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samedi 31 août 2024

Almudena Grandes : Le lecteur de Jules Verne

 


Le petit Nino a neuf ans. Il vit avec sa famille dans une maison-caserne à Fuensanta de Matos dans la sierra Sur,  province de Jéan, en Andalousie. Son père est garde-civil.
 Nous sommes en 1947, l’Espagne vit sous la dictature de Franco, les libertés sont férocement réprimées, et dans ces montagnes, la guerre civile n’est pas terminée. Nino va s’en apercevoir peu à peu.
 Qui sont ces hommes qui vivent cachés dans les montagnes ? Et qui est ce Cencerro, qui devient aux yeux des villageois et de Nino l’incarnation du héros invincible, échappant à tous les pièges, déjouant les traquenards, volant les riches, Robin des bois généreux envers les pauvres? Pourquoi son père et ses collègues partent-ils la nuit dans des missions qui font trembler leur femme d’effroi ? Pourquoi les enfants des garde-civils sont-ils enfermés chez eux avec interdiction de sortir par des mères qui craignent des représailles ? Parfois, des Rouges sont faits prisonniers et dans la prison qui jouxte sa chambre, il entend les cris des hommes torturés avant d’être abattus par une balle dans le dos. Et que dire de ces femmes vêtues de noir qui exposent leur vêtement de deuil au passage des processions ? De ces femmes qui après avoir été tondues parce que leur mari était républicain, subissent quotidiennement les humiliations, la misère, le rejet social, mais ne cèdent pas, la haine engendrant la haine, toujours plus grande. L’enfant voit, observe, réfléchit et s’il pressent ce qui se passe, il ne comprend pas tout.

Pourtant l’avenir d’un fils de garde-civil est tout tracé, il fera le métier de son père, avec un salaire misérable mais bénéficiant de petits privilèges en nature accordés par les commerçants qui ont peur de lui, craint et méprisé à la fois et risquant quotidiennement sa peau pour capturer et abattre des gens qui sont bien plus proches de lui que les autorités et les riches propriétaires qui lui donnent des ordres. J’ai trouvé intéressant que, même si l’on sait où vont les sympathies de l’écrivaine, Almudena Grandes ne condamne pas le père de Nino et évite le manichéisme et la simplification. 

 « mon père qui était un assassin, un assassin et un brave homme, un assassin et un malheureux, un assassin et sa propre victime, un assassin sans la moindre trace de l'homme heureux qui souriait sur la vieille photographie en noir et blanc du bon temps qui ne reviendrait jamais. »

Le père n’a pas vraiment choisi sa voie, ce sont plutôt les évènements qui l’ont choisi mais il est pris dans un engrenage qui le fait souffrir.  Lui-même est prisonnier, d’un côté du régime franquiste qui le prive de son libre-arbitre, de l’autre des républicains qui voient en lui un assassin et le condamnent. Il n’y a pas d’issue possible. D’ailleurs il y a des bons et des mauvais dans tous les camps comme le prouve ce républicain prêt à trahir ses compagnons pour obtenir l’amnistie !

Deux circonstances vont infléchir le destin de Nino : Il ne grandit pas et son père, inquiet, craint qu’il n’ait pas la taille règlementaire pour devenir garde civil. Il décide de lui faire apprendre la dactylographie pour devenir secrétaire. Ce qui n’est pas si facile ! Où trouver un professeur compétent et comment le payer ?
Mais c’est quand il fait la connaissance de Pepe le portugais, un homme plutôt marginal, qui a loué le vieux moulin et cultive des oliviers que sa vie va changer. Une amitié lie l’enfant à cet homme qu’il admire pour son indépendance et sa vie simple et libre dans la nature. Celui-ci lui prête son premier Jules Verne.  Puis il  le présente à la famille Rubio, des femmes seules et fortes, les soeurs Filo, Paula et  Chica, et Catalina, la mère, veuve, et en deuil de ses fils, dont on comprend qu’elles sont en relation avec les hommes de la montagne. Là, il fait la connaissance de leur amie Elena. Dona Elena lui donne des leçons et c’est chez elle que commencent les prêts de ces livres précieux rangés dans des cagettes de fruits, les romans de Jules Verne, qui vont transformer l’enfant.

