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lundi 24 mars 2025

Ramon Diaz-Eterovic : L' obscure mémoire des armes

 

 

Ce polar L’obscure mémoire des armes de Ramon Diaz-Eterovic est le XII ème d’une série qui met en scène le détective privé Heredia. Et comme c’est le premier que je lis, et même si l’ensemble peut être lu dans le désordre puisque chaque enquête se termine à la fin du volume,  il m’a manqué, me semble-t-il, beaucoup d’éléments pour  être vraiment "dans le bain".
Heredia vit à Santiago, dans un quartier pauvre de la ville et lui-même ne roule pas sur l’or. Une enquête de temps en temps et quelques gains modiques quand il joue aux courses avec son copain, vendeur de journaux. Il a un chat qui parle, son alter ego, et qui ne mâche pas ses mots quand il s’agit de le critiquer. Et si ce chat se nomme Simenon, ce n’est pas par hasard. Heredia est un admirateur de l’écrivain et de la littérature en général. C’est fou ce qu’il a le temps de lire pendant son enquête, poésie, romans ! De lire et de boire car il nous fait faire connaissance de tous les troquets du quartier !  J’aime bien aussi l’humour lié à ce personnage nommé Le Scribe et qui n’est autre que l’écrivain lui-même. Ecrivain ? Un métier qui n’est pas de tout repos quand son personnage l’accuse d’erreurs et de négligences.
Heredia a une amoureuse Griseta qu’il ne voit que de temps en temps. J’ai appris en lisant des critiques sur lui qu’il avait rompu avec Griseta pendant des années et l’avait retrouvée ensuite. Pourquoi ? Comment ? Je n’en sais pas  plus et du coup ce personnage féminin reste anecdotique, si ce n’est que c’est elle qui le pousse à accepter une affaire : enquêter sur la mort violente du frère de son amie Virginia. German Reyes a été tué à la sortie de son travail et, même s’il n’y pas eu vol, la police a conclu à un crime crapuleux. Sa soeur veut savoir ce qui s’est réellement passé.

J’ai choisi de lire un polar chilien, pensant échapper à mes lectures précédentes portant toutes sur le coup d’état de 1973. Et voilà que je me retrouve en plein dedans, et, bien sûr, cela n’a rien d’étonnant !

« Même si les cérémonies publiques et les déclarations convenues essayaient d’enterrer le passé, celui-ci continuait à se glisser par les fissures d’une société habituée aux apparences, aux décors trompeurs et aux compromis en coulisses. Le passé était une blessure qui n’avait jamais été totalement désinfectée et laissait échapper sa pestilence à la moindre inadvertance. »

German Reyes fait partie d’un organisation qui traque les anciens tortionnaires.

« les dinosaures et les momies n’appartiennent pas au passé. Ils gardent le silence et continuent à regretter le général qui leur a permis de maltraiter les gens  du peuple. »

Evidemment, ce n’est pas une enquête sans danger et un autre meurtre suit celui de German Reyes, classé suicide par la police, et un autre a eu lieu avant celui de German. Heredia est vite ramené dans le passé avec les témoignages des victimes et ramené aussi sur les lieux, la Villa Grimaldi, où la DINA, Direccion nationale del inteligencia,  a enfermé et torturé près de quatre mille cinq cents personnes..

« Je me suis dirigé vers l’endroit où était exposée la maquette de ce qui avait été l’un des principaux centres de torture pendant la dictature militaire. La tour des pendaisons, le parking où les prisonniers étaient violentés, les étroites cellules où on les enfermait entre deux interrogatoires, le gigantesque ombu, témoin de douleurs et des crimes et la piscine où étaient plongés ceux qui s’obstinaient à garder le silence. L’horreur, l’horreur incombustible, me suis-je dit, en approchant du mur de pierre où les noms des prisonniers assassinés étaient gravés ».

Je vous laisse suivre l’enquête qui se double d’un trafic d’armes mais sachez que lorsque Heredia parle à l'un des bourreaux et lui demande pourquoi il va tous les jours à l’église, pour demander pardon aux victimes ? suggère-t-il. Celui-ci lui répond :

-« Je n’ai pas de raison de demander pardon. Si c’était nécessaire, je n’hésiterais pas à recommencer. »

J’ai trouvé ce roman policier intéressant par son sujet mais le rythme lent, les digressions, ne sont pas parvenus à me convaincre. Il faut que je lise un autre roman avec Heredia pour ne pas m’avouer vaincue par une seule lecture.
 

 

Challenge sur le Chili chez Je lis Je blogue
 

jeudi 20 mars 2025

Yordan Raditchkov : le poirier et les Noms

Van Gogh : poirier en fleurs

 

Je présenterai bientôt un recueil de nouvelles de Yordan Raditchkov : Les récits de Tcherkaski. Yordan Raditchkov est considéré comme l'un des plus grands écrivains bulgares. Mais pour vous donner une idée de son écriture, voici le texte d'un autre recueil intitulé : Barbe de Bouc. J'adore !

" Mon père, cependant, cracha dans ses mains et empoigna la hache. Alors ma tante se mit à pousser des cris perçants, me traîna dans la neige jusqu'à l'arbre et s'interposa entre le poirier et mon père. " Je vais le couper ! " criait mon père et il faisait de grands gestes avec la hache. " Tu ne le toucheras pas ! " menaçait ma tante. " Je vais le couper !" disait mon père qui s'escrimait avec sa hache, " Je n'ai pas besoin d'un poirier stérile devant ma maison ". Ma tante ne cédait pas et elle jurait sur ce qu'elle avait de plus sacré que le poirier allait produire des fruits cette année, que cela ne faisait rien s'il était resté stérile de nombreuses années. - Bon, mais s'il n'a pas de fruits ? demandait mon père. Ma tante promettait en son nom et au nom du poirier qu'il donnerait des fruits, mais que s'il n'en donnait pas, alors mon père pouvait bien le couper avec sa hache en automne. Au printemps, le poirier se couvrit de fleurs et eut beaucoup de fruits. Plus tard, j'appris que toute l'histoire autour de la hache avait été inventée par ma tante pour que le poirier ait peur et donne des fruits. " 

 

 

Camille Pissarro : le noyer

Et ce  texte Les Noms extrait du recueil Le pot acoustique

"La soeur aînée de ma mère s'était mariée dans le village de Jivovtsi, dans l'ancien district de Berkovitsa. C'était une femme grande et svelte qui paraissait très douce. Son mari s'appelait Tseko. Ils avaient trois filles : Galouna, Veneta et Tsvetana. Galouna s'était mariée la première. Son époux s'appelait Yosko. Ils avaient une fille, elle-même baptisée Yochka. Pour moi ces noms ont toujours respiré la douceur et la bonté. Lorsque toutes ces femmes souriaient, des fossettes apparaissaient sur leurs joues.

