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samedi 14 décembre 2024

AndreÏ Kourkov : Les abeilles grises

 

 

Serguei Sergueïtch et Pachka, les deux derniers habitants du village de Mala Starogradovtich située en « zone grise », c’est à dire ni en terre russe, ni en terre ukrainienne, dans l’oblast du Donetsk, région du Donbass, ont une position très inconfortable ! Nous sommes dans les années 2014. Les séparatistes russes épaulés par les Russes et les nationalistes ukrainiens s’affrontent. Au-dessus de la tête des deux hommes, les obus volent de part et d’autre de la frontière et tombent parfois bien près de leur maison. Les villageois sont partis, les maisons sont fermées, l’électricité est coupée, l’approvisionnement difficile, et les deux «meilleurs ennemis » d’enfance sont bien obligés de s’entendre et de coopérer pour survivre. L’un Pachka, pro-séparatiste, l’autre, Sergueï, pro-ukrainien, mais tous les deux dans la même situation. Force est de constater que Kourkov nous conte, de la part des deux « ennemis », et tant bien que mal, une histoire d’amitié.

Serguei Serguievtich est apiculteur. Son épouse et sa fille l’ont quitté pour vivre, il y a plusieurs années de cela, dans la grande ville. Après avoir assuré la sécurité dans les mines de ce pays houiller, Serguei a été réformé pour silicose. Ses abeilles, il les aiment et c’est pourquoi, au printemps, il les amène loin de la zone grise pour qu’elles trouvent la tranquillité et les fleurs pour butiner en paix. Un voyage vers l’Ouest de l’Ukraine où il est considéré, venant du Donetstk, comme suspect par les Ukrainiens de l’Ouest, puis vers la Crimée où il se lie d’amitié avec les Tatars mais est suspecté par les Russes. Des tatars, il s'en aperçoit, qui ne sont pas acceptés par le reste de la population et lui-même, il lui faut bien vite s'en retourner, pressé par les autorités russes.  Décidément, ou qu’il soit, Serguei est toujours en zone grise ! Même ces abeilles deviennent grises ! C'est la couleur du récit, c'est aussi la couleur des êtres humains, ni blanc, ni tout à fait noir, gris !

Le livre d’Andreï Kourkov est un beau roman, d’une tristesse égayée par des situations inédites voire burlesques, comme cette fameuse nuit où Sergueï intervertit les noms des rues du village pour ne plus vivre rue Lénine mais dans la rue d'un poète ukrainien ! Une tristesse pleine de tendresse. Sergueï est, en effet, à priori, un homme un peu fruste, avec toutes ses faiblesses, mais capable d’une certaine délicatesse et d’attention vis à vis des autres. On le découvre, à plusieurs reprises, plein d’humanité lorsqu’il va recouvrir de neige, au péril de sa vie, le cadavre d’un soldat ukrainien, ou lorsqu’il intervient en Crimée, auprès des autorités russes, et ceci malgré sa peur, pour découvrir ce qu’est devenu Athem, un tatar, apiculteur comme lui, disparu depuis deux ans. Grâce à ses abeilles, Serguei est proche de la nature même s’il leur reproche parfois de trop ressembler aux hommes d’où une petite musique poétique et nostalgique, mi-optimiste, mi-pessimiste, une musique qui ne cesse pas complètement de croire en l'humain,  bref !  en demi-teinte, qui baigne le roman. Une belle lecture.
 

Sergueï recueille une abeille sans ruche et cherche à la faire accepter dans une autre :

Allez, monte ! " dit-il à l'abeille.

Celle-ci, comme si elle l'avait entendu, se glissa gaillardement dans l'ouverture.

Sergueï n'eut pas le temps de cligner de l'oeil que l'insecte retomba en arrière sur la planchette, aussitôt suivi par trois ou quatre abeilles de la ruche qui entreprirent de le repousser loin de l'entrée, jusqu'à le culbuter dans le vide.

- "Voyez-moi ça !"soupira Serigueïtch en se penchant. Il ramassa l'abeille par terre, comme pour lui offrir de bâtir une petite ruche dans l'interstice.

Il tourna les yeux vers la planche d'envol.

" Eh bien, vous êtes donc comme les humains ? demanda-t-il aux abeilles avec amertume.

jeudi 5 décembre 2024

Marcel Proust : Albertine disparue


Albertine disparue est l’avant-dernier volume de La recherche du temps perdu. Il est divisé en quatre livres qui portent respectivement les titres suivants :

I ) Le chagrin et l’oubli qui raconte le départ d’Albertine, sa mort et la douleur de Marcel, sa jalousie et bientôt l’oubli.

II ) Mademoiselle de Forcheville : Marcel rencontre Gilberte après le remariage d’Odette avec monsieur de Forcheville. Ce dernier, en épousant la mère, a adopté la jeune fille et lui a donné son nom et son titre. Elle est désormais Mademoiselle de Forcheville et est reçue dans les plus grands salons, ceci d’autant plus qu’elle est à la tête d’une grande fortune. Il est de mauvais ton, désormais, d’évoquer Swann. Gilberte devenue snob essaie de faire oublier qu’elle est sa fille. Pauvre Swann, lui qui l’aimait tant !

III) Séjour à Venise : Marcel part à Venise avec sa mère. La description de Venise est bien rapide, ce qui m’a déçue. Marcel préfère évoquer  sa rencontre avec Monsieur de Norpois et madame de Villeparisis. Je m’attendais, lui qui parle si bien de l’art, à rencontrer Carpaccio, Bellini ou le Titien en sa compagnie, mais rien ! Bien décevant ! Même adulte, il se comporte avec sa mère comme un galopin mal élevé et trop gâté. Il boude et refuse de prendre le train pour rentrer en France parce qu’il  veut prolonger son séjour à Venise pour se lier avec une jeune vénitienne qu’il verrait bien prendre la place d’Albertine. Le personnage de Marcel est décidément bien antipathique.

