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jeudi 5 janvier 2023

Je lis donc je suis !

 

 

Aifelle a lancé le jeu annuel et maintenant traditionnel du début d'année : Je pense donc je lis !

Voilà ce qu'écrit Aifelle : "Un titre en forme de déclaration aussi péremptoire me fait rire. Ceux qui ne lisent pas ne seraient donc pas ? allons donc .. mais quelque part, c'est un plus me semble-t-il. Toujours est-il que je me suis livrée au jeu rituel de fin d'année. Je rappelle la règle. Répondre aux questions en utilisant uniquement les titres de livres lus en 2022."  Je vous renvoie à son billet ICI  .

 

Pour souligner le "c'est un plus" d'Aifelle, voici les deux citations mises en exergue sur la page d'accueil de mon blog et toujours tellement vraies.

 


 

 

"Lire c'est boire et manger. L'esprit qui ne lit pas maigrit comme le corps qui ne mange pas". Victor Hugo


Les livres "c'est la meilleure des munitions que j'aie trouvée en cet humain voyage". Montaigne






 

 J'ai répondu facilement aux questions et j'ai eu souvent à choisir entre plusieurs titres sauf pour le moyen de transport  dont la réponse est,  je l'avoue, un peu tirée par les cheveux. Mais pourquoi pas ? Marcher sur les ailes du vent... 

 Autrement, je crois que cela fonctionne ? Qu'en pensez-vous ?

Décris-toi ... 

Petite    Edward Carey : Petite

Comment te sens-tu ?

 Celle qui pleurait tous l’eau  Niko Tackian : Celle qui pleurait sous l'eau

Décris où tu vis actuellement ...

L’île sous la mer   Isabelle Allende : L’île sous La mer

Si tu pouvais aller où tu veux, où irais-tu ?    

Dans ce jardin qu’on aimait   Pascal Quignard : Dans ce jardin qu'on aimait

Ton moyen de transport préféré ?

 Qui sème le vent : Marieke Lucas Rijneveld : Qui sème le vent

Ton/ta meilleur(e) ami(e) est ...

La pupille de Thorpe-Combe  Frances Trollope : La pupille de Thorpe-Combe

Toi et tes amis vous êtes ...

A l’ombre des loups  Alvydas Slepikas : A l’ombre des loups 

ou dans la gueule de l'ours  : Jamie McLaughin : Dans la gueule de l’ours

Comment est le temps ?

Un pays de neige et de cendres  Petra Rautianen : Un pays de neige et de cendres

Quel est ton moment préféré de la journée ?

Le tournesol suit toujours la lumière du soleil  Martha Hall Killy : Le tournesol  suit toujours la lumière du soleil

Qu'est la vie pour toi ?

Je refuse  : Per Petterson : Je refuse   

Ta peur ?

L’invention du diable Hubert Haddad : L'invention du diable

Quel est le conseil que tu as à donner ?

Rompre le silence : Mechtild Borrmann : Rompre le silence

La pensée du jour ...

Gagner la guerre Jean-Philippe Jaworsky : Gagner la guerre

Comment aimerais-tu mourir ? 

Au nom du bien Jake Hinkson : Au nom du bien

Les conditions actuelles de ton âme ?

Apaiser les tempêtes   Jean Hagland : Apaiser nos tempêtes

Ton rêve ?

Le royaume de ce monde  Alejo Carpentier : Le royaume de ce monde

 

 

Et vous quelles citations proposez-vous pour décrire tout ce qu'apporte la lecture, "ce plus" dont parle Aifelle et qui nous fait vivre, nous, lecteurs !

Déposez vos citations dans les commentaires et je les noterai dans ce billet pour constituer un petit recueil.



dimanche 27 février 2022

Isabelle Allende : L’île sous La mer


Après le Le royaume de ce monde d’Alejo Carpentier, écrivain cubain, (billet ici), j’ai lu L’île sous La mer d’Isabelle Allende, écrivaine chilienne, tous les deux réunis dans mon blog par l’époque historique qu’ils explorent dans leur livre, la révolte des esclaves à Saint Domingue, la déclaration de l’indépendance suivie de la création de la République d’Haïti.

Toussaint Louverture

Le roman d’Alejo Carpentier commence dans les années 1750 en racontant la jeunesse de Mackandal, un esclave noir dont la révolte échoue et qui meurt sur le bûcher en 1758. La première partie du roman d’Isabelle Allende débute en 1770 et finit en 1793, quelques années après la grande révolte de 1791 qui chasse les grands propriétaires terriens de leur domaine. On y rencontrera aussi Mackandal dans un retour en arrière et nous suivrons les étapes complexes de la lutte pour la libération de l’île avec tous les grands noms cette époque historique, Dutty Boukman, Toussaint Louverture, Jean Jacques Dessalines, et en écho, les bouleversements de la révolution française et l’arrivée de Bonaparte au pouvoir.
La seconde partie se passe en Louisiane de 1793 à 1810 à la Nouvelle-Orléans  vendue par la France aux américains ) ou se sont réfugiés les anciens maîtres de Saint Domingue qui, d’ailleurs, acquièrent des terres, y font travailler les esclaves ramenés d’Haïti et même en achètent d’autres. Le Monde n’a pas trop changé pour eux finalement !

