Stefan Zweig considérait que la biographie qu’il avait entreprise de Balzac serait son oeuvre capitale. Il y travailla pendant dix ans accumulant les documents, reprenant inlassablement - comme le faisait Balzac lui-même- les textes qu’il avait rédigés, découvrant sans cesse d’autres nouveaux aspects du sujet. En 1933, face à la montée du nazisme, il s’enfuit à Londres, puis au Brésil, laissant tout derrière lui, y compris ce manuscrit inachevé. Quand il se suicide en 1942, son éditeur et ami, Richard Friedenthal, reprend les documents éparpillés en divers lieux, les rassemble et accomplit un long travail de révision dès 1943, au milieu des bombes.
La comédie humaine
Et c’est vraiment une somme que cette biographie de Balzac ! Stefan Zweig nous amène dans ce livre énorme à la découverte de l’homme physique avec ses faiblesses, ses vanités, ses outrances, et de l’écrivain soulignant sa force de travail et sa puissance visionnaire. C’est ainsi qu’il a pu créer en un temps record, en vingt ans, et au prix d’un travail de Titan, un univers reproduisant la société de son temps, avec la représentation, du haut en bas de l’échelle, de toutes les classes sociales, de tous les métiers et la peinture de la nature humaine dans tous ses aspects psychologiques, dans toute son infinie variété. Un Démiurge ! Balzac est conscient du caractère unique de son oeuvre et de son immensité. C’est ainsi qu’il écrit, avec lucidité, dans la préface réunissant ses romans :
L’immensité d’un plan qui embrasse à la fois l’histoire et la critique de la société, l’analyse de ses maux et la discussion de ses principes, m’autorise, je crois, à donner à mon ouvrage le titre sous lequel il paraît aujourd’hui : La Comédie humaine. Est-ce ambitieux ? N’est-ce que juste ? C’est ce que l’ouvrage terminé, le public décidera.
C’est Dante et sa Divine Comédie qui a inspiré à Balzac le titre de la sienne. La comédie humaine n’a pas pu être achevée. La mort interrompt son oeuvre prématurément. Balzac est victime de son incroyable mode de vie ! Il s’éteint à l’âge de 51 ans, épuisé, usé par sa démesure, par le travail incessant, par les nuits sans sommeil à son bureau, la consommation abusive de café, son poids excessif, et ses tourments. Il ne devait pas être de tout repos, en effet, d’être si endetté qu’il lui fallait vivre caché, fuir d’un logement à l’autre pour échapper aux créanciers ou se réfugier en catimini chez des amis ! Mais l’homme a un optimisme et une joie de vivre qui lui permettent de rebondir chaque fois.
L’homme et l’écrivain
Honoré de Balzac dans sa robe de chambre de travail |
Ce que j’ai apprécié dans cette biographie, c’est que Stefan Zweig, malgré son admiration fervente pour Balzac qu’il considère comme le plus grand écrivain de son époque ( et non Victor Hugo ? Cela se discute ! ) n’occulte ni les faiblesses de l’homme qui se répercutent sur l’oeuvre, ni celles de l’écrivain. Il me permet de mieux comprendre pourquoi j’ai parfois des réserves quand je lis certains des romans de Balzac.
Pour des raison financières et pour se rendre indépendant de ses parents Balzac écrit, dans sa jeunesse, des romans feuilletons médiocres dans un style relâché et sentimentaliste qui se ressent dans nombre de ses romans postérieurs. Zweig, dans son culte pour l’écrivain, parle même de prostitution à propos de ces textes ! Balzac en était conscient puisqu’il n’a jamais signé cette sous-littérature que par des noms d’emprunt. Le style de Balzac explique Zweig a longtemps porté les marques de ce relâchement quand il a enfin écrit sous son nom et est devenu un écrivain célèbre. Il ne se défait de ces défauts que dans les grands romans de la fin dans les années de 1841 à 1843 : La Rabouilleuse, une Ténébreuse affaire, Les illusions perdues, Splendeurs et misères des courtisanes, et surtout ces deux titres : la Cousine Bette, le cousin Pons… Le biographe analyse les plus grands romans de l’écrivain et nous révèle ainsi ses réussites et son talent.
Car ces deux romans Le cousin Pons et la Cousine Bette, sortis du plan primitif des Parents pauvres, sont ce qu’il a produit de plus grand. Ici, au sommet de sa vie, Balzac atteint le plus haut sommet de son art, jamais son regard ne fut plus clair, sa main d’artiste plus sûre, plus impitoyable. (…) En eux plus de faux idéalisme, plus de ce romantisme doucereux qui rend pour nous irréelles et par suite sans action plus d’une de ses oeuvres antérieures.
