auteur et quelle est son adaptation au cinéma. Dans son blog En effeuillant le Chrysanthème Wens propose l'énigme sur le film, dans le mien, le livre. Le dimanche, nous présentons dans nos blogs respectifs un billet sur ces oeuvres.


 Eeeguab, blog Blogart (La comtesse), propose aussi, le dimanche, un jeu cinématographique que vous trouverez ICI


L'énigme du samedi de Chantal Serrières a repris dans son blog : Ecritures du monde



                                                             Et mes deux anciens challenges



Elizabeth Braddon de  Lou 4 livres lus  ICI


English classics de Karin  19 participations   ICI

jeudi 20 octobre 2011

David Vann : Désolations


Désolations de David Vann est un des grands livres de la rentrée littéraire. Jamais roman ne portera mieux son titre que ce récit fort et puissant mais d'une noirceur absolue.

David Vann place son récit en Alaska, dans la péninsule de Kenai, au bord d'un lac glaciaire. Gary va  réaliser son rêve en construisant la cabane où il a toujours voulu vivre, sur une île, au milieu du lac, non loin de la ville sur l'autre rive. Il entraîne dans cette aventure sa femme Irène, assez réticente à la pensée de quitter sa maison pour aller habiter dans un lieu coupé du reste du monde pendant le long hiver nordique. Malgré les maux de tête intolérables dont elle souffre, Irène va le suivre pourtant. Leur fille Rhoda s'en inquiète alors que  leur fils, Mark, ne s'en soucie pas!

Si vous attendez à partir de là un récit écologique vous vantant la beauté de la nature, le courage de cet homme et de cette femme dans leur combat face aux dangers qu'ils vont affronter, vous en serez pour vos frais. Dans Désolations - le titre est au pluriel- David Vann dresse un bilan pessimiste, de la nature abîmée par la présence humaine, des rapports entre les êtres mais aussi de la société en général. 

Désolante en effet, cette ville souillée par l'homme et d'une dureté implacable. Une ville sinistrée où les plus chanceux s'en vont pour trouver du travail, échapper à la détermination du choix qui fait de vous un pêcheur ou un employé de la conserverie de poissons, travail à la chaîne, inhumain, sans espoir, dans le froid et la saleté. Une vision sociale accablante. Tout est à l'image de ce pays désolé et sauvage ou les scories laissées par l'homme achèvent de rouiller.

Elle logea un centre commercial de plain-pied, un parking abandonné où pourrissaient une vieille voiture et d'autres débris en bordure de la forêt. Ploucland, dit-elle à voix haute.

Quant à la nature, certes elle est belle loin de la ville mais elle est surtout inhumaine, et il faut, pour y vivre, abandonner toute idée romantique :

Une belle illustration de ses trois décennies passées en Alaska, affalée dans son ciré, cachée, se faisant aussi petite que possible, chassant les moustiques qui parvenaient à voler malgré le vent. Se sentant frigorifiée, seule. Pas la vision grandiose qu'on pourrait avoir, se prélasser par une journée ensoleillée sur une pente douce couverte de lupin violet, la vue dégagée sur les montagnes environnantes.

En fait la nature est la métaphore de ce qui se passe à l'intérieur des consciences, l'enfer personnel que chaque homme ou femme porte en soi. A l'âge de la retraite Gary et Irène font le bilan de leur vie et leur échec est total. Gary a raté sa vie. Doctorant médiéviste à Berkeley, une de plus grandes université américaines en Californie, il peut toujours reporter la responsabilité de son échec sur sa femme. Il n'en est pas moins vrai qu'il s'est senti distancé dans ses études, incapable de les mener à bien. Se fixer en Alaska pour échapper au milieu universitaire, épouser Irène, institutrice de maternelle, qu'il juge inférieure à lui sur le plan intellectuel, est une fuite, non un choix de vie. La construction de la cabane est la réalisation d'un rêve mais l'on s'aperçoit bien vite qu'il n' est pas capable, non plus, de la mener à bien.
 Irène, elle, est brisée dès son enfance par le suicide de sa  mère. Si elle subit la volonté de son mari en s'isolant ainsi dans l'île au moment où un hiver rigoureux s'annonce, ce n'est pas par amour pour lui , qu'elle regarde avec une froide lucidité, mais par peur de l'abandon. Il n'y plus que haine entre eux et le huis clos dans l'île va se révéler terrifiant.
David Vanne explore avec talent le thème de la solitude de chaque être en rapport avec la nature hostile, car ce ne sont pas seulement les personnages âgées qui sont condamnés mais aussi les jeunes.
Marc, le fils de Gary et d'Irène, qui mène la vie rude des pêcheurs est lui aussi en situation d'échec; Il se saoule avec sa femme et ses amis et se drogue. Son indifférence apparente envers ses parents semble plutôt être de l'ordre de la survie. Quant à Rodha, qui est le personnage le plus positif du livre, elle est bien trop fragile pour trouver une issue, échapper à son destin. Capable d'amour et de dévouement envers ses parents, elle aime Jim, un dentiste, et espère fonder une famille avec lui. Elle ne trouvera en face d'elle que trahison, mensonge, indifférence, haine et folie. L'on peut penser raisonnablement qu'elle reproduira le schéma de vie de sa mère, les femmes de cette famille semblant condamnées d'avance par les hommes mais aussi, comme toutes les femmes, par la société qui les place au bas de l'échelle. C'est ce que pense Carl, le jeune étudiant venu en Alaska pendant les vacances pour y connaître sa première déception amoureuse, trahi par la riche et cynique Monique, obligé de prendre un emploi à la conserverie  de poissons où il ne tient même pas un jour! Le constat social est désespérant  et est résumé ainsi par le jeune homme pendant ses quelques heures de travail :