IV) Nouvel aspect de Robert de Saint Loup : Où l’on apprend que Saint Loup, désormais marié à avec Gilberte, délaisse son épouse et lui préfère les hommes. Son homosexualité s’accompagne de mensonge : il feint d’aimer passionnément les femmes pour ne pas avoir d’ennui avec la société, trompe Gilberte tout en profitant de sa fortune, et Marcel constate la fin de leur amitié.

Les liens entre un être et nous n’existent que dans notre pensée.(…)  Nous existons seuls. L’homme est l’être qui ne peut sortir de soi, qui ne connaît les autres qu’en soi, et, en disant le contraire, ment.


L’amour chez Marcel Proust : Le chagrin et l’oubli

 

La cristallisation

Le chagrin et l'oubli, ce titre résume bien ce qu'est l'amour pour Proust. 


Dès lors qu’Albertine l’a quitté, Marcel se rend compte qu’il ne peut pas vivre sans elle et cherche à la reconquérir.
"Mademoiselle Albertine est partie ! Comme la souffrance va plus loin en psychologie que la psychologie ! Il y a un instant, en train de m’analyser, j’avais cru que cette séparation sans s’être revus était justement ce que je désirais, et comparant la médiocrité des plaisirs que me donnait Albertine à la richesse des désirs qu’elle me privait de réaliser, je m’étais trouvé subtil, j’avais conclu que je ne voulais plus la voir, que je ne l’aimais plus. Mais ces mots : « Mademoiselle Albertine est partie » venaient de produire dans mon cœur une souffrance telle que je ne pourrais pas y résister plus longtemps. Ainsi ce que j’avais cru n’être rien pour moi, c’était tout simplement toute ma vie."

Marcel envoie son ami Saint Loup chez la tante d’Albertine en Touraine, madame Bontemps, pour faire revenir la jeune fille à Paris. Mais il apprend bientôt qu’Albertine est morte, victime d’un accident de cheval. Marcel ne doute plus de son amour et sa souffrance est intense et ceci d’autant plus qu’ayant Albertine perpétuellement avec lui, chez lui, il y avait eu « la force immense de l’habitude » pour expliquer son attachement. Il est pourtant conscient que le temps finira non seulement par apaiser la douleur mais aussi par la lui faire oublier car pour lui «… aimer est un mauvais sort comme ceux qu’il y a dans les contes contre quoi on ne peut rien jusqu’à ce que l’enchantement ait cessé. »

Et c’est sans doute ce que veut signifier Shakespeare dans Le songe d’une nuit d’été quand la reine des fées Titania, envoûtée par le sortilège d’Obéron, pare Bottom affublé d’une tête d’âne de toutes les qualités au grand étonnement de ses suivantes.

 

John Anster Fitzgerald : Titania et Bottom

En effet, qu’est-ce que l’amour pour Marcel ?  Si ce n’est l’illusion que l’on projette sur une personne indépendamment de ce qu’elle est réellement : « mon amour était moins un amour pour elle qu’un amour en moi ».  Je suppose que Proust a été influencé par la théorie de la cristallisation de Stendhal ? un écrivain dont il parle fréquemment. 


Stendhal écrit :

“La première cristallisation commence. On se plaît à orner de mille perfections une femme de l’amour de laquelle on est sûr ; on se détaille tout son bonheur avec une complaisance infinie. Cela se réduit à s’exagérer une propriété superbe, qui vient de nous tomber du ciel, que l’on ne connaît pas, et de la possession de laquelle on est assuré. Laissez travailler la tête d’un amant pendant vingt-quatre heures, et voici ce que vous trouverez. Aux mines de sel de Salzbourg, on jette dans les profondeurs abandonnées de la mine un rameau d’arbre effeuillé par l’hiver ; deux ou trois mois après, on le retire couvert de cristallisations brillantes : les plus petites branches, celles qui ne sont pas plus grosses que la patte d’une mésange, sont garnies d’une infinité de diamants mobiles et éblouissants ; on ne peut plus reconnaître le rameau primitif. Ce que j’appelle cristallisation, c’est l’opération de l’esprit, qui tire de tout ce qui se présente la découverte que l’objet aimé a de nouvelles perfections.”

La théorie de la cristallisation de Stendhal me paraît très nettement évoquée dans le passage où Marcel confie une photo d’Albertine à Saint Loup qui s’attend à voir une beauté et où celui-ci, stupéfait, s'écrie : « c’est ça la jeune fille que tu aimes? ». Saint Loup ne peut mettre dans cette image d'Albertine, tout le vécu du jeune homme, il ne peut ajouter aux sensations visuelles, toutes les" sensations de saveur, d'odeur, de toucher", ni tous les moments heureux ou au contraire toutes les souffrances qu'il a éprouvées. Et il conclut : "Bref Albertine n’était, comme une pierre autour de laquelle il a neigé, que le centre générateur d’une immense construction qui passait par le plan de mon cœur."
Or, cette cristallisation ne peut durer : « Comme il y a une géométrie dans l’espace, il y a une psychologie dans le temps, où les calculs d’une psychologie plane ne seraient plus exacts parce qu’on n’y tiendrait pas compte du temps et d’une des formes qu’il revêt, l’oubli ; l’oubli dont je commençais à sentir la force et qui est un si puissant instrument d’adaptation à la réalité parce qu’il détruit peu à peu en nous le passé survivant qui est en constante contradiction avec elle. »
Marcel  comprend qu’il n’aime plus Albertine, tout comme il l’avait fait pour Gilberte.