Balzac, à la suite d’affaires catastrophiques sera toute sa vie endetté! Sa fuite en avant, son style de vie dispendieux, sont responsables du fait que ses dettes non seulement s’accumulent mais se démultiplient si bien qu’il n’a pour solution que d’écrire toujours plus de livres pour gagner toujours plus d’argent sans jamais parvenir à assainir ses finances. On ne peut pas
écrire autant, pressé par la manque d'argent, et n'écrire que des chefs
d'oeuvre aussi tous les romans de Balzac ne sont pas au même niveau !
De plus, Zweig souligne le snobisme de l’écrivain à propos de la noblesse. Il est le Stefan Bern de son époque mais avec le génie en plus ! Petit-fils de paysans, il ajoute une particule à son nom, se réclamant indûment des Balzac d’Entraygues, orne son carrosse d’un blason auquel il n’a aucun droit et devient la risée du Tout-Paris. Légitimiste, il est le larbin de tout ce qu’il y a de plus réactionnaire dans Paris. Son admiration des grandes dames le rend servile et n’est égal qu’au mépris qu’il éprouve pour les femmes du peuple ou les bourgeoises. Zweig parle à son propos d’une vanité puérile et ridicule. Son arrivisme s’accompagne d’un manque de goût évident, d’un luxe ostentatoire. Evidemment, tout ceci marque son oeuvre.
Mais il rattrape tout cela par la force de sa volonté qui le maintient à son bureau : Balzac, alors qu’il est maladroit en société, a une intelligence supérieure pour l'analyser et en révéler les dessous. Il comprend tout de l’âme humaine et possède une vision lucide de tous les rouages de la société. C’est un géant de la littérature !
Dans ces romans de la période de maturité, les manies mondaines et aristocratiques qui rendent si pénibles les oeuvres de la précédente période, disparaissent progressivement; Son regard a peu à peu appris à pénétrer la prétendue haute société qu’il adorait avec le respect involontaire du plébéien. Les salons du Faubourg Saint Germain ont perdu de leur magie.
Un hommage à Stendhal
Ce qui m’a réconcilié avec Balzac, aussi, c’est qu’il reconnaît le génie de Stendhal, qui était tout à fait méconnu dans les années 1825 -1840. Et là, quand il s’agit de littérature, il cesse d’être mesquin ! Il lui rend un vibrant hommage. Avec Hugo et dans un style complètement opposé, Stendhal est mon écrivain préféré de l'époque de Balzac.
Balzac écrit : " J’ai déjà lu, dans Le Constitutionnel, un article tiré de la Chartreuse qui m’a fait commettre le péché d’envie. Oui, j’ai été saisi d’un accès de jalousie à cette superbe et vraie description de la bataille que je rêvais pour Les scènes de la vie militaire, la plus difficile portion de mon oeuvre; et ce morceau m’a ravi, chagriné, enchanté, désespéré. "
Et Zweig commente : "Rarement le regard magique de Balzac s’est manifesté plus splendide qu’ici, où parmi les milliers et les milliers de livres de son temps, c’est justement celui-là, le plus ignoré, qu’il vante. Il célèbre comme un chef d’oeuvre, comme le plus grand chef d’oeuvre de son époque, La Chartreuse de Parme... qu’il appelle " le chef d’oeuvre de la littérature des idées".
L’entourage de Balzac
Laure de Berny, la Dilecta |
Stefan Zweig peint aussi des portraits passionnants des femmes et des amis qui ont joué un rôle dans la vie de Balzac : sa mère qui ne l’a jamais aimé. Zweig la peint sans complaisance comme une petite bourgeoise méchante, dépourvu d’instinct maternel, proche de ses sous, à l’esprit étriqué et conventionnel. Dans une autre biographie de Balzac écrite par Titiou Lecoq ICI, celle-ci prend la défense de Madame Balzac. Ce ne devait pas être de tout repos d’être la mère de cet énergumène et celui-ci a toujours fait appel à elle quand il avait besoin de ses services pour mieux la critiquer après.
Stefan Zweig brosse aussi un beau portrait de madame de Berny, le premier amour de Balzac, la Dilecta ! Et un autre, sévère, de Madame de Hanska, la grande dame russo-polonaise, vaniteuse, égoïste et superficielle.
Cette biographie nous apprend beaucoup sur Balzac et son oeuvre et elle est aussi très agréable à lire. En fait, elle se lit comme un roman et c’est bien de cela qu’il s’agit, le roman d’une vie, et ce personnage hors du commun nous réserve bien des surprises. D’autre part, découvrir ou redécouvrir la genèse de chaque livre est passionnant. Un livre à lire !
