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dimanche 6 février 2022

Nikos Kokantzis : Gioconda

 

Nikos Kokantzis, né à Thessalonique en 1927, y a étudié la médecine avant de se spécialiser en psychiatrie à Londres où il vécut plusieurs années.
 Et c'est en 1975 que Nikos Kokantzis décide d’écrire l’histoire d'amour qu’il a vécue avec Gioconda en 1943. Une histoire vraie ! C’est son seul ouvrage traduit en français. Il a aussi écrit un recueil : Neuf histoires et un livret et  un recueil de poèmes intitulé Quarteto qui ne sont pas encore traduits.

Gioconda de Nikos Kokantzis est un court roman très dense où l’écrivain raconte son histoire, celle de son amour d’adolescent avec sa jeune voisine, de famille juive, la jolie Gioconda aux yeux gris, si jolie, rieuse, amoureuse, passionnée. Un premier amour entre deux adolescents qui s’éveillent à la sensualité, avec tout ce que cela comporte de sincérité, de don de soi, d’émerveillement, de bonheur mutuel. Somme toute une belle histoire, mais… banale ?
 Hélas, non ! Car nous sommes en 1943 à Thessalonique et la Grèce est occupée par les Allemands qui, comme partout en Europe, restreignent les libertés des juifs et les déportent. Gioconda et toute sa famille sont amenés à Auschwitz. Personne n’en reviendra.

Gioconda n'est plus qu'un rêve. Parfois je me demande si elle a existé, j'interroge mes parents, mes cousins, pour m'assurer que oui. Quelque part en Allemagne de l'Est, des parcelles de ce qu'elle fut subsistent peut-être dans l'écorce d'un arbre, dans une motte de terre. Des gens l'ont peut-être sentie dans une fleur, bue dans leur vin. Les vents qui ont soufflé toutes ces années l'ont peut-être ramenée en Grèce et je l'ai respirée, qui sait, sans le savoir, en une dernière union amoureuse. Les grand yeux gris, les lèvres douces, la peau si lisse, la voix rauque... Le rire, le chagrin, l'amour, tout ce qu'Elle était.

Le récit est haletant, rapide, comme pour refléter à la fois l’entièreté du sentiment amoureux qui exclut les autres, qui balaient les doutes, l’hésitation, et fait vivre les amoureux dans une bulle à part, proche du rêve ; mais aussi l’urgence, comme si la Mort talonnait le jeune couple, comme s’ils savaient déjà que leur temps était compté.

Ces rencontres cachées, hâtives, dans l’inconfort et l’inquiétude, ne duraient jamais  plus d’une demi-heure. Mais dans ce temps si bref se concentraient le plaisir et l’émotion d’heures et de jours entiers qui, nous ne le savions pas encore, allaient donner un sens à notre vie, et remplir le vide laissée par mon amie quand elle serait partie à jamais. Je m’en souviens avec la plus profonde reconnaissance et je prie que le cauchemar des derniers mois de sa vie ait été adouci, ait perdu un peu de son horreur grâce aux souvenirs de ces instants, à la plénitude de notre vie pendant ces derniers mois terrifiants et magiques. Je ne le saurai jamais.


Et pourtant, lorsque la Mort est là sous les traits des soldats allemands qui viennent chercher la famille, celle-ci apparaît policée, sans éclats, sans cris, presque neutre, rendant encore plus violente l’horreur et l’inhumanité de la déportation.

Ils vinrent les chercher par une chaude fin d’après midi. Un grand camion militaire arriva, avec trois soldats allemands et un officier, peu bavards, méthodiques et presque polis. (…) Les soldats les aidèrent à monter, leur passèrent les valises et le paquet, montèrent à leur tour, relevèrent le battant et mirent la chaîne. L’officier se tourna vers mon père et, à notre surprise, le salua militairement en claquant des talons, avant de monter à côté du chauffeur. Le camion démarra, avança jusqu’au coin de notre petite rue, tourna dans l’avenue et disparut à nos yeux..


Un beau récit, tragique, émouvant, qui rappelle, à travers les souvenirs de Nikos Kokantzis, la nécessité de préserver la mémoire pour que les victimes soient sauvées de l’oubli. 

 ***

Zenaïda Serebriakova  est une peintre que j'ai découverte à Moscou à la Galerie Tetriakov. C'est son autoportrait qui orne la couverture de Gioconda.

Moscou : la galerie Tetriakov 

Les trois tableaux Zenaïda Serebriakova dans la galerie Tetriakov


Zenaïda Serebriakova : autoportrait


Zenaida Serebriakova – Le déjeuner des enfants  1914


Zenaida Serebriakova : Les cueilleuses de lavande

dimanche 19 janvier 2020

La citation du dimanche : Avec Esope

Les chênes de Courbet

Un jour, les chênes se plaignirent à Zeus :

Zeus

"A quoi bon lui dirent-ils, être venus sur cette terre pour finir à coup sûr sous la hache du bûcheron ?

- N'est-ce pas vous, répondit Zeus, les responsables de vos maux puisque vous fournissez vous-mêmes les manches pour les haches ?

Il en est de même pour les hommes : certains reprochent absurdement aux dieux des maux qu'ils ne doivent qu'à eux-mêmes.
Esope

jeudi 20 juillet 2017

Festival OFF d'Avignon : Lysistrata d'Aristophane



Depuis que j’ai lu Lysistrata au cours d’une lecture commune, j’avais envie de voir cette pièce qui est un beau plaidoyer contre la guerre et pour une vraie démocratie et aussi un texte féministe avant la lettre. Voilà ce que j’en écrivais à l’époque :