1 Ne travaille pas avec d'autre personne
2 N'exerce pas un travail manuel
3 Sois content de ne pas être une femme sur le marché du travail.
4 le contrôle de qualité n'existe pas. Tous les autres termes du monde des affaires sont aussi des conneries. Le monde des affaires est le cimetière de la pensée et des paroles.
5 Le travail ne sert qu'à gagner de l'argent. Alors trouve-toi un boulot qui aille au-delà, un boulot, qui, dans l'idéal, ne te donne pas la sensation d'en être un.

Quant aux relations entre les hommes et les femmes, elles sont toutes fondées sur des rapports de domination. L'amour n'existe pas, c'est une chimère et ceux qui se laissent aller à y croire en souffriront. Le paysage où le vent, la neige, l'eau sont hostiles, se liguent contre les humains, reflètent la désolation  de leur âme.

Un roman pessimiste, certes, mais excellent.

Voir l'avis de Choco dans Le Grenier à Livres ICI

PriceMinister

Merci à Price Minister et aux éditions Gallmeister pour l'envoi de ce livre
 




samedi 15 octobre 2011

Pete Fromm : Avant la Nuit Editions Gallmeister


Et bien si l'on m'avait dit que je lirais un recueil de nouvelles sur la pêche, que j'apprendrais tout sur les diverses espèces de truites, sur les différents types d'appâts, que je passerais des après midi à pêcher sur un radeau  ou dans le courant de la rivière, que je saurais placer délicatement l'hameçon à l'endroit choisi, au millimètre près, avec ma canne à lancer, j'aurais été bien étonnée. Et encore plus, que cela me plaise! Oui mais, dans un livre, tout est possible! C'est la cas avec Avant la nuit de Pete Fromm.