Finalement c’est une vision bien pessimiste de l’humanité que donne Marcel Proust :  « C’est le malheur des êtres de n’être pour nous que des planches de collections fort usables dans notre pensée. Justement à cause de cela on fonde sur eux des projets qui ont l’ardeur de la pensée ; mais la pensée se fatigue, le souvenir se détruit, le jour viendrait où je donnerais volontiers à la première venue la chambre d’Albertine, comme j’avais sans aucun chagrin donné à Albertine la bille d’agate ou d’autres présents de Gilberte. »


 Le roman du mensonge

 

Albertine disparue

Dans La prisonnière Miriam qui lit avec moi La Recherche, intitulait un de ses billets (ICI) Emprise, jalousie et mensonge.  Et en effet, les deux personnages ne sont jamais sincères et ne cessent de mentir. Albertine ment sur sa vie passée, puis elle revient sur ses mensonges pour les désavouer : Ainsi elle dit qu’elle a été élevée par l'amie de mademoiselle Vinteuil, puis elle avoue que ce n’est pas vrai. Mais quel est le moment où elle dit la vérité ? Que croire ? Il n’y a jamais une réponse certaine et le lecteur ne peut être sûr de posséder la vérité. Marcel ment à Albertine pour la dominer et la manipuler, il ment à ses amis en leur cachant la présence de la jeune fille chez lui. La recherche du temps perdu est aussi le roman du mensonge... entre autres.
Et l’on a vu aussi le mensonge social, Charlus ment sur sa préférence sexuelle et mime la virilité d'une manière ridicule. Tous les personnages jouent un rôle, feignent des sentiments qui n’existent pas, la duchesse de Guermantes dans sa robe rouge face à la mort annoncée de Swann, les Verdurin uniquement préoccupés de la réussite de leur soirée quand on leur annonce le décès d’un ami …

 Même la mort d’Albertine, n’arrête pas Marcel dans sa quête investigatoire dans Albertine disparue : Albertine est-elle homosexuelle ?  Albertine l’a-t-elle trompé ? et avec qui ? et quand ?
Il veut savoir la vérité. Or, c’est Andrée, « la meilleure amie » qui va peu à peu livrer les secrets d’Albertine et nous apprenons de sa bouche que, en effet, Albertine a eu des des relations avec des femmes et cela, déjà, à Balbec, mais aussi à Paris quand elle sortait accompagnée. Elle mentait et trahissait donc Marcel puisqu’elle l’assurait de son affection et de sa fidélité. Mais nous dit Andrée, ce qui est grave, c’est qu’elle s’était acoquinée avec le méprisable Morel qui lui livrait des jeunes filles du peuple avec qui elle avait une relation sexuelle.

Elle avait rencontré chez Mme Verdurin un joli garçon, Morel. Tout de suite ils s’étaient compris. Il se chargeait, ayant d’elle la permission d’y prendre aussi son plaisir, car il aimait les petites novices, de lui en procurer. Sitôt qu’il les avait mises sur le mauvais chemin, il les laissait. Il se chargeait ainsi de plaire à de petites pêcheuses d’une plage éloignée, à de petites blanchisseuses, qui s’amourachaient d’un garçon mais n’eussent pas répondu aux avances d’une jeune fille. Aussitôt que la petite était bien sous sa domination, il la faisait venir dans un endroit tout à fait sûr, où il la livrait à Albertine. Par peur de perdre Morel, qui s’y mêlait du reste, la petite obéissait toujours, et d’ailleurs elle le perdait tout de même, car, par peur des conséquences et aussi parce qu’une ou deux fois lui suffisaient, il filait en laissant une fausse adresse.

Ces dernières précisions chargent le portrait de la jeune fille ! Et vlan ! Voilà le seul personnage sympathique de la Recherche en dehors de la grand-mère et de la mère de Marcel,  cataloguée non seulement comme sournoise et infidèle à celui qu'elle paraissait aimer mais recevant, de plus, les services douteux d’un entremetteur, l’infâme Morel ! Une Albertine machiavélique dont les rapports avec Marcel n’auraient eu pour but que de se faire épouser ! Ce n’est pas du tout comme cela que je la voyais.
Oui… Mais faut-il croire Andrée ? Ou s’arrête la vérité, ou commence la médisance ? Rappelons-nous que tous les personnages de La Recherche mentent ! Et on le sait, Marcel nous le rappelle, Andrée, est une femme orgueilleuse, envieuse, se répandant souvent en propos diffamatoires lors de ses crises de rage ! Et Aimé ? On pourrait-on en dire autant de lui lorsque que Marcel l'envoie aussi espionner ?  Il pourrait  mentir pour mériter sa commission !  Finalement le lecteur me semble libre de croire de qu’il veut.


Les enfants du peuple : des victimes

Fernand Pelez: le petit marchand de citron

 

Je n’ai jamais lu aucune étude au sujet des enfants victimes de la riche société dans A la recherche du temps perdu pourtant il est fait maintes fois allusion à des enfants ou des adolescents qui servent  à assouvir les désirs sexuels de ces messieurs de « la haute » et qui se livrent à la prostitution !  En particulier on précise que le Baron Charlus a beaucoup de petits « protégés » mais qu’il fait très attention de rester platonique quand il s’agit de fils de la haute société. Jusqu’à Albertine disparue, je ne savais pas ce que Marcel en pensait. Il expliquait sans paraître porter un jugement.  