La comédie d'Aristophane, Lysistrata, est jouée en 411 av. JC, dix-huit mois après la défaite des Grecs en Sicile. Athènes se relève mal de cette déroute, affaiblie par les pertes en hommes. D'autre part la guerre du Péloponnèse qui oppose Athènes à Sparte avec de brèves trêves dure depuis 431. (Elle ne finira qu'en 404 avec la victoire de Sparte)
Aristophane écrit cette pièce pour dénoncer les horreurs de cette guerre fratricide et dire le bienfaits de la paix. Il imagine que ce sont les femmes qui vont intervenir pour contraindre leurs époux à conclure la paix puisque ceux-ci sont incapables d'être raisonnables.
Lysistrata*, une jeune athénienne prend la tête de ce mouvement en donnant rendez-vous à ses amies au pied de l'Acropole. Elle a un plan qu'elle va soumettre à l'assemblée :  pour convaincre les hommes de mettre fin à la guerre, les femmes doivent faire la grève du sexe en se refusant à leur mari tant  que ceux-ci n'auront pas signé la paix. Elles se barricadent ensuite sur l'Acropole où est déposé le trésor d'état et refusent que celui-ci soit utilisé pour la guerre. Elles prennent ainsi le pouvoir et décident de gérer le budget de la ville comme elles le font pour celui de la maison. Evidemment, les épouses de toutes les régions de la Grèce feront de même.
Voir la suite  ICI

La jeune compagnie qui interprète la pièce dégage une belle énergie, courses effrénées, fureur, cris et tremblements, participation (involontaire) des spectateurs. On peut dire que l’ensemble est enlevé et que les comédiens n’épargnent pas leur souffle ! Le spectacle est tiré vers la farce et provoque le rire des spectateurs.
 Il manque, cependant la dimension politique de la pièce - en particulier la réflexion sur la démocratie, sur la corruption des hommes politiques, sur l’égalité de tous les citoyens étrangers ou non, sur la nécessité de travailler pour le bien commun…  Ce qui fait d’Aristophane un auteur universel. A travers les siècles, il nous donne une belle définition de la démocratie que nous n’avons pas encore atteinte aujourd’hui !  Et comme ce sont les femmes qui développent cette conception, on peut voir combien il est en avance sur son temps !
Cet aspect de la pièce m’a paru juste amorcé et le texte semble ne pas être intégral et avoir subi des coupures. Les acteurs sont sympathiques et l’on passe un agréable moment en leur compagnie.


Lysistrata théâtre Atelier 44
à 16h50 : du 7 au 30 juillet

Compagnie La STRADA 

Metteur en Scène : Olivier Courbier

 Interprète(s) : Félicien Courbier, Léonard Courbier, Sidonie Gaumy, Lucile Marmignon, Aylal Saint-Cloment, Noémie Zard 

 

 

samedi 8 juillet 2017

Sophocle/ Satoshi Miyagi : Antigone au festival IN d'Avignon 2017

Antigone de Sophocle mise en scène de Satoshi Miyagi : photo Télérama
Cette fois encore la Cour d’Honneur offre aux spectateurs un spectacle d’une grande beauté et originalité : Antigone de Sophocle mise en scène par le metteur en scène Satoshi Miyagi. Là, les cultures se mélangent. il s’agit bien de la pièce de Sophocle revue à la lumière du bouddhisme japonais dont la pensée refuse de diviser les gens entre amis et ennemis dans une volonté « d’aimer tous les êtres humains sans les diviser ».
En guise de prologue, des acteurs viennent, comme dans les théâtres de foire, appâter le spectateur en lui présentant - en français-, sur le mode comique, l’intrigue de la pièce.
 Puis la tragédie commence en langue japonaise, ce qui ajoute encore pour nous à l’envoûtement et aux Mystères, au sens rituel, de la représentation pour ne pas dire de la célébration.
Le vaste plateau de la cour d’Honneur est mis en eau, fleuve des Enfers, Acheron ou  Sanzu dans la religion bouddhiste. Les âmes des morts s’y déplacent en silence seulement troublé par le faible clapotis de l’eau.  C’est le choeur antique qui reprend les répliques des personnages, les répercute, les appuie. Comme « dans le No japonais, il y a ce que l’on appelle le Ji-utaï, qui ressemble au choeur grec » explique le metteur en scène.
 La blancheur des costumes, la légèreté des voiles dont tous sont drapés, la musique, les chants qui font place au silence sont enveloppés de jeux d’ombre et de lumière qui donnent solennité à la scène. Tout est d’une grande pureté. Les danses rituelles mettent en valeur le langage du corps plus important pour Satoshi Miyagi que l’expression du visage, en opposition à la pensée occidentale. En témoigne la mise en scène des Damnés, qui l’année dernière à la Cour d’Honneur, privilégiait les  gros plans sur les visages en utilisant la vidéo. 

Antigone photo de Anne-Christine Poujoulat (source)

Et tandis que sur la scène les comédiens incarnent Antigone, Créon, Hémon ou Ismène, leur double silencieux mais animé, projettent sur le mur du palais des silhouettes d’ombre qui disent les sentiments, la colère, la révolte, la peur et la souffrance des personnages, Antigone affrontant Créon ou Hémon se rebellant contre son père et se sacrifiant pour son amour. Et ces ombres qui, tour à tour grandissent ou s’amenuisent, disent aussi les rapports de force et les hiérarchies : l’ombre gigantesque de Créon, celle plus petite et dominée de Hémon mais qui bientôt s’étire, grandie par son courage… Beauté de la main de Hémon et Antigone qui se rejoignent sur le mur malgré la tombe qui les sépare.

Un très beau spectacle, d'une grande qualité ! Et une pièce qui répond à cette question universelle au coeur de toute religion mais surtout de toute pensée laïque :  L’obéissance aux ordres d’un chef et aux lois doit-elle être aveugle? C’est ce que la Boétie déjà au XVI siècle dénonçait comme une « servitude volontaire ». Ne doit-on pas, avant tout, obéir à sa conscience, à sa perception du bien et du mal ? La désobéissance n’est-elle pas un devoir ? 
Questions philosophiques essentielles !

« Il n'est pas souhaitable de cultiver le même respect pour la loi et pour le bien. La seule obligation qui m'incombe est de faire bien » affirmait Thoreau

 Et Victor Hugo : «  Désobéir, c’est chercher ».



jeudi 7 août 2014

Aristophane : Lysistrata



La comédie d'Aristophane, Lysistrata, est jouée en 411 av. JC, dix-huit mois après la défaite des Grecs en Sicile. Athènes se relève mal de cette déroute, affaiblie par les pertes en hommes. D'autre part la guerre du Péloponnèse qui oppose Athènes à Sparte avec de brèves trêves dure depuis 431. (Elle ne finira qu'en 404 avec la victoire de Sparte)

Lysistrata Aubrey Beardsley (1896)

Aristophane écrit cette pièce pour dénoncer les horreurs de cette guerre fratricide et dire le bienfaits de la paix. Il imagine que les femmes qui vont intervenir pour contraindre leurs époux à conclure la paix puisque ceux-ci sont incapables d'être raisonnables.