Pourquoi cet intérêt? parce que les nouvelles de ce recueil parle de pêche  mais encore plus d'êtres humains que l'on devine avec leur personnalité, leurs attentes, leur fragilité, avec les drames qui interviennent dans leur vie mais aussi les rapports de confiance, la complicité que cet amour de la pêche mais aussi de la nature crée entre eux.
Parmi mes préférés, Père et fils, est la douloureuse histoire de ce père divorcé, séparé de son fils qui a dû suivre sa mère dans un autre état, et qui accomplit quelques milliers de kilomètres en voiture pour l'amener pêcher. On y lit une belle complicité entre le père et l'enfant mais aussi on devine en filigrane, une autre histoire, celle du père et de la mère, d'un amour qui n'a pas survécu, éteint par la vie quotidienne qui foule aux pieds les rêves, malmène le bonheur. Pourtant, par l'intermédiaire de ce fils qu'ils aiment tant, peut-être parviendront-ils à l'apaisement?..  Ou encore Avant la nuit, qui donne son titre au recueil, une partie de pêche entre Gordon et son beau-père, un récit tout en sous-entendu et silence. Peu à peu, cette journée au bord de l'eau, alors qu'il faut rentrer à la maison avant la nuit pour échapper aux dangers de la rivière, permet de cerner la personnalité de Gordon, de comprendre sa souffrance, lui qui, marqué par le divorce de ses parents, ne revient voir sa mère et son beau-père que de longues années après son départ. La nouvelle parle de la peur d'être père, de la difficulté de vivre, de la crainte de perdre ceux que l'on aime. Là aussi la rivière et les aventures vécues ensemble représentent une sorte de catharsis qui permet d'affronter la vie. Dans Le cours normal des choses  pour la première fois depuis la mort de sa femme, un père ramène ses deux fils à la pêche. Une  nouvelle terriblement poignante où chacun s'efforce de faire comme si tout était normal jusqu'au moment où le plus jeune des enfants, Corby, ne parvient plus à contrôler l'irruption du chagrin. Certains de ses récits sont moins tragiques, comme Stone, ce garçon qui ne veut pas apprendre à pêcher mais qui est le roi du ricochet, une leçon de respect mutuel entre un père et son fils... Ou encore  la nouvelle Le gamin quand deux vieux copains se retrouvent pour la pêche mais l'un a amené son gamin, prétexte à une prise de conscience pour l'autre des changements survenus ... Mais tous campent des personnages pleins de vie, très forts, dont les sentiments sont analysés avec finesse et pour qui l'on sent la tendresse de l'auteur. Le thème père et fils est une constante avec ce que cela représente d'amour, de compréhension mais aussi de doute et de crainte. Le fil conducteur, la pêche, crée une unité dans ces courts récits avec l'image de l'eau, métaphore du temps qui s'écoule amenant d'inéluctables changements. Le respect des créatures vivantes, la beauté de la nature, des joies qu'elle procure, des rapports de confiance qu'elle établit entre les gens font  de ce recueil une petite merveille. Un beau recueil plein de sensibilité et de nostalgie.


Ce livre a été lu dans le cadre du challenge ludique de Calypso :  Un Mot, Des titres. Calypso a proposé le mot nuit qui devait figurer dans le titre, d'où ce recueil de Pete Fromm.

Mais sans que je l'ai cherché au départ, il illustre aussi deux autres de mes challenges :


Nature Writing, le challenge de Folfaerie


Et le challenge des nouvelles de Sabbio


mardi 13 septembre 2011

Peter Fromm : Indian Creek, un hiver au coeur des Rocheuses Edit. Gallmeister


 Indian Creek, un hiver au coeur des Rocheuses de Peter Fromm est  devenu un livre culte aux Etats-Unis. Des parcours sont organisés pour retrouver les lieux où se sont déroulés les faits qu'il relate dans Indian Creek et que les touristes visitent ... en été!
Peter Fromm y raconte l'expérience qu'il a vécue, lorsqu'il était jeune étudiant, à la fin des années 70 dans une université du Montana où il étudie la biologie animale.. Sur un coup de tête due à son admiration pour les récits de trappeurs, il accepte un travail dans l'Idaho qui implique de passer l'hiver dans les montagnes Rocheuses. Isolé de toute civilisation,  pendant de longs mois, il doit veiller sur quelques millions d'oeufs de saumons en empêchant la réserve où ils sont entreposés de geler. C'est le début d'une aventure parfois exaltante, souvent  éprouvante, pour lui qui ne connaît rien à la montagne, et qui va changer le cours de sa vie.
C'est avec humour que l'auteur nous raconte son expérience. Au départ, rien ne prédisposait le jeune homme, sportif, certes, puisqu'il fait de la natation en compétition, mais sans expérience, à une telle aventure. Il n'a pas le caractère d'un solitaire, lui qui aime les fêtes nocturnes bien arrosées entre copains, la vie de famille nombreuse avec ses parents, son jumeau et ses frères et soeurs. Il n'a aucune connaissance ni de la montagne, ni des animaux sauvages, ni de la chasse ou de la vie sous la tente à l'exception de petites excursions en camping. Aussi la réaction des gardes forestiers devant  l'étendue de son ignorance lorsqu'ils viennent l'installer dans son campement  provoque le rire.... mais aussi l'inquiétude. Voilà où mène le romantisme  nourri pas des lectures passionnantes mais théoriques!

Au-delà de l'humour, nous comprenons que le jeune homme est en train de se jeter un défi à lui-même. La réussite de ce projet le transformera complètement. Nous suivons donc avec intérêt les difficultés de sa vie quotidienne, qui, lorsqu'il est entièrement isolé par la neige, se révèle non seulement dangereuse sur le plan physique mais aussi psychique, notre jeune héros sombrant dans la dépression. Heureusement, il a l'amour inconditionnel de sa chienne Boone pour le soutenir et surtout il comprend qu'il doit avoir toujours les mains occupées pour empêcher l'esprit de battre la campagne. Le récit est donc  initiatique puis que Peter Fromm, passé les premiers mois  d'abattement, va apprendre à aimer sa solitude, va entrer en communion avec la nature dont il s'imprègne, conscient de cette beauté qui l'entoure, une vie de liberté rude et difficile mais pleine de richesses. La lecture va aussi l'aider à emplir sa vie. Le jeune homme mûrit, change à un tel point qu'il se retrouve un peu étranger à ses anciens amis quand il les revoit.