Leur verger était dominé par un vieux noyer dont les fruits avaient une écorce molle. Dans la cour, se trouvait un puits qui abritait un très vieux poisson, devenu presque chauve avec les années. Le tout -parents, noms, noyer, puits et poisson - était situé sur la rive gauche de la rivière Ogosta. Les vieilles personnes l'appelaient l'Ogost sans prendre conscience qu'elle portait le nom d'Octave Auguste. Ainsi avait-on transmis le nom de la rivière depuis l'époque romaine à nos jours.

A ce jour, ma mère la désigne encore par son nom ancien".


 


 
( dans Les Belles Etrangères : 14 écrivains bulgares Edition : L'esprit des péninsules)

 

 

 

 

 

 

Yordan Raditchkov : 1929-2004




mardi 18 mars 2025

Théodora Dimova : Les Dévastés


 

Dans Les Dévastés, Théodora Dimova  raconte  le coup d’état du Front de la Patrie le 9 septembre 1944 soutenu par l’Armée Rouge qui pénètre en Bulgarie alliée à l’Allemagne nazie et la terrible répression qui a suivi, arrestations, exécutions sommaires, prise du pouvoir par le parti communiste appuyé par l’Union soviétique.

Théodora Dimova a choisi de parler de cette tragédie en suivant le parcours de jeunes femmes dont les maris sont arrêtés, torturés, exécutés, Raina, Ekaterina, Viktoria (et sa fille Magdalena). La petite-fille de Raina, Alexandra, vingt ans plus tard, nous dit ce qui est arrivé à Raina. Si les trois  personnages féminins principaux ne se connaissent pas, leur destin les ramène toutes les trois devant la fosse commune où le corps de leur mari a été jeté.

« Nous nous dispersons. Commençons à faire le tour des tombes, ombres noires parmi les tombes blanchies. Nous cherchons, nous fouillons du regard. Nous ne pouvons résister longtemps au froid et au vent. Tout à coup une femme s’écrie par ici, par ici. Nous y allons. Un immense rond noir. Recouvert de scories. La neige ne tient pas sur la fosse. Elle fond en tombant dessus. »

 
Les trois femmes appartiennent à la classe bourgeoise aisée, intellectuelles et préservées des duretés de la vie. La mort de leur mari, suivi d’une confiscation de leurs biens et d’une déportation constituent des épreuves terribles et Theodora Dimov nous fait partager avec beaucoup de talent, la détresse, l’angoisse, la misère de ces personnages.

Raina

 

Elena Karamihaylova : Portrait de ma soeur Magda

Raina est mariée à un intellectuel, journaliste, écrivain, Nicola, assez imbus tous deux de leur supériorité sociale. Raina est une femme belle, brillante, raffinée, qui anime des soirées littéraires mais elle est assez superficielle. Apparemment, elle ne s’est jamais posée de question sur ce qu’était le nazisme, sur la  responsabilité individuelle et collective face aux crimes commis par l’Allemagne nazie et son pays. Ce qui m’a frappée, ( et choquée) c’est qu’elle ne regrette pas que la Bulgarie se soit alliée à l’Allemagne nazie, non, ce qu’elle déplore c’est que le gouvernement n’ait pas rompu les relations diplomatiques avec la Russie. Elle et son mari Nicola paraissent être restés étrangers aux crimes dont se rend coupable leur pays. Ce dont se soucie Raina, peut-être pour tromper sa peur, c’est de la couleur du satin utilisé pour la restauration de ses fauteuils.

"Nous étions les Alliés d’Hitler, or, au parlement, les députés de l’opposition plaidaient en faveur de « l’amitié éternelle avec le grand peuple russe »" , amitié liée au souvenir du rôle de la Russie pendant la guerre Russo-Turque en 1878  qui a libéré la Bulgarie du joug ottoman. C'est évidemment comme le remarque Raina  une décision "shizophrénique" pour un pays qui est allié aux nazis !

Ekaterina

Elena Karamihaylova


Ekaterina est l’épouse d’un pope, Mina. Le couple est plus sympathique que Raina et Nicola, plus proche du peuple, conscients de ce qui se passe autour d’eux.  C’est dire que la religion tient une grande place pour elle. Quand son mari est tué, elle se met à écrire un journal pour que ses trois enfants n’oublient pas leur père et sachent qui il était. Il y a une scène très émouvante où Ekaretina achète un lustre à bas prix à une famille juive dans le malheur, ce qui provoque le désespoir de son mari.

« Comment as-tu pu offenser ces gens, Ekaterina, profiter de leur malheur et prendre à un prix dérisoire leur lustre. Tu n’as même pas payé le dixième de sa valeur. Comment as-tu eu le coeur de procéder de cette façon ! Et d’en être heureuse, qui plus est, d’en être fière. Il y  avait des larmes de profonde déception à mon égard dans les yeux de votre père, comme si je l’avais offensé, lui personnellement. … En un instant j’ai pris conscience de la monstruosité de mon acte.»


Viktoria et Magdelena

Elena Karamihaylova : autoportrait au chat

La troisième femme est Viktoria. Elle a adopté un bébé déposé devant sa porte, Magdelena.  Les souvenirs alternent entre elle et sa fille. Viktoria est musicienne et vit pour la musique. Elle aime la France où elle rêve d’habiter et donner des concerts mais elle est sacrifiée à un mari Boris, plein de suffisance, qui la pense incapable de gagner sa vie et refuse de partir. Il sera arrêté par Yordann, son fils illégitime, qui ne lui pardonne pas d’avoir laissé sa mère, femme de ménage, dans le besoin. Déportée, Viktoria travaillera dans une briqueterie. Sa fille préfère se souvenir d'elle baignée par la musique de Chopin :  

"Quoi qu'il me soit arrivé - lentes, tête rasée, poux, froid, chaussures trempées, pénurie, faim, lâcheté - je m'imaginais maman et son piano reluisant, et devant elle, sur le tabouret de cuir, avec sa longue robe en soie, les volants répandus en cercle autour d'elle sur le parquet jaune, on voit dépasser son pied qui presse très souvent la pédale droite, et son visage changeant à chaque mesure, et la musique qui était son état le plus naturel; tant que tout cela existait, il ne pouvait rien y avoir d'effrayant dans ce monde"..."

Bulgarie entre 1930 et 1945

Le tsar de Bulgarie : Boris III

Comme je connais mal l’Histoire du pays, je me renseigne chaque fois sur les époques que traitent les romans en lisant des articles dans le net.

Avant d’aller plus loin, j’ai voulu savoir ce qu’est le Front de la Patrie, coalition politique bulgare de la Résistance (voir  ICI wikipédia ), constitué par le parti communiste, le parti agraire et le parti des ouvriers, pendant la seconde guerre mondiale pour lutter contre la dictature militariste pro-nazie du Royaume de Bulgarie et contre l’Allemagne nazie.