Lysistrata*, une jeune athénienne prend la tête de ce mouvement en donnant rendez-vous à ses amies au pied de l'Acropole. Elle a un plan qu'elle va soumettre à l'assemblée :  pour convaincre les hommes de mettre fin à la guerre, les femmes doivent faire la grève du sexe en se refusant à leur mari tant  que ceux-ci n'auront pas signé la paix. Elles se barricadent ensuite sur l'Acropole où est déposé le trésor d'état et refusent que celui-ci soit utilisé pour la guerre. Elles prennent ainsi le pouvoir et décident de gérer le budget de la ville comme elles le font pour celui de la maison. Evidemment, les épouses de toutes les régions de la Grèce feront de même. Ce n'est pas sans mal que Lysistrata va obtenir des femmes qu'elles privent de sexe leur mari car c'est se priver aussi elles-mêmes d'où leurs réactions horrifiées :

Lysistrata : et bien il vous faut renoncer au zob.
Kalonike : Je ne pourrai jamais! non, que la guerre aille son train!
Myrrhine : Ni moi non plus corbleu! Que la guerre aille son train!


La pièce d'Aristophane est une grosse farce qui à première vue ne parle que du sexe d'une manière crue, directe et obsessionnelle. Les jeux de mots, les sous-entendus obscènes, les gestes grivois, les phallus en érection arborés par les maris, tout dans cette comédie peut choquer un public contemporain et une société marquée par le christianisme mais il faut la replacer dans son temps : "la comédie tirait directement  son origine des rites phalliques liés au culte de la fécondité humaine, animale et végétale; elle portait trace ainsi des temps ou la fertilité, la continuation de la vie sont souci majeur pour les sociétés constituées"* 


Lysistrata est aussi bien plus que cela; c'est avant tout une pièce qui oeuvre en faveur de la paix en montrant l'absurdité de la guerre et les douleurs qu'elle engendre. Elle est aussi une pièce qui redonne la parole aux femmes.

Lysistrata. - Je vais te satisfaire. Précédemment, dans la dernière guerre, nous avons supporté votre conduite avec une modération exemplaire; vous ne nous permettiez pas d'ouvrir la bouche. Vos projets étaient peu faits pour nous plaire; cependant ils ne nous échappaient pas, et souvent au logis nous apprenions vos résolutions funestes sur des affaires importantes. Alors, cachant notre douleur sous un air riant, nous vous demandions : « Qu'est-ce que l'assemblée a résolu aujourd'hui? Quel décret avez-vous rendu  au sujet de la paix ? - Qu'est-ce que cela te fait ? disait mon mari : tais-toi ;» et je me taisais.
Aussi me taisais-je. Une autre fois, vous voyant prendre une résolution des plus mauvaises, je disais : « Mon ami, comment pouvez-vous agir si follement ? » Mais lui me regardant aussitôt de travers, répondait : « Tisse ta toile, ou ta tête s'en ressentira longtemps ; la guerre est l'affaire des hommes  !»
Le magistrat - Par Jupiter ! il avait raison.
 
Lysistrata. - Raison ? Comment, misérable! il ne nous sera pas même permis de vous avertir, quand vous prenez des résolutions funestes? Enfin, lasses de vous entendre dire hautement dans les rues « Est-ce qu'il n'y a plus d'hommes en ce pays - Non, en vérité, il n'y en a plus, » disait un autre ; alors les femmes ont résolu de se réunir, pour travailler de concert au salut de la Grèce. Car qu'aurait servi d'attendre? Si donc vous voulez écouter nos sages conseils, et vous taire à votre tour, comme nous faisions alors, nous pourrons rétablir vos affaires.

En effet la déraison est l'apanage des hommes; ce qui est prouvé puisqu'ils ne peuvent pas être convaincus par le discours et n'entendent raison que par la privation sexuelle. Les femmes vont prêcher la paix, comme elles en ont le droit en tant que mère et épouse. Elles remettent aussi en cause les abus du pouvoir, la corruption et la conception de la justice et de la démocratie comme cela apparaît à travers la métaphore de la laine du fil et des fuseaux :

Le magistrat - Ainsi donc, pauvres folles, vous pensez terminer les affaires les plus critiques avec de la laine, du fil et des fuseaux ! 
Lysistrata. - Oui ; si vous aviez le moindre bon sens, vous prendriez, en politique, exemple sur notre manière de travailler la laine. 
Le magistrat - Comment cela ? Voyons. 
Lysistrata - De même que nous lavons la laine pour en séparer le suint, il fallait d'abord expulser de la ville à coups de verges les pervers, et séparer la lie ; puis ceux qui se tiennent et s'agglomèrent ensemble pour s'emparer des charges, les diviser et leur fendre la tête ; ensuite jeter tout pêle-mêle dans une corbeille pour le bien commun, et carder indistinctement étrangers domiciliés, hôtes, amis, débiteurs du trésor ; quant aux villes peuplées de colons de ce pays, les regarder chacune séparément comme autant de pelotons posés devant nous, puis, prenant leur fil à toutes, le tirer jusqu'ici et n'en faite qu'un seul, pour former de tout cela une grosse pelote et en tisser un manteau pour le peuple. 
Le magistrat - N'est-il pas étrange qu'elles prétendent tirer et pelotonner tout cela, elles qui ne prennent aucune part à la guerre ?
 Lysistrata - Oh ! misérable, ne supportons-nous plus du double de ce fardeau, nous qui d'abord enfantons des fils pour les voir partir à l'armée ?

