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mercredi 10 septembre 2025

Martine Carteron : Les autodafeurs


 

En arrivant en Lozère où je passe mes vacances d’été, je trouve sur ma table de chevet un livre  intitulé Les Autodafeurs de Martine Carteron. Comment est-il arrivé là ? C’est ce que je ne sais pas. Aucune de mes filles ni aucun de mes petits-enfants ne le reconnaît pour sien. Ce qui est sûr, c’est qu’un livre ne se carapate pas tout seul jusque dans ma chambre ! Les araignées, oui ( horreur !) mais les livres non ! Mais  il y a tant de copains invités que… un oubli est vite arrivé. En attendant de retrouver son propriétaire, ce sera le livre parfait pour le pavé de l’été. Trois tomes en un seul volume, 1050 pages.

Pour une fois j’aime le résumé de la quatrième de couverture, alors je le partage avec vous.
«Je m’appelle Auguste Mars, j’ai 14 ans et je suis un dangereux délinquant. Enfin, ça, c’est ce qu’ont l’air de penser la police, le juge pour mineur et la quasi-totalité des habitants de la ville. Évidemment, je suis totalement innocent des charges de «violences aggravées, vol, effraction et incendie criminel» qui pèsent contre moi mais pour le prouver, il faudrait que je révèle au monde l’existence de la Confrérie et du complot mené par les Autodafeurs et j’ai juré sur ma vie de garder le secret. Du coup, soit je trahis ma parole et je dévoile un secret vieux de vingt-cinq siècles (pas cool), soit je me tais et je passe pour un dangereux délinquant (pas cool non plus). Mais bon, pour que vous compreniez mieux comment j’en suis arrivé là, il faut que je reprenne depuis le début, c’est-à-dire, là où tout a commencé.» 


PS: Ce que mon frère a oublié de vous dire c’est qu’il n’en serait jamais arrivé là s’il m’avait écoutée; donc, en plus d’être un gardien, c’est aussi un idiot. "Césarine Mars

Il s’agit d’un livre pour la jeunesse à partir de 12 ans, paru en 2014, que l’auteure a écrit pour son fils et qui a obtenu le prix Les Mordus du Polar 2015.
Tome 1 : Mon frère est un gardien
Tome 2 : Ma soeur est une artiste de guerre
Tome 3 : Nous sommes tous des propagateurs.

Polar ? Je ne sais pas ? Mais pourquoi pas ? Pour moi il s’agit plutôt d’un livre d’aventures, d'Histoire, de science-fiction, que vont vivre Auguste Mars (14 ans), un garçon versé en arts martiaux (il en aura besoin!),  superficiel, accro à la mode, un peu snob,  (il va lui falloir mûrir !) et sa petite soeur Césarine, (7 ans) autiste, un génie qui éprouve quelques difficultés à comprendre la métaphore et les sentiments et qui prend tout au pied de la lettre, ce qui crée des situation pleines d’humour. Voilà pour les deux personnages principaux. 

Autour d’eux gravitent le père qui fait une apparition rapide puisqu’il est tué dès le premier chapitre dans un accident de la route criminel. On apprend qu’il compte sur ses enfants pour protéger le Livre. La mère, professeur d’histoire-géo, férue d’histoire romaine d’où les prénoms de ses enfants ! Elle se révèlera beaucoup moins sans défense que prévu. Et de même les grands-parents. C’est chez eux, en province, que les enfants et la mère vont se réfugier après la mort de leur père, dans une ancienne Commanderie qui est dans la famille depuis des siècles. Ajoutons- y, Marc, le prof de français « le plus cool de la terre », qui plait beaucoup à Auguste dans son nouveau collège, et qui se révèle être, à sa grande surprise, son parrain. Et puis un copain, Néné, un peu marginal, le seul avec qui il parvient à nouer des relations amicales. Enfin Bart, qui s’oppose à ses grosses brutes de frère et à son père, membres actifs des autodafeurs, et qui rejoint  la Confrérie.

La Confrérie lutte depuis des millénaires contre les autodafeurs, ennemis de la culture, destructeurs de livres. Ils ont bien compris que pour prendre le pouvoir et soumettre le peuple à la dictature, c’est au savoir et donc aux livres qu’il faut s’attaquer. C’est un combat toujours renouvelé que mènent tous les gouvernements autocrates, et si les livres, de nos jours, ne sont plus brûlés sur les places dans des autodafés publics, ils peuvent être détruits avec des moyens modernes encore plus performants. Le roman fait allusion, bien sûr, à Fahrenheit 451 de Ray Bradbury.


Un livre pour la jeunesse qui montre l’importance des livres, voilà qui ne pouvait que me plaire !
Pourtant, j’ai trouvé que c’était parfois très violent. On y risque sa vie et on y meurt pour de bon et pas seulement les « méchants » ! Les « gentils » aussi peuvent devenir violents car la guerre n’est jamais positive et corrompt tous ceux qui y participent. Marc y perd son innocence et son âme d’enfant. Mais l’imagination de l’auteur est sans limite, les aventures se succèdent et entraînent loin dans le temps, avec des retours dans le passé et dans l’espace quand les membres de la Confrérie seront obligés de se cacher et de se réfugier dans les sous-sols d’une île. Bref ! La lecture est addictive et on lit le livre en un temps record, sans pouvoir s’arrêter !



 

Ta loi du ciné chez Dasola


Chez Sybilline La petite liste

Chez Moka


lundi 8 septembre 2025

Stephen Greenblatt : Will le Magnifique

 

Will  le magnifique de Stephen Greenblatt est un livre à ne pas manquer pour tous les amoureux de Shakespeare mais  pour les autres aussi car le livre est un puits de science à la fois sur la vie et l’oeuvre du dramaturge mais aussi sur l’histoire anglaise du XVI siècle, sous le règne d’Elizabeth 1er et de Jacques 1er.

Stephen Greenblatt part du constat que l’on connaît peu la vie du personnage ( pas de lettres alors qu’il était séparé de sa famille restée à Stratford quand il vivait à Londres, pas de journal intime, pas de mémoires écrits par ses contemporains ) mais d’abondants documents rendant compte de sa vie officielle, acquisitions de propriétés, recettes des théâtres, certificats de mariage, de baptême, procès, testament et puis… bien sûr, il y a ces œuvres !  Et  si justement celles-ci rendaient compte de sa vie, révélaient ses pensées secrètes, ses sentiments, ses idées, bref ! Et si la biographie du grand dramaturge pouvait se lire à travers et par ses écrits ? C’est ce que va étudier Greenblatt et c’est ce qui rend cette étude si passionnante.