En effet, le Tsar Boris III  a succédé à son père en 1918 à la tête de la Bulgarie. Il meurt en 1943. Dans les années 1930, il a mis en place une dictature militaire dans laquelle les partis sont interdits. La Bulgarie se rapproche de l’Allemagne nazie qui doit lui permettre de récupérer les territoires perdus prenant la première guerre mondiale.
Je cite le début de l’article de l’encyclopédie Multimédia de la Shoah et vous renvoie à sa lecture  si vous voulez en savoir plus ICI 

« Au début du mois de mars 1941, la Bulgarie rejoignit les forces de l'Axe et, en avril 1941, prit part à l'offensive conduite par l'Allemagne contre la Yougoslavie et la Grèce. En retour, la Bulgarie reçut de Grèce, l'essentiel de la Thrace et de Yougoslavie, la Macédoine et une partie de la Serbie orientale. Bien qu'ayant participé à la campagne des Balkans, la Bulgarie refusa d'entrer en guerre contre l'Union Soviétique en juin 1941.
En juillet 1940, la Bulgarie instaura une législation antisémite. Les Juifs furent exclus des emplois publics et subirent des discriminations liées à leur lieu de résidence et des restrictions économiques. Les mariages entre Juifs et non-Juifs furent interdits.
Pendant la guerre, la Bulgarie alliée de l'Allemagne ne déporta pas ses ressortissants juifs. Cependant, elle déporta les Juifs non bulgares des territoires yougoslaves et grecs qu'elle avait annexés. En mars 1943, les autorités bulgares arrêtèrent tous les Juifs de Macédoine et de Thrace. 7 000 Juifs de Macédoine (qui faisait auparavant partie de la Yougoslavie) furent internés dans un camp de transit à Skopje. Environ 4 000 Juifs de Thrace furent déportés vers des points de rassemblement à Gorna Dzhumaya et à Dupnitsa et livrés aux Allemands. Au total, la Bulgarie déporta plus de 11 000 Juifs vers des territoires contrôlés par l'Allemagne. A la fin du mois de mars 1943, la plupart d'entre eux avaient été déportés au camp de mise à mort de Treblinka, en Pologne. » (…)


Voir le billet de Miriam


Théodora Dimova est la fille de l'écrivain bulgare Dimitrar Dimov dont j'aimerais tant lire "Tabac". Hélas ! je ne l'ai trouvé qu'à des prix inabordables. Je vais voir si je le trouve en médiathèque mais ce serait étonnant !

 

 Peintre bulgare

Peintre bulgare : Elena Karamihaylova Ici

 

 


dimanche 16 mars 2025

Elena Alexieva : Le prix Nobel

 


 

Le prix Nobel est un roman policier écrit par l'écrivaine bulgare Elena Alexieva.

Eduardo Ghertelsman, écrivain d’origine chilienne qui vient d’obtenir le prix Nobel, accompagné de son agent littéraire Nastassia Voks, arrive à Sofia où il est accueilli par son éditrice bulgare pour une conférence. Le premier contact avec la ville est révélateur. Il tombe dans un embouteillage « cauchemardesque », sur une chaussée défoncée, et à la remarque polie de Nastassia :« maintenant que vous êtes dans l’Union européenne*, vous aurez certainement les moyens d’améliorer votre infrastructure », l’éditrice se contente de lever « dramatiquement »  les yeux au ciel, et le chauffeur s’étouffe dans ce que l’on ne sait définir comme un rire ou comme une toux. Le roman est paru en 2011 et le ton est donné. On sent que l’écrivaine ne va pas se priver de nous montrer les coulisses secrètes de son pays, la corruption, et la dérive mafieuse!

 L’éminent écrivain, désabusé, ne se fait aucune illusion sur les ressorts de la célébrité et de l’engouement du public  : « Après une vie entière consacrée à la littérature, Ghertelsman, se rendit compte qu’un écrivain en vie n’était jamais aussi bien accueilli qu’un écrivain mort ». Après la conférence, il sort se promener le soir dans la ville et disparaît ! Une demande de rançon suit. Le gouvernement est dans tous ses états ! La disparition d’un prix Nobel est un coup dur et ne va pas améliorer la réputation de la Bulgarie auprès de l’Union européenne et surtout des Etats-Unis ( ce qui est le plus important !).

C’est alors que nous faisons la connaissance de l’inspectrice Vanda Belovska. Elle a été rétrogradée pour avoir mis les pieds dans le plat, si j’ose dire, autrement dit, le coupable qu’elle a débusqué dans une précédente affaire, était un peu trop haut placé pour elle. Bref ! elle a été rejetée par le « Système », ou quel que soit le nom qu’on lui donne.

« Vanda ne craignait pas tant l’acide, l’agression physique ou les balles. Elle avait bien plus peur de ce qui allait arriver ensuite. Si quelqu’un avait décidé de se venger, mieux valait qu’il ne fasse pas les choses à moitié ! Elle s’était habituée à combattre activement sa peur de la violence en se confrontant à la violence même. Mais pour pouvoir se le permettre, elle avait besoin d’un dos : Le Sytème. »

Et voilà qu’on la « réhabilite » et qu’elle est chargée de l’affaire ! Elle comprend vite, en étant reçue par le ministre, un ancien camarade de classe, que, si elle échoue, ce ne sera que plus aisé de lui faire porter le chapeau !  Un meurtre, celui d’un autre écrivain, bulgare, cette fois-ci, relance l’enquête et entraîne Vanda dans un village abandonné, proche de Sofia, où les Roms se sont installés au milieu des ruines.

Je ne sais pas si l’intrigue policière vous paraîtra convaincante mais personnellement j’ai été déçue par l’enquête qui avance lentement et qui est, une fois résolue, assez peu vraisemblable à mon goût. Mais pour moi, l’intérêt du roman est ailleurs et d’abord dans le personnage, Vanda, qui se révèle complexe et qui, dans sa solitude et son angoisse, me touchent. Vanda est une femme seule face à une société hostile. Sa seule relation est son collègue de bureau l’inspecteur Kreustanov. Et son seul compagnon est (non pas un chat comme tout bon inspecteur qui se respecte) mais un iguane, par dessus le marché pas très aimant, ni toujours commode ! C’est la richesse du personnage qui donne vie au récit, son questionnement aussi sur la vie, sur ce qui l’entoure. Par exemple, sa relation avec sa mère, source de culpabilité et de remords, dont elle n’est pas proche mais qui, malade, ne peut se suffire à elle-même et qu’elle doit aider; ses rapports avec la corruption, avec l’autorité, son refus de se laisser transformer par le Système alors qu’elle est obligée de se « blinder » face à la violence, la pauvreté, les minorités rejetées, au risque de perdre son humanité.

" Là où elle était, elle savait au moins de quel côté elle se se trouvait. En revanche, plus haut dans la Hiérarchie, les frontières se brouillaient, et c’était là une particularité à laquelle nul ne pouvait échapper. Tous n’étaient pas corrompus ou criminels, au contraire. Mais la seule chose qui les empêchait de l’être, c’étaient leurs propres conceptions ou volonté. Quant au reste, c’était le principe sur lequel reposait l’Etat dans sa totalité. Le Monde entier, se dit Vanda… "

La vision que Vanda nous donne de la société bulgare et du pouvoir donc est au centre du livre ainsi que son refus d’y participer. Elle dénonce un Système qui broie l’individu. L’alternance du pouvoir qui porte au sommet un chef pour le faire tomber l’instant d’après, la pousse à refuser toute distinction et tout poste important.
"Toute ascension se termine par une chute, se dit philosophiquement Vanda.
Même leur chute ne transformait pas ces fonctionnaires en héros tragiques. Au contraire. Une fois qu’ils s’étaient écroulés, il ne fallait que quelques jours pour qu’ils tombent dans l’oubli."