Ainsi Aristophane va très loin dans sa critique puisqu'il dénonce la lie de la société grecque, ceux qui  font régner la corruption et il nous rappelle en cela notre société ( les malversations, les fausses factures, les mensonges etc... de certains de nos hommes politiques) mais aussi ceux qui s'associent, s'agglomèrent ensemble, pour s'emparer des charges et des pouvoirs et servir leurs propres intérêts (le cumul des mandats, tous les postes administratifs élevés que l'on se distribue en haut lieu). Les femmes proposent une véritable conception de la démocratie, le bien commun, qui englobe même les étrangers domiciliés ( Un certain président avait promis chez nous de donner le droit de vote aux étrangers! promesse non tenue, bien sûr!). Enfin il s'agit de réaliser une union de tous, une grosse pelote,  pour le bien de tous, un manteau pour le peuple.

Et comme nous sommes dans une comédie, bien sûr, elles obtiennent la fin de la guerre et les hommes, eux, ont enfin … ce qu'ils veulent! La pièce d'Aristophane est un beau plaidoyer pour la paix mais aussi pour les femmes et la démocratie. Il n'est pas étonnant qu'elle ait inspiré de nombreuses oeuvres depuis car elle est malheureusement toujours d'une grande actualité quant aux thèmes développés!

********

* Lysistrata : littéralement "celle qui délie l'armée" ou "qui démobilise les armées" traduit dans la collection de poche par Victor-Henri Debidour par Démobilisette, ce que je n'aime pas du tout. J'ai aussi utilisé en citation la traduction de Brotier mais que je trouve trop édulcorée.

**préface VH Debidour

Ceci est une Lecture commune avec Maggie, Océane et Margotte.

Chez Eimelle

dimanche 8 juin 2014

Homère : L'odyssée

Ulysse contant ses aventures accompagné d'un aède

Je n'ai pas l'intention de présenter l'Odyssée, ce long poème d'Homère, l'un des livres les plus importants de notre patrimoine littéraire; il fait partie de ceux qui ont construit les mythes fondateurs de notre civilisation. Je souhaite plutôt en conseiller la lecture à ceux ou celles qui ne l'ont pas encore lu. On en retarde souvent la lecture! Pourquoi? Peut-être parce que l'on connaît trop bien les récits si souvent rencontrés, peut-être parce que l'on a peur de s'ennuyer?  
Et bien il faut savoir que le livre du divin Homère est passionnant et que son style ou plutôt sa traduction quand elle est réussie est d'une grande poésie, pleine d'images, et possède un rythme, une mélodie, un souffle épique qui portent le lecteur.


Cratère : L'Odyssée

Il y a eu un grand nombre des traductions du poème d'Homère. Pour ma part, je possède deux exemplaires de l'Odyssée que je vais vous présenter. Non, ce ne sont pas des livres précieux ni très anciens mais je les aime.

Le premier appartenait à mes parents et est paru en 1948 au club du livre, collection Les portiques, aux presses de l'Entreprise à Paris. La traduction est de Victor Bérard et la préface de Jean Bérard. C'est dans ce livre que j'ai lu pour la première fois l'Odyssée et éprouvé la beauté du texte et des images. Depuis j'ai su que cette traduction avait de nombreux détracteurs : elle s'éloigne un peu trop du texte si j'en crois les critiques et n'est donc pas fidèle. Certains la trouvent lourde..



 Le second exemplaire est paru en 1973 à Paris chez l'éditeur Jean de Bonnot dans un traduction de Leconte de Lisle (1861). Il paraît que le poète est très fidèle au texte mais beaucoup pense que la traduction de Philippe Jaccottet qui date de 1955  est la plus réussie et la plus élégante.

Pour ma part, comme je ne connais pas la traduction de Jaccotet, je continue donc à avoir une préférence pour celle de Bérard; ce que j'aime en elle c'est la musicalité des vers (hexamètres) et le goût pour l'archaïsme des mots et de la phrase. Mais n'ayant jamais étudié le grec, je ne saurais vous dire si j'ai raison. Je vous donne juste un petit aperçu.


 
Le buste de Homère


Le poème d'Homère commence par une invocation à la Muse : chant 1

Victor Bérard 
C'est l'homme aux mille tours, Muse, qu'il faut me dire, Celui qui tant erra quand de Troade*, il eut pillé la ville Sainte, Celui qui visita les cités de tant d'hommes et connut leur esprit, Celui qui, sur les mers, passa par tant d'angoisses, en luttant pour survivre et ramener ses gens.  Hélas! même à ce prix, tout son désir ne put sauver son équipage : ils ne durent la mort qu'à leur propre sottise, ces fous qui, du Soleil, avaient mangé mes boeufs; c'est lui, le Fils d'en haut, qui raya de leur vie, la journée du retour.
Viens , ô fille de Zeus, nous dire à nous aussi, quelqu'un de ces exploits. 
* Troie

Leconte de Lisle

Dis-moi, Muse, cet homme subtil qui erra si longtemps, après qu'il eut renversé la citadelle sacrée de Troie. Et il vit les cités de peuples nombreux, et il connut leur esprit ; et, dans son coeur, il endura beaucoup de maux, sur la mer, pour sa propre vie et le retour de ses compagnons. Mais il ne les sauva point, contre son désir; et ils périrent par leur impiété, les insensés ! ayant mangé les boeufs de Hèlios Hypérionade. Et ce dernier leur ravit l'heure du retour. Dis-moi une partie de ces choses, Déesse, fille de Zeus.


L’Odyssée, traduction Philippe Jaccottet


 Ô Muse, conte-moi l’aventure de l’Inventif, celui qui pilla Troie, qui pendant des années erra, voyant beaucoup de villes, découvrant beaucoup d’usages, souffrant beaucoup d’angoisses dans son âme sur la mer pour défendre sa vie et le retour de ses marins sans en pouvoir sauver un seul, quoi qu'il en eût ; par leur propre fureur ils furent perdus en effet,ces enfants qui touchèrent aux troupeaux du dieu d'En Haut, le Soleil qui leur prit le bonheur du retour...
À nous aussi, Fille de Zeus, conte un peu ces exploits !

Et vous quelle version préférez-vous?




La traduction de Jaccottet



 
La réponse est : 
L'Odyssée d'Homère le  porcher se nomme Eumée.
Le film ; Ulysse de Mario Camerini avec Kirk Douglas, Sylvana Mangano, Antony Quinn....
Félicitations à nos Pénéloppe qui sont aujourd'hui :  Aifelle, Asphodèle, Dasola, Miriam, Pierrot Bâton,Thérèse...