Enfin et pour une fois un biographe, Stephen Greenblatt, qui ne remet pas en cause la paternité des œuvres de Shakespeare mais qui, au contraire, met en lumière pourquoi elle est incontestable. Non qu’il veuille aborder cette question d’ailleurs. Son intérêt est ailleurs. Il part de ce postulat :

 « L’une des caractéristiques fondamentales de l’art de Shakespeare est de ne jamais se couper du réel. Shakespeare est un poète qui remarque que le lièvre traqué est « tout trempé de sueur » ou que l’acteur victime d’opprobre peut se comparer à la main indélébilement tachée du teinturier. »

William Shakespeare est né en 1564 et est mort en 1616. Il est l’aîné des enfants de John Shakespeare et de Mary Arden et a certainement fait ses études de l’âge de sept ans à 13 ans à la Grammar school de sa ville natale Stratford-upon-Avon. Des études entièrement dispensées en latin et consacrées à l’étude de textes religieux mais aussi d’auteurs latins, comme Plaute ou Terence. Les troupes itinérantes qui s’arrêtaient à Stratford ont pu aussi lui donner le goût du théâtre. Mais il n’a pu aller à l’université car son père - qui était gantier et bailli de la ville - ruiné, n’avait plus la fortune nécessaire pour l’y envoyer. Quand il arrive à Londres pour y exercer le métier d’acteur et se mettre à écrire Shakespeare doit se faire un nom. Il fréquente alors le cercle des écrivains et dramaturges, souvent de mauvais garçons, buveurs, ripailleurs, mais aussi espions, voleurs, qui tournent autour du théâtre dont Marlowe, son plus grand rival avant sa mort violente dans une rixe. Le théâtre a cette époque est plus que jamais un commerce et la concurrence y est rude, il faut gagner la protection d’un haut personnage pour survivre et les épidémies de peste qui ferment tous les lieux de loisir plongent souvent la plupart des troupes dans la misère. Ces  poètes sont tous diplômés d’Oxford et de Cambridge forment une caste qui ne doit rien à la fortune ou à la noblesse mais bien au prestige de leurs études. Ils regardent de haut tous ceux qui ne sortent pas de l’université. Ils forment un cercle fermé et snob et sont rapidement jaloux des succès de Will. L’un d’eux, vraisemblablement Robert Greene, traite Shakespeare ainsi :

 « Oui, méfier-vous d’eux : Car il en est un parmi eux, un Corbeau parvenu qui s’embellit de nos plumes, et qui, dissimulant son coeur de tigre sous la peau d’un comédien, s’imagine qu’il est tout aussi capable que le meilleur d’entre vous de grandiloquer des vers blancs et en véritable Johannes-à- tout- faire, il se considère vaniteusement comme l’unique Shakescene (ébranleur de scène) du royaume. »

Et  c’est le même  snobisme qui, de nos jours, refuse  de reconnaître  Shakespeare comme l’auteur de ses œuvres, et pour les mêmes raisons !  Sous prétexte qu’il n’est pas sorti de l’université, qu’il est issu du peuple,  ses détracteurs attribuent ses textes à un aristocrate, un universitaire, comme si un autodidacte  doté d’une mémoire excellente, d’un don aiguisé de l’observation et d’une  grande imagination ne pouvait être capable de faire oeuvre de génie, comme si un acteur qui doit incarner toutes les classes sociales, ne pouvait pas s’identifier à un aristocrate.

« Il convient d’invoquer le pouvoir d’une imagination incomparablement  puissante, un don qui ne dépend pas du fait qu’on a, ou non, mené une vie prétenduement intéressante. De longues et fructueuses études ont démontré comment l’imagination de Shakespeare métamorphose ses sources, car dans la majorité de ses œuvres, il emprunte de matériaux qui circulent déjà et les transforme par la puissance de son énergie créatrice. »

L’érudition, certes Shakespeare peut l’acquérir par ses lectures ( j’ai noté qu’il lisait Montaigne, entre autres !). Mais pour le reste il puise dans le réel, dans ce qu’il a pu observer, dans les  traditions populaires, les coutumes solidement ancrées dans la vie campagnarde. Celle-ci est peinte dans son oeuvre, non comme une pastorale destinée à plaire à la haute société, mais avec des détails vrais. Shakespeare connaît parfaitement les travaux des champs. Son père était fils de métayer et achetait de la laine directement au producteur pour la traiter. Il décrit les conditions de vie du berger, le cycle de saisons, la vie des animaux, les noms des herbes et des fleurs.. La nature est souvent présente dans ses pièces et donne lieu à de très beaux passages lyriques tout en témoignant d’une connaissance intime du monde rural. 

« Le théâtre doit participer à la fois de cette envolée visionnaire de l’imagination et d’un enracinement dans le quotidien, ce quotidien qui constitue une partie intégrante de son imagination créatrice. Shakespeare ne devait jamais oublier le monde quotidien et provincial dont il était issu …. »

On sait peu de choses des années  qui ont précédé l’arrivée de Shakespeare à Londres. On pense qu’il a peut-être travaillé comme gantier avec son père et le biographe note l’abondance des  références relatives à ce métier du cuir dans  ses pièces.
 

« Romeo aimerait être le gant qui recouvre la main de Juliette, afin de pouvoir lui effleurer la joue. Dans Le Conte d’Hiver le colporteur transporte dans sa musette « des gants comme roses parfumées » ? Le parchemin n’est-il pas en peau de mouton  ? se demande Hamlet. « si Monseigneur et aussi de veau. » lui répond son ami Horatio.. Dans La comédie des erreurs, quant à l’officier, engoncé dans son uniforme du cuir, Shakespeare le compare à « une basse de viole dans un étui de cuir ». ( etc…) En créant le monde enchanté du Songe d’une nuit d’été, Shakespeare s’amuse même à miniaturiser l’art du cuir : la « chatoyante » peau abandonnée par le serpent qui mue est assez large pour un manteau de fée et « l’aile de cuir » des chauves-souris pour celui des elfes.

 Peut-être a-t-il aussi travaillé dans une étude d’un notaire car il il a le vocabulaire  d’un juriste et plus tard il se révélera très compétent pour gérer ses biens, acquérir des propriétés et se doter d’une solide fortune. Il a certainement commencé sa carrière théâtrale comme acteur avant de se rendre à Londres.