Et voilà que dans ce volume, à la suite d’une scène étrange, il nous le précise :

Marcel est si triste du départ d'Albertine, qu’une fois, en descendant de chez lui, il trouve devant sa porte une fillette pauvre. Il la fait monter chez lui, l’assoit sur ses genoux et la berce tendrement, cherchant à se consoler de son affliction par cette chaleur humaine. Quand elle part, il lui donne cinq cents francs. Il n’y a pas de connotation sexuelle dans cette scène même si, aux yeux du lecteur contemporain, elle peut paraître douteuse. Et pas seulement du lecteur contemporain mais aussi aux yeux des parents qui portent plainte ! Marcel est convoqué au commissariat.  Les parents lui rendent son argent en s’indignant. Lui, ne veut pas le reprendre disant qu’il n’a pas rien fait de mal. Ni les parents, ni le chef de la Sûreté ne croient en sa version. « De mon innocence dans le fait il ne fut même pas question, car c’est la seule hypothèse que personne ne voulut admettre un instant. »
 Marcel s’en tire « avec un savon extrêmement violent » tant que les parents sont là : "Mais dès qu’ils furent partis, le chef de la Sûreté, qui aimait les petites filles, changea de ton et me réprimanda comme un compère : « Une autre fois, il faut être plus adroit. Dame, on ne fait pas des levages aussi brusquement que ça, ou ça rate. D’ailleurs vous trouverez partout des petites filles mieux que celle-là et pour bien moins cher.  La somme était follement exagérée. "

La honte qu’éprouve Marcel est violente  :

Dès lors il me serait à jamais impossible de faire venir une petite fille dans mes chagrins pour me consoler, sans risquer d’avoir la honte devant elle qu’un inspecteur surgît et qu’elle me prît pour un malfaiteur. Et du même coup je compris combien on vit plus pour certains rêves qu’on ne croit, car cette impossibilité de bercer jamais une petite fille me parut ôter à la vie toute valeur, mais de plus je compris combien il est compréhensible que les gens aisément refusent la fortune et risquent la mort, alors qu’on se figure que l’intérêt et la peur de mourir mènent le monde. Car si j’avais pensé que même une petite fille inconnue pût avoir, par l’arrivée d’un homme de la police, une idée honteuse de moi, combien j’aurais mieux aimé me tuer. »

Plus tard, il apprend, quand il est est question de l’homosexualité de Saint Loup, que ce dernier a agressé  un jeune liftier dans l’ascenseur du Grand Hôtel de Balbec et que les Guermantes ont eu bien du mal à  faire taire les parents du jeune garçon. Selon que vous serez puissant ou misérable…

 


lundi 2 décembre 2024

Katja Schönherr : Marta et Arthur

 


Marta et Arthur de Katja Schönherr

Quand  Marta se réveille cette nuit-là et qu’elle constate la mort d'Artur, son non-époux ( car il ne voulait « surtout pas l’épouser »  ), le lecteur a quelques raisons de s’étonner. Non seulement Marta diffère le moment d’appeler son fils au téléphone mais elle a l’air de ne pas trop croire à cette mort et de souvent la remettre en cause. La voilà qui essaie de recouvrir son mari allongé dans le lit sous une couche de sable et de le déguiser en dieu de la mer en le munissant d’un trident. L’on apprendra qu’il déteste le contact du sable. Et pendant la journée et les deux nuits qui suit cette mort, se déroule le récit de cette haine qui unit le couple depuis quarante ans, et de toutes les cruautés mesquines qui ont jalonné leur vie.

Marta est une jeune fille bien malheureuse. Elle n’a pas connu son père. Sa mère boit, reçoit ses amants, la brutalise et la jette dehors le jour de ses dix-huit ans. C’est peut-être pour cela que Marta, flattée qu'un adulte s'intéresse à elle, a une relation sexuelle avec Artur, ce professeur plus vieux qu’elle, qu’elle a connu sur les bancs du lycée, lui, stagiaire-professeur et elle élève en dernière année. Outre que cet homme, froid, tatillon, étroit d’esprit, sans chaleur humaine, s’intéresse de trop près aux très jeunes filles, elle n’en est même pas amoureuse ! C’est contraint et forcé qu’il l’accueille chez lui quand elle est à la rue, puis qu’il est acculé à la vie commune lorsqu’il lui fait un enfant.

On ressent d’abord beaucoup d’empathie envers cette jeune femme dont le mari ne se dérange même pas pour aller la chercher à la maternité, elle et leur bébé, après son accouchement et semble préférer ses poissons à son fils. 

"Les deux mains appuyées sur les genoux, Artur fixait les poissons d'un air absent. Cette odeur inhabituelle montait à la tête de Marta. Elle s'assit quand même à côté d'Artur, avec son ventre évidé. Elle retira sa veste, ouvrit son chemisier et essaya d'allaiter. Le bébé ouvrit une bouche vorace. Artur ne faisait pas attention à eux. On aurait dit un personnage en cire."

Artur témoigne d'une méchanceté qui fait mouche, l'indifférence et les mots faisant plus mal que les coups. D’autre part, quand  l’enfant grandit, il paraît, lui aussi, aussi dur que son père à qui il ressemble. Pourtant, l’attitude de la mère envers lui quand il est plus grand, est dérangeante. Et quand Michaël, prévenu de la mort de son père arrive chez Marta, il apporte un autre éclairage au personnage. Est-elle vraiment une victime ?  Et l’on finit par se poser la question de savoir si Marta a glissé vers la  démence et à quel moment. N’a-t-elle pas aussi un peu « aidé » à la mort « naturelle » d’Artur ?

Ce premier roman est extrêmement maîtrisé. L’écrivaine manifeste beaucoup d’habileté dans la conduite du récit. Elle nous englue dans la grisaille de l’âme humaine, dans le désespoir sans révolte, et la non-existence. Elle nous aiguille aussi sur des voies différentes qui nous obligent à revenir sur nos certitudes.  C’est extrêmement dur et cette lecture m’a fait souffrir même si je reconnais le talent de Katja Schönherr et, peut-être, justement à cause de ce talent !