C’est pourquoi on comprend bien le dénouement, un peu déroutant de prime abord, mais il s’agit pour elle de choisir de rester humaine.

J’ai beaucoup aimé aussi les réflexions sur le monde de l’édition où tout est bon pour faire de l’argent, où la littérature est traitée comme un marché, où la création littéraire devient "un métier" comme un autre avec ses obligations de rendement.
Hasard de la lecture, moi qui lis en ce moment pour le challenge sur le Chili, il se trouve que le chef d’oeuvre d’Eduardo Ghertelsman lu par Vanda, Sang et aube, raconte comment l’écrivain se cache dans une cave après le coup d’état de Pinochet. Au questionnement sur la société apparaît aussi un questionnement sur la littérature, sur son pouvoir.

« De ses pages jaillissait une souffrance qui ne pouvait être feinte. L’impression hautaine qui en émanait ne pouvait pas non plus être feinte. Vanda n’arrivait pas à s’expliquer comment il était possible qu’un homme qui courait après la mort comme après une carotte attachée à un bâton tenu à l’autre bout par la mort elle-même - sauf que ce n’était pas la sienne à lui, mais celle de tout ce qui était en train de périr autour de lui- se permit d’être aussi intransigeant. Et ce, non pas qu’il n’ait rien à perdre, au contraire, il espérait gagner. »

Donc, au final, j’ai  trouvé qu'il y avait  de nombreuses raisons d'aimer ce roman qui présente plusieurs entrées très diverses et intéressantes.


* Entrée de la Bulgarie et de la Roumanie dans l’espace Schengen le 1er Janvier 2005. Entrée dans l'UE le 1er janvier 2007.
 

 


 

vendredi 14 mars 2025

Challenge Bulgarie : Bilan provisoire et Idées de lecture

 BILAN BULGARIE ET IDÉES DE LECTURE

 


 


Claudialucia

 Challenge Bulgarie : Littérature Histoire Art qui se joint à moi ?

Elena Alexieva : Le prix Nobel

 Kapka Kassabova : Elixir

Ivan Vazov : sous le joug

Le peintres bulgares : Vladimir Dimitrov Le Maître et Radi Nedelchev

Yordan Yolkov Un compagnon mon billet 

Yordan Yolkov Soirée étoilée mon billet

 Elitza Guieorgieva : Les cosmonautes ne font que passer


Fanja

Le pays du passé de Gueorgui Gospodinov

Miriam :

Theodora Dimova : Les dévastés

Kapka Kassabova Elixir ou la vallée de la fin des temps

Kapka Kassabova : L'esprit du lac 

Kapka Kassabova : Lisière

Marie Kassimova-Moisset :  Rhapsodie balkanique 

Angel Wagenstein :  Adieu Shangaï

Angel Wagenstein : Le pentateuque ou les cinq livres d'Israel

Jules Verne : Kereban le têtu 

Jules Verne : Le pilote du Danube 



Rappel du challenge :

Je pars en voyage en Bulgarie au mois de mai et je commence à lire des livres d'auteurs bulgares fort intéressants.  Qui veut me rejoindre pour découvrir la littérature bulgare ? 

Il s'agit d'une littérature peu connue. Personnellement, je n'avais rien lu jusqu'à maintenant. J'ai commencé avec quelques titres, c'est pourquoi je publierai dès le mois de Mars. Mais la date du début du challenge sera au Mois d'Avril pour vous permettre de trouver des titres. j'ai pioché, en particulier dans les nombreuses lectures de Miriam.

Donc, à partir du mois de Mars ou Avril jusqu'à la fin septembre, je propose que l'on découvre la littérature bulgare mais aussi l'histoire du pays et les arts, peintures, icônes, fresques, architecture...

 Laissez vos liens ici.

 




jeudi 13 mars 2025

Jorge Gonzales et Olivier Bras : Maudit Allende et Julos Beaucarne : J'veux te raconter Kissinger...


 

Maudit Allende de Olivier Bras et Jorge Gonzales est une bande dessinée dont le titre m’étonne dès le début, moi qui ai toujours pensé à Allende comme à un homme courageux, un  président élu par son peuple, assassiné par la junte militaire aux ordres des Etats-Unis et de Nixon-Kissinger. Un adversaire du capitalisme américain.
Maudit Allende ? A moins que cela soit tout simplement une antiphrase ?

Mais non ! Allende est maudit aux yeux des parents du jeune Léo qui ont préféré s’exiler en Afrique du Sud lorsque celui-ci est porté au pouvoir. Il est maudit aux yeux des bourgeois chiliens, des riches propriétaires, parce qu’il a voulu partager les terres, nationaliser les mines, redistribuer les richesses, apporter plus de justice sociale.

Allende promet de nationaliser les mines et de donner un salaire décent aux mineurs


Léo qui ne connaît pas son pays ne s’est pas trop posé de questions pendant toute son enfance sauf lors d’une visite d’un cousin de son père qui déplore qu’Allende ait été trahi par Pinochet. Il lui laisse, caché dans un livre, le discours de Salvador Allende du 11 septembre 1973, jour où le palais de la Moneda a été bombardé et où le président s’est donné la mort.


 bombardement et incendie du palais de la Moneda : 11 septembre 1973

Devenu adulte, le jeune homme, cherche à se faire une idée sur ce qui s’est passé. Dans un parallèle, la BD retrace le vie des deux hommes, Allende et Pinochet, de leur enfance à la mort d’Allende et à la prise de pouvoir de Pinochet avec la répression sanglante qui suivit.
Revenu au Chili, Léo accompagné de Victoria, sa fiancée, journaliste, enquête sur les tortures, les disparitions, les assassinats dont s’est rendu coupable le gouvernement de Pinochet. Léo est encore au Chili quand il assiste le 3 mars 2000 au retour de Pinochet arrêté en Angleterre en 1998, renvoyé dans son pays prétendument pour des raisons de santé. Et il voit l’homme assis sur un fauteuil roulant se lever, offrir un sourire triomphal à la presse, saluer ses proches…

« Ses partisans se sont rassemblés dans le centre de Santiago, aux alentours de l’hôpital militaire. Ils s’amusent du mauvais tour joué par Pinochet pour échapper aux Européens. »

Au moment de son départ, il entend la confession d’un chauffeur de taxi qui faisait son service militaire au moment des faits et qui avoue avoir reçu l’ordre de transporter des cadavres dans une ambulance pour les jeter dans la rivière Mapocho à Santiago.

«  Ces cadavres me hantent. Je vis avec la peur d'être un jour poursuivi pour tout cela. Mais j'avais besoin de pouvoir le raconter enfin".