 Samedi14 Juin, l'énigme est chez Eeguab


lundi 30 décembre 2013

Còstas Hadziaryìris: Le Peintre et le Pirate




Vous ne connaissez pas Còstas Hadziaryìris, l'auteur de Le Peintre et le Pirate (1951)? Ce n'est pas étonnant! Voilà ce qu'en dit le traducteur, Michel Volkowitch, qui est aussi son plus grand admirateur et qui a bataillé pour faire reconnaître l'écrivain grec à sa juste valeur. La première publication en français date de 1992.

 Còstas Hadziaryìris est mort en 1963, à cinquante ans. Il était linotypiste, a écrit six romans (publiés à compte d'auteur), quelques pièces (restées inédites), et mis à part une poignée d'admirateurs fervents, il est resté inconnu jusque dans son pays.
Avouons-le, c'est un peu de sa faute. Hadziaryìris n'est pas de ceux qui caressent le lecteur dans le bon sens. (Et pour commencer, quel nom ! imprononçable ! inexportable !) Je dirais même plus : il est passé maître dans l'art dangereux de la frustration. Dans tous ses livres, pourtant épatants — même le premier, Sourires et angoisses (1948), que personne n'a lu, où l'on trouve une scène fabuleuse —, il arrive un moment où la tension baisse, où l'on dirait que la machine se déglingue ; et puis ça redémarre. Je suis prêt à parier qu'il le fait exprès. Et qu'il a de bonnes raisons — au delà du masochisme et du goût de l'autodestruction que je crois deviner chez lui. Lesquelles ? Lisez, vous verrez.

Oui, lisez et vous verrez! laissez vous embarquer dans cette folle histoire, inénarrable, complètement loufoque, qui semble partir dans tous les sens et vous mener en bateau au sens propre et au sens figuré et ceci pour votre plus grand plaisir.

En bateau, nous y sommes dans la première partie du récit et il s'agit même d'un bateau-pirate, théâtre des exploits sanguinaires du féroce capitaine Costandis, le légendaire ancêtre de notre écrivain (si vous acceptez de le croire)! Et ce pirate n'est pas piqué des vers! Le désignant, le mot sanguinaire est un euphémisme! Mais quand le peintre qu'il a embarqué sur son navire pour immortaliser les scènes d'abordage et d'exécution, obtient sa conversion, c'est tout aussi réjouissant : imaginez un Costandis religieux et des pirates qui récitent leurs prières en pillant un navire!

Jean Léon Ferris : combat de Barbe-Noire et du lieutenant Maynard
 Et oui, l'on rit en lisant Costas Hadziaryìris mais un rire jaune. Sous l'humour noir et grinçant, se cache en effet une vision pessimiste de l'humanité que la seconde partie de l'histoire ne va pas démentir.
Nous nous retrouvons alors en Angleterre où règne fanatisme, susperstition, obscurantisme et tribunal religieux. Ah! religion que de crimes l'on a commis en ton nom!
Enfin, dans le troisième partie, nous assistons au retour en Grèce de nos héros qui vont s'installer dans un petit village. Costas Hadziaryìris à travers des épisodes bouffons et des personnages grotesques dresse alors le tableau d'une société très hiérarchisée, très capitaliste, où règne la peur du Turc, mais où personne n'est vraiment sympathique. Les riches exploitent les pauvres, les plus malins ont toujours le dessus, les plus humbles, eux-mêmes, se donnent le luxe de mépriser ceux qu'ils jugent au-dessous eux. Pour finir que dire de ce roman? Que Le peintre et le pirate est une sorte de petite ovni littéraire qui prétend n'avoir l'air de rien mais qui, avec son humour noir, décalé, dynamite la société.

dimanche 15 janvier 2012

Un Livre/Un film : énigme n°17, Nikos Kanzantzaki : Zorba le grec



Le prix Sirtaki est accordé à : Aifelle, Asphodèle, Dominique, Dasola, Eeguab, Gwenaelle, Jeneen, Lystig, Marie-Josée, Miriam, Nanou, Sabbio. Merci à tous ! 

Le livre : Zorba le Grec de  Nikos Kanzantzaki
Le film : Zorba le grec, le réalisateur : Cacoyannis,  l'acteur principal : Anthony Quinn, la danse : Le Sirtaki 




Nikos Kanzantzaki est né en Crète, à Heraclion en 1883. Il disait  : D'abord Crétois, ensuite Grec. Il est mort  en Allemagne, à Fribourg en 1957.
Son enfance a été marquée par les révoltes crétoises contre l'occupant turc en 1881- 1897-1899 qui ont obligé ses parents à fuir la Crète.. Kazantzaki a fait ses études de droit à Athènes puis il a étudié en France en de 1907 à 1909, où il a suivi les cours de Bergson dont la philosophie l'a marqué toute sa vie. Il a publié sa thèse sur Nietzsche en 1909.  Il s'est aussi intéressé au marxisme et au boudhisme tout en restant chrétien et même mystique. Ce qui est moins incohérent que ce que l'on peut le penser au premier abord car pour lui (cf : Le Christ recrucifié) le Christ est du côté des pauvres, il prône le partage des richesses alors que le Christ de l'Eglise est celui des riches et des puissants .
Nikos Kazantzaki a occupé des fonctions politiques mais il a surtout été un écrivain, poète, philosophe, essayiste, traducteur prolixe, doué d'une force travail et d'une facilité à l'écriture extraordinaires. Il traduit l'Odyssée en moins de 45 jours et écrit les cinq romans de sa vieillesse en quelques années  :  Zorba le grec (1946), Le Christ recrucifié(1948), La liberté ou la Mort (1950),  La dernière tentation (1950).  Il est mis au ban de l'église chrétienne othodoxe pour ce dernier livre. On sait le scandale causé par l'adaptation du roman au cinéma par Scorcese auprès de groupes chrétiens fanatiques.