Oeuvres de Balzac dans ce blog ICI
Le Balzac de Stefan Zweig est ma participation à la Quinzaine de Balzac chez Patrice et Eva; et la Barmaid des lettres du 15 juin au 30 Juin
Ceci est le premier livre lu pour le challenge Les épais de l'été initié par Taloiduciné chez Dasola. Il remplace le challenge de Brize que celle-ci a souhaité arrêter après 11 années. Du 21 Juin au 29 Septembre.
Balzac de Stefan Zweig : 664 pages
POUR LES EPAIS DE L'ETE QUI VEUT FAIRE UNE LC AVEC MOI A RENDRE LE 25 SEPTEMBRE : LA CHARTREUSE DE PARME de STENDHAL.
Je ne l'ai pas lu depuis très longtemps et une relecture ne me déplairait pas !
Si vous voulez me rejoindre inscrivez-vous dans les commentaires.
Oui, un livre à lire ! Je partage complétement ton avis sur ce livre qui est passionnant et qui donne vraiment envie de relire Balzac. Comme tu le dis, Zweig est un grand admirateur de Balzac, mais il n'en garde pas moins une vision critique sur certains aspects de sa vie, ce qui fait ressortir encore plus son génie.
RépondreSupprimerIl est vraiment à sa place sur ton blog, toi qui consacres une large part à Balzac :-)
Je lis Balzac avec maggie qui est l'initiatrice de nos LC. Le prochain livre et La ténébreuse affaire pour le 31 Juillet
SupprimerBien sûr que j'ai lu cette biographie, Zweig plus Balzac, on ne rate pas ça! ^_^ Je note les 'romans incontournables' et réussis, à part le cousin Pons, je les ai lus...
RépondreSupprimerMmh oui je relirais bien cette chartreuse mais... mon exemplaire a moins de 400 pages!
Avant de publier, je regarde, oui, je commente sous mon compte google, et ça le signe. Peut être de là vient ton problème d'anonymat?
Je suppose que je commente avec Google mais même dans mon propre blog je suis anonyme ! je dois aller mettre mon nom et mon url ?J e n'y comprends rien !
SupprimerPour La Chartreuse l'édition de poche donne plus de 700 pages ! Du coup j'ai regardé une autre édition qui est à moins de 400 pages ? Bizarre !
Donc tu es d'accord pour relire la Chartreuse ? On convient d'une LC pour le 25 septembre ?
comme je te rejoins dans ce billet
RépondreSupprimerj'ai lu la biographie de Balzac de Zweig et après en avoir lu plusieurs autres je considère que c'est la meilleurs surtout sur l'analyse de l'écriture, des romans
son seul défaut c'est l'extrême sévérité sur la mère de Balzac, son attitude revue aujourd'hui à l'aune d'un féminisme absent à l'époque est beaucoup moins sévère ce qui ne l'absout pas de tout bien évidement
j'aime ton billet, je crois que j'en ferai un dans les mois à venir car en ce moment je suis plus relecture que lecture
Oui, il faut reconnaître que Balzac lui-même a bien contribué au jugement que l'on peut porter sur sa mère ! Et effectivement, son premier âge en nourrice puis ses longues années en internat en ont fait un enfant malheureux et qui s'est senti peu aimé. Mais il semble que la plupart des enfants de ce milieu bourgeois aisé a eu la même expérience.
SupprimerSigné claudialucia / Même dans mon propre blog, je suis anonyme et je suis obligée de "m'approuver" moi-même ! Et parfois cela ne marche pas du tout, je ne peux pas commenter !
SupprimerEn général, j'aime assez ses biographies, celle ci a l'air passionnante!
RépondreSupprimerC'est le roman d'une vie (le sous-titre) et cela se lit ainsi !
SupprimerJ'ai lu ce "Balzac" de Zweig dans une édition numérique qui a drôlement raccourci l'ouvrage. Pas du tout un pavé. Etrange! Mais malgré les coupures je souscris à tout ce que tu as écrit. Pour la lecture commune de la Chartreuse de Parme, cela fait un moment que je l'ai lu. Peut être le temps d'une relecture. Pour l'instant je n'ai pas de plan bien défini.
RépondreSupprimerJ'ai relu La Chartreuse il y a peu. Mais je vais relire la biographie de Balzac par Zweig.
RépondreSupprimerBonne journée.
Très intéressante; Vous verrez !