A côté de la description de la vie quotidienne dans sa monotonie et  sa répétition car le jeune homme accomplit son travail de préservation des saumons avec conscience,  le récit contient de grands moments de bravoure où le quotidien fait place à l'épopée. Ainsi, il accomplit un trajet en raquettes à la recherche de son père et de son frère venus le rejoindre mais perdus dans la montagne, la peur au ventre, craignant de les retrouver morts.  Les avalanches à répétition, son combat avec le Lynx blessé, la chasse au Lion des Neiges sont aussi, entre autres, des passages passionnants.
Le roman est donc très attachant et j'ai vraiment adoré découvrir ce si célèbre Indian Creek.

Challenge de Folfaerie

Keisha, les lectures de Folfaerie, Hélène, Choco, Cathulu, Marie . Jeneen.
Scor

mercredi 13 juillet 2011

Gérard Donovan : Julius Winsome




Gérard Donovan dans son roman Julius Winsome réussit le tour de force de nous passionner avec une histoire qui met en scène un personnage replié sur lui-même, détaché de tout et dont le comportement finit par être à la limite de l'Humain. Pourtant Julius Winsome, ce solitaire qui vit dans un châlet en bordure de la forêt, enseveli dans le silence de la neige pendant les six mois d'hiver dans le Maine du Nord, à la frontière du Canada, est curieusement proche de nous, voire attachant.
Je dis curieusement et vous allez voir  pourquoi.
Julius Winsome a vécu toute sa vie dans ce lieu avec son père, un lettré qui lui a transmis l'amour des livres mais aussi des mots, ceux de l'inventeur de la langue anglaise, Shakespeare. Il  lui a légué à sa mort les milliers de volumes qui tapissent les murs. De son grand père, combattant de 1914, poursuivi jusque dans ses rêves par les fantômes des soldats ennemis qu'il a tués, il a compris l'horreur de ces meurtres collectifs que la guerre autorise. De son père, mobilisé pendant la guerre de 1940, il tient la haine de tout ce qui est arme à feu même s'il a appris à se servir du fusil allemand de 1919 que son grand père a ramené. Un jour pourtant, tout bascule pour ce cinquantenaire qui n'a pas su retenir la femme qu'il aimait et qui vit avec son chien pour seule compagnie. Quand ce dernier est tué à bout portant par un chasseur - non un accident mais un geste de cruauté gratuite-  Julius Winsome sort son fusil et tire! Il se transforme en tueur!
Quand j'ai lu le commentaire de L'or des chambres  dans son blog, j'ai d'abord eu une réaction de rejet pour ce personnage qui se venge d'une manière aussi horrible. Et  puis elle m'a convaincue de lire ce roman et je ne le regrette pas.
Il y a d'abord la magnifique écriture de Donovan qui fait voir la beauté de ces paysages, fait entendre le silence troublé seulement par le crissement de la neige, les pas des animaux sauvages à la lisière de la forêt, la beauté pure pourtant perturbée, à intervalles réguliers, par les détonations des fusils. Les chasseurs jouent ici un rôle symbolique, ils introduisent les notions de souffrance et de mort. Ils représentent la force brute face à la fragilité de la nature. Mais au delà de la magnificence de ces forêts touffues, du passage des saisons somptueuses avec leurs couleurs variées, l'écrivain nous fait sentir le  sifflement sinistre du vent, les bruits angoissants de la nuit qui encerclent la maison et se referment sur elle, le froid qui s'empare du corps et de l'âme, le poids du silence, la terreur de la solitude. Nous entrons dans ce désert glacé longtemps réchauffé par les livres qui forment un rempart au mal mais qui cède peu à peu... Nous nous sentons envahis par la détresse du personnage et comprenons pourquoi il sombre ainsi dans un no man'sland psychologique d'où il ne reviendra jamais. Ce récit conte aussi une belle et triste histoire d'amour. Claire aurait pu sauver Julius de lui-même mais il n'a pas su la retenir, incapable de dire son amour, d'exprimer ses sentiments. Claire l'a quitté, s'est mariée mais certaines scènes montrent pourtant la tendresse qu'elle lui conserve et la compréhension intuitive qu'elle a de cet homme muré en lui-même. Julius Winsome est l'histoire d'une vie ratée d'où l'intense nostalgie que l'on éprouve à la lecture.
Est-ce aussi la description d'un glissement progressif vers la folie? Certainement! Mais je préfère l'explication donnée dans le résumé de la quatrième de couverture (excellent cette fois-ci) : "Avatar du Meursault de Camus qui tuait "à cause du soleil", Julius Winsome tue à cause de la neige, symbole de pureté et de deuil."

