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vendredi 16 mars 2018

Ota Pavel : comment j'ai rencontré les poissons



Comment j’ai rencontré les poissons est un livre écrit par l'écrivain tchèque Ota Pavel pour rendre hommage à son père Leo Popper, génial vendeur d’aspirateurs et grand amoureux des poissons. J’avais lu des critiques à propos de ce livre disant qu’il était « le plus anti dépressif du monde » et aussi que sa lecture produisait « des bulles de joie sous la peau ». Mais pour moi l’alchimie n’a pas eu lieu. Le récit ne m'a pas accrochée, tout au moins au début.
Le livre est constitué d’une série de chapitres indépendants que l’on peut considérer comme de courtes nouvelles.

Le personnage du père et les histoires de poissons 


Ota Pavel à la pêche

Il m’a été impossible de prime abord de m’intéresser au personnage du père que pourtant le fils présente avec indulgence et même admiration. Toutes ses frasques et  ses maladresses ne m'ont pas fait rire, ni son adresse commerciale pour gruger les clients. Mais voilà, c’est le genre de bonhomme qui m’irrite, rêveur certainement, mais surtout hâbleur, suffisant, irresponsable, égoïste. Non cela ne m’amuse pas quand il dépense tout son argent sans tenir compte de ses enfants pour de beaux costumes et une voiture américaine pour plaire à la femme de son patron; comme je ne ris pas quand il met la vie de son fils en danger dans une rivière en crue pour aller récupérer des anguilles.
 De plus, comme le père transmet à ses fils la passion des poissons, il n’y est question que de pêche. J’ai déjà lu des livres sur ce sujet et je sais bien qu’à travers la description de la pêche, c’est d'autre chose qu’il s'agit ! Je comprends cet amour qui unit le père à ses fils, cette impression de liberté qu'ils éprouvent, la beauté de la nature qu'ils partagent. Mais ces histoires sont tellement répétitives que j’ai commencé à m’ennuyer sérieusement même s’il y a des personnages intéressants comme le braconnier Prosek !

La mort des beaux chevreuils.



Mais, quand, soudain, je suis arrivée à la nouvelle La mort des beaux chevreuils, là, tout a changé !
Avec La mort des beaux chevreuils, arrive la guerre, les enfants souffrent du manque de nourriture et le père part chasser le chevreuil, braconnage puni de mort par les nazis. Le récit prend alors une grande intensité dramatique et le père qui risque sa vie pour ses enfants, acquiert une autre envergure. Le braconnage, chasse ou pêche, devient une question de survie et est aussi une réponse désespérée mais courageuse aux humiliations et aux sévices subis par les juifs. Le récit est haletant et se termine par l’envoi des frères aînés dans un camp concentration.
Toutes les nouvelles de la guerre sont passionnantes et l’on peut aussi rire du tour joué aux allemands par le père qui vide son étang - que les nazis lui ont confisqué -, à la barbe de ses ennemis avant d'être envoyé lui-même à Auschwitz dans la nouvelle Des carpes pour la Werhmarcht 
Ils peuvent même vous tuer est aussi un beau récit très prenant, entre angoisse et humour, où le petit Ota part braconner dans l’étang surveillé par un garde-pêche, bravant l’interdiction des allemands. Il en est de même lorsqu’il se fait voler la carpe qu’il a pêchée, au prix d’une grande patience, immergé dans l’eau glacée, dans la nouvelle La longue lieue.
Là, les histoires de poisson prennent un sens et sont passionnantes. Il y a une tension dramatique qui ne retombe pas. 
Après le retour des camps du père et des frères, j’ai aimé aussi certaines nouvelles parfois cruelles comme lorsque le père, devenu communiste,  prend conscience que les communistes sont eux aussi antisémites. Et le livre se conclut pas un très beau chapitre Les anguilles d’or magnifiquement écrit, plein de tristesse et de poésie ou Otta Pavel, enfermé dans un hôpital psychiatrique pense à son passé :

« Quand mon état s’est amélioré, j’ai pensé à ce qui avait été le plus beau dans ma vie; Je ne pensais pas à l’amour, ni à mes pérégrinations à travers le monde. Je ne pensais pas à mes survols nocturnes d’océans, ni à ma sélection en hockey sur glace dans l’équipe Sparta de Prague. Je repartais vers les ruisseaux, les rivières, les étangs et les barrages à poissons; je me rendais compte que c’était là ce que j’avais vécu de plus beau. »

Je sais désormais ce qui attire la plupart des gens, ce n’est pas seulement la quête du poisson, mais la solitude des temps révolus, le besoin d’entendre l’appel de l’oiseau et du gibier, d'entendre encore tomber les feuilles d’automne. Tandis que je mourais là-bas à petit feu, je voyais surtout cette rivière qui comptait plus que tout dans ma vie et que je chérissais. Je l’aimais tellement, qu’avant de me mettre à pêcher je ramassais son eau dans mes mains en coquille et je l’embrassais comme on embrasse une femme. Puis, je m’aspergeais le visage avec le reste de l’eau et je réglais ma canne.

Ce roman est devenu un grand classique en Tchéquie, a été traduit dans de nombreux pays et adapté au cinéma. Je me rends bien compte que je suis passée à côté d'une partie du livre et je le regrette car ses qualités littéraires sont grandes. Mais j'ai beaucoup aimé, par contre, la seconde partie qui m'a profondément touchée.


Ota Pavel (de son vrai nom Ota Popper) est tchèque, né en 1930 d’un père juif et d’une mère catholique. Très jeune, il a échappé au camp de concentration mais son père et ses deux frères plus âgés ont été envoyés à Auschwitz. Il a eu un destin tragique puisqu’il fut atteint de folie et est mort à l’âge de 43 ans.


Je lis un billet de Joséphine sur Babelio qui explique comment Ota Pavel a basculé dans la folie :

 "Ota Pavel se réfugie dans son enfance pour échapper à la grave dépression qui l'étreint, après avoir été insulté. Son frère Hugo a raconté ce qui s'était passé : « En 1964, Ota était reporter sportif. À Innsbruck, il y a eu un cafouillage et l'équipe tchèque de hockey sur glace a terminé avec la médaille de bronze. Ota a rejoint les joueurs dans les vestiaires et quand il a dit que la troisième place, ce n'était pas si mal, un des joueurs a hurlé “Toi, le Juif, va te faire gazer ! (...)”