Après cela, Léo  a compris qui était Pinochet !  Mais quand il écrit à ses parents restés en Afrique du sud, on dirait bien qu’il s’en lave les mains :

« Les deux camps restaient irréconciliables, trente ans après le coup d’état. Et je ne me voyais pas vivre  dans un pays incapable de partager cette histoire commune».

Que dire de cette BD ? Les évènements paraissent racontés parfois de manière superficielle; tout est survolé. Ce à quoi il fallait s’attendre. Comment résumer trente années de cette tragique histoire en quelques pages ? J'ai eu parfois une impression de décousu et de fouillis à la fois dans le dessin et le récit. Tout est flou comme les belles et glaçantes peintures aux coloris sombres de Jorge Gonzalès, qui baignent dans le brouillard. 

Et la conclusion ? Veut-on ménager les deux parties dans ce désir de monter les défauts de l’un et de l’autre ? Est-ce par souci d’impartialité ?  Mais comment rester sans réaction face à à un coup d'état qui usurpe un pouvoir légitime, une Junte militaire appuyée par les Etats-Unis qui torture et supprime ses opposants ? Comment croire à la réconciliation alors qu’il y a toujours des victimes qui n'ont pas été retrouvées au Chili, toujours des familles qui ne savent pas ce que sont devenus les leurs ? Alors qu'il y a toujours des bourreaux qui échappent à la justice. J’avoue que je n’ai pas trop su comment recevoir ce récit et j'ai trouvé cette conclusion difficile à interpréter.


Lettre à Kissinger : Julos Beaucarne




Kissinger avec Nixon ont encouragé et soutenu le coup d'état du 11 septembre 1973.  Le socialiste Allende et ses réformes gênent les Etats-Unis, alors on s'en débarrasse en s'appuyant sur l'armée.

Kissinger déclare :

"Je ne vois pas pourquoi nous devons rester les bras croisés et regarder un pays devenir communiste en raison de l'irresponsabilité de sa population". "Ces questions sont bien trop importantes pour que les électeurs chiliens puissent décider eux-mêmes."  

Julos Beaucarne dans cette chanson en forme de lettre fait allusion au chanteur populaire chilien Jara emprisonné avec des milliers d'opposants au coup d'état fasciste à l'Estadio Chile (aujourd'hui nommé stade Víctor Jara en mémoire de son martyre) puis à l'Estadio Nacional avec de nombreuses autres victimes de la répression qui s'abat alors sur Santiago. (wikipédia ici). Il apparaît dans cette BD.

 (* Kissinger, prix Nobel de la paix, il sera aussi poursuivi par plusieurs tribunaux comme criminel de guerre ! )

Jara


Challenge Littérature Chilienne che Je lis Je blogue


J'veux te raconter Kissinger


L'histoire d'un de mes amis


Son nom ne te dira rien 


Il était chanteur au Chili

Ça se passait dans un grand stade


On avait amené une table


Mon ami qui s'appelait Jara


Fut amené tout près de là

On lui fit mettre la main gauche


Sur la table et un officier


D'un seul coup avec une hache


Les doigts de la gauche a tranché

D'un autre coup il sectionna


Les doigts de la dextre et Jara


Tomba tout son sang giclait


6000 prisonniers criaient

L'officier déposa la hache


Il s'appelait p't'être Kissinger


Il piétina Victor Jara


Chante, dit-il, tu es moins fier

Levant les mains vides des doigts


Qui pinçaient hier la guitare


Jara se releva doucement


Faisant plaisir au commandant

Il entonna l'hymne de l'U


De l'unité populaire


Repris par les 6000 voix


Des prisonniers de cet enfer

Une rafale de mitraillette


Abattit alors mon ami


Celui qui a pointé son arme


S'appelait peut-être Kissinger

Cette histoire que j'ai racontée


Kissinger ne se passait pas


En 42 mais hier


En septembre septante trois

 

 



mardi 11 mars 2025

Elitza Guieorguieva : Les cosmonautes ne font que passer

 

 

Le vrai ou le faux

Elitza Guieorguoieva, née à Sofia en 1982, vit en France


"Ton grand-père est communiste. Un vrai, te dit-on plusieurs fois et tu comprends qu’il y en aussi des faux. C’est comme avec les Barbie et les baskets Nike, qu’on peut trouver en vrai uniquement si on possède des relations de très haut niveau. Les tiennes sont fausses… "

Ce passage du roman Les cosmonautes ne font que passer d’Elitza Guieorguieva, dans un chapitre intitulé Le vrai ou le Faux, donne le ton. C’est par l’humour que l’écrivaine nous amène à voir son pays à travers le regard d’une petite fille.  Nous sommes en Bulgarie communiste, l’attrait du capitalisme même chez les enfants est puissant et la question du vrai ou du faux ne touche pas, comprend notre héroïne, que les baskets et les Barbies mais aussi les hommes et les gouvernements. Ainsi son grand-père adoré est un « vrai communiste », elle jouera sur ce comique de répétition à plusieurs reprises. Il s’est battu contre le fascisme en résistant dans les montagnes de son pays (allié aux nazis), il n’a tiré aucune richesse, aucun pouvoir, de son engagement. Et puis, il y a les faux, et oui, ceux qui sont au pouvoir, qui ont exercé la répression, qui ont installé la dictature comme Todor Jivkov*, qui semble être dans le collimateur de ses parents. Ceux-ci s’enferment dans la salle de bain et font couler de l’eau pour couvrir leurs critiques et leur colère. La fillette se demande bien pourquoi. Elle-même est trop jeune pour souffrir de l’embrigadement, des discours tout faits, imposés, comme ceux de la camarade directrice de l’école, des journaux qui déforment la vérité, du manque de liberté. Elle porte un regard innocent et sans à priori sur ce qui l’entoure. Mais nous, lecteurs, bien sûr, nous prenons conscience du manque de liberté et de la corruption du pouvoir puisqu’il faut avoir des « relations » pour obtenir ce qui est "vrai". Ce roman est un vrai enchantement tant le ton est vif, amusant, plein de fraîcheur comme la petite fille qui raconte son histoire. Elle n'est pas malheureuse avec une imagination délirante, des parents aimants et, chaque année, une lettre au Père Gel qui lui apporte un cadeau. ( Le Père Noël n'est pas à la mode dans la Bulgarie communiste).

