Cette fois encore la Cour d’Honneur offre aux spectateurs un spectacle d’une grande beauté et originalité : Antigone de Sophocle mise en scène par le metteur en scène Satoshi Miyagi. Là, les cultures se mélangent. il s’agit bien de la pièce de Sophocle revue à la lumière du bouddhisme japonais dont la pensée refuse de diviser les gens entre amis et ennemis dans une volonté « d’aimer tous les êtres humains sans les diviser ».
En guise de prologue, des acteurs viennent, comme dans les théâtres de foire, appâter le spectateur en lui présentant - en français-, sur le mode comique, l’intrigue de la pièce.
Puis la tragédie commence en langue japonaise, ce qui ajoute encore pour nous à l’envoûtement et aux Mystères, au sens rituel, de la représentation pour ne pas dire de la célébration.
Le vaste plateau de la cour d’Honneur est mis en eau, fleuve des Enfers, Acheron ou Sanzu dans la religion bouddhiste. Les âmes des morts s’y déplacent en silence seulement troublé par le faible clapotis de l’eau. C’est le choeur antique qui reprend les répliques des personnages, les répercute, les appuie. Comme « dans le No japonais, il y a ce que l’on appelle le Ji-utaï, qui ressemble au choeur grec » explique le metteur en scène.
La blancheur des costumes, la légèreté des voiles dont tous sont drapés, la musique, les chants qui font place au silence sont enveloppés de jeux d’ombre et de lumière qui donnent solennité à la scène. Tout est d’une grande pureté. Les danses rituelles mettent en valeur le langage du corps plus important pour Satoshi Miyagi que l’expression du visage, en opposition à la pensée occidentale. En témoigne la mise en scène des Damnés, qui l’année dernière à la Cour d’Honneur, privilégiait les gros plans sur les visages en utilisant la vidéo.
Antigone photo de Anne-Christine Poujoulat (source) |
Et tandis que sur la scène les comédiens incarnent Antigone, Créon, Hémon ou Ismène, leur double silencieux mais animé, projettent sur le mur du palais des silhouettes d’ombre qui disent les sentiments, la colère, la révolte, la peur et la souffrance des personnages, Antigone affrontant Créon ou Hémon se rebellant contre son père et se sacrifiant pour son amour. Et ces ombres qui, tour à tour grandissent ou s’amenuisent, disent aussi les rapports de force et les hiérarchies : l’ombre gigantesque de Créon, celle plus petite et dominée de Hémon mais qui bientôt s’étire, grandie par son courage… Beauté de la main de Hémon et Antigone qui se rejoignent sur le mur malgré la tombe qui les sépare.
Un très beau spectacle, d'une grande qualité ! Et une pièce qui répond à cette question universelle au coeur de toute religion mais surtout de toute pensée laïque : L’obéissance aux ordres d’un chef et aux lois doit-elle être aveugle? C’est ce que la Boétie déjà au XVI siècle dénonçait comme une « servitude volontaire ». Ne doit-on pas, avant tout, obéir à sa conscience, à sa perception du bien et du mal ? La désobéissance n’est-elle pas un devoir ?
Questions philosophiques essentielles !
« Il n'est pas souhaitable de cultiver le même respect pour la loi et pour le bien. La seule obligation qui m'incombe est de faire bien » affirmait Thoreau
Et Victor Hugo : « Désobéir, c’est chercher ».
des visuels magnifiques!
RépondreSupprimerBien sûr, tu l'as vue, cette fameuse mise en scène ! Les échos que j'en ai eus disent la magie du spectacle et tu nous la décris, merci. Le jeu des ombres me rappelle le chef-d'oeuvre de Tanizaki, "Eloge de l'ombre". Je suis heureuse de comprendre, en te lisant, que l'esthétique y sert les enjeux du texte, c'est essentiel. Bon dimanche, Claudialucia.
RépondreSupprimerOh ! quelle chance d'avoir vu ce spectacle ! Je suis contente de lire ce billet avec un avis positif, j'étais sûre que cela serait bien :-)
RépondreSupprimerWow ton article m'a donner super envie de le voir ! Trop déçu de ne pas avoir réserver mes places en avance...
RépondreSupprimerJe sens que j'aimerais beaucoup ce spectacle. Avignon reste un grand moment de théâtre (j'écoute tout ce que je peux essentiellement sur France-Culture et parfois sur France-Musique).
RépondreSupprimerje rêve de la voir. De toutes les façons le thème d'Antigone me fascine
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