 

Voir le billet de Kathel ICI

mercredi 27 novembre 2024

Julie Zeh : Décompression


Le titre du roman de Juli Zeh Décompression est un terme de plongée sous-marine qui fait allusion aux étapes nécessaires que doit observer le plongeur lorsqu’il remonte des profondeurs pour éliminer l’azote accumulé dans le sang sous l’effet de la pression. Mais peut-être désigne-t-il aussi ce que va vivre Sven lorsqu’il accueille Jola, actrice d'une série télé et Theo, écrivain en panne d’écriture, un couple que l’on peut qualifier de toxique et qui va le prendre dans ses filets. Echappera-t-il aux vertiges des profondeurs … Saura-t-il échapper à la pression psychique, respecter les étapes de la survie ?


Sven est l’un des narrateurs du récit. Allemand, il a fui son pays pour échapper à une société nocive et factice à ses yeux, qui ne cesse de juger, de condamner son semblable. Il est professeur de plongée sur l’île Lanzarote. Il vit avec sa compagne Antje et ne s’autorise pas l’émotion et surtout pas la passion. Il pratique dans sa vie les vertus exigées par la plongée, maîtrise de soi, méthode et concentration, existence bien réglée où sa compagne et lui-même ont chacun une tâche bien définie, ce qui assure sa tranquillité d’esprit. Il va devoir se mettre au service de Jola et de Theo, non seulement pour la plongée mais pour leur faire découvrir l’île. Mais Jola est d’une beauté renversante et lui fait des avances. Théo est un mari complaisant parfois…  et jaloux toujours. Le couple se déchire et se hait, les égos s’affrontent dans leur échec respectif, la cruauté, les provocations et les coups pleuvent. Ils ont parfois  un comportement dangereux en plongée et même dans la vie courante. Sven résiste mais semble perdre pied. La trop séduisante et richissime Jola est-elle une femme innocente, victime, ou allumeuse, perverse et manipulatrice ? Quel est son but ? Jusqu’où Sven va-t-il se laisser entraîner ? Nous serions (presque) de tout coeur avec Sven si ce n’était la froideur du personnage, sa dureté, son manque d’attention envers sa compagne qu’il utilise sans l’aimer. Il donne l’impression de ne pas s’intéresser aux autres et d’avoir seulement de l’affection pour son gecko, petit animal affectueux qu’il a appelé Emil. C’est un être qui refuse de vivre.

Oui, mais… Jola  ? Elle aussi tient son journal au jour le jour. Voilà une narratrice qui raconte les évènements mais en prenant le contre-pied de ce qu’affirme Sven. Lequel des deux dit la vérité ? Le doute s’installe et il faut noter le talent de l’écrivaine pour brouiller les pistes, nous inquiéter, nous faire côtoyer le précipice qui, s’il est bien réel quand il s’agit de la plongée, n’en est pas moins psychologique. Et puis, de temps en temps, survient une échappée sur ce que pensent les autres, le ressenti de Theo, d’Antje, des habitants de l’île, qui n’éclaire pourtant pas mais complexifie.
J’avoue que j’ai été absolument fascinée par ce roman même si le suspense est angoissant. Aucun des personnages n’est vraiment sympathique mais ils ont tous une présence et une force qui nous entraînent et nous prennent au piège d’une lecture au suspense haletant.

 

Lanzarote, île des Canaries


L’île Lanzarote, archipel des Canaries, est un personnage à part entière : C’est un île volcanique austère, sans végétation, dépouillée, au relief volcanique et accidenté qui ne permet pas de circuler librement sans danger.  Elle isole, elle coupe du monde. C’est ce que veut Sven désireux de ne plus avoir ce contact avec son pays et qui se fait une règle de ne plus juger autrui, de ne jamais participer à la médisance. En même temps, elle emprisonne. Les trois personnages principaux ne peuvent se libérer les uns des autres mais ils n’échappent pas au regard d’autrui et, de ce fait, au jugement de la société.
D’ailleurs quand le Yacht du multimillionnaire Bittmann entre au port avec sa « cargaison » de personnalités, c’est tout le microcosme de la société allemande que Sven retrouve et que Julie Zeh croque sous sa dent :  frivolité, intellectualisme prétentieux, malveillance, ragots… La question est posée avec le critique littéraire que Julie Zeh n’épargne pas  : Quand on n’est pas capable d’écrire un livre, peut-on être à même de le juger ? Mais c’est vrai aussi pour toutes les formes d’art.
Enfin, il y a les plongées, les promenades sous la mer avec ses beautés et ses dangers : la scène du poisson torpille, entre autres, est remarquable et puis la découverte de l’épave qui émerveille Sven avec la descente à cent mètres de profondeur.

"Le vaisseau fantôme que je surplombais était de la longueur d’un terrain de football et gisait en deux morceaux. L’étrave se trouvait séparée du reste de la coque. La nef centrale semblait bien conservée, mise à part une grue qui s’était effondrée et barrait la passerelle.
Mon regard plongea dans un abîme opaque assez large pour avaler une vache. Un immense banc de sardines tournait autour de la cheminée, souple comme une étoffe, vif comme une créature dotée d’une volonté unique. Une grande assemblée de barracudas s’attardait à l’étage d’en dessous, trop repue pour la chasse. J’appuyai sur le déclencheur. L’île entière m’envierait  cette photo."


Enfin la lente remontée au suspense si réussi et sa surprise finale!

Keisha Ici

 

Fanja


lundi 25 novembre 2024

Eleanor Shearer : La liberté est une île lointaine

  

1834. L’esclavage vient d’être aboli à La Barbade. C’est ce que le maître de la plantation La Providence, annonce à ses esclaves mais il ajoute qu’ils ont l’obligation de travailler comme apprentis chez lui pendant six ans. Ils sont libres mais ne peuvent s’en aller, travail harassant dans le champ de cannes à sucre, le contremaître, fusil en bandoulière, les sifflets, le fouet, les coupas, la fatigue, le chagrin :  « Liberté est le nom de la vie qu’ils avaient toujours connue. ».