Une vocation de cosmonaute

Youri Gagarine


L’héroïne de ce roman n’a que sept ans lorsqu’elle entre à l’école Youri Gagarine dans une Bulgarie sous contrôle soviétique. Le sourire du premier homme de l’espace, le sapin que le cosmonaute a planté devant l’établissement scolaire, lors d’un visite en Bulgarie, emplit l’enfant de rêve et lui donne envie de devenir cosmonaute. Et ce n’est pas gagné même si elle s’entraîne à l’apesanteur et espère avoir un soutien de « son amie éternelle », Constanza, plutôt portée sur la toilette, les robes fluo et la gymnastique rythmique.  Ses parents mettent beaucoup de mauvaise volonté pour booster sa carrière ! Elle cherche à convaincre son chien Joki, pas obligatoirement motivé lui aussi, de tenter l’aventure spatiale. Ainsi quand son grand-père, le seul qui la soutienne, l’amène au musée des cosmonautes, Joki ne semble pas toucher par la grâce en regardant l’image de Laïka, la première chienne de l’espace. Par contre…

« Il montre bien plus de respect à Ivan, le premier chien bulgare destiné aux vols spatiaux, mort d’une crise d’asthme lors de l’entraînement. Son corps empaillé est exposé au milieu de la salle et Joki, après un moment de choc, se met à aboyer avec beaucoup d’émoi, à la suite de quoi vous êtes priés de quitter les lieux plus vite que prévu. »

Nirvana et transition démocratique

Punk

Enfin vient la chute du mur de Berlin! La fin du communisme ! La liberté ! La fillette entre dans l’adolescence. Elle aura quatorze ans à la fin du roman. Elle renonce à sa vocation de cosmonaute ayant appris que tout était faux dans l’Odyssée de son héros : Youri a failli griller dans sa capsule, et le sapin qu’il a planté est mort dans sa prime jeunesse, remplacé par un autre, donc forcément « faux » !
Amoureuse de Nivarna et de Kurt Cobain, la voilà punkette, chargée de chaîne (arrachée à la chasse à eau des toilettes, elle lance la mode). Elle entreprend une carrière de chanteuse ( pour ne pas faire mentir la voyante de sa mère), compositrice, guitariste (elle ne sait pas jouer de l’instrument mais c’est d’autant mieux pour exprimer sa révolte). Joki est nettement plus doué comme chanteur que comme cosmonaute et il hurle de concert avec elle. Pauvres parents ! Et pendant ce temps l’apprentissage de la liberté et du capitalisme se poursuit.  Et la jeune fille dresse des listes selon son habitude, listes dans lesquelles Elitza Guieorguieva manie l’ironie d’une manière très réussie !

« C’est la transition démocratique. Tout est cher et tout le monde est pauvre.
Maintenant c’est officiel.
a) Il n’y a plus rien à manger
b) il n’y a plus rien à vendre dans les magasins
c) Et rien avec quoi acheter. »


Son père est au chômage, les coopératives et les usines ferment, les prix flambent, l’inflation réduit à rien les quelques petites économies faites pendant vingt ans par sa mère, on inaugure le premier Mc Donald en Bulgarie (quel progrès !), les mutras * se déchaînent, la maffia s’organise, les maffieux costume cravate arrivent au pouvoir  (démocratiquement) … Sa grand-mère la fait baptiser, son grand-père est désespéré, il perd les mots et le mémoire, et elle l’abandonne dans la rue, perdu, désorienté, par crainte d’être vue avec un communiste ! Sous le ton apparemment léger et le rire, la critique se fait plus précise et plus dure.

 « C’est la transition démocratique, la censure n’existe plus, tout le monde est satisfait : la ville se remplit de sex-shops, de boîtes d’entraîneuses, de bars à strip-tease, de vidéoclubs au contenu douteux mais curieux ». Toutes les joies de la liberté et du capitalisme !

Oui, le tableau est désastreux mais c’est conté avec un tel humour que l’on en rit.  J’ai adoré ce livre, la vision de la petite fille qui va peu à peu sortir de l’enfance et mieux appréhender ce monde qui l’entoure… L’humour naïf passe alors à l’ironie acerbe ! Au cours de ces quelques années, tout va changer dans ce pays qui sort du communisme, sinon pour le pire, en tout cas, pas pour le meilleur ! Rire de ce qui est sérieux, de ce qui fait mal, chercher à comprendre, renvoyer face à face le communisme et le capitalisme, tous deux effroyables dans leur manifestation dévoyée.


*Todor Jivkov 



"Todor Khristov Jivkov (Toдор Xpиcтoв Живков ) né le 7 septembre 1911 et mort le 5 août 1998, est un homme politique communiste bulgare. Il est durant 33 ans le principal dirigeant de la république populaire bulgare. Il est responsable d'un épuration ethnique contre les Turcs de Bulgarie." Voir ICI

 

 

 

* Mutra
 

"Sous le communisme, le mot bulgare mutra signifiait généralement « visage de mufle ». Il était utilisé comme une insulte pour décrire quelqu’un, généralement un homme, comme laid et répugnant. Après l’effondrement du communisme, dans les années 1990, le sens du mot a changé. La Bulgarie a entamé sa transition traumatisante d’une société et d’une économie communistes réglementées vers une démocratie.
C’est l'âge d'or des mutri bulgares. Ils se lancent dans des activités plus ou moins illégales. Ils se promènent dans les quartiers en offrant une « protection rémunérée ».
En un rien de temps, un réseau nébuleux de crime organisé impliquant la drogue, la prostitution, la contrebande, le trafic d’êtres humains, le trafic d’armes et l’exportation illégale de pétrole se met en place. Les mutri opèrent en toute impunité car ils savent que la police préfère fermer les yeux,  en échange de pots-de-vin et de faveurs.
Dans les années 2000 la Bulgarie a adhéré à l’Otan et à lUE, les mutris se sont adaptés. Ils  sont devenus des cols blancs. Leur argent a été blanchi. L’intégration entre le crime organisé et l’Etat est totale.
En 2009, Boyko Borisov devient premier ministre. Il agit à la tête de l’état comme un mutra, utilisant des agences pour extorquer les entreprises. Les mutras possèdent leur propre médias. La liberté d’expression a décliné. Et il en est toujours ainsi en 2020."

Voir ICI


 


dimanche 9 mars 2025

Marcel Théroux : Au nord du monde

 

Au nord du monde est un roman post-apocalyptique de Marcel Théroux que l’écrivain, documentariste, a imaginé à la suite d’un reportage dans la zone d’exclusion de Tchernobyl.

Quand elle était enfant, les parents de Makepeace, quakers, désirant vivre en harmonie avec leur foi et la nature, ont abandonné les Etats-Unis pour coloniser des terres accordées par les Russes en Sibérie dans le pays des Toungouses. Une ville s’est vite dressée dans cette région rude et gelée et qui est tout sauf idyllique !  Mais Makepeace se souvient de son enfance comme une période somme toute agréable, si ce n’est, à l’école, à cause des moqueries au sujet de son prénom. Puis tout a commencé à se déliter.  Maintenant, après la catastrophe qui semble avoir atteint le monde entier, elle vit seule dans une ville déserte où les rares apparitions humaines loin d’être les bienvenues sont dangereuses. Comme elle est grande et  forte, elle passe aisément pour un homme. De plus, elle a toujours une arme à la main pour se protéger et n’hésite pas à s’en servir. C’est ainsi qu’elle blesse Ping, un jeune chinois, le soigne et le recueille. Il faut encore savoir qu’après avoir vu un avion, elle part sur les routes dans l’espoir de retrouver des vestiges de la civilisation. Mais je ne veux pas en dévoiler plus et vous laisse la surprise de la découverte.

