J’ai retrouvé sur une étagère de ma maison lozérienne, cet été, un vieux livre tout gondolé intitulé Un portrait de Jane Austen de David Cecil. Nul doute qu’il appartienne à l’une de mes trois filles puisqu’elles ont eu chacune leur période Jane Austen et nul doute aussi qu’il ait trempé dans une baignoire (du genre livre que l’on ne peut abandonner même pour aller se laver) comme en témoigne l’état piteux de cette relique !
J’ai dont lu ce pauvre rescapé qui avait échappé à ma vigilance ! Le lire c’est entrer dans la vie de Jane Austen et de sa famille, de sa soeur Cassandre qui était très proche d'elle mais qui a détruit la plus grande partie de ses lettres, de ses sept frères et ses nièces qu’elle aimait beaucoup et qui ont laissé des témoignages sur elle. Son neveu James Edward Austen Leigh a d’ailleurs écrit un livre de souvenirs sur sa tante. Mais je ne vais pas m’étendre sur les faits biographiques assez succincts du livre de David Cecil, je retiendrai avant tout son analyse de
l’Angleterre du XVIII siècle pour expliquer l’oeuvre de l’écrivaine.
Jane Austen musée de Bath |
Il y a une époque de ma vie où j’ai écrit sur Jane Austen dans mon blog (à la suite d’un voyage à Bath) et où je répétai d’un billet à l’autre que Jane Austen n’était pas romantique. Je suppose que celles qui m'ont lue alors devaient en avoir par dessus la tête de mes obsessions littéraires ! Mais là, pour cette biographie, ce n’est pas de ma faute ! Comment commence David Cecil ? Devinez ? Il nous dit que Jane Austen, bien qu’ayant vécu un partie de sa vie d’adulte après 1800, appartient en fait au XVIII siècle par l’esprit (l’ironie, le côté comique de sa peinture de la nature humaine, la causticité et parfois la méchanceté car les ridicules l'énervent ! ) et par le style (loin des envolées lyriques du romantisme, par sa sobriété, sa concision, sa retenue).
Vivant dans une famille aisée de la gentry campagnarde, elle est tout à fait à l’aise dans son milieu et épouse entièrement les idées de l’Angleterre du XVIII dont on retrouve les caractéristiques dans son oeuvre. Il ajoute que Jane Austen - à qui certains reprochent de n’avoir décrit qu’une société restreinte, celui de sa classe sociale, d’une bourgeoisie ou d’une petite noblesse campagnarde aisée -, était très consciente de ses possibilités.
« Je ne pourrai pas plus écrire un roman historique qu’un roman épique écrit-elle. (…) et si par hasard je pouvais m’y résoudre sans me moquer de moi-même ou du monde, je mériterais d’être pendue avant la fin du premier chapitre ».
Elle décrivait son milieu mais avec une connaissance de la nature humaine et un sens de la dérision qui fait que la plupart de ses oeuvres sont à la fois pleines de finesse et d’humour.
Walter Scott qui l'admirait beaucoup disait regretter que "Cette exquise délicatesse qui rend les choses et les gens ordinaires intéressants dans leur banalité grâce à la vérité de la description et des sentiments..." lui soit refusée.
"En somme, écrit David Cecil, on peut décrire l’oeuvre de Jane Austen comme une peinture de la vie sociale et domestique sous la plume d’une femme et sur le mode comique."
Mais quelle est cette société ?
L’Angleterre du XVIII siècle n’est pas une société démocratique mais hiérarchisée « dirigée par une oligarchie héréditaire des nobles et de châtelains dans laquelle tous acceptent les distinctions de rang comme relevant de l’ordre naturel des choses tel qu’il a été établi par Dieu ». »
Jane Austen ne remet jamais en question cet ordre social. L’individu doit régler sa conduite sur des critères définis : le réalisme et le bon sens. Ainsi, même si Jane Austen admet les désordres de la passion et du désir charnel, elle pense qu’ils doivent être contrôlés par la raison. De même, elle estime que l’on ne doit pas se marier sans amour, uniquement pour des raisons financières,. Par contre, il n’est pas raisonnable, non plus, de mépriser l’argent et la réussite sociale, ce qui serait contraire au bon sens.
Raison et sentiment comme le titre l’indique en est une démonstration qui oppose les soeurs Elinor (la raison) et Marianne (La passion). Mais le réalisme et le bon sens, précise Cecil, s’accompagnent d’un certain pessimisme. On doit rester à sa place et se contenter de ce que l’on a, la vie ne satisfait pas les passions et ne fait pas de miracles. C’est ce qu’apprend Marianne qui, après avoir failli mourir par amour, épouse un homme honorable qu’elle aime « raisonnablement »! Seule Elizabeth de Orgueil et préjugés échappe à la règle et monte dans l’échelle sociale en épousant Darcy mais c’est parce qu’elle a su faire preuve de mesure et de sagesse et a su maîtriser son orgueil et combattre ses préjugés.
Car la seconde règle du XVIII siècle est la morale : bienveillance, prudence, honnêteté, respect de la famille, obéissance à ses parents, esprit civique et amour de Dieu. Là encore un foi solide et contenue aux antipodes des tourments du doute ou du mysticisme exalté.
Jane Austen est très croyante mais sans pudibonderie contrairement à ce qui se passera après dans l’Angleterre victorienne. Son oeuvre est morale mais elle donne rarement des « leçons » de morale. C’est surtout sa philosophie de la vie qu’elle exprime dans ses récits sauf une exception : Mansfield Park.
C’est d’ailleurs le roman que j’aime le moins de Jane Austen dans lequel son héroïne Fanny Price est une bigote pudibonde qui fait la paire avec son pasteur Edmond (qu’elle va épouser). Elle réprouve les activités théâtrales de ses cousins, refusant d’y participer et critiquant le manquement à la bienséance et aux bonnes moeurs. Qu’arrive-t-il à Jane Austen dans ce livre ? Si ce n’est pas une leçon de morale, cela? Sa Fanny Price ne manquerait-elle pas de fantaisie ? Quelle rigidité ! Mais il faut dire que le personnage de Fanny Price est plus complexe que l’on veut bien le penser. D’une part, elle paraît soumise, bégueule, moralisatrice et sans grande personnalité, d’autre part elle résiste à son oncle qui veut la marier à Henry Crawford qu’elle n’aime pas et nul ne pourra fléchir sa volonté ! Il faudrait donc approfondir le personnage mais, à priori, je n’aime pas ce côté moralisateur.
Lire cette biographie m’a redonné envie de relire Persuasion que, contrairement aux autres romans, je n’ai pas lu plusieurs fois. David Cecil explique que le ton est plus grave et que l’on sent la maturité de Jane par rapport à ses oeuvres de jeunesse. Elle avait quarante ans quand elle l'écrivait, était malade et elle allait bientôt mourir. Je vous parlerai donc bientôt de Persuasion.