C’est alors que Rachel décide de fuir. Elle veut retrouver ses enfants qui ont été vendus les uns après les autres, à des âges différents, et dont elle conserve le souvenir précieusement dans son coeur : Micah, Mary Grace, Mercy, Cherry Jane, Thomas Augustus sans compter ceux qui sont morts en bas âge. Rachel n’ignore pas le sort que l’on réserve aux esclaves fugitifs, les risques qu’elle encourt si on la rattrape et le fait qu’elle soit libre n’y changera rien.  

Cette longue route semée de dangers à la recherche de ses enfants est jalonnée par de belles rencontres, comme celle de Mama B, une vieille femme, généreuse et forte, qui la conduit à Bridgetown, la capitale de la Barbade où elle retrouve Mary Grace. Mais sa recherche l’amène plus loin encore en Guyane Britannique et à Trinidad. Les descriptions des paysages donnent une idée de la grandeur de la nature sauvage que cette mère courage doit affronter.

 Dès qu'ils furent sur l'eau, Rachel eut l'impression qu'ils avaient perdu le contrôle des choses. Elle en avait senti les prémices à Georgetown et les plantations - cette sensation que les arbres, le fleuve, les buissons, les oiseaux, les insectes, et même le ciel commençaient à reprendre le pouvoir. Mais lorsqu'ils se furent éloignés de la berge et commencèrent à dériver, Rachel comprit qu'il étaient à la merci de la nature."

 Les retrouvailles avec ses joies mais aussi ses peines, de nouvelles séparations, les enfants adultes ayant choisi une autre direction, le deuil aussi, accompagnent Rachel dans ce roman qui tout en décrivant l’horreur de l’esclavage, les souffrances physiques et morales infligées, montrent la profondeur des séquelles que la privation de liberté laissent dans l’âme. Pourtant la fin porte un message d’espoir. 

Avec La liberté est une île lointaine Eleanor Shearer écrit un premier roman intéressant et plein d'émotion.
 

Eleanor Shearer est une écrivaine britannique, petite-fille d'immigrants caribéens venus au Royaume Uni en 1948.

Issue de la génération Windrush, Eleanor Shearer a toujours été fascinée par l’histoire des Caraïbes et s'est rendue à Sainte Lucie et à la Barbade pour interviewer des militants, des historiens et des membres de sa famille.

La liberté est une île lointaine, son premier roman, est le fruit de ses recherches.

Eleanor est diplômée en sciences politiques de l'Université d'Oxford.
Elle partage son temps entre Londres et Ramsgate sur la côte du Kent.


Sur la génération windrush lire cet article ICI


samedi 23 novembre 2024

Camilla Grebe : L'énigme de la stuga


 

Le récit commence lorsque Lykke Andersen inculpée d’homicide volontaire déclare dans la salle d’interrogatoire qu’elle ne parlera à personne d’autre qu’à Manfred Olsson, enquêteur de la brigade criminelle. Ce qui nous ramène huit années en arrière. Désormais le récit se fera en alternance entre aujourd’hui et hier.  
Que s'est-il passé il y a huit ans ? Lykke Andersen est éditrice. Son mari, Gabriel écrivain, ses jumeaux sont deux grands jeunes hommes et, si Harry a un complexe d’infériorité par rapport à son frère David, ils sont tous deux des jeunes gens sympathiques. Une vie aisée, brillante. Lykke se considère comme chanceuse. Mais...

« La catastrophe est un oiseau rare, un visiteur inconcevable sous nos latitudes. Une nouvelle espèce dont personne ne connaît l'existence
L’impensable ne l’est que jusqu’à ce qu’il advienne, jusqu’à ce que cet étrange petit oiseau se pose  devant votre fenêtre - le vent dans les plumes, les griffes plantées sur le rebord, le vide dans ses petits yeux noirs »

Ce soir-là, c’est la fête de l’Ecrevisse, fête suédoise traditionnelle, et la famille reçoit dans leur belle maison au bord de l’eau. Les parents habitent la maison principale. La stuga, petite maison de bois située à côté, a été aménagée pour les garçons qui ont invité leur amie d’enfance, Bonnie. Tous trois y ont chacun leur chambre.
Les amis arrivent, la fête bat son plein et finit assez alcoolisée et le lendemain quand Lykke se réveille et va voir ses enfants, elle découvre le corps sans vie de la jeune fille.  L'officier de police, Manfred Olsson, mène l'enquête. La stuga était fermée à clef, les fenêtres closes de l’intérieur ; et oui, cela vous rappelle quelque chose ? Le mystère de la chambre jaune ! Force est de constater que l’un des jumeaux est coupable ! Mais lequel ?

Je ne vous en dis pas plus ! Le récit est intéressant et donne lieu à une analyse psychologique des personnages bien menée. Un polar dont la lecture est plaisante !


 

jeudi 21 novembre 2024

Maria Turstschaninoff : Nevabacka, terre des promesses


"Au loin, de l'autre côté de la tourbière, il distingua une créature à longues pattes et au cou interminable, comme un serpent. A y regarder de plus près, elles étaient plusieurs. Grises et noires, elles s'envolaient, leurs ailes déployées et leurs pattes oscillant dans les airs.
Les grues cendrées dansaient sur la tourbière. Les ailes tendues les unes vers les autres, le cou courbé, elles criaient et approchaient, le garçon ne fit aucun bruit, retenant son souffle. Jamais il n'avait vu un tel spectacle."

Nevabacka formé de deux mots, l’un finlandais neva, les marais, l’autre en suédois backa, la colline, désigne la ferme et la forêt où se déroule l’action du roman de Maria Turstschaninoff, en Ostrobotnie, à l’est de la Finlande.