Tout en éclairant la vie de Shakespeare par son oeuvre, Greenblatt  brosse un tableau de  la Renaissance anglaise, ce XVI Siècle dominé par la royale figure d’Elizabeth puis Jacques 1er, un siècle tourmenté, où règne la discorde entre catholiques et anglicans et dans lequel l’héritage religieux de Henri VIII a fait de la reine le chef de l’église anglicane. Les grandes familles catholiques complotent dans l’ombre et lorsque le pape s’en mêle et excommunie la souveraine, la peur du complot, la suspicion, les rumeurs d’assassinat, font peser une chape de plomb sur la société. Beaucoup de nobles perdent la vie, leur tête exposée sur une pique à l’entrée du pont de Londres. Les puritains qui vont encore plus loin dans la répression que la reine, attaquent le théâtre qu’ils accusent de tous les vices, et sont aussi une force délétère qui ajoute encore à ce climat de peur et de tension.
 Entre une mère catholique et un père qui de par ses fonctions publiques affiche son adhésion à l'église anglicane mais est peut-être resté secrètement catholique, on comprend que William Shakespeare se soit montré discret sur sa vie privée. De même qu’il devait se montrer habile dans ses pièces pour ne pas heurter l’orgueil des nobles et des souverains surtout quand il peignait leur règne et leurs moeurs.  Et ce d’autant plus qu’il vit dans un société hiérarchisée à outrance, les hommes dominent les  femmes, les personnages  âgées les plus jeunes, les classes sociales sont extrêmement marquées et la naissance dans l’une d’elles crée un déterminisme dont il est malaisé de s’échapper. Les supérieurs attendent respect et exigent de recevoir des marques de déférence dues à leur rang, l’acteur et le dramaturge n’étant pas beaucoup plus qu’un serviteur chargé de les divertir et  ne bénéficiant pas même de l’impunité du Fou du roi. Un siècle inquiétant et pourtant riche au niveau culturel où le théâtre acquiert peu à peu et parfois difficilement ses lettres de noblesse. Un grand plaisir de lecture ! 


samedi 6 septembre 2025

Jules Verne : Le rayon vert

 

  

Dans son roman Le rayon vert Jules Verne imagine que son héroïne, la charmante écossaise Helena Campbell - orpheline élevée par ses deux oncles qui veulent la marier-  leur répond qu’elle ne se mariera que lorsqu’elle aura pu observer le rayon vert. Celui-ci est le dernier rayon que le soleil lance avant de se coucher sur la mer et de disparaître à l’horizon, dans un  ciel  pur, débarrassé de toutes particules et  nuages…
 Cette Écossaise, dont la « fibre patriotique vibrait comme la corde d’une harpe », est dotée d’un tempérament poétique et rêveur à l’extrême. Son caractère présente une dualité marquée : elle peut se montrer tantôt sérieuse et réfléchie, tantôt superstitieuse et fantasque. Bonne et charitable « elle s’appliquait à justifier le vieux proverbe gaélique : “Puisse la main qui s’ouvre être toujours pleine !” »

 

Le rayon vert du film de Rohmer

Pour moi Le rayon vert a une résonance particulière. Je me souviens d’avoir essayé, en vain, de l’observer en Lozère avec mes amis cinéphiles, tous amoureux d’Eric Rohmer dont nous aimions le film éponyme qui venait de sortir. Nous avions peu de chance de l’apercevoir en montagne, il faut bien le dire, mais cela avait peu d’importance puisque j’ai toujours cru que le rayon vert n’existait pas. Or, récemment, en cherchant des images du film sur le net,  je me suis aperçue que non seulement Rohmer ( ou plutôt son équipe) l’avait filmé ( au ralenti) et que ce n’était pas un trucage comme je l’avais cru jadis mais une réalité.  

Ainsi le « mythique »  rayon vert, qui donne un pouvoir exceptionnel de lucidité sur soi-même et sur les autres, celui qui permet d’y voir plus clair dans ses sentiments, est tout simplement un phénomène physique rare qui ne dure qu’une seconde ou deux d'où la difficulté de le saisir et encore plus de le filmer !
« Le rayon vert est  la combinaison de deux phénomènes différents, la dispersion et la diffusion de la lumière par l’atmosphère  terrestre (beaucoup plus épaisse à l’horizon) qui joue le rôle d’un prisme. »


 

Le rayon vert

Mais revenons à nos moutons ou plutôt au roman de Jules Verne qui a d’ailleurs inspiré Eric Rohmer !

Il faut bien l’avouer Sam et Sib Melvill adorent leur nièce et sont toujours prêts à faire ses quatre volontés, mais ils ne sont pas très au fait des sentiments féminins quand ils cherchent à la marier avec le savant (et prétentieux), insipide, pour ne pas dire définitivement rasoir, Aristobulus Ursiclos. Déjà avec un nom pareil, le lecteur le moins fûté comprend que le jeune homme est in-mariable. 

Si bien que nous nous lançons avec Helena et ses oncles à la recherche du rayon vert qui décidera de son mariage. Au cours de cette quête qui se passe en Ecosse nous sommes rejoints par le jeune et courageux Olivier Sinclair, dernier « rejeton d’une honorable famille d’Edimbourg », qui s’est illustré devant la jeune fille par un héroïque sauvetage en mer dans le gouffre de Corryvrekan.

 « Le gouffre de Corryvrekan, justement redouté dans ces parages, est cité comme l’un des plus curieux endroits de l’archipel des Hébrides. Peut-être pourrait-on le comparer au raz de Sein, formé par le rétrécissement de la mer entre la chaussée de ce nom et la baie des Trépassés, sur la côte de Bretagne, et au raz Blanchart, à travers lequel se déversent les eaux de la Manche, entre Aurigny et la terre de Cherbourg. La légende affirme qu’il doit son nom à un prince scandinave, dont le navire y périt dans les temps celtiques. En réalité, c’est un passage dangereux, où bien des bâtiments ont été entraînés à leur perte, et qui, pour la mauvaise réputation de ses courants, peut le disputer au sinistre Maelström des côtes de Norvège. »
 

Pas besoin du rayon vert pour savoir ce qui va arriver !

« Peintre distingué, qui aurait pu vendre ses œuvres à haut prix s'il l'eût voulu, poète à ses heures — et qui ne le serait à un âge où toute l'existence vous sourit ? —, cœur chaud, nature artiste, il était pour plaire et plaisait sans pose ni fatuité. (…) »

D’habitude, c’est le savant qui, dans Jules Verne, a le beau rôle. Ce n’est pas le cas ici ! Aristobulus va se rendre de plus en plus insupportable car le roman ne manque pas d’humour et chaque fois que les jeunes gens vont enfin pouvoir admirer le rayon vert, que toutes les conditions sont réunies, qui surgit entre eux et l’horizon ? Devinez ? Même le lecteur a envie que le fâcheux jeune homme reste définitivement suspendu à la souche qui l’arrête quand il tombe de la falaise et d’où Olivier, charitable, le décroche ! Qui plus est, l’explication qu’il donne du rayon vert est fausse… mais on ne le savait pas à l’époque ! Pardonnons-lui !

Le roman est aussi un prétexte à une visite de l’Ecosse, de son littoral et de ses îles, de la mer, qui donne lieu à des descriptions pittoresques et détaillées du pays, ce qui n’est pas l’un des moindres intérêts de la lecture.