 Sur sa tombe, cette épitaphe : «  Je n'espère rien, je ne crains rien, je suis libre. »
Zorba le grec
Un écrivain se rend en Crète pour exploiter la mine de lignite que son père lui a léguée.  Il rencontre  sur le port, en attendant le bateau, un personnage étrange, haut en couleur, la soixantaine bien sonnée, qui n'a de cesse de se faire engager par lui comme domestique ou homme à tout faire ou peu importe! Le personnage a du bagout, de la gaieté, une  forte personnalité et fascine l'intellectuel qui se laisse convaincre et le prend à son service.  En Crète, le narrateur et son serviteur descendent dans un hôtel tenu par Hortense, une prostituée française qui leur raconte sa vie. Zorba devient l'amant de la vieille courtisane qu'il surnomme Bouboulina et invite son maître à jouir de la vie en tombant dans les bras de la Veuve, une superbe jeune femme que tous les mâles du village convoitent mais qui l'air de le trouver à son goût. Le narrateur, un intellectuel qui ne vit que pour et par ses livres, refuse :
  Ma vie avait fait fausse route et mon contact avec les hommes n'était plus qu'un monologue intérieur. J'étais descendu si bas que si j'avais eu à choisir entre tomber amoureux d'une femme et lire un bon livre sur l'amour j'aurais choisi le livre.
Mais lorsqu'il cèdera à ses désirs il provoquera un drame.
La mort de la Veuve puis celle de Bouboulina qui lui donnent une vision terrible de la société crétoise et l'échec de l'exploitation de la mine décident de son départ. Cependant, le narrateur perdu  dans ses méditations, coupé de la réalité et de l'action, en lutte contre sa sensualité, refusant sa condition d'homme, a changé...  Zorba  lui a réappris à vivre.

Tous les hommes ont leur folie, mais la plus grande folie, m'est avis que c'est de ne pas en avoir.

Un roman en partie autobiographique :
Dans le prologue de Zorba le Grec qu'il écrit en 1946, Nikos Kazantzaki annonce quels ont été ses maîtres à pensée durant toute sa vie :  Homère, Bergson, Nietzsche et Georges Zorba.

Dans Zorba le Grec,  Kazantzaki  utilise des souvenirs personnels si bien que l'on peut dire que son roman qui reste une fiction est en partie autobiographique et que son personnage n'est pas inventé. Mais qui est ce Georges Zorba qui a joué un si grand rôle dans la vie de l'écrivain?
Il est né en Macédoine en 1867 dans ce qui était alors l'Empire Ottoman. Fils d'un riche propriétaitre terrien il a travaillé dans les champs et s'est occupé des troupeaux de  moutons, est devenu bûcheron, a travaillé à la mine en France. Il se marie, a huit enfants mais la mort de sa femme le secoue profondément. En 1915, il devient moine au mont Athos. C'est là qu'il rencontre Nikos Kazantzaki et devient son ami. Tous deux ont exploité une mine de lignite, non en Crète mais dans le Péloponèse, à Prastova, en 1917. Après l'effrondement de la mine les deux amis se séparent. L'écrivain part à Antibes puis en Suisse, Zorba  en Serbie où il se remariera et où il mourra en 1942..
C'est cette expérience que Nikos Kazantzaki raconte dans le roman.
D'après leur correspondance, l'on peut s'apercevoir que l'écrivain prête à son personnage Alexis Zorba, les caractéristiques morales et la philosophie de Georges Zorba. Cet être entier, énergique, enthousiaste, qui aime rire, qui aime la danse et la musique, pense que l'action prime sur la pensée. Il reproche à son patron d'être un intellectuel coupé de la vie et de ne pas savoir en profiter. Il ne faut pas se perdre en vaine méditations mais agir! C'est lui qui devient le maître à penser de son maître!

Influence de Nietzsche et de Bergson dans le roman :
A propos de l'influence de ces philosophes sur Kazantzaki, le critique Morton P. Lewitt pense qu' Alexis Zorba devient un héros calqué sur le Zarathoustra de Nietzche  par la préférence donnée à l'action sur la méditation, par la volonté de prendre en main son destin, par l'amour du rire et de la danse. Si le surhomme nietzchien est  "un dieu épicurien ramené sur terre" Alexis Zorba incarne ce surhomme. Quant à l'influence bergsonienne, elle serait dans cette intuitivité du personnage qui acquiert la sagesse par la connaissance de la nature humaine, par "la force de la vie elle-même" et  par sa grande capacité à rire car le rire signale une révolte contre la vie sociale. Comme Bergson, Alexis Zorba refuse d'agréer les conventions sans les remettre en question.  Et il cite ce passage de Bergson dans son essai Du Rire :
"C’est  ainsi  que  des  vagues  luttent  sans  trêve  à  la  surface  de  la  mer,  tandis  que  les  couches inférieures observent une paix profonde.  Les vagues s’entrechoquent, se contrarient, cherchent leur équilibre.  Une écume blanche, légère et gaie, en suit les contours changeants. Parfois le flot qui fait abandonne  un  peu  de  cette  écume  sur le  sable  de la  grève.  L’enfant  qui joue  près  de là  vient  en ramasser  une  poignée, et  s’étonne, l’instant  d’après,  de  n’avoir  plus  dans le creux  de la main  que quelques gouttes d’eau, mais d’une eau bien plus salée, bien plus amère encore que celle de la vague qui l’apporta.  Le rire naît ainsi que cette écume. Il signale, à l’extérieur de la vie sociale, les révoltes superficielles.  Il dessine instantanément la  forme mobile de ces ébranlements.  Il est, lui aussi, une mousse à base de sel.  Comme la mousse, il pétille.  C’est de la gaieté.  Le philosophe qui en ramasse pour en goûter y trouvera d’ailleurs quelquefois, pour une petite quantité de matière, une certaine dose d’amertume."

Je reprends ici les citations  que j'avais relevées lors de ma première lecture du roman dans un précédent billet et qui donnent une vision de la philosophie de Zorba . Voici quelques "leçons" de Zorba à son maître :

- Quel est ton métier? lui demandais-je.
-Tous les métiers : du pied , de la main, de la tête, tous. Manquerait plus que ça, qu'on choisisse.

