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dimanche 6 novembre 2011

Goethe, Nerval, Schubert, Berlioz : Le roi de Thulé


Théodore Chassériau  peintre romantique français (1819-1856)
La mort de Cléopâtre


La ballade Le roi de Thulé est extrait du Faust de Johann Wolfgang Goethe, pièce publiée en 1808  et qui est une des oeuvres de la littérature allemande universellement connue. C'est un alchimiste du XVI ème siècle, le docteur Faustus, qui a nourri ce mythe littéraire repris sans cesse au cours des siècles par de nombreux écrivains. Goethe s'est directement inspiré du dramaturge anglais, contemporain de Shakespeare, Christopher Marlowe.


Johann Wolfgang von  Goethe


Le roi de Thulé
 Il était un roi de Thulé

À qui son amante fidèle

Légua, comme souvenir d’elle,

Une coupe d’or ciselé.




C’était un trésor plein de charmes

Où son amour se conservait :

À chaque fois qu’il y buvait

Ses yeux se remplissaient de larmes.






Voyant ses derniers jours venir,

Il divisa son héritage

Mais il excepta du partage

La coupe, son cher souvenir.


Il fit à la table royale

Asseoir les barons dans sa tour ;

Debout et rangée alentour,

Brillait sa noblesse loyale.

Sous le balcon grondait la mer.

Le vieux roi se lève en silence,

Il boit, — frissonne, et sa main lance

La coupe d’or au flot amer !

Il la vit tourner dans l’eau noire,

La vague en s’ouvrant fit un pli,

Le roi pencha son front pâli…

Jamais on ne le vit plus boire.


traduction de Gérard de Nerval, poèmes divers, 1827,




Je vous propose une deuxième traduction car il est toujours intéressant de comparer et de constater les différences entre plusieurs versions. Jean Malaplate Ballades et autres poèmes de Goethe (Aubier domaine allemand Bilingue)


Philip Otto Runge (1777-1810) peintre romantique allemand
Le roi David

Le roi de Thulé

 Un roi de Thulé fut fidèle,

 Sans se lasser jusqu'à la mort.

jadis, en expirant sa belle

Lui fit don d'une coupe en or


Rien n'avait pour lui tant de charmes,

 Dans tous ses festins s'en servait

 Et chaque fois qu'il y buvait

Ses yeux se remplissaient de larmes.


Comptant chaque ville et village

Lorsque le temps vint de mourir,

 Il légua tout son héritage,

La coupe voulut retenir.


A son banquet fit comparaître

Ses chevaliers au regard fier

Dans la salle de ses ancêtres,

 En son château près la mer.


 Dans un dernier sursaut de vie,

Le vieux roi vida de nouveau

Puis jeta la coupe chérie

De la terrasse dans le flot.


Il la vit s'incliner et boire,

 S'enfoncer sous la mer sans fin.

Sur ses yeux vint une ombre noire

Et jamais plus n'a bu du vin.



Faust et la ballade du roi de Thulé  ont inspiré de nombreux musiciens. J'ai retenu le nom de deux musiciens romantiques :


 Frantz Schubert (Vienne 1797-1828) est un musicien autrichien qui représente le mieux l'éclosion du Romantisme en Musique. Il est mort du typhus à Vienne et n'a vécu que 31 ans mais il a laissé une oeuvre abondante. Il a écrit plus de six cents leader et est considéré comme le maître du genre. Parmi ses oeuvres les plus connus citons sa Belle Meunière, Le quintette de la Truite, son Voyage d'hiver, sa Symphonie inachevée, ses Impromptus et ses Moments musicaux. Il est aussi l'auteur de six opéras.
Le lied du roi de Thulé est paru en 1816.






Schubert : Le roi de Thulé chanté par Brigitte  Fassebender


                                         


Hector Berlioz (1803-1869) représente le renouveau de la musique romantique en France : "Il ne se contente pas d'audaces calculées comme Meyerbeer ou Rossini, il va faire explosion. Berlioz a été plus qu'un musicien romantique : il fut le Romantisme personnnifié avec ses qualités et ses défauts." (Francis Claudon Le Romantisme; Somogy Editions d'Art)
Parmi ses oeuvres les plus connues : la symphonie Fantastique, ses opéras dont La damnation De Faust (1846). Il intègre dans la partition de La damnation huit scènes qu'il a composées en 1845, parmi lesquelles la ballade Le roi de Thulé




Berlioz : Le roi de Thulé chanté par Elizabeth Shwartzkopf 


Tod Robbins : les éperons réponse à l'énigme N° 9


Bravo ! Plus c'est difficile, plus vous  trouvez! A croire que vous aimez la difficulté. Nos valeureux concurrents ont pour nom aujourd'hui : Océane, Aifelle, Eeguab, Keisha, Dominique, Maggie, Jeneen, Sabbio, Lireaujardin, Nanou, Gwenaelle, Asphodèle ... ET merci à tous de votre participation.

La nouvelle Les éperons (Spurs 1923) de Tod Robbins est parue sous forme d'un joli petit livre publié  aux Editions du Sonneur et je dois à Jeneen qui nous l'a envoyé, à Wens et moi-même, d'avoir fait sa découverte. (Merci Jeneen!)


