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mardi 8 novembre 2022

Alvydas Slepikas : A l’ombre des loups

 


A l’ombre des loups de l’écrivain lituanien Alvydas Slepikas raconte l’occupation de la Prusse-orientale, limitrophe de la Lituanie, par les troupes soviétiques à la fin de la seconde guerre mondiale en 1946.

Alvydas Slepikas y décrit le terrible sort de la population allemande traitée impitoyablement par les vainqueurs dans un pays détruit par la guerre, une population chassée des maisons, obligée de vivre dans des granges, en proie aux violences des soldats russes, au froid hivernal, et surtout à la famine. La faim règne, réduisant des familles entières au désespoir. La mort est partout. Certains cèdent au découragement et à la souffrance en se jetant volontairement dans le Niemen glacé, d’autres continuent à lutter pour la survie, récoltant les pelures de pommes de terre jetées par l’armée, mangeant à même l’arbre les bourgeons gelés et l’écorce. Les enfants partent, cherchent à gagner la Lituanie pour trouver de la nourriture, mendient, travaillent dans les fermes si l’on veut bien d’eux, subissent le froid, la peur, se perdent dans les forêts profondes. Ce sont ces enfants que l’on a appelés les enfants-loups. Si certains ont été rejetés ou exploités, d’autres n’ont dû leur survie qu’à la générosité de lituaniens comme Antanas et Stasé déportés en Sibérie par le pouvoir soviétique pour avoir recueilli une petite fille allemande.

C’est à travers la vie de la famille Schukat, qu’Alvydas Slepikas nous fait vivre cet épisode ignoré de l’Histoire. Eva dont le mari parti à la guerre ne donne plus de nouvelles essaie de maintenir la cohésion de sa famille et sa survie avec l’aide de Tante Lotte et de son amie Marta. Son fils aîné Heinz est déjà revenu de Lituanie avec de vivres qui les a sauvés une fois. Il repart.
La solidarité, l’amour, la conscience de son identité, la dignité doivent servir de ciment solide entre les membres de la famille pour passer le cap.

Eva demande aux plus jeunes de ses enfants d’être attentifs, d’être capables de se souvenir d’où ils viennent et de qui ils sont.
Elle leur dit : «  Où que vous finissiez, même si je ne suis plus avec vous, - souvenez-vous. » Et les enfants comprennent qu’il est très important de se souvenir qui ils sont et et d’où l’on vient.

 « Répète-le ma douce, répète-le et souviens-toi bien
- Je m’appelle Monika Schukat, née à Gumbinnen le 9 mars 1936, fille d’Eva et de Rudolph.
- N’oublie pas les prénoms de tes frères et soeurs.
- Je suis la fille d’Eva et de Rudolph. J’ai deux frères. Mon petit frère s’appelle Helmut et mon grand frère Heinz. J’ai deux soeurs, Brigitte et Renate.
- Quelle est ta nationalité ?
- Je suis allemande.

 Mais peu à peu, la faim, le froid, le temps ont raison de la solidarité et des liens familiaux et sapent ce qu’il y a d’humain en eux : les enfants, Brigitte l’aînée des filles, Monika, Renate, Helmut, se dispersent, les uns amenés avec les adultes par les troupes russes pour des travaux forcés, les autres tentent l’aventure lituanienne. Dès lors le destin de chacun se joue séparément et l’écrivain va suivre plus longuement celui de Renate qui a sept ans en 1946. Mais que deviennent les autres ? La relation de la vie de Brigitte s’arrête lorsqu’elle se retrouve dans un wagon en partance pour la Lituanie, toute seule avec des soldats russes; celle de Heinz, seul, dans le village où il est revenu pour trouver la maison vide. Comment Eva, Tante Lotte et les petits ont-ils pu survivre dans les tranchées qu’on les oblige à combler?  On imagine la dureté des conditions de travail et de vie.

Je dois dire que je me suis d’abord sentie frustrée d’être laissée dans l’ignorance. A ce propos, je cite la conclusion du billet d' Ingammic que vous pourrez lire ICI

« Un sujet très intéressant et un texte frappant, donc. Je dois toutefois mentionner être restée sur ma faim : dans sa deuxième moitié, l’intrigue prend plusieurs directions que l’auteur ne mène pas à leur terme. Cela m’a laissé, une fois la dernière page refermée, une impression de roman "tronqué ». »

Oui, que deviennent-ils? Je me suis demandée comme Ingammic si c’était une maladresse de la part de l’auteur ? Par la suite, je me suis dit que non. C’est quelqu’un qui possède une évidente maîtrise de la construction narrative. Tant d’enfants ont péri pendant cette période, morts de froid ou de faim dans la forêt où ils se réfugiaient, victimes de coups, de viols, de sévices, jetés dans un fossé, effacés, sans laisser de traces. Ainsi ceux-là disparaissent sous la plume de l’écrivain, rejoignant la liste des oubliés. Le livre est à la fois fiction et réalité et dans la réalité on ne sait pas qui survivra parmi eux. 