 Quand je joue du santouri, on peut me parler, je n'entends rien et même si j'entends, je ne peux pas parler. J'ai beau vouloir, rien à faire, je ne peux pas.
Mais pourquoi, Zorba?
-Eh! la passion!
 

Les bons comptes font les bons amis. Si tu me forces, ce sera fini. Pour ces choses-là, il faut que tu le saches, je suis un homme.
-Un homme, Qu'est-ce que tu veux dire?
-Eh bien, quoi, libre!
 

Ne ris pas patron! Si une femme couche toute seule, c'est de notre faute à nous, les hommes. On aura tous à rendre des comptes le jour du jugement dernier. Dieu pardonne tous les péchés, comme on a dit, il a l'éponge en main, mais ce péché-là, il ne le pardonne pas! Malheur à l'homme qui pouvait coucher avec une femme et qui ne l'a pas fait! patron.

Tu ne veux pas d'embêtements? fit Zorba stupéfait et qu'est-ce que tu veux alors?
Je ne répondis pas.
- La vie, c'est un embêtement, poursuivit Zorba, la mort, non. Vivre sais-tu ce que ça veut dire? Défaire sa ceinture et chercher la bagarre.
 

Pourquoi? Pourquoi? On ne peut donc rien faire sans pourquoi? Comme ça  pour son plaisir.

Tu n'as pas faim! dit Zorba en se frappant les cuisses. Mais tu ne t'es rien mis sous la dent depuis ce matin. Il faut s'occuper de son corps aussi, aie pitié de lui. Donne-lui à manger, patron, donne lui à manger, c'est notre bourricot, tu vois. Si tu ne le nourris pas, il te laissera en plan au beau milieu de la route.

Un livre /Un film
Il y a dans le roman deux scènes d'une grande force et qui ont une puissance visuelle étonnante. Le film de Cacoyannis  a su en rendre la grandeur sauvage et primitive.  Il s'agit de la scène où la Veuve est mise à mort par l'ensemble du village et égorgée devant nous. Irène Papas y est sublime. Elle n'a pas besoin de parole pour nous faire ressentir ses émotions, son visage, le moindre de ses mouvements est expressif.
La deuxième scène est la mort de Bouboulina dont le village va piller la maison avant qu'elle ait rendu le dernier soupir. Les  vieilles femmes toutes de vêtues de noir s'introduisent dans la chambre pour épier le dernier souffle de l'ancienne courtisane. Elles ressemblent à des corbeaux attendant la mort, prêts à frapper.  Et comme elles donnent le signal de la curée avant même que Bouboulina  ne soit morte, cela donne un jeu de scène hallucinant au cours de laquelle l'actrice qui interprète le rôle, Lila Kedrova, se redresse brutalement sur son lit comme si elle avait senti le bec des charognards la déchirer.

Pour le film  Voir Wens

dimanche 19 juin 2011

Eugenia Fakinou : La septième dépouille ou la femme grecque



J'ai lu La Septième dépouille de Eugénia Fakinou pendant mon séjour à Athènes. J'aime découvrir  les écrivains quand je suis dans le pays pour m'imprégner de sa culture. Et je n'ai pas été déçue! Voilà un livre qui force l'admiration. L'écrivain par le jeu de la construction du roman et les voix de femmes qui se répondent nous livre, en un va et vient incessant, l'Histoire de la Grèce. Il n'y a pourtant que trois femmes qui parlent mais  elles font défiler devant nous une galerie de portraits, d'hommes et de femmes d'aujourd'hui ou d'hier qui reviennent des Enfers comme des spectres convoqués par leurs appels.  Le titre La septième dépouille fait allusion à une tradition grecque qui veut que chaque aîné d'une famille soit représenté par une bannière composée d'un vêtement qu'il a porté (une dépouille) pour assister  aux funérailles de l'aîné de la génération suivante. Si l'un d'eux manque à l'appel, il est impossible à l'âme du nouveau défunt de passer dans l'au-delà. Or la septième dépouille a disparu!

ll y a d'abord La Mère.  C'est elle qui détient la clef du passé lointain  et qui connaît l'histoire de tous les ancêtres; c'est grâce à elle que nous traversons les siècles et prenons part aux déchirements de la Grèce, elle est le trait d'union entre le passé et le présent mais aussi entre la Grèce moderne et la Grèce antique. Car les Dieux anciens se mêlent intimement aux humains  et se fondent avec les saints et les pratiques du christianisme. Démeter, c'est son nom, est la mère nourricière, la terre à qui les arbres parlent comme ils s'entretiendront aussi avec Hélène, sa fille;  elle aussi erre à la recherche de sa fille Perséphone. Immigrée dans son propre pays, la Grèce, elle appartient à cette minorité grecque installée en Asie Mineure, chassée par les Turcs qui décapitent son mari. Elle fuit d'un point à un autre,  ce qui l'amènera dans ce coin reculé de  Grèce où elle se fixera. Hélène, sa fille, incarne la génération intermédiaire, celle qui ne s'est pas encore délivrée des coutumes et du poids de la tradition, enfin Roula sa petite fille représente  la jeunesse contemporaine, qui plus est, citadine. Sa vie à Athènes ressemble beaucoup à celle de tout habitant d'une capitale, travail, bus, dodo, une vie difficile  où elle a appris, après la mort de sa mère, à se débrouiller tant bien que mal et à se défendre des avances des hommes.
Parfois le roman, avec ses voix qui se répondent et leurs accents de tragédie antique, résonnent comme une pièce de théâtre. Je le verrai bien facilement transposable à la scène tant le style parlé est évocateur d'images, la parole tour à tour élégiaque et épique devient récit. Un récit jamais linéaire, fragmenté, disloqué mais qui peu à peu, comme un puzzle, acquiert une cohérence.