Cérémonie vaudou du Bois Caïman menée par Boukman

Dans le récit, la voix de Zarité, jeune esclave vendue à l’âge de 9 ans à un maître blanc, Toulouse Valmorain, alterne avec le récit d’un narrateur extérieur qui décrit les personnages nombreux du roman et présente les riches péripéties du roman et de l’Histoire, formant une trame complexe et enchevêtrée.
Si la part de l’Histoire est importante, celle de la fiction l’est aussi beaucoup et nous suivons avec empathie le personnage de Zarité, fillette violée par son maître qui, lorsqu'elle devient mère, se voit séparée de son fils. Nous partageons avec elle l’horreur de l’esclavage, des sévices, des humiliations. Nous voyons comment les esclaves sont arrachés de leur pays avec la complicité d’Africains, comme eux, profiteurs sans scrupules qui brûlent les villages et livrent leurs « frères » noirs aux négriers. Nous les voyons traités comme du bétail, mourant sous les coups de fouet, décimés par la maladie, la faim et l’exploitation.  

Dans ce roman, si les hommes, qu’ils soient personnages historiques ou fictionnels, sont nombreux et intéressants, les femmes, surtout, esclaves ou affranchies, sont particulièrement attachantes. Isabelle Allende brosse un beau portait de Zarité, petite fille maltraitée, mère tendre et douloureuse, capable de sacrifice, d’abnégation, femme amoureuse, femme toujours courageuse et digne. Nous nous intéressons à son combat individuel pour obtenir son affranchissement et celle de sa fille Rosette. Les mulâtresses comme Violette occupe un statut à part mais sont toujours inférieures dans cette société où les blancs continuent à tenir le haut du pavé. Et puis il y a Tante Rose, la guérisseuse, la prêtresse vaudou, à la forte personnalité, qui est dotée de pouvoirs magiques et convoque les dieux et les morts à la rescousse. Le Vaudou plane sur  la révolution, secourt les réprouvés, les transporte, enflamme les esprits, et, au cours de la cérémonie du Bois Caïman menée par Boukman, déclenche la révolte.

Quant aux femmes blanches, en dehors de Pauline Bonaparte qui est un personnage fascinant, échappant aux normes de la société, elles ne sont pas épargnées. Elles sont même souvent, elles aussi, victimes : Eugénia Valmorain qui ne supporte pas le climat de Saint Domingue, est obligée de vivre dans la propriété de son mari, avec des esclaves dont elle a peur, et sombre peu à peu dans la folie. Pendant la révolution, ces femmes subissent un sort encore plus terrible que celui des hommes, violées par les esclaves avant d’être égorgées ou éventrées.

Contrairement au roman de Carpentier, L’île sous la mer, fait appel à l’empathie du lecteur, à sa participation active alors que  Le royaume de ce monde est une chronique, abrupte, sans concession des faits historiques mais avec une part de fiction. Dans L’île sous la mer ( le titre fait allusion au Paradis des esclaves morts) la part de romanesque est plus large, romanesque au sens plaisant du terme, qui nous fait vivre des aventures et nous fait partager les sentiments des personnages.

Vision historique, anti-esclavagiste, antiraciste, vision humaniste et aussi féministe, le roman d’Isabelle Allende a donc beaucoup de qualités pour captiver le lecteur. 

 

Hispaniola : Haïti et la République dominicaine

 


 

vendredi 12 février 2021

Arthur Rimbaud, Pablo Neruda, Santiago Gamboa : Nous entrerons aux splendides villes

Arthur Rimbaud
 

 Dans son livre Retourner dans l’obscure vallée, Santiago Gamboa, écrivain colombien, fait de Rimbaud le personnage central de l'action. Et il cite ce vers du jeune poète, adieu de Rimbaud à l"Europe : 

« À l’aurore, armés d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes.».

 
 Dans son discours de réception au prix Nobel, en 1973, Pablo Neruda, poète chilien, lut un  un texte intitulé :  Vers la ville splendide inspiré de ces vers.

Discours de Pablo Neruda pour le prix Nobel  (extrait)

Pablo Neruda

 « Voici exactement cent ans, un poète pauvre et splendide, le plus atroce des désespérés, écrivait cette prophétie : « À l’aurore, armés d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes.» « Je crois en cette prophétie de Rimbaud, le voyant. Je viens d’une obscure province, d’un pays séparé des autres par un coup de ciseaux de la géographie. J’ai été le plus abandonné des poètes et ma poésie a été régionale, faite de douleur et de pluie. Mais j’ai toujours eu confiance en l’homme. Je n’ai jamais perdu l’espérance. Voilà pourquoi je suis ici avec ma poésie et mon drapeau. En conclusion, je veux dire aux hommes de bonne volonté, aux travailleurs, aux poètes, que l’avenir tout entier a été exprimé dans cette phrase de Rimbaud ; ce ne sera qu’avec une ardente patience que nous conquerrons la ville splendide qui donnera lumière, justice et dignité à tous les hommes. Et ainsi la poésie n’aura pas chanté en vain. » .