Maria Turstschaninoff, finlandaise de langue suédoise, écrit un roman historique puisqu’il commence au XVII siècle et se termine de nos jours, mais qui est aussi un conte nourri de légendes traditionnelles, un poème en prose amoureux de la nature, des forêts et des animaux et qui plonge le lecteur au coeur même de la vie et de la beauté mystérieuse et sauvage.

Un soldat, Matts Rak, reçoit du roi, comme récompense de ses bons services militaires, une terre éloignée et sauvage qu’il appellera Nevabacka et qu'il s’efforcera de défricher, de labourer et de rendre fertile en bon fermier qu’il jamais cessé d’être malgré la guerre qui avait fait de lui un soldat. Sur son domaine s’étend une grande tourbière et des marais que le jeune paysan se propose d’assécher. Mais dans ces lieux se cache le peuple des forêts, celui qui échappe au christianisme et que le peuple révère et craint. La fée de la Tourbière - manifestation des croyances populaires, allégorie de la forêt et plus généralement de la nature toute puissante ? -  lui interdit de toucher à la tourbière et lui donne un fils en cadeau comme une compensation pour son obéissance. Nous suivons les différents membres de la famille issus de ces deux ancêtres, au cours d’une longue remontée dans les siècles où l’on passe de croyances primitives en des éléments surnaturels qui imposent le respect, à un monde où L’Eglise combat le surnaturel, punit ceux qui y croient et, à notre monde contemporain qui maltraite la nature et l’exploite au nom d’une économie efficace et productive.

Le réalisme du récit nous amène à partager la dure vie de ces paysans dans la ferme Nevabacka, qui, pour être la plus grande et la plus riche de la région, n’en exige pas moins un travail pénible mais la présence de la nature, de sa beauté majestueuse, baigne le roman d’une aura magique.

"Je me suis installée sur un arbre couché et, ma chère Charlotte, j'ai été saisie par la beauté de ce moment. D'abord, le ciel est devenu rouge, presque écarlate, avec des tâches roses et jaunes. Puis le soleil s'est levé à l'horizon et les rayons ont traversé la forêt, ornant les ombres des arbres de gravures dorées. Je n'ai jamais écrit de poèmes, mais à ce moment-là, mon âme en est devenu un."

 Les personnages se succèdent dans des récits qui semblent  indépendants les uns des autres mais qui sont reliés par des liens de parenté. L’existence éphémère de chacun forme un grand Tout, à la fois au niveau familial mais aussi à la dimension du pays, célébrant ainsi l’âpre beauté de la Finlande. Les personnages attachants et le style de l’auteure, poétique, font de ce roman une belle lecture.

mardi 19 novembre 2024

Marcel Proust Bilan 5 : La prisonnière

 Bilan 5 : La prisonnière 

 


 claudialucia

La prisonnière : Marcel (1)

La prisonnière Albertine (2)

La prisonnière : Le mythe de Pygmalion

Normandie Calvados Caen : Exposition : Le spectacle de la marchandise, Ville, art et commerce avec Zola et Proust (2)

Marcel Proust et la mode : Mariano Fortuny et Jacques Doucet

Miriam  

 La prisonnière : Emprise, jalousie et mensonges

La prisonnière : mais qui est donc Albertine ?

La prisonnière :  Une soirée musicale chez madame Verdurin

 

 

 Marcel Proust Bilan 4  Sodome et Gomorhhe



Claudialucia


Marcel Proust : Sodome et Gomorrhe : Le Baron Charlus et l’homosexualité (1)

Marcel Proust: Sodome et Gomorrhe : Albertine et l’homosexualité (2)

Marcel Proust : Sodome et Gomorrhe l’humour (3)

 

Keisha 

 Marcel Proust : lettres à sa voisine

Keisha a déniché une correspondance rare de Proust


Miriam
 

Sodome et Gomorrhe : Le baron Charlus et Jupien

Sodome et Gomorrhe : La soirée chez la princesse de Guermantes

Sodome et Gomorrhe : Autour de Balbec et les noms des villages normands

Miriam est partie à Balbec découvrir les lieux qui ont inspiré Marcel Proust
le Grand Hôtel, la promenade sur la digue et la plage

La villa du Temps retrouvé : Marcel Proust (l'écrivain) et Marcel, le narrateur, n'ont jamais vécu dans la belle villa du Temps Retrouvé transformé en musée Belle Epoque qui contient des autographes et des tableaux des personnes ayant inspiré Proust.


Si vous avez fait d'autres lectures vous pouvez coller les liens en commentaires ici.



 

 Marcel Proust Bilan 3  Le côté de Guermantes

 



Claudialucia

Proust Le côté de Guermantes :  lucidité et pessimisme

Miriam

Proust Le côté de Guermantes :(1ère partie) Le téléphone

Proust Le Côté de Guermantes :(2ème partie) L’Affaire Dreyfus dans le salon de madame de Villeparisis

Proust Le côté de Guermantes :  (3ème partie) Un dîner chez la Duchesse de Guermantes

La Maison de tante Léonie (Musée Proust) à Illiers-Combray

 

 Marcel Proust Bilan 2 : A l'ombre des jeunes filles en fleurs

 

 

Nathalie :

Chloé Cruchaudet, d'après Céleste Albaret, « Bien sûr, monsieur Proust », 2022, édité chez Noctambule.