« Ainsi pendant que je conquérais l’espace en traversant les étoiles, je sondais le magma incandescent des profondeurs de la terre, les romans de Jules Verne prêtés par dona Elena étaient pour moi bien plus que des livres. Ils assuraient une existence privilégiée à un petit gamin qui n’avait jusque là jamais eu de raison de se sentir chanceux. Ils étaient le lien entre les deux vies, le tunnel secret reliant les murs nus de ma chambre de la maison-caserne aux cagettes de fruits qui abritaient une bibliothèque vivante. »

Le lecteur de Jules Verne est un roman qui secoue et où la vision  naïve de l'enfant donne une humanité particulière à ces personnages qui sont pris dans l'horreur de la guerre civile. Le lecteur qui ne partage pas la naïveté de Nino, accompagne l'enfant dans la découverte terrible de la réalité qui va définitivement mettre fin à l'enfance, dans la douleur des ces années pendant lesquelles la dictature, en liaison avec la religion, étouffe les libertés individuelles, traque et assassine, où la guerre civile a continué ses ravages et divisé la population, amenant un cortège de maux et de souffrances. On apprend ce qu’est la vie dans ces villages de la Sierra andalouse, avec ses hivers rigoureux, sa population pauvre, avec les peurs, les non-dits, les interdictions qui empêchent les femmes des républicains anti-franquistes de travailler, la violence qui provoque la terreur des mères.
De plus, c’est un roman très « peuplé » avec beaucoup de personnages, tout un village apparaît derrière les personnages principaux et ces personnages secondaires ont aussi des histoires fortes, marquantes, qui touchent le lecteur. Et puis, bien sûr, il y a les romans de Jules Verne qui mènent l’enfant vers la connaissance, la puissance de la lecture révélée qui guide Nino et éclaire les ténèbres morales où il se débat.

Un très beau livre, triste, c'est vrai, mais humain, et attachant !

Chez les gens courageux, la peur n'est que la prise de conscience du danger, ajouta-t-elle, mais chez les lâches, c'est bien plus qu'une absence de courage. La peur exclut également la dignité, la générosité, le sentiment de justice, et parvient même à entraver l'intelligence, car elle altère la perception de la réalité et allonge les ombres de toute chose. Les gens lâches ont peur y compris d'eux-mêmes...


Livre de poche 516 pages


mardi 26 mars 2024

Emma Stonex : Les gardiens du phare


 Dans son roman Les gardiens du Phare, Emma Stonex s’appuie sur un fait divers réel qui est toujours demeuré un mystère.
En 1895, sur les îles Flannan, au large de l’Ecosse, au coeur de l’archipel des Hébrides, la construction d’un phare dans cette zone pleine de récifs, réputée dangereuse, commence. C’est en décembre 1899 que le phare d’Eilean Mor, qui se dresse sur un rocher inhospitalier, inhabité, battu par les vagues et le vent,  s’illumine pour la première fois
Pour assurer sa maintenance, il faut quatre hommes, dont trois doivent rester en permanence sur l’île, le quatrième  partant en congé sur la terre ferme toutes les six semaines.  En Décembre 1900, un capitaine de navire signale que le phare est resté éteint. Quand on envoie des secours, les trois gardiens restés sur place, James Ducat, Thomas Marshall et Donald MacArthur, ont disparu sans laisser de traces. 

L’enquête a conclu que les gardiens avaient dû s’approcher trop près du bord pour sécuriser une grue et avaient été emportés par une vague géante. Mais cette conclusion est restée à l’état d’hypothèse n’ayant jamais pu être confirmée.

Les trois gardiens disparus d'Eilean Mor
 

C’est cette histoire que raconte Emma Stonex dans Les gardiens du phare en la transposant en 1972  et en situant le phare sur les îles Maidens, au nord de l’Irlande.
Les trois hommes, Arthur Black, le gardien-chef de la Maiden, Bill Walker son second et Vince dont c’est le premier poste - et à qui l’on essaiera de faire porter le chapeau parce qu’il a fait de la prison - disparaissent. La société des phares cherchent rapidement  à clore l’enquête, refusant de creuser plus avant, de crainte de détruire la bonne réputation de la Société, plutôt paternaliste, qui exige la fidélité et la bonne conduite de ses employés dont elle veut donner une image héroïque et qui prend soin de leur famille en retour.