Santiago Gamboa

Mais, reprend Santiago Gamboa, Rimbaud était un voyageur impénitent pour qui  le voyage était synonyme de liberté et de plénitude.

Voyager, vivre, être libre.

« À l’aurore, armés d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes.»

« Mais vers quelles villes ?

Je me suis mille fois posé la question. Enid Starkie (son biographe) évoque la magie et l’alchimie, la lutte entre Satan et Merlin qui représenterait la fin de sa prétention à s’égaler à Dieu. D’autres parlent des cités de Dieu, dont les portes s’étaient fermées pour lui et qui s’ouvraient, ce qui pouvait être un motif de joie.
Je crois pour ma part que Rimbaud fait allusion à quelque chose de plus simple : le désir d’indiquer un chemin littéraire, celui des villes mystérieuses. Ce sont elles qui abritent des histoires passionnantes et où vivent des inconnus. Une grande partie du roman du XX siècle a emprunté cette voie. Avec cette phrase, Rimbaud scellait pour toujours le lien entre écriture et voyage, entre liberté et mystère de la création, cette solitude particulière qu’on n’éprouve que dans les hôtels et au passage des frontières.

Voyager, aller de plus en plus loin.
Et de temps en temps revenir. »

 Pablo Neruda


Pablo Neruda est un poète, diplomate, homme politiques chilien. Il est né à Parral en 1904. Il écrit son premier recueil de poésies en 1923 : Crépusculaire.

Il entre dans la diplomatie, est nommé consul du Chili dans de nombreux pays dont l'Espagne où il se lie d'amitié avec Frederico Garcia Lorca et demure jusqu'au putsch de Franco et à l'assassinat du poète. Il prend alors position dans la guerre d'Espagne contre Franco, ce qui lui vaut sa révocation.

Il entame une carrière politique et devient sénateur communiste dans les provinces du Nord du Chili. Son opposition au président Gabriel Gonzales Videla l'oblige à fuir son pays pour sauver sa vie, en Europe, en Inde, au Mexique. Il publie, en 1950, son oeuvre poétique majeure "Le Chant général" où il exalte les luttes des peuples d'Amérique latine. Il revient au pays en 1952.

En 1969, il se présente à l'élection présidentielle mais il retire sa candidature pour soutenir son ami Salvador Allende, socialiste. Il obtient le prix Nobel en 1973. Il meurt peu après (vraisemblablement assassiné) à Santiago du Chili, juste après le coup d'état de septembre 1973 et le suicide du président Allende, coup d'état qui place à la tête du pays le dictateur, le général Pinochet, 

  • Crépusculaire (1923),
  • Vingt Poèmes d'amour et une Chanson désespérée (1924),
  • Résidence sur la terre (1933-1935),
  • L'Espagne au Coeur (1937),
  • Le Chant général (1950),
  • Tout l'amour (1953),
  • Odes élémentaires (1954),
  • Vaguedivague (1958)
  • La Centaine d'Amour (1959),
  • Mémorial de l'île Noire (1964). 
  •  L'Épée de flammes (1970)
  • La Rose séparée (1972)
  • J'avoue que j'ai vécu (1974)


  Qu’on me laisse tranquille à présent
Qu'on s'habitue sans moi à présent

Je vais fermer les yeux

Et je ne veux que cinq choses,
cinq racines préférées

L'une est l'amour sans fin.

La seconde est de voir l'automne
Je ne peux être sans que les feuilles
volent et reviennent à la terre

La troisième est le grave hiver
La pluie que j'ai aimé, la caresse
Du feu dans le froid sylvestre

Quatrièmement l’été
rond comme une pastèque

La cinquième chose ce sont tes yeux
ma Mathilde bien aimée
je ne veux pas dormir sans tes yeux
je ne veux pas être sans que tu me regardes
je change le printemps
afin que tu continues à me regarder

Ami voilà ce que je veux

C'est presque rien et c'est presque tout
A présent si vous le désirez
partez
J'ai tant vécu qu'un jour vous devrez m'oublier
inéluctablement
vous m'effacerez du tableau
mon coeur n'a pas de fin

Mais parce que je demande le silence
ne croyez pas que je vais mourir :
c’est tout le contraire qui m’arrive
il advint que je vais me vivre
Il advint que je suis et poursuis

Ne serait-ce donc pas qu'en moi poussent des céréales
d'abord les grains qui déchirent la terre
pour voir la lumière
mais la terre mère est obscure
et en moi je suis obscur

Je suis comme un puits 
dans les eaux duquel la nuit dépose ses étoiles
et poursuis seul à travers la campagne

Le fait est que j'ai tant vécu
que je veux vivre encore autant
je ne me suis jamais senti si vibrant
je n'ai jamais eu tant de baisers

A présent comme toujours il est tôt

La lumière vole avec ses abeilles
laissez-moi seul avec le jour

Je demande la permission de naître.
 
Pablo Neruda, Vaguedivague, Gallimard