Le roman de Marcel Théroux décrit avec poésie la nature de ce pays nordique. La beauté qu’il nous révèle fait d’autant plus ressentir la perte de ce monde unique.

« La première nuit de gel au clair de lune, j’ai vu une aurore boréale tournoyer dans le ciel comme si Dieu étendait sa lessive à supposer que le Tout-Puissant dorme sur de  la mousseline verte. Plus tard, dans la saison, les aurores boréales seraient plus bigarrées mais je trouvais celle-là déjà belle. Il y a quelque chose de rassurant dans le mouvement, et le calme et la fluidité de ce motif de lumières dans le ciel me donnaient l’impression qu’on me caressait les cheveux. »

Plus tard, dans la zone contaminée, Makepeace prend conscience de la sottise de l’homme qui n’a pas su protéger la nature, qui n’a pas compris combien ce savoir accumulé au cours des millénaires était précieux.

« Tous ces petits faits arrachés à la terre. Le nom des plantes et des métaux, des pierres, des animaux et des oiseaux; le mouvement des planètes et des vagues. Tout cela réduit à néant, comme les mots d’un message primordial qu’un idiot aurait mis à laver avec son pantalon et aurait récupéré tout  brouillés. »

Le roman de Marcel Théroux est noir, très noir ! Déjà, dans un monde civilisé, la loi du plus fort est souvent la meilleure - selon la Fontaine (qui le déplore) ou Trump (qui s’en glorifie)- alors, on imagine sans peine combien la violence domine un monde où il n’y a plus de frein au mal, plus d’éthique, plus de solidarité et où il faut se battre pour survivre. Dans le camp de concentration où elle est prisonnière, Makepeace se lie d’amitié avec Chamsoudine, ancien chirurgien, homme jadis fortuné :

«Je lui ai dit que, d’après mes observations, il ne fallait pas plus de trois jours avant que le désespoir et la faim sapent tout instinct civilisé chez une personne. Il a souri et répondu que j’avais une vision sombre de la nature humaine et que, d’après son expérience, c’était plutôt quatre. »

Si pour les critiques, le roman de Marcel Théroux s’apparente à un western des pays froids, chevauchée dans des régions inhospitalières, rencontres, aventures, bagarres et coups de feu, violence et mort, il y a bien sûr, la dimension post-apocalyptique du roman qui domine et à laquelle on ne peut échapper.  Au nord du monde décrit, malgré le courage et la ténacité de l’héroïne, un monde définitivement perdu pour l'être humain. La civilisation a disparu et l’homme ne peut en vouloir qu’à lui-même. Pourtant dans cette noirceur absolue, Marcel Théroux laisse subsister un espoir. Il faut tout reprendre à zéro, semble-t-il dire, tout recommencer à la base, comme le fera peut-être la fille de Makepeace, partant à cheval vers le nord ! Un beau roman qui ne fait pas toujours plaisir tant il pose un regard pessimiste et sans concession sur un univers qui va à sa perte mais dont la lecture est prenante.


  



vendredi 7 mars 2025

Carmen Castillo : Un jour d'octobre à Santiago

Carmen Castillo
 

Carmen Castillo est une écrivaine et cinéaste franco-chilienne, née à Santagio du Chili. Amie de Beatriz, la fille du président Allende, elle a travaillé un temps au ministère des affaires étrangères au palais de la Moneda. Elle a été la compagne de deux dirigeants du MIR, mouvement de la gauche révolutionnaire : Andres Pascal Allende, neveu du président avec qui elle a eu une fille Camila et Miguel Enriquez.

 

Miguel Enriquez, un des chefs du MIR

Dans son livre Un jour d’octobre à Santiago, alors qu’elle est en exil en France, elle raconte comment elle a choisi avec son compagnon de vivre dans la clandestinité et de continuer la lutte armée jusqu’à ce jour du 5 Octobre 1974 ou Miguel est tué et elle gravement blessé lors d’une attaque de la DINA (police militaire du général Pinochet.). 

La première partie de ce récit a pour titre la maison bleue de Santa Fé, là, où elle a vécu pendant un an après le coup d’état et éprouvé malgré le chagrin et la violence, « un bonheur paisible, intense », avec leurs deux petites filles : Camila (qui est la fille de Carmen Castillo et d’Andres Allende) et Javeira (fille d'un premier mariage de Miguel Enriquez). Mais le danger est trop grand, les enfants des révolutionnaires sont torturés pour faire parler les parents, et les deux petites filles sont envoyées en exil via l’ambassade d’Italie pour assurer leur sécurité. Dans un récit où le danger guette à chaque instant, Carmen Castillo, entre retour dans le passé et présent, nous fait vivre le quotidien de la lutte révolutionnaire, l’organisation, les changements de domicile et d’identité, les pièges, les trahisons, les arrestations de leurs amis, la mort, les disparitions, le chagrin et la peur mais aussi la force morale, la résistance, toujours présente, et qui font partie de la vie. Et elle revit comme un film le déroulement de la sinistre journée du coup d'état 11 septembre 1973. Parfois l’écrivaine emploie la troisième personne pour parler d’elle-même comme si elle voulait mettre une distance entre elle et elle-même, tenir à distance ce qu’elle a vécu.

"Dix mois de vie à la maison bleu ciel de Santa Fé. Et tout ce qu’on peut attendre le long d’une vie, je l’ai vécu, là.
Chaque action de nos jours, le moindre geste dans ce lieu, entrepris comme si c’était le dernier. Et c’était cela simplement notre bonheur.
Pas une compromission, pas une légèreté, pas une défaillance à réaménager le lendemain, on n’avait pas le temps."


La seconde partie La maison José Domingo Canas est une plongée dans l’horreur. Il s’agit de la prison où les révolutionnaires  sont torturés et maintenus en vie le plus longtemps possible afin d’obtenir des aveux. Il y a les amis, membres du MIR, El Chico qui résistera à la torture jusqu’à la mort, Luisa, Amélia, Jaime, Carolina … Une solidarité étroite les unit qui étonne même leurs gardiens. Il y a aussi la Flaca Alexandra qui a cédé sous les tortures, dénonce ses amis et collabore avec les ennemis. 

Mais malgré les détours tout nous ramène au but de ce récit : « Je me dois de refaire, à mes risques et périls, l’interminable et si court enchaînement qui mena au samedi 5 Octobre » quand la police prend d’assaut la maison bleue, Miguel tué en combattant, elle gravement blessée et enceinte conduite à l’hôpital. Et puis, face à la pression internationale, elle est libérée  et expédiée en exil, son bébé meurt peu de temps après.

Enfin la troisième partie La rue Claude-Bernard  où est situé l’appartement dans laquelle elle est hébergée à Paris, elle et d’autres exilés comme Simon, le frère de Miguel.

 

Laura, députée socialiste, soeur du président Allende

Elle va revoir sa fille Camila hébergée chez son père Andrès à la Havane où la famille s’est réfugiée. Javiera, elle, est au Mexique. A Cuba, elle rencontre aussi Laura Allende, la grand-mère de Camila, mère d’Andres, la soeur du président Allende, un beau personnage plein de force, de grandeur, de résilience. Laura Allende raconte l'enterrement de son frère.