Mais au-delà de la virtuosité de la forme, ce roman nous touche par les personnages auxquels nous nous attachons : la Mère et son passé tragique et son bel amour pour Andronic, son mari, les sévices qu'elle subit de la part d'une brute sans qu'elle ait aucun recours pour lui échapper, son incarnation du mythe de Démeter qui la fait gardienne des traditions et des rites funèbres; Hélène, qui sacrifie sa vie de femme, en véritable prêtresse de l'arbre dans l'attente de l'oracle, Roula dont les réactions face  aux croyances de sa grand mère et de sa tante  sont  amusantes car elle a le franc parler populaire et  l'esprit rationnel des jeunes générations .. même si on la sent pourtant  vaciller  dans ses convictions quand s'introduit le surnaturel. Toutes incarnent la Femme grecque, trop souvent victime des hommes. Pourtant sous leur apparente fragilité, l'arbre, autre personnage du roman discerne leur force :

 Les femmes ont les grandes passions. Elles écrivent l'Histoire et portent sur leurs épaules le poids des instants décisifs 

Les femmes. Nous nous sommes toujours aimés. Même quand les grandes fêtes ont cessé et que les blanches prêtresses ont revêtu le noir. Il y a toujours quelque femme pour arriver jusqu'ici haletante, une question aux lèvres. Et moi je répondrai....
Parce que j'aime les femmes et les fleurs sauvages. Les grandes passions des femmes et les couleurs des fleurs. Le blanc, le jaune et le mauve.

jeudi 16 juin 2011

Paroles de la Grèce antique par Jacques Lacarrière


Paroles de la Grèce antique est parue dans cette jolie collection "Carnets de sagesse"  des éditions Albin Michel qui présentent des "paroles"  venues de civilisations diverses contenant toute la sagesse du Monde : Paroles indiennes, Paroles celtes, Paroles aztèques, Paroles de l'Islam, paroles d'Afrique... pour ne citer que les titres que je connais! Ces petits livres au format long et étroit, à la couverture cartonnée toujours illustrée par des dessins représentifs de la civilisation concernée offrent un écrin à la fois pratique à consulter et  plaisant à feuilleter qui accompagne agréablement la lecture. Bref! Vous l'avez compris, j'adore cette collection.
Dans Paroles de la Grèce Antique Jacques Lacarrière réunit  des textes d'écrivains, de poètes et de philosophes grecs qui incarnent la sagesse grecque. Le livre est illustré par des photographies prises par Lacarrière lui-même au cours de ses nombreux voyages en Grèce.
"C'est que la sagesse, la sophia (comme la nommaient les grecs (et comme ils la nomment aujourd'hui encore) était partie intégrante de la philosophie, elle-même indissociable de la vie sociale et collective".
Mais ces Paroles ne sont pas "issues d'une vérité unique et révélée -comme ce sera le cas dans la Grèce devenue chrétienne- mais venues de questions, de quêtes, d'une interrogation constante et multiple du monde. Bref des incertitudes autant que des certitudes."
Esope
Un jour les chênes se plaignirent à Zeus :
-" A quoi bon lui dirent-ils, être venus sur cette terre pour  finit sous la hache du bûcheron?
- N'est-ce pas vous, répondit Zeus, les responsables de vos maux puisque vous fournissez vous-mêmes les manches pour les haches?"

Il en est de même pour les hommes : certains reprochent absurdement aux dieux des maux qu'ils ne doivent qu'à eux-mêmes.

(Esope VI ème siècle av. Jc)

mercredi 1 juin 2011

Le jeudi c’est citation : Nikos Kazantzaki, Zorba le Grec


Dans le très beau roman de Nikos Kazantzakis, Zorba le Grec, le narrateur, un jeune intellectuel perdu dans ses livres, engage Zorba le Grec comme contremaître dans sa mine de lignite en Crète. L'homme a exercé de nombreux métiers. Il  n'est pas instruit mais c'est lui qui va bien vite devenir le maître à penser de son patron. Celui-ci enfermé dans ses livres et ses méditations, coupé de la réalité, de l'action, en lutte contre sa sensualité, passe à côté de la vie, refusant sa condition d'homme. Zorba va lui réapprendre à vivre.
 Ma vie avait fait fausse route et mon contact avec les hommes n'était plus qu'un monologue intérieur. J'étais descendu si bas que si j'avais eu à choisir entre tomber amoureux d'une femme et lire un bon livre sur l'amour j'aurais choisi le livre.

Voici quelques "leçons" de Zorba à son maître :
- Quel est ton métier? lui demandais-je.
-Tous les métiers : du pied , de la main, de la tête, tous. Manquerait plus que ça, qu'on choisisse.

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Quand je joue du santouri, on peut me parler, je n'entends rien et même si j'entends, je ne peux pas parler. J'ai beau vouloir, rien à faire, je ne peux pas.
Mais pourquoi, Zorba?
-Eh! la passion!

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Les bons comptes font les bons amis. Si tu me forces, ce sera fini. Pour ces choses-là, il faut que tu le saches, je suis un homme.
-Un homme, Qu'est-ce que tu veux dire?
-Eh bien, quoi, libre!
*

Ne ris pas patron! Si une femme couche toute seule, c'est de notre faute à nous, les hommes. On aura tous à rendre des comptes le jour du jugement dernier. Dieu pardonne tous les péchés, comme on a dit, il a l'éponge en main, mais ce péché-là, il ne le pardonne pas! Malheur à l'homme qui pouvait coucher avec une femme et qui ne l'a pas fait! patron.

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Tu ne veux pas d'embêtements? fit Zorba stupéfait et qu'est-ce que tu veux alors?
Je ne répondis pas.
- La vie, c'est un embêtement, poursuivit Zorba, la mort, non. Vivre sais tu ce que ça veut dire? Défaire sa ceinture et chercher la bagarre.

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Pourquoi? Pourquoi? On ne peut donc rien faire sans pourquoi? Comme ça  pour son plaisir.
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Tu n'as pas faim! dit Zorba en se frappant les cuisses. Mais tu ne t'es rien mis sous la dent depuis ce matin. Il faut s'occuper de son corps aussi, aie pitié de lui. Donne-lui à manger, patron, donne lui à manger, c'est notre bourricot, tu vois. Si tu ne le nourris pas, il te laissera en plan au beau milieu de la route.

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"Tous les hommes ont leur folie, mais la plus grande folie, m'est avis que c'est de ne pas en avoir"

 citation Initiée par Chiffonnette
Le film de Michael Cacoyannis, adapté du roman, s'impose quand on lit le roman. On ne peut imaginer Zorba sans penser à Antony Quinn et la veuve sans voir la belle Irène Papas.