Tod Robbins (Clarence Aaron Robbins) est né à Brooklyn en 1888 dans une riche famille new yorkaise. Sa fortune lui permet de se consacrer à l'écriture et il  fait paraître en 1912 un court roman Mysterious Martin, suivi bien vite  la même année de The Spirit of the Town  En 1917 un de ses livres The Unholy Three (Le club des trois) est pour la première fois adapté à l'écran par Tod Browning.
Tod Robbins publie d'année en année de nombreux romans et nouvelles en se spécialisant dans le fantastique et l'horreur. Les Eperons paru en 1923  sera à nouveau adapté par Tod Browning en 1932 sous le Titre de Freaks, une oeuvre célèbre mais très controversée en son temps, connue à notre époque d'un public de cinéphiles. Quand on a vu Freaks une fois, on ne peut l'oublier! C'est un film dérangeant, certes, mais qui nous questionne sur notre rapport à la différence, sur la cruauté des relations humaines, sur le voyeurime avec ce que cela suppose de zones sombres en nous, sur les thèmes de la vengeance aussi...

C'est pourquoi, Wens et moi nous vous proposons si vous être intéressés de mettre le DVD et le livre, en colis Voyageur. Le documentaire présenté avec le film est d'un grand intérêt.  Inscrivez-vous dans les commentaires.

L'intrigue se déroule dans un cirque qui présente, à côté des numéros traditionnels, des spectacles animés par des monstres. Le héros de ce livre, Jacques Courbé, un nain, fait son entrée sur la piste sur le dos d'un fier destrier nommé Saint Eustache. Sa vive imagination qui le fait s'imaginer en noble chevalier lui permet de supporter les quolibets et les insultes de la foule.

Peu importait que Saint Eustache n'eût rien d'un noble destrier, hormis dans l'esprit de son maître - ni même du poney : c'était un gros chien de race indistincte, doté du long museau et des oreilles droites du loup.

Mais un jour, Jacques Courbé apprend qu'il hérite de la fortune de son oncle. Il peut alors réaliser son rêve, demander en mariage Jeanne Marie, la belle écuyère, cupide, dont il est amoureux. Oui, mais... Jeanne Marie devenue son épouse aurait mieux fait de ne pas vexer le petit monsieur extrêmement susceptible! La vengeances sera à la hauteur de l'insulte et les éperons y joueront un rôle.

La nouvelle joue sur l'horreur et sur une certaine morbidité du lecteur avec la galerie de portraits des monstres, qui à côté du nain, se partagent la curiosité du public : l'enfant-Girafe au long cou démesuré, le géant, la femme-louve aux dents acérés...  Pendant le repas de mariage, un sentiment trouble s'installe qui crée le malaise. En effet, si le lecteur s'est senti de la répulsion pour les spectateurs du cirque attirés par les monstres, il est bien vite placé en tant que lecteur dans la même position et il est amené à se demander lesquels sont les plus monstrueux de ceux qui subissent une telle disgrâce ou de ceux qui s'en moquent, insultent et humilient. Pourtant les victimes ne sont pas plus sympathiques que leurs bourreaux avec leur imbécile orgueil, leur violence qui les pousse à se battre, à se déchirer. Quant à Jacques Courbé... Je ne vous en dis pas plus mais... ce n'est pas parce qu'on est petit qu'on est gentil!
Une nouvelle réussie dont le réalisateur Tod Browning a tiré un chef d'oeuvre.


 Hans, Hercule, Cléopâtre, Frieda

Mon avis sur le Livre et le film 

La nouvelle et le film sont très différents non seulement parce qu'ils ne portent pas le même titre mais aussi parce que Tod Browning introduit des personnages qui n'existent pas dans le livre. Celui de Vénus, une jolie jeune femme, qui va prendre la défense des "monstres" avec son amoureux, le clown. Preuve que si l'on  dépasse les sentiments de répulsion et de fascination morbides envers ces créatures étranges l'on peut parvenir à les aimer et les découvrir en tant qu'êtres humains. Une belle réflexion sur l'acceptation de la différence. Et puis surtout, il y a le personnage de Freida, une midget (on appelle ainsi en anglais des petites personnes qui n'ont aucune difformité physique à la différence des nains, les dwarfs). Freida souffre de voir ridiculisé celui qu'elle aime, Hans, par sa grande épouse, Cléopâtre. Ces deux midgets sont des personnages tout à fait positifs. Ils sont là pour rappeler que ceux que nous nommons des monstres sont des êtres humains comme les autres, doués des mêmes sentiments que nous et capables d'amour vrai et désintéressé..
On peut donc dire que le film est finalement moins pessimiste que le livre où aucun des personnages n'est sympathique, ni ceux qui sont considérés comme "normaux", ni les autres.
 Les modifications de l'intrigue sont grandes aussi. Dans le livre Jacques Courbé exerce seul sa vengeance  alors que dans le film tous sont derrière lui pour punir la coupable. Il y a une solidarité de tous.
Le film a été mal reçu par la critique et le public. On a reproché à Tod Browning d'avoir exploité ces créatures, de les avoir offerts en pâture à la curiosité du spectateur.  Personne n'a reconnu que le film était un appel à la compréhension et un plaidoyer pour le respect des personnes ainsi meurtris dans leur corps. On n'a vu dans cette oeuvre qu'un film d'épouvante et c'est vrai que certaines scènes font réellement peur. Mais ce qui nous effraie le plus ce sont les sentiments qui naissent en nous à la vision de ces freaks.  S'il y a épouvante, elle vient essentiellement de nous, de ce rejet de l'autre, de cette peur de leur ressembler, de la répulsion que nous éprouvons envers eux et dont nous avons honte. Ce sont des sentiments peu glorieux qui font que l'on a rejeté ce film et que l'on a cherché avec succès, pendant de nombreuses années, à le mettre aux oubliettes.