« C’est un curieux emplacement, ce terrain semé de pierres funéraires, où dorment quarante-huit rois écossais, huit vice-rois des Hébrides, quatre vice-rois d’Irlande, et un roi de France, au nom perdu comme celui d’un chef des temps préhistoriques. Entouré de sa longue grille de fer, pavé de dalles juxtaposées, on dirait une sorte de champ de Karnac, dont les pierres seraient des tombes, et non des roches druidiques. Entre elles, couché sur la litière verte, s’allonge le granit du roi d’Écosse, ce Duncan illustré par la sombre tragédie de Macbeth. De ces pierres, les unes portent simplement des ornements d’un dessin géométrique ; les autres, sculptées en ronde bosse, représentent quelques-uns de ces farouches rois celtiques, étendus là avec une rigidité de cadavre.
Que de souvenirs errent au-dessus de cette nécropole d’Iona ! Quel recul l’imagination fait dans le passé, en fouillant le sol de ce Saint-Denis des Hébrides ! »

 


 


 

vendredi 5 septembre 2025

Roger Vercel : La fosse aux vents Ceux de la Galatée, La peau du diable, Atalante

 

La fosse aux vents de Roger Vercel regroupe trois volumes respectivement appelés : Ceux de la Galatée, La peau du Diable, Atalante. Tous trois sont consacrés à un personnage récurrent, Pierre Rolland, la forte tête, l’orgueilleux, que l’on voit évoluer d’un roman à l’autre de simple matelot à capitaine, au cours de son embarquement sur trois voiliers différents « aux temps héroïque des Cap-Horniers. » comme l’annonce le sous-titre du roman. La trilogie s’étend de la fin du XIX siècle à la première guerre mondiale, à une époque où les splendides voiliers, fierté de leur équipage, vont être peu à peu supplantés par les bateaux à vapeur.   


 Ceux de la Galatée

En 1897, le long-courrier Galatée part du port de Dunkerque livrer du charbon au Chili et retournera en s’arrêtant à  San Francisco pour charger du grain.
Ce navire est commandé par  le capitaine Le Gaq et son second Monnard. Il y a aussi le pilotin Jean Marquet, un adolescent que son riche père oblige à embarquer pour lui forger le caractère. Pauvre gamin en butte aux railleries de l’équipage, et formé sur le tas, sans ménagement. Le marin Pierre Rolland le prend en grippe, haïssant sa faiblesse et plein de mépris pour son ignorance. Rolland  est responsable d’un accident qui risque de coûter la vie au jeune homme. Au cours du voyage au cours duquel le passage du Cap Horn se révèle être un morceau de bravoure, le second, Monnard, s'aperçoit que Pierre Rolland a l’étoffe d’un chef. Il lui propose de reprendre des études pour devenir capitaine. Il faudra vaincre l’orgueil de Rolland qui vient d’un milieu modeste, sa crainte qu’on lui fasse l’aumône, ses doutes et ses révoltes, pour que celui-ci accepte l’hospitalité du frère de Monnard, un curé, un beau personnage, et pour qu’il accepte de suivre des cours auprès du père Rémy… Mais là encore son caractère orgueilleux et peu conciliant blessent ceux qui pourtant l’ont l’aidé.


La peau du diable

Dans La peau du diable, Pierre Rolland est devenu second sur L’Antonine commandé par le capitaine Thirard. Il embarque à Port-Talbot près de Bristol, et se rend en Nouvelle-Calédonie pour charger du minerai de nickel. Le capitaine Thirard souffre d’un cancer de la gorge mais conserve jusqu’au bout sa dignité et assume ses responsabilités envers son navire malgré des souffrances atroces. Il gagne le respect de Rolland et de son équipage.


Atalante 

Le capitaine Pierre Rolland est d’abord commandant de l'Argonaute mais son second, Fourment, doit débarquer suite à un accident survenu lors du voyage aller. À l'arrivée en France, le lieutenant Gicquel qui a fait fonction de second depuis l'accident, invite le capitaine Rolland au mariage de sa soeur. C’est là que Rolland rencontre Geneviève, la soeur de la mariée. Rolland qui, jusqu’alors, n’estimait pas les femmes, est séduit par l’intelligence et la finesse de la jeune femme. Il l'épouse avant d'embarquer à bord de l'Atalante, en partance du Havre pour San Francisco. Malgré les réticences de Rolland, Geneviève embarque avec lui. Elle est persuadée que, comme sa mère l’a fait avant elle, elle pourra suivre son mari dans ses voyages au long cours et éviter les séparations et l’attente qui sont le sort habituel des femmes de marin.


Les personnages

Vercel a le don de créer des personnages complexes, vrais, rudes, parfois primitifs, et de nous faire partager leur vie, comprendre leur mentalité. 
Je dois dire que j’ai trouvé Pierre Rolland extrêmement antipathique. Il méprise les femmes tout en se servant d’elles pour ses besoins sexuels. Et même lorsqu’il trouve une femme qu’il admire assez pour l’épouser, il la méprisera dès qu'elle lui paraît en état de faiblesse, victime du mal de mer et sa santé s’étiolant. Et que dire du racisme manifesté par Rolland envers les canaques que les missionnaires s’efforcent d’instruire - en vain-  d’après lui : « Tout ce qu’ils parvenaient à loger dans ces cervelles primitives leur demeurait aussi étranger que le dressage des chiens savants ». C’est assez abject ! 

Il a, bien sûr, des qualités, sa compétence, son endurance, son courage et sa loyauté envers ses chefs, ses hommes et son navire mais comme le disent ses pairs, capitaines comme lui, même s’ils le respectent, ils ne pourront jamais se lier d’amitié avec lui.
L’épouse de Pierre Rolland qui embarque avec lui sur l’Atalante est une belle figure féminine, fine, intelligente, courageuse, qui fait ressentir d’autant plus l’incapacité de son mari à éprouver de l’empathie, et met en relief d'une manière révoltante son égoïsme, son mépris des femmes et des faibles. 


Un roman d’aventure et un hommage aux marins disparus 

Les trois volumes se lisent comme des romans d’aventures et, si l’on est parfois noyé sous le flot du vocabulaire de la navigation à voile, la narration, vivante,  nous entraîne dans des aventures  dangereuses et passionnantes.
 Vercel décrit la vie des Cap-Horniers, et la richesse de la description, la connaissance des manoeuvres complexes à effectuer, tout donne au lecteur l’impression que l’auteur est un marin chevronné, qui a vécu bien des aventures extrêmes en haute mer. Or, il n’en est rien, il n’est allé qu’une fois en mer sur un bateau de pêche et n’a jamais effectué de voyages au long cours, ce qui rend encore plus incroyable sa maîtrise de la navigation à voiles, sa documentation des conditions de travail effroyables des Caps-Horniers, sa compréhension de la mentalité des marins du bas de l’échelle à la fonction la plus haute de capitaine. C’est que pour écrire ces romans il a rencontré de vieux marins qui ont vécu la fin de ces temps héroïques, collecté leurs souvenirs, leurs aventures, il s’est nourri de leurs récits, de leurs croyances, de maintes anecdotes. Il a  vécu à travers eux les difficultés du métier mais aussi ressenti la fierté de ces hommes qui étaient conscients de la beauté et des qualités de leur navire qu’ils aimaient d’amour et qu’ils voyaient sur le point de disparaître au profit de la navigation à vapeur qui allait les remplacer. Ils étaient à la fois victimes de conditions de vie éprouvantes, de l’exploitation exercée sur eux par des armateurs qui les payaient mal et les accablaient de travail. Ils étaient parfois révoltés, ombrageux, prompts à prendre la mouche. Ils étaient aussi les héros orgueilleux d’un quotidien qui ressemblait bien à une épopée que Roger Vercel a su rendre d’une manière magistrale.