SupprimerJ'ai relu déjà la courte biographie que Zweig a consacrée à Balzac dans son livre, "Trois maîtres". Je vais lire celle-ci maintenant. Je ne la retrouve plus dans ma bibliothèque alors je l'ai réservée à la médiathèque.
SupprimerBon week end.
Quel merveilleux billet ! En le lisant, on n’a plus qu’une envie : relire Balzac et pourquoi pas que sa biographie par Stefan Zweig. Bravo.
RépondreSupprimerMerci ! Une biographie qui offre tant d'aspects intéressants ! !
SupprimerQuel bel article, bravo ! C'est si complet qu'on se demande s'il faut lire le livre maintenant hihi ! C'est vrai que la vie mouvementée de Balzac est passionnante ! Le personnage tout autant, et j'aime justement son oeuvre incisive, tableau de la société (qui pour moi en fait un plus grand auteur qu'Hugo ahah ! Mais ça se discute !)
RépondreSupprimerJe suis tout à fait d'accord avec cette affirmation (Les parents pauvres sont mon choix pour la quinzaine balzacienne) :
"Car ces deux romans Le cousin Pons et la Cousine Bette, sortis du plan primitif des Parents pauvres, sont ce qu’il a produit de plus grand. Ici, au sommet de sa vie, Balzac atteint le plus haut sommet de son art, jamais son regard ne fut plus clair, sa main d’artiste plus sûre, plus impitoyable. (…) En eux plus de faux idéalisme, plus de ce romantisme doucereux qui rend pour nous irréelles et par suite sans action plus d’une de ses oeuvres antérieures."
Ce sera sans moi pour la Chatreuse de Parme malheureusement, autant je voue un culte au Rouge et le Noir, autant je n'ai jamais pu arrivé au bout de la Chartreuse !
Anonyme qui es-tu ?
SupprimerC'est vrai que la Chartreuse a été pour moi aussi plus difficile à lire que Le rouge et le noir; ce dernier a été pendant de nombreuses années mon roman préféré et je l'aime toujours autant. C'est pourquoi je souhaite relire la Charteuse. Je ne sais pas, peut-être étais-je encore trop jeune pour l'apprécier pleinement ? Stendhal a été aussi longtemps mon romancier préféré de cette première partie du XIX siècle mais depuis j'ai lu et/ou relu les romans de Hugo et quelle classe ! Quelle grandeur ! Lui aussi a de la démesure mais avec quel panache ! Et quand il prend partie pour les Humbles, quand il s'attaque à l'aristocratie, à la monarchie, quand il lutte pour la liberté, l'égalité, contre la peine de mort, contre l'église et le clergé, il est généreux, fougueux aussi ! Je ne saurais choisir entre Stendhal et Hugo mais ils passent tous les deux avant Balzac. Je supporte mal les idées politiques de Balzac et parfois son style même si je reconnais la valeur de l'écrivain ! C'est pourquoi je le lis !
Bonjour ClaudiaLucia
RépondreSupprimerOh mais je n'étais pas au courant de la parution de ce billet sur un "épais" volume, moi! Je passais juste voir s'il y avait des nouvelles d'Olympio... Faut me prévenir, de la parution de vos billets pour le "challenge" ;-) [et vous pouvez aussi vous/les inscrire chez le challenge "parallèle" de Sibylline (blog La petite liste), qui a mis la barre à "seulement" 550 pages, comme Brize les deux dernières années qu'elle a organisées)].
Balzac, je l'ai beaucoup lu il y a une quarantaine d'années... puisque mes parents payaient un par mois, en échange du fait que je descende les poubelles tous les soirs! (oui, comment on peut se construire sa culture générale perso quand on est post-ado chez ses parents...). Je savais aussi que Zweig s'était suicidé, mais je ne l'ai guère lu, et jamais encore cette biographie... Je note, merci (et je prends en compte en date du 21/06).
(s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola
J'avais oublié de te prévenir ! je ferai mieux la prochaine fois ! Il faut dire que j'ai eu une hésitation car Miriam m'a dit que le roman ne comptait pas 600 pages mais moi c'est un livre avec deux annexes sur l'auteur et de l'éditeur.
RépondreSupprimerAs-tu lu, dans un tout autre style j'imagine, la bio de Titou Lecoq? Je l'ai trouvée excellente. Mais je pense que celle de Zweig apporte, en plus, tout le côté littéraire. Je me la note.
RépondreSupprimerJ'ai oublié de m'identifier dans mon commentaire... donc: la bio de T. Lecoq était vraiment réjouissante à lire, elle doit bien compléter celle de Zweig
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