voir Aifelle

                                                                  Chez Folfaerie

samedi 18 juin 2011

Edward Abbey : Le feu sur la Montagne

Billy, 12 ans, vient passer les vacances chez son grand père dans un ranch du Nouveau-Mexique. Il se fait une joie de retrouver le vieil homme, John Vogelin, et son ami, Lee, mais aussi la liberté  des grands espaces, les bêtes du ranch, les chevauchées dans la nature... une nature pourtant peu hospitalière avec ce climat semi-désertique, ces terres arides, cette chaleur implacable, toutes calamités qui permettent  à peine au grand père de subsister.  Oui, mais les paysages ont une beauté magique, les couchers de soleil sont sublimes, sans parler des rencontres palpitantes avec  les animaux sauvages, des veillées autour d'un feu de bois, des nuits à la belle étoile... Billy est enthousiaste; plus tard, il aimerait bien venir travailler ici. Pourtant, lorsqu'il arrive il ne tarde pas à deviner la menace qui plane sur leur tête. L'US Air Force veut racheter le ranch de grand père pour y installer un champ de missiles.  Mais John Vogelin va se battre jusqu'au bout pour garder sa propriété, épaulé dans ce combat par son petit-fils. On devine pourtant que cette lutte est bien inégale.

J'ai vraiment adoré ce livre. Son charme tient, bien sûr, à la description de cette nature à laquelle Edward Abbey voue un grand amour qu'il a l'art faire partager. Il me donne envie de galoper à côté de nos héros malgré la chaleur, la soif, les fesses tannées par le cuir de la selle, de vivre à la dure, enserrant les dents, pour paraître costaud, comme le fait le petit Billy! Quand je lis un roman convaincant, je suis souvent capable de telles prouesses, mourant de soif dans le désert ou les pieds gelés dans le blizzard du Grand Nord canadien. C'est tellement bon de vivre à l'extrême, confortablement installée dans un fauteuil! 
Et puis derrière cette beauté, apparaît la fragilité de cette nature, des animaux, d'abord, que l'homme déclare nuisibles et qu'il détruit sans discernement, de ces paysages splendides que l'on va sacrifier à la guerre, que l'on va livrer à la destruction. Il y a la dénonciation du pouvoir exorbitant de l'armée qui peut exproprier les gens, les envoyer en prison s'ils résistent. Edward Abbey, exprime ici un sentiment écologique et antimilitariste. Contestataire, il prône le refus d'obéissance, le recours à l'auto-défense qui n'a rien de pacifique d'ailleurs! C'est l'arme à la main que le vieux Vogelin entend défendre son domaine, dans le meilleur style des westerns.

J'ai aimé aussi les liens qui unissent le grand père et le petit fils, cette conformité d'humeur et de goûts, cette solidarité farouche de l'enfant envers le vieillard, cette tendresse pudique que l'un ou l'autre ne veut pas exprimer mais qui apparaît à tout moment dans un mot, dans un geste, dans leur complicité étroite. C'est à travers des dialogues pleins d'humour, assez pince-sans-rire, que se dessine le caractère de l'enfant, les principes d'éducation du vieil homme et ses contradictions, et aussi la belle amitié et le respect mutuel qui lient le vieil homme, l'enfant et Lee, autre personnage important du récit.

Les engoulevents montaient et plongeaient sur le rideau de l'aube naissante, conscients de l'imminence du jour. Des pies firent leur apparition, oiseaux affamés au plumage noir et blanc d'universitaires guindés, et se mirent à piailler et piailler comme des théologiens qui se  querellent. Un troglodyte s'éveilla et poussa son chant de chute d'eau cristalline.
-Le paradis peut-il être plus beau? demandai-je.
- Le climat  est un peu meilleur ici, répondit Grand-père
- Il y a moins d'humidité, dit Lee.



J'ai découvert ce livre et ai eu envie de le lire dans le blog de Mango

Lire aussi Keisha

et aussi Folfaerie