L'île Flannan : Eilenn Mor

C’est l’occasion pour l’écrivaine de présenter la vie dans le phare et la dureté du métier de gardien qui exige des nerfs solides, une bonne santé mentale et une entente entre les trois personnes qui sont obligés de vivre ensemble de jour comme de nuit. Si l’une de ces conditions n'est pas réunie, les agacements deviennent vite antipathies, les tensions naissent, les risques d’affrontement s’exacerbent. La journée est rythmée par les travaux d’entretien du phare et de l’optique de la lanterne, les nuits exigent des quarts de veille pour assurer le bon fonctionnement de la lumière. Il faut imaginer la monotonie de la nourriture et des occupations, la solitude qui ébranle le moral, la séparation d’avec la famille, les tempêtes, effrayantes, avec des vagues gigantesques qui se brisent sur le phare dans un vacarme  incessant, la responsabilité des vies humaines qui pèse sur les gardiens s’il y a un dysfonctionnement.

Dans le roman,  Emma Stonex imagine que vingt ans après, un journaliste décide d’écrire sur cette histoire et demande à rencontrer les  femmes des disparus, Helen, Jenny et Michelle. Car ce qui intéresse aussi l'écrivaine, c’est de donner une explication à ces disparitions ou tout au moins d’avancer une autre hypothèse que celle retenue officiellement. Les femmes parlent, en effet, et se dessinent des secrets de couple, des mésententes, des jalousies, des non-dits… Une analyse psychologique assez fine qui fait apparaître les caractères et les sentiments de chacun, sous laquelle, en filigane, se dessine une réponse au mystère et à la tragédie ! Un roman intéressant !

 Tout seul

 

Je vous signale la magnifique BD  intitulée Tout Seul de Christophe Chabouté sur les gardiens de phare.

Voilà ce que j'en écrivais : "Tout seul, bande dessinée de Chabouté, est un petit bijou d'émotion, de poésie, de beauté, de tendresse, d'espoir. .. Si vous n'avez pas encore lu cette BD, faites-le vite ! Et si vous ne deviez en lire qu'une dans votre vie, que ce soit celle-là!

Cet album est presque sans paroles, les personnages qui y vivent sont soit des marins taciturnes, soit un solitaire, séparé de la civilisation, prisonnier volontaire dans un phare en pleine mer. Le dessin en noir et blanc, jouant sur le lumières de la nuit et du jour,  prend alors toute son importance, c'est lui qui raconte tout ce qui n'est pas dit, c'est pourquoi il faut être attentif aux moindres détails, et il est fantastique. Les variations des points de vue nous permet une approche toujours renouvelée de l'histoire. Nous sommes oiseaux et nous nous laissons porter par le vent pour nous poser sur la lanterne du phare, poisson dans un bocal nous contemplons la solitude d'un autre être, solitude qui n'a d'égale que la nôtre, marin, nous essayons de percer le mystère du phare..  A cela s'ajoutent les variations des cadrages, d'un gros plan qui éveille en nous la curiosité à un plan d'ensemble qui nous révèle la réalité…  Le dessinateur joue ainsi sur le mystère, éveille notre imagination. Chabouté suggère aussi le mouvement par le procédé cinématographique  d'un plan fixe qui permet de voir s'éloigner le bateau ou au contraire de le voir se rapprocher, venant droit sur nous, pour créer l'impression de durée dans le temps. Car l'histoire a un rythme, celui de la lenteur, de l'égalité des jours qui se traînent et se ressemblent, sauf quand survient un évènement, quand il y a irruption de la vie dans le quotidien."
VOIR la suite ICI

 

La Tour d'amour

 
 
"La tour d'amour de la "sulfureuse" Rachilde est un roman qui sidère, qui laisse pantelant. Jamais en ouvrant le livre de quelqu'un qui était pour moi une inconnue, jamais je n'aurais pensé découvrir un texte d'une telle force, servi pas un style puissant aux images hallucinatoires. Je comprends, bien sûr, que le récit ait fait scandale et je ne suis pas sûre qu'il ne choque pas, même de nos jours, les lecteurs sensibles tant il est morbide et nous entraîne dans la spirale d'une folie qui tient de la perversion. Si vous êtes de ceux-là, tant pis, mais ne dites pas que Rachilde est un médiocre écrivain" Voir Ici


 Le gardien du feu


J'ai aimé aussi :  Le gardien du Feu de l'écrivain breton Antoine Le Braz

"Je vous l'ai dit à propos du roman de Rachilde La Tour d'amour, les phares bretons inspirent aux écrivains des romans sombres et tourmentés tout comme le sont les personnages qui y vivent! Dans Le gardien du Feu d'Anatole Le Braz, c'est le phare de Gorlébella en plein Raz qui sert de décor pour cette histoire d'amour et de jalousie proche de la folie." Voir  Ici

 

 Les disparus du phare

 

J'ai moins aimé Les disparus du phare de Peter May mais lisez  le premier volet de la trilogie L'île des chasseurs d'oiseaux !

"Peter May, je l’ai découvert avec sa trilogie écossaise qui se situe dans l'archipel des Hébrides, dans l’île Lewis, et c’est de loin L’île des chasseurs d’oiseaux, le premier, qui demeure mon préféré. Il offre des pages d’une force étonnante qui raconte le quotidien des hommes de cette île et décrit leur mentalité ancrée dans le passé, si loin de la civilisation urbaine actuelle.
 Avec Les disparus du Phare, Peter May retourne dans les Hébrides, plus précisément dans les îles Flannan à une vingtaine de kilomètres de l’île Lewis. L’auteur s’empare d’un fait divers réel, survenu en 1900 : la disparition jamais élucidée des trois gardiens du phare d’Eilean Mor." 
Voir Ici


Tadloidu ciné chez Dasola conseille aussi les titres suivants et Je lis Je blogue une BD. Merci à eux  ! Je ne les ai pas encore lus mais cela me donne envie de les découvrir.

 

Robert Louis Stevenson : Journal de la construction d'un phare

Au large de l’Écosse, en mer du Nord, à la croisée de plusieurs routes maritimes, se trouve un récif meurtrier, où les navires s’abîment par dizaines. En 1807, un homme décide de mettre fin à cette malédiction. Ingénieur pour la Compagnie des Phares du Nord, Robert Stevenson se lance dans une entreprise périlleuse : ériger un phare sur un récif immergé vingt heures par jour. Trois années durant, dans des conditions chaotiques, il coordonne le chantier de Bell Rock. Animés par la volonté de rendre la mer plus sûre, ses hommes et lui luttent contre vents et marées pour mener à bien ce projet ambitieux.

En racontant l’histoire de sa famille et en publiant les carnets de son grand-père, Robert Louis Stevenson rend non seulement hommage à la dynastie de pionniers et de bâtisseurs dont il est issu, mais il révèle aussi au public une formidable aventure collective. (quatrième de couverture)  

 

Jules Verne : Le Phare du bout du monde


L’île des États : un îlot désertique au large de la Terre de Feu, à plusieurs dizaines de milles de tout espace civilisé. Les autorités argentines viennent d’y inaugurer un phare, pour permettre aux navires de franchir le cap Horn par une route plus rapide et plus sûre. Trois gardiens de phare sont déposés sur l’îlot pour y séjourner, seuls, durant les trois mois de l’hiver austral. Seuls ?... (quatrième de couverture) 

 

Emmanuel Lepage :  Ar -Men  BD


Au large de l’île de Sein, à la pointe Finistère, Ar-Men émerge des flots. Construit en 1867, on surnomme ce phare mythique «L’enfer des enfers». Sa lumière veille les navires, et les protège des récifs menaçants. Les hommes se sont succédés pour l’entretenir, sentinelles d'une côte déchiquetée que les marins redoutent. Germain, dans les années 1960, est l’un de ces gardiens téméraires et solitaires. Dans l'édifice isolé, contre vents et marées, il a trouvé son exacte place, emportant là ses blessures et son abandon d’une vie sur terre, avec les autres hommes. ( quatrième de couverture ) Editions Futuropolis