 


Chez Moka 540 pages


Chez Sibylline  540 pages


vendredi 25 juillet 2025

Molière : Tartuffe / Hugo Mille francs de récompense /Wilde De profundis

Au théâtre l'Albatros
  

Et oui bientôt la fin du festival. Je pars le 25 dans mes Cévennes où je ne pourrai pas écrire tout de suite mais je reprendrai au mois d'août.  Aussi je me dépêche de dire quelques mots sur les spectacles que j'ai vus. Il m'en reste encore beaucoup à vous présenter. 

 
MOLIÈRE LE TARTUFFE
 
  
COLLEGE DE LA SALLE  MOLIERE Le Tartuffe  13H45 1H30  relâche  le 10 
 
présentation de la compagnie : 
"Savez-vous, après tout, de quoi je suis capable ?" (Acte III sc 4)
description
Dans une mise en scène épurée, la part belle est faite au jeu, au texte, aux thèmes et aux figures intemporel.le.s que nous offre le génie de Molière.

François Clavier, inspiré par son professeur Antoine Vitez, fait le rapprochement entre "Le Tartuffe" et "Théorème" de Pasolini : ce qui fascine chez Tartuffe, c'est son pouvoir de séduction. L'emprise qu'il a sur Orgon, c'est celle qu'il doit avoir sur le public. C'est le beau jeune homme blond, c'est le démon déguisé en ange. C'est, surtout, celui dont on n'aurait pas cru qu'il irait jusque là, celui qu'on ne soupçonnait pas, celui dont on ne se méfiait pas.

Le cadre de cette comédie sombre et sensuelle : celui de la famille bourgeoise - l'univers de prédilection de Molière, qui lui consacre ses plus grandes pièces. Les phénomènes de crise qui la traversent, l'auteur nous les présente comme de vrais chemins de résolution. Les conflits souterrains qui agitent ce microcosme trouvent leur issue dans l'épreuve de ces crises, dans cette entropie qui passionne Molière et qu'il nous donne à voir comme le point d'équilibre, le début de l'harmonie."

 Mon avis

La pièce a un début un peu difficile et le passage du "pauvre homme" est assez plat et ne provoque pas le rire. Mais par la suite Dorine la servante se déchaîne et prend de l'assurance, Mariane, la fille d'Orgon,  joue très bien la stupéfaction quand elle apprend le projet de son père de la marier à Tartuffe et c'est à Dorine d'organiser sa défense, de la réconcilier avec Valère. La belle-mère Elmire reçoit avec dédain les déclarations amoureuses de Tartuffe. Elle a beaucoup de classe, ce qui rend les propos de l'hypocrite encore plus infâmes..  J'ai aimé leur interprétation de ces personnages. 

J'ai trouvé, de plus, que c'était une  bonne idée et originale de la part du metteur en scène François Clavier d'avoir confié l'interprétation de Tartuffe à un jeune comédien.  D'habitude, celui-ci est toujours interprété par un homme d'âge mûr.  Ici, le comédien est un Tartuffe débutant, qui se rend odieux et indigne par son audace et son sang froid lorsqu'il est découvert. Mais sa jeunesse, effectivement, peut expliquer la séduction qu'il exerce sur ceux qui ne jugent que par l'apparence. Cela permet de comprendre aussi pourquoi il tombe aisément dans le piège qu'Elmire lui tend. Une interprétation vraiment intéressante.  Un bon spectacle !



équipe artistique
François Clavier - Mise en scène
Léna Allibert-My - Interprétation
Gaspard Baumhauer - Interprétation
Marie Benati - Interprétation
François Clavier - Interprétation
Alex Dey - Interprétation
Yoachim Fournier-Benzaquen - Interprétation
Leslie Gruel - Interprétation
Taddéo Ravassard - Interprétation
Guillaume Villiers-Moriamé - Interprétation
Anaïs Ansart-Grosjean - Lumière
JY Ostro-0679151352 - Diffusion
Collectif Nuit Orange
Compagnie française
Compagnie professionnelle

VICTOR HUGO MILLE FRANCS DE RECOMPENSE

 3S - LE SEPT  Victor Hugo Mille francs de récompense  du 4 au 26 juillet relâche les 7, 14, 21 juillet 20h35 1h30      


 présentation de la compagnie : 

"Glapieu, un ancien bagnard en cavale, veut se repentir en accomplissant un acte immense : sauver Cyprienne et sa mère, au bord de l'effondrement. Mais sur sa route se dresse Rousseline — froid, puissant, prêt à broyer les faibles pour asseoir son empire. Un monstre en cravate, plus dangereux qu’un fusil.
Un combat entre le bien et le mal, s’engage.
Glapieu agit-il pour se racheter… ou simplement par pur humanité ?
Un drame social haletant, tendre et parfois comique, écrit par Victor Hugo et brûlant d’actualité."

 Mon avis

 Léonie a beaucoup aimé. J'étais contente qu'elle découvre une pièce de Victor Hugo rarement jouée. Mais les comédiens ont tout simplement taillé dans la pièce et passé sous silence le magnifique éloge de la Marseillaise. Et c'est dommage car cela enlève le panache de la pièce qui, de plus, donnait tout son sens à ce texte sur l'injustice sociale dans lequel un bagnard vient au secours des femmes opprimées et lésées par un riche, malhonnête, au coeur dur ! 

auteur
De Victor Hugo
équipe artistique
Arnaud Fiore - Mise en scène
Stanislas Bizeul - Interprétation
Raphaël Duléry - Interprétation
Arnaud Fiore - Interprétation
Sylvain Gavry - Interprétation
Tess Lepreux - Interprétation
Sophie Perron - Interprétation
Charlotte Calmel - Diffusion
Caviars sur jerrican
Compagnie française
Compagnie professionnelle

OSCAR WILDE DE PROFUNDIS

 

L’ALBATROS De Profundis Wilde 16H30

Excellent interprétation qui m'a donné l'envie d'en savoir plus sur Oscar Wilde. Il a écrit cette lettre à  son amant quand il était en prison. Une belle réflexion sur la valeur de la souffrance qui permet d'accéder à l'humilité et sur l'amour nécessaire pour continuer à vivre.  Le comédien qui dit ce texte difficile et poignant est Josselin Girard et je l'avais déjà apprécié dans Pour un oui ou pour un non de Nathalie Sarraute. Les deux pièces sont mises en scène par Bruno Dairou.

auteur⸱ice
De Oscar Wilde
équipe artistique
Bruno Dairou - Mise en scène
Josselin Girard - Interprétation
Philippe Hanula - Photographie
Arnaud Barré - Création lumière
Solenne Deineko - Régie
Cie des Perspectives
Compagnie française
Compagnie professionnelle



mardi 22 juillet 2025

Shakespeare : Le songe d'une nuit d'été

Arthur Rackham : Puck et Titania
  

Je devais aller voir Macbeth pour participer au challenge de Cléanthe mais je n'ai pas pu. Par contre j'ai assisté à deux représentations de le Songe d'une nuit d'été  qui m'ont particulièrement déçue. Je reprends ici tout en le complétant ce que j'avais déjà écrit sur cette pièce pour le challenge Shakespeare il y a quelques années pour mieux faire comprendre ma déception.


La  pièce de Shakespeare Le songe d'une nuit d'été était à l'origine intitulée Le songe de la nuit de la Saint Jean. Une bizarrerie puisque Shakespeare place le déroulement de sa pièce au mois de Mai (mid summer).
 L'universitaire Ernest Schanzer donne une explication : il s'agit de la date de la première représentation du Songe donnée pour célébrer la nuit de la Saint-Jean. Ce qui reste étonnant, pourtant, c'est que le dramaturge ait tenu à placer l'action la veille du premier Mai. Certes, ces deux nuits, dans les croyances élizabéthaines, étaient toutes deux considérées comme propices à la magie, à l'apparition des êtres surnaturels. Cependant c'est à la Saint Jean que les fleurs cueillies cette nuit-là ont un pouvoir magique capable de susciter des rêves amoureux et de frapper les gens de folie. Or, constate Ernest Schanzer  "la folie amoureuse n'est-elle pas, en effet, le thème essentiel du songe d'une nuit d'été ?".
Quoi qu'il en soit, la pièce est bien nommée puisque toutes les scènes se déroulent la nuit sauf peut-être la première scène de l'acte 1 et encore est-elle placée aussi sous le signe de la lune..

L'intrigue 

La scène se passe à Athènes et dans un bois voisin.

Thésée, le duc d'Athènes et Hippolita vont fêter leur mariage dans quatre nuits, à la nouvelle lune.  Mais Egée, un vieux courtisan,  vient se plaindre de sa fille Hermia qui refuse d'épouser Démetrius, le prétendant qu'il lui a choisi. Hermia aime Lysandre et veut se marier selon son coeur.  Héléna, la fille de Nedar, elle, aime Démetrius qui lui préfère Hermia. Telle est la situation, inextricable, lorsque les deux amoureux, Hermia et Lysandre décident de fuir.  Ils seront suivis, contre leur gré, par Héléna et Démétrius. Les quatre jeunes gens se perdent dans la forêt pendant cette nuit de folie et vont être les jouets des fées.

Pendant ce temps, des gens du peuple, artisans de la ville, décident de monter une pièce sur la mort de Thisbée et de Pyrame pour la représenter au mariage de Thésée et Hippolita. Ils espèrent s'attirer les bonnes grâces du roi. Ils s'éloignent dans la forêt guidé par Lecoin, le charpentier qui s'est improvisé metteur en scène. La troupe à l'intention de répéter à l'abri des regards et il va leur arriver à eux aussi bien des mésaventures.

Dans la forêt vit le peuple des fées : La reine Titania, entourée de ses elfes, est en rivalité avec Obéron, le roi des fées. Il lui réclame un enfant qu'elle lui a volé. Elle refuse et Obéron jure de se venger avec l'aide de Puck ; il demande à ce dernier d'aller cueillir une fleur magique dont le suc déposé sur la paupière d'une personne la rend amoureuse du premier visage aperçu lors de son réveil.

Avec cette fleur commence la folie amoureuse de cette nuit d'été : Titania tombera amoureuse de Bottom (Navette), le tisserand, affublé d'une tête d'âne ; les quatre jeunes gens eux aussi vont changer de soupirants et voir se nouer et dénouer leurs amours, au gré des caprices des fées.


Une comédie tragique : l'Homme est-il libre ?


Le songe d'une nuit d'été est une comédie. Elle présente effectivement des personnages franchement comiques, en particulier la troupe de théâtre des artisans, ridicules à souhait dans leurs prétentions. Les personnages vont jouer une tragédie en se prenant très au sérieux; c'est ce qui va provoquer le rire car nous assistons à une parodie sans que les acteurs en soient conscients. Ils craignent même de faire peur aux dames ! Ce sont des personnages de farce et celle-ci est à son comble quand Bottom se retrouve avec une tête d'âne. Shakespeare a toujours aimé mener une réflexion sur le théâtre dans ses pièces, soit pour révéler la vérité comme dans Hamlet, soit pour rappeler que la vie, le monde entier, est un théâtre comme dans Macbeth ou Le marchand de Venise.  Ici, le théâtre dans le théâtre permet de jouer sur le grotesque tout en dénonçant la sottise et la vanité humaines. Il est aussi frappant de constater que le thème de Pyrame et Thisbé répond à l'intrigue du Songe, une histoire d'amour contrarié et d'amants séparés. A l'astre de la lune qui veille sur la pièce, répond la lune factice, une lanterne, des comédiens amateurs.

Cependant la pièce a un fond tragique et même si le spectateur rit, il reste conscient de la cruauté des jeux amoureux qui se déroulent devant lui. Quand le suc de la fleur magique détourne l'amour de Lysandre et de Démétrius vers Héléna, Hermia devient pour eux un objet de mépris. Il n'y aucune compassion pour la jeune fille qui doit essuyer des insultes :

"Moi me contenter d'Hermia ! Jamais ! Comme je regrette les heures d'ennui passées auprès d'elle. C'est Héléna que j'aime, non Hermia !  Qui ne voudrait changer une corneille contre une colombe ?(...)

"Va-t-en tartare moricaude, va t'en ! au diable médecine répugnante, au diable vomitif dégoûtant!"

Les rapports entre  hommes et femmes sont donc d'une grande violence  même si leur caractère excessif nous rappelle que nous sommes dans la comédie. Il n'en reste pas moins que Hermia soudainement délaissée est désemparée, humiliée et malheureuse. Héléna qui ne peut croire au revirement des deux jeunes gens, est tout aussi blessée par ce qu'elle croit être une raillerie. La souffrance des deux femmes est bien réelle.

Hermia : Jamais si fatiguée, jamais si malheureuse, trempée par la rosée, déchirée par les ronces, je ne puis me traîner ni avancer d'un pas.

Mais les relations entre femmes ne sont pas meilleures même si elles sont parfois plus subtiles. Hermia se fâche lorsque Héléna dit et répète qu'elle est "petite" ! Est-elle trop susceptible ? La "gentille" Héléna  a-t-elle une intention blessante ou, au contraire, dit-elle cela innocemment ?  Nous restons ainsi dans la comédie mais Shakespeare nous montre une nature humaine bien noire. 

Il est vrai que les personnages magiques eux-mêmes ne sont pas plus sages, témoins la dispute entre Titania et Obéron, les facéties de Puck, et ils ont, comme jadis les dieux de l'Olympe, tous les défauts des humains, à moins que ce ne soit le contraire ! Cependant leur guerre, leur colère ou leurs décisions, s'ils peuvent nous faire rire, ont un retentissement sur l'ordre du monde et sur la destinée des hommes. 

Le pauvre laboureur voyait ses champs croupis,
Et dans les prés noyés le parc est sans troupeaux,
Car le bétail malade a nourri les corbeaux.
Le mail où l’on jouait ? La fange l’a couvert !
Nos yeux, sans la trouver, cherchent la place où fut
Le sentier qui courait sous les gazons touffus.]
Les hommes ont perdu leurs saintes nuits d’hiver ;
Plus d’hymnes de Noël ! Et, pâle et refroidie,
La lune, reine de la mer,
Répand partout les maladies !
Voilà ce qu’ont fait nos querelles !
Les saisons se battent entre elles ! 

Le givre aux lèvres froides pose
Ses baisers sur le cœur des roses,
Et, misérable moquerie,
L’hiver grelottant a placé
Sur son crâne glacé
Des couronnes fleuries !]
Oui, l’été, le printemps et l’hiver et l’automne
Échangent leur livrée ! Et le monde s’étonne
Du désordre des éléments !
Telle est notre œuvre !…  

La pièce est donc aussi une réflexion et pas des moindres sur la liberté de l'homme face à la divinité. Ce sont les Fées qui tirent les ficelles et les êtres humains apparaissent bien vite comme des marionnettes soumises à leurs caprices. Obéron tout puissant et Puck, en commettant des erreurs, tiennent entre leurs mains la clef de leurs sentiments et décident de leur avenir. Doit-on penser que Shakespeare penche vers le déterminisme voire la prédestination dans cette Angleterre qui a rompu avec le catholicisme? Ce serait peut-être aller bien loin et encore une fois, comme il s'agit d'une comédie, Shakespeare nous invite à ne pas trop nous poser de questions et à considérer tout cela comme un rêve ! (même si celui-ci vire parfois au cauchemar !). Pourtant l'on peut avoir de sérieux doutes quant à la liberté de l'Homme en voyant Le Songe d'une nuit d'été, même si ce dernier est persuadé du contraire !


La folie amoureuse 

 

Titania et Bottom

Car le pessimisme de Shakespeare s'exprime dans cette peinture de la folie amoureuse. Lysandre peut passer de l'amour d'Hermia à celui d'Hélène puis revenir à Hermia ; Titiana s'énamoure d'un monstre à tête d'âne et le tient pour le plus beau des êtres.  Si l'on peut changer ainsi de partenaire, si l'on peut s'aveugler sur les mérites de celui qu'on aime, si le caprice préside au choix, si les êtres sont interchangeables, alors l'amour réel existe-t-il ?
Il faut remarquer que c'est au moment où Lysandre agit avec le plus d'inconséquence qu'il invoque la raison pour expliquer qu'il n'est plus amoureux d'Hermia mais de Héléna : 

C'est la raison qui gouverne la volonté de l'homme et la raison me dit que vous êtes la plus précieuse.
 

On voit l'ironie de Shakespeare ! Et la conclusion paraît évidente. L'amour n'est qu'une création de l'esprit, il s'apparente à la folie et l'un ne va pas sans l'autre.
 

La féérie, la fantaisie

Obéron et Titania dans la belle représentation de Le songe et the Fairy Queen de Purcell 

 

Enfin la pièce est magnifique par sa poésie et sa beauté lyrique. Elle peint les sortilèges de la nuit :

Il nous faut nous hâter, seigneur des elfes, car les rapides dragons de la nuit fendent les nuages en plein vol et voyez briller là-bas la messagère de l'aurore. A son approche les fantômes qui errent çà et là s'assemblent pour regagner les cimetières..

Elle est éclairée dès le début par un clair-obscur onirique, celui de la lune et la nuit; des ombres s'agitent, éphémères, dans l'obscurité. Rien n'est solide, rien n'est vrai et les fées qui peuplent la forêt sont "des esprits" qui s'évanouiront à l'approche du jour à l'exception, peut-être, d'Obéron, le Seigneur des elfes qui peut braver les rayons de l'aurore.

La fantaisie de la pièce est remarquable dans la façon de traiter le thème féérique avec ses personnages majestueux comme Titania ou Obéron,
 

"Je connais un tertre où fleurit le thym sauvage, où croissent les primevères et les tremblantes violettes, le foisonnant chèvrefeuille, l'églantine, les douces roses musquées le recouvrent d'un dais; C'est là, parmi ces fleurs, que Titania s'endort un moment la nuit bercée par les danses et les délices avec ses  elfes au nom délicieux, entités de la Nature et qui participent à son entretien et à sa survie :  Toile d'araignée, Phalène, Graine de moutarde, Fleur de pois... 
Puis vous partirez durant le tiers d'une minute, les uns pour aller tuer les vers dans les boutons des roses musquées; les autres pour guerroyer contre les chauves-souris ."

et avec Puck, ce Robin le diable, malicieux, farceur et parfois un peu redoutable pour les pauvres êtres humains égarés dans la forêt :

Tu dis vrai? Je suis ce joyeux vagabond nocturne. J'amuse Obéron et le fais sourire quand métamorphosé en jeune pouliche, je hennis pour tromper le gros cheval bourré de fèves…"

Puck est un personnage de la mythologie celte, et s'il n'est pas entièrement méchant, il est tout de même  capable de farces cruelles.

 La Fée à Puck

Si vos manières ne m’abusent,
Galopin,
Cervelle matoise,
Vous êtes le fameux Robin
Bon Enfant qui s’amuse
À lutiner les villageoises !

C’est vous qui répandez le lait des cruches pleines ;
Détraquez le moulin au milieu du labeur ;
Mettez la vieille hors d’haleine
Quand elle bat son beurre ;
C’est par vous que s’évente
Et que s’aigrit la bière...

 

Puck : Reynolds
  

 Le théâtre dans le théâtre : le burlesque

 

Les artisans qui jouent la pièce de Pyrame et Thisbé sont les personnages grotesques, des acteurs qui ne se rendent pas compte de leur nullité et qui sont très fiers d'eux-mêmes.  Réflexion sur le théâtre, sur les mauvais comédiens ? Le plus vaniteux - qui se croit capable de jouer tous les rôles - est bien sûr Bottom et ce n'est pas étonnant que ce soit lui qui soit puni, devenu un monstre à tête d'âne.  Si sa mésaventure fait rire, Ann Witte dans son article sur Shakespeare et le folklore de l'âne écrit que parmi les métamorphoses de la pièce "le symbolisme érotique de l'âne se retrouve dans des traditions qui mettent en valeur les rites de fécondité liés à ce animal, tantôt emblème de sottise et de paresse, tantôt symbole du "bas matériel et corporel"( bottom) ) qui incarnait la puissance maléfique."

Ainsi même dans la partie comique de la pièce, nous sommes donc toujours dans le registre de la féérie  et des personnages inquiétants avec l'âne Bottom.


Une pièce très riche dont on ne peut épuiser le sujet.  Je l'ai déjà vue plusieurs fois dans des mises en scène très différentes. C'est la première pièce que j'ai vue au théâtre à l'âge de 13 ans. Et j'en garde un souvenir ébloui. Elle fait partie de mes comédies shakespeariennes préférées avec La nuit des rois et Beaucoup de bruit pour rien.

 

C'est pourquoi j'ai été très déçue par les deux représentations que j'ai vues cette année; l'une où le metteur en scène a simplifié l'action pour la mettre à la portée de ses comédiens qui paraissaient tout juste sortis de l'école.

Une autre interprétée par de jeunes comédiens qui remplacent par leur énergie ce qu'ils ne sont pas capables de rendre par leur talent. Tout est joué sur le même registre, comique, si bien que l'on distingue à peine ce qui est du domaine de la parodie théâtrale donnée par les artisans, du reste de la pièce. Bien sûr, un spectateur qui ne connaît pas la pièce peut rire et s'en satisfaire puisqu'il n'attend rien de plus. Je le comprends. Mais il n'est pas étonnant, ensuite, qu'il la considère comme une comédie légère et mineure dans l'oeuvre de Shakespeare. Toute réflexion est écartée et où est passé le beau texte lyrique de l'écrivain ? Cela me fait mal de voir comment l'on appauvrit un texte si riche !


Participation  à Escapades en Europe (avec un mois de retard pour le  thème de Shakespeare) chez Cléanthe


samedi 19 juillet 2025

SHAKESPEARE

 

 

SHAKESPEARE : Elsa Robinne - Mise en scène

Une traversée de sa vie en suivant le flot de son œuvre.
Somme hétéroclite d’aspect kaléidoscopique espérant synthétiser partiellement l’ensemble des accomplissements remarquables de l’éponyme a pour acronyme SHAKESPEARE. Et c’est précisément sa vie que ce spectacle traverse, porté par le flot considérable de son œuvre.

Ses contemporains - sa femme, sa troupe, Marlowe, ses protecteurs, la Reine Elisabeth, le Roi Jacques… - se confondent avec les figures de son théâtre et racontent, avec les morceaux familiers de ses pièces, celui que la postérité appellera « le divin barde » mais qui fut avant tout cet excellent William.

Le monde entier est un théâtre, écrit Shakespeare, et c’est dans son théâtre que trois comédien-nes et un musicien s’élancent pour imaginer son monde, avec pour seul espoir le souffle de vos bienveillants murmures. Sinon, ils auront manqué leur but : vous plaire.
« Une épopée fantaisiste qui n’égratigne en rien la pertinence et l’intemporalité de ce théâtre. »
ARTS-CHIPELS

« Cette approche un brin déjantée de son œuvre aurait certainement plu à William. »
COUP DE THEATRE

« On est dans des sommets d’humour et on rit beaucoup. »
SNES

« Le spectacle est fort bien interprété. »
A2S

« Une épopée inattendue à la rencontre de cette figure majeure…L’ensemble est plein d’inventivité, d’humour, de générosité. »
L’INFO TOUT COURT


Mon avis

Les bonnes critiques de presse sur ce spectacle m'ont encouragée à aller le voir d'autant plus que ma petite-fille, Léonie, l'amoureuse de Shakespeare, était là ! Donc aller voir la vie de Shakespeare "en suivant le flot de l'oeuvre" me paraissait être une bonne idée ! Je savais que le spectacle ne serait pas classique et même qu'il serait "déjanté "selon le mot adoré (pour ne pas dire le poncif) des critiques de théâtre ! Un mot qui me fait peur et qui peut cacher tout et  n'importe quoi.
Non, finalement, ce n'était pas du n'importe quoi!  Les comédiens savent très bien ce qu'ils font, c'est un choix de leur part que beaucoup de spectateurs semblent aimer : ils présentent la vie de Shakespeare en insistant sur les aspects parodiques des personnages (la reine Elizabeth, par exemple !) sans occulter certains aspects tragiques de la vie de l'auteur comme la mort de son fils Hamnet. Mais voilà, cela ne me fait pas rire. C'est vrai qu'il y a des connaissances certaines sur le vie de l'auteur mais c'est une sorte d'humour que je n'aime pas. De plus, je trouve que les textes du "divin barde" ne sont pas assez mis en valeur, Roméo et Juliette lui aussi escamoté en plaisanterie : "William pourquoi es-tu William." Je n'ai apprécié que lorsque le comédien qui interprète le rôle du dramaturge dit lui-même le texte malheureusement souvent trop peu et trop rapide.  Dans l'ensemble je suis restée sur ma faim ! Bref ! ce n'était pas un spectacle pour moi ni pour Léonie qui n'a pas aimé !


SHAKESPEARE

du 5 au 26 juillet relâche les 9, 16, 23 juillet
15h25 1h20
LUCIOLES (THÉÂTRE DES)
Salle : Salle Fleuve - 
D'après William Shakespeare
équipe artistique
Elsa Robinne - Mise en scène
Tristan Le Goff - Interprétation
Etienne Luneau - Interprétation
Malvina Morisseau - Interprétation
Joseph Robinne - Interprétation
Emmanuelle Dandrel - Diffusion
Elodie Kugelmann - Presse
Anne Lacroix - Scénographie
Emilie Nguyen - Création lumière
Tiphaine Vézier - Administration
GRAND TIGRE
Compagnie française
Compagnie professionnelle
Description :
Implantée en Région Centre-Val-de-Loire, la Compagnie Grand Tigre, dirigée par Elsa Robinne et Etienne Luneau, doit sa pérennité au soutien des partenaires institutionnels et à la variété de ses réseaux de diffusion.
 

 Participation  au challenge Escapades en Europe  de Cléanthe (sur Shakespeare mois de juin)