Alvydas Stepikas qui est scénariste a d’abord voulu tourner un film sur les enfants-loups mais il n’a pas eu le financement. Sa rencontre avec une vieille dame, Renate, qui a vécu dans la forêt, a relancé son projet. Il a décidé d’écrire au lieu de tourner. Le style, parfois très cinématographique, comme celui d’un synopsis, avec des phrases courtes, des verbes au présent, est extrêmement visuel, percutant, et peint la violence de la tragédie vécue par la population. Quant aux descriptions, elles rendent bien l’impression d’un monde sombre, en noir et blanc, éclaboussé de rouge. Elles convoquent le conte traditionnel, mi-onirique, mi-cauchemar, Hansel et Gretel, petits enfants perdus dans la forêt, en passe d’être dévorés par la sorcière, dans un monde où les hommes font plus peur que les loups. L’ombre des loups :  un très bon roman !


12 commentaires:

  1. Que de tragédies ignorées dans cette région de l'Europe! Bien difficile à appréhender avec notre grille de lecture occidentale. je pense à Purge d'Oksannen, au livre finlandais sur le pays de cendres...

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    1. Oui, celui-ci est aussi terrible que le livre finlandais. L'Homme semble ne pas avoir de limites quand il s'agit de faire le mal ! C'est décourageant !

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  2. Ton explication sur la "disparition" de certains des personnages est pertinente, je n'y avais pas pensé. Je me suis surtout sentie déstabilisée par ces chemins brutalement interrompus.

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    1. Moi aussi, j'ai éprouvé la même chose mais l'écrivain préfère se concentrer sur Renate car il a des témoignages d'enfants qui ont survécu , ne particulier de Renate. Les autres ont disparu.

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  3. Tu as l'air plus positive qu'Ingannmic sur ce roman ; ça me gêne de ne pas savoir ce que deviennent les personnages, mais ton explication semble plausible. Je le note pour l'histoire que je ne connaissais pas.

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    1. Oui, je suis plus positive, c'est frustrant de ne pas savoir mais mais le roman est bon.

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  4. Le billet d'Ingannmic avait déjà attiré mon attention, je le prends de nouveau en note...

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  5. En ce 11 novembre, ta lecture de ce récit d'Occupation me fait penser aux familles ukrainiennes séparées, dévastées - et aussi aux Russes qui ont fui ou fuient leur pays pour ne pas combattre dans cette sale guerre, laissant des mamans seules avec leurs enfants.

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    1. La guerre se ressemble toujours et il semble que l'on ne puisse jamais l'éviter, toutours quelque part dans le monde, elle fait rage.!

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  6. J'ai trouvé le style de l'auteur très pénible et le roman rempli de clichés. Cette famille est totalement désincarnée historique : que faisaient-ils tous au temps du IIIe Reich, quand selon eux, c'était mieux ? Etaient-ils hitlériens ? Un roman vraiment trop léger quant au contenu historique et bien trop caricatural : je n'ai pas aimé du tout.

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  7. Bien sûr, on peut ne pas aimer ce roman, le style de l'auteur etc..; Mais par contre je ne suis pas d'accord pour le reste. Non, ce ne sont pas des clichés, la situation des allemands après la guerre a été terrible, la famine, les conditions de logement, le froid, l'insalubrité, l'absence de chauffage, que ce soit dans la grande ville ou à la campagne, les viols, les maltraitances de toutes sortes par les occupants vainqueurs sont maintenant reconnus. La prostitution comme moyen de survivre aussi. C'est sur tous ces faits que le roman historique s'appuie.
    Après, savoir s'ils étaient hitlériens ? Pour beaucoup oui, certainement la majorité à l'époque, pour certains non mais soit ils courbaient l'échine, soit ils étaient tués ou dans des camps de concentration. De toute façon, ce n'est pas le sujet du roman à moins que l'on se demande s'ils ont "mérité" les souffrances qu'on leur inflige. Mais l'auteur lituanien ne juge pas, il décrit ce qui s'est passé à la frontière entre son pays et la région de la Prusse orientale et il s'attache aux enfants, à priori des innocents.

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