"Le cimetière à Viña del Mar. Les quatre proches familiers et des marins en grand nombre. Laurica cueille une petite fleur jaune, une primevère, dans l'herbe qui entoure la sépulture. Elle la met sur le cercueil. La fleur tombe au fond de la fosse. Les soldats ricanent. Laurita s'exclame : Vous devriez avoir honte !... honte d'enterrer ainsi le président du Chili !... Et après un silence, lentement : Ce n'est pas cela l'important... quoi que vous fassiez, le peuple chilien ne l'oublie ni ne l'oubliera.

Elle n'a pas fini ces mots que le fossoyeur saute dans la fosse, ramasse la fleur jaune et la remet sur le cercueil. Personne ne bouge."

Carmen s’apprivoise à la vie en France au point que lorsqu’elle sera à nouveau autorisée à revenir au Chili, elle ne reconnaît plus son pays, la vie a  continué là-bas sans elle. Mais elle ne cesse pas de poursuivre son but, son devoir de mémoire, demandant à tous ceux qui souhaitent lui répondre : Où étais-tu le 5 Octobre ?

 

 


 

Challenge chilien chez Je Lis Je blogue

mercredi 5 mars 2025

Kapka Kassabova : Elixir dans la vallée à la fin des temps


 

Kapka Kassabova avec Elixir dans la vallée à la fin des temps nous emmène en Bulgarie, dans les montagnes des Rhodopes, au coeur de la vallée où coule le Mesta et où vivent les Pomaks, ce peuple enraciné dans la terre, musulman mais non turcophones. Le pays des 742 plantes médicinales. Dans ces paysages encore sauvages malgré l’exploitation intensive qui eut lieu pendant la période communiste, tout paraît connecté, les sommets, les gens et les plantes si bien que l’on y sent quelque chose de « l’ancien temps »

"La Bulgarie, comme je l'ai découvert, est un des premiers pays exportateurs de plantes médicinales et culinaires. Nombre d'entre elles sont toujours récoltées dans la nature, et le bassin de la Mesta est une plaque tournante dans ce secteur du fait de sa richesse écologique : trois chaînes de montagnes, une superposition de plusieurs microclimats, le tout quasiment épargné par l'industrie. Et même par la mécanisation ou la modernité jusque dans les années 1950. L'Etat communiste exploita ensuite la vallée au maximum ".

Dans cet ouvrage, Kapaka Kassabova, écrivain bulgare, installée en Ecosse, part à la recherche de son enfance, des souvenirs de sa grand-mère qui l’a initiée à la cueillette des plantes et à leur savoir, en quête de cet élixir qui est le titre de son ouvrage et dont la composante essentielle est « l’émerveillement » . Mais ajoute-t-elle  : « C’est à vous de le chercher ». « Tout ce que je sais, c’est que notre Terre le fabrique dans son chaudron, en permanence, partout, et que vous faites partie de la recette insensée ».
Elle entre en contact avec les derniers cueilleurs, détenteurs de ce savoir ancestral : les guérisseuses, magiciennes ou sorcières, ou encore saintes, Stoyna, Vanga qui sont vénérées, mêlant christianisme et paganisme. Rocky est l’ensorceleur, Emin, celui qui murmure à l’oreille des chevaux, Tatie Salé est une charmante sorcière au nez crochu et aux yeux chafouins. Tout le pays baigne dans la magie et l’animisme, ce qui n’empêche pas pourtant une approche réaliste des souffrances du peuple Pomak et des difficultés économiques qu’il continue à éprouver.
Dans ce pays, l’Histoire paraît déposer différentes strates qui se superposent pour former un tout mais l’on peut sentir la présence de chacune de ces périodes en restant attentifs : Qui vit sans la nature oublie. Qui vient en pareil endroit se souvient. »

Nous nous intéresserons ici, en particulier, à la Grèce antique si étroitement liée au Rhodopes dont elle est limitrophe, dans ce pays qui vit naître Orphée et où se trouve la grotte ouvrant sur les Enfers. Les plantes entretiennent avec la mythologie des liens étroits : le pissenlit nourrit Thésée et lui donne la force de s’attaquer au minotaure, l’Iris, déesse de l’arc-en-ciel est l’alchimiste originelle, archétype de la Tempérance, figure ailée munie de deux coupes, l’Atropa belladonne évoque les trois Parques, la première déroule le fil, la deuxième le tisse, la troisième Atropa la coupe…
Mais d’autres époques apparaissent.  Les différentes croyances se mêlent,  les formules rituelles, la magie changent d’époque, la samodiva, la nymphe des bois de ce pays n’a rien de bienveillant et change d’apparence  à sa guise, héritière de  la Grecque Thracé, fille du Dieu Oceanos.

Les Rhodopes : les massifs de Pirin et Rila

C’est ainsi que l’écrivaine nous invite à cette communion avec la nature qui ne peut se faire que par l’écoute et le respect. Tout y est musique. La Nature de Kapka Kassabova est bruissante de vie, de paroles, d’incantations :  les fourmis chantent, les pierres, les fleurs, les arbres parlent, révèlent leurs secrets à ceux qui savent les écouter.
La montagne jouait ses variations pour nous. Le Pirin était un conteur virtuose, avec ses fleuves, ses sources, sa palette de verts, ses ruines et ses fantômes.

 La rumeur de la forêt sans cesse en mouvement est « un pas de danse du soleil sur la mousse », les astres appellent, l’arbre sacré, le chinar, vibre, le géranium confie ses pouvoirs à la guérisseuse Vanga « Je sers à calmer les nerfs. Faites-le savoir autour de vous, il me dit. »  Rocky l’Ensorceleur lui confie «  Toutes les plantes sont amour. Mais tu dois apprendre à parler leur langue. Voilà c’est tout pour cette fois. J’espère que ce n’est pas trop tard. ».

Outre la connaissance des plantes médicales, Elixir est un hymne à la nature, un panier de goûts et de saveurs, un enchantement des yeux et des oreilles,  un appel à tous les sens, à la vie. Et j'aime ce style poétique !

La lune semblait pétrie de beurre baratté. Je sentais la sève monter dans les pins, comme le sang afflue vers l'épiderme. Aux phases de pleine lune, tout ce qui est là est doublement là.

« Mon dos absorbait la chaleur du sol et je me muais en ver de terre. Le bruissement de la forêt de haricots verts, l'odeur de résine du tas de bois, le sirop de pin de Zaidé dans le bocal, les hirondelles décrivant en silence des cercles sur les cimes – tout frémissait dans la lumière telle une toile d'araignée, puis volait en éclats à mon réveil, visage brûlé, soleil éclipsé ».

Vanga : « Pas de fleurs coupées surtout, précisait-elle. Elles sont comme des enfants aux mains tranchées… Apportez-moi une plante vivante. »

 

Voir le billet de Miriam Ici