Chloé Cruchaudet, Céleste, tome 2 Il est temps Monsieur Proust

Laure Murat : Proust, roman familial


Marcel Proust : Bilan 1 Du côté de chez Swann

 




Aifelle


Claudialucia

 
 
Le jeudi avec Marcel Proust :  billets sur Combray
 
 
 
 

Le jeudi avec Marcel Proust :  billets sur Un amour de Swann

Evelyne Bloch Dano une jeunesse de Proust

Céleste Albaret : Monsieur Proust

Laure Murat : Proust roman familial


Dominique

Laure Murat, roman familial

Bribes et conseils aux réfractaires


Fanja

Céleste : Bien sûr, monsieur Proust BD  Chloé Cruchaudet


Keisha

Laure Murat : Proust roman familial

Brassaï : Marcel Proust sous l’emprise de la photographie


Luocine

Laure Murat, roman familial


Miriam

Présentation du challenge Marcel Proust

Du côté de chez Swann : Marcel Proust lecture gourmande

Du côté de chez Swann : l’amour de la lecture/écriture

Du côté de chez Swann :  Combray En famille

Un amour de Swann Marcel Proust


Sandrine

Du côté de chez Swann


Quand vous écrivez sur Proust, laisser le lien vers votre billet dans mon blog en cliquant sur la vignette de la colonne de droite, en haut, challenge Marcel Proust.






 

dimanche 17 novembre 2024

Partir en mer avec les poètes

Caillebotte

 Il fallait pour participer au Book trip en mer de Fanja un peu de poésie. Voici quelques textes poétiques pour partir en voyage !

 Homère :  Charybde et Scylla

Charybde et Scylla
 

Tels sont ces deux écueils. L’un, de son faîte aigu, atteint le haut Ouranos, et une nuée bleue l’environne sans cesse, et jamais la sérénité ne baigne son sommet, ni en été, ni en automne ; et jamais aucun homme mortel ne pourrait y monter ou en descendre, quand il aurait vingt bras et vingt pieds, tant la roche est haute et semblable à une pierre polie. Au milieu de l’écueil il y a une caverne noire dont l’entrée est tournée vers l’Érébos ; et c’est de cette caverne, illustre Odysseus, qu’il faut approcher ta nef creuse. Un homme dans la force de la jeunesse ne pourrait, de sa nef, lancer une flèche jusque dans cette caverne profonde. Et c’est là qu’habite Scylla qui pousse des rugissements et dont la voix est aussi forte que celle d’un jeune lion. C’est un monstre prodigieux, et nul n’est joyeux de l’avoir vu, pas même un Dieu. Elle a douze pieds difformes, et six cous sortent longuement de son corps, et à chaque cou est attachée une tête horrible, et dans chaque gueule pleine de la noire mort il y a une triple rangée de dents épaisses et nombreuses. Et elle est plongée dans la caverne creuse jusqu’aux reins ; mais elle étend au dehors ses têtes, et, regardant autour de l’écueil, elle saisit les dauphins, les chiens de mer et les autres monstres innombrables qu’elle veut prendre et que nourrit la gémissante Amphitrite. Jamais les marins ne pourront se glorifier d’avoir passé auprès d’elle sains et saufs sur leur nef, car chaque tête enlève un homme hors de la nef à proue bleue. L’autre écueil voisin que tu verras, Odysseus, est moins élevé, et tu en atteindrais le sommet d’un trait. Il y croît un grand figuier sauvage chargé de feuilles, et, sous ce figuier, la divine Charybde engloutit l’eau noire. Et elle la revomit trois fois par jour et elle l’engloutit trois fois horriblement. Et si tu arrivais quand elle l’engloutit, Celui qui ébranle la terre, lui-même, voudrait te sauver, qu’il ne le pourrait pas. Pousse donc rapidement ta nef le long de Scylla, car il vaut mieux perdre six hommes de tes compagnons, que de les perdre tous."

 

Victor Hugo

Eugène Boudin:  un grain

Oceano nox

Oh ! combien de marins, combien de capitaines
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines,
Dans ce morne horizon se sont évanouis !
Combien ont disparu, dure et triste fortune !
Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune,
Sous l'aveugle océan à jamais enfouis !

Combien de patrons morts avec leurs équipages !
L'ouragan de leur vie a pris toutes les pages
Et d'un souffle il a tout dispersé sur les flots !
Nul ne saura leur fin dans l'abîme plongée.
Chaque vague en passant d'un butin s'est chargée ;
L'une a saisi l'esquif, l'autre les matelots !

Nul ne sait votre sort, pauvres têtes perdues !
Vous roulez à travers les sombres étendues,
Heurtant de vos fronts morts des écueils inconnus.
Oh ! que de vieux parents, qui n'avaient plus qu'un rêve,
Sont morts en attendant tous les jours sur la grève
Ceux qui ne sont pas revenus !

On s'entretient de vous parfois dans les veillées.
Maint joyeux cercle, assis sur des ancres rouillées,
Mêle encor quelque temps vos noms d'ombre couverts
Aux rires, aux refrains, aux récits d'aventures,
Aux baisers qu'on dérobe à vos belles futures,
Tandis que vous dormez dans les goémons verts !

On demande : - Où sont-ils ? sont-ils rois dans quelque île ?
Nous ont-ils délaissés pour un bord plus fertile ? -
Puis votre souvenir même est enseveli.
Le corps se perd dans l'eau, le nom dans la mémoire.
Le temps, qui sur toute ombre en verse une plus noire,
Sur le sombre océan jette le sombre oubli.

Bientôt des yeux de tous votre ombre est disparue.
L'un n'a-t-il pas sa barque et l'autre sa charrue ?
Seules, durant ces nuits où l'orage est vainqueur,
Vos veuves aux fronts blancs, lasses de vous attendre,
Parlent encor de vous en remuant la cendre
De leur foyer et de leur coeur !

Et quand la tombe enfin a fermé leur paupière,
Rien ne sait plus vos noms, pas même une humble pierre
Dans l'étroit cimetière où l'écho nous répond,
Pas même un saule vert qui s'effeuille à l'automne,
Pas même la chanson naïve et monotone
Que chante un mendiant à l'angle d'un vieux pont !

Où sont-ils, les marins sombrés dans les nