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vendredi 5 novembre 2010

Dang Thuy Trâm (1968-1970) : Les carnets retrouvés


Les carnets retrouvés, journal intime de la jeune Vietnamienne Dang Thuy Trâm dans les années 68-70, ont connu une histoire extraordinaire qui nous étonne avant même d'en avoir lu le contenu. Retrouvés par un américain chargé de brûler les papiers saisis pendant les combats, ils ont échappé à la destruction et ont été envoyés en 2005 à la famille de Thuy. Publiés, ces carnets ont fait de Thuy une héroïne nationale à la manière d'Anne Franck. Ils sont lus et étudiés dans les écoles vietnamiennes par une jeunesse qui s'identifie à la jeune fille et apprend à lire l'histoire de son pays non plus officiellement mais par l'intervention de l'humain, avec empathie..
Traduits en français et publiés chez Picquier pour la rentrée littéraire 2010, ces carnets nous plongent dans un passé tragique, la guerre d'indépendance du Vietnam contre les américains. Et surtout, ils nous font découvrir une adorable jeune fille courageuse et fragile, idéaliste et romantique, pourtant efficace et pragmatique dans l'exercice de son métier, prise dans la tourmente des combats, affrontant à chaque instant la peur et la mort. Les premiers cahiers ayant été perdus, nous suivons Thuy du mois d'Avril 1968 au mois de Juin 1970, date à laquelle elle a été tuée d'une balle dans la tête par un détachement américain.
Qui suis-je? une jeune fille dont le coeur déborde d'émotion mais dont l'esprit n'hésite jamais  devant une situation compliquée et dangereuse.
Dang Thuy Trâm est une jeune fille d'un milieu bourgeois qui a eu une enfance protégée et choyée, à l'abri de la guerre, dans le Nord du Vietnam. Mais les souffrances que connaît le sud de son pays  occupé par les Américains pour acquérir son indépendance la touchent. Communiste, engagement qu'elle vit comme un très beau et très noble idéal, elle pense que son devoir est de partir aider son peuple. Ce qu'elle fait après avoir obtenu son diplôme de médecin. Elle va alors connaître une vie itinérante dans un hôpital situé dans les montagnes du centre du Vietnam, opérant, sous les bombes, avec des moyens de fortune, les soldats blessés, déménageant sans cesse pour échapper au repérage de l'armée américaine, parcourant les sentiers montagneux pour aller soigner les malades sur place et tout ceci au péril de sa vie.
J'ai opéré une appendicite dans des conditions désastreuses. Je n'avais que quelques flacons d'anesthésique mais le jeune soldat blessé ne s'est jamais plaint. Il souriait même pour m'encourager.
Si Thuy est prête à mourir pour son pays, si elle est animée devant chacun des morts qu'elle chérit par des sentiments de haine envers l'envahisseur et si elle a foi en son parti, il n'y a jamais en elle ni dogmatisme, ni fanatisme. Le communisme lui apparaît comme un moyen à l'échelle du pays de rendre le peuple heureux et à titre personnel comme un but à atteindre pour se perfectionner,  lutter contre son égoïsme, penser aux autres, leur venir en aide. Elle pense que l'autocritique exigée par le parti doit permettre de combattre ses propres défauts; elle n'en voit pas le danger. Parfois, elle s'insurge contre ceux qui dans le parti lui reprochent d'être  bourgeoise :
J'ai peut-être des sentiments de petite bourgeoise mais je n'en ai pas le comportement malgré ce que certains prétendent.
C'est donc un beau portrait de femme qui se dessine à travers ce journal intime, entière, animée d'un désir de pureté, exigeante envers elle-même, fière et indépendante. Mais  c'est aussi et c'est ce qui est extrêmement touchant, le portrait d'une jeune fille comme les autres qui souffre d'avoir été trahie par son amoureux, qui rêve d'une vie paisible, qui parle des ses soupirants qu'elles considèrent comme ses petits frères, qui est en quête d'approbation, d'encouragement car elle  doute d'elle-même, s'interroge sur la vie et qui, souvent, se parle à elle-même pour s'exhorter au  courage, pour devenir meilleure  :
Pourquoi es-tu toujours si triste, Thuy?
Ne pleure pas Thuy,  reste calme et maîtresse de toi-même..

Enfin,  parfois dans la peur et la douleur elle devient une toute petite fille qui a besoin de sa maman, à qui sa famille manque terriblement :
Aujourd'hui c'est mon anniversaire et le bruit des salves répétés de l'ennemi résonne partout... Soudain je me souviens des jours paisibles dans le nord, du soleil en hiver, la douce chaleur d'une grande joie, papa et maman m'offraient des fleurs, on organisait une fête, les amis venaient me féliciter.

Avec ce journal intime nous parcourons donc avec cette belle jeune fille un moment de ce chemin qui l'amène à la mort. Autour d'elle, apparaissent de nombreux personnages attachants, emportés par la guerre. Le tout est rythmé par les explosions, les bombardements, les corps déchiquetés, la nature saccagée, la fuite devant une patrouille américaine qui ne vous rate que de peu, les traques incessantes, les caches pratiquées à même le sol où l'on baigne jusqu'au cou dans une eau glaciale en attendant le départ de l'ennemi qui marche sur votre tête sans le savoir. Un livre plein d'émotions et qui peint mieux que tout l'horreur de la guerre!

capture-d_ecran-2010-05-27-a-10-14-261.1287673206.pngMerci à Dialogues croisés et aux éditions Picquier
Livre voyageur

mercredi 8 octobre 2008

De Amy Homes à Duong Thu Huong et Chachdortt Djavann


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Les trois derniers romans que je viens de lire en ce début du mois d'octobre ont un point commun qui paraît évident de prime abord : ils sont écrits par des femmes. Ne voyez là aucun sexisme à l'envers, c'est un pur hasard. D'ailleurs je croyais vraiment que A.M. Homes était un homme (A pour Andrew par exemple...) et bien non! Il s'agit d'Amy Homes. Elle est américaine et a écrit Ce livre va vous sauver la vie  dont le principal personnage est un homme et dont l'action se déroule à Los Angeles, à notre époque. Ensuite, j'ai réalisé un bond formidable dans l'espace et dans le temps et me voici au Vietnam dans le hameau de la Montagne après la guerre avec les Américains. L'auteur Duong Thu Huon est une femme courageuse qui a payé très cher son opposition au parti communiste vietnamien et son soutien à la démocratie. Elle est aussi un grand écrivain comme nous le prouve son roman Terre des oublis. Enfin le livre de Chahdortt Djavann m'a amenée, via Paris, en Iran, dans le pays des mollahs où les femmes subissent un esclavage quotidien. L'héroïne, Roxane, soeur de la Roxane créée par Charles de Montesquieu, fuit son pays et s'installe dans notre capitale comme l'a fait Chahdortt Djavann elle-même. Le titre du roman Comment peut-on être français? est une allusion malicieuse aux Lettres persanes de Montesquieu et nous renvoie  avec ironie à la question : Comment peut-on être persan?
Un grand écart, donc, entre chacun de ces livres?  Oui... bien sûr
Et d'abord dans le style : prenez Amy Homes,par exemple, elle écrit comme le font beaucoup d'écrivains américains contemporains dans une prose dépouillée, presque sans description et où le dialogue est prééminent. Par moment il remplace le récit et ressemble à une pièce de théâtre dont on aurait simplement renforcé les didascalies. C'est un style efficace qui "montre" les personnages en action et en paroles comme au cinéma. Nous ne sommes pas à Hollywood pour rien! Aux antipodes, le style de Duong Thu Huong, descriptif, ample et lyrique où apparaît la beauté et la dureté de la terre vietnamienne.
Différence aussi dans les sociétés dépeintes : la richesse et le matérialisme des américains qui vivent dans de somptueuses maisons et ne se déplacent qu'en voiture forment un contraste frappant avec la misère des paysans vietnamiens... La démocratie américaine ou française avec toutes ses faiblesses est en balance aussi avec le totalitarisme religieux ou politique des deux autres pays.
Oui, disais-je et Non..  Car en dépit des apparences il y a des points communs entre ces trois écrivains, ressemblances qui tiennent à l'intérêt qu'elles portent aux êtres humains et à l'analyse de la société de leur pays respectif.
Bien sûr, chacune s'intéresse à la condition de la femme opprimée, étouffée par la société, par des lois  répressives, par des maris tout puissants, par leur éducation.  Cynthia, la femme au foyer que rencontre Richard Novak, le héros de Ce Livre va vous sauver la vie pleure sur des salades au supermarché. Elle ne peut plus supporter d'être traitée en esclave par ses enfants et son mari qui ne s'intéressent pas à elle et tiennent pour acquis son dévouement. Mais elle pourra se libérer contrairement à Roxane et ses amies humiliées, battues et violées par un pouvoir masculin qui prive la femme de toute liberté. Mien, la jeune vietnamienne subit une humiliation continue dans son corps et dans son âme parce qu'elle n'a pas le courage de résister à la pression sociale, à la peur,  tout comme Duong Thu Huong, elle aussi, fut obligée par la menace de se marier avec un homme brutal. Cependant ce ne sont pas les femmes seulement qui intéressent ces romancières. Hoan, le deuxième mari de Mien est un homme bon, attentionné, qui lui aussi sera entraînée dans la tourmente. Bon, son premier mari,  a un destin tragique. Richard Novak est un homme qui ne sait plus être vivant dans une société trop matérialiste où le luxe et le confort ne remplacent pas l'amour et l'amitié. Les hommes iraniens dit Roxane peuvent être aussi des victimes. Les trois écrivains montrent la difficulté de vivre dans des contextes entièrement différents et plus ou moins violents. Elles se penchent avec tendresse sur les personnages qu'elles ont créés et qui leur ressemblent  un peu.. ou beaucoup  et à nous aussi, bien sûr, car, selon l'expression de Montaigne : "chaque homme porte en soi la forme entière de l'humaine condition".

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         Terre des oublis : Le récit
Mien, jeune femme remariée à Hoan, mère d'un petit garçon, voit revenir son premier mari, Bon, qu'elle avait épousé quatorze ans auparavant. Il avait été déclaré mort à la guerre. Bon réclame sa femme et Mien sous la pression de la communauté, poussée par des sentiments complexes, la peur d'être mise au ban de la société, le sens du devoir, la compassion, accepte de reprendre la vie commune alors qu'elle aime Hoan. Elle doit tout quitter pour cela, son mari, son enfant qu'elle ne voit plus que dans la journée, le confort et l'aisance matérielle pour vivre misérablement, une vie sans amour où elle doit subir les assauts sexuels d'un homme qui n'est plus rien pour elle et qui la dégoûte.. La répulsion qu'elle a pour son ancien mari ne va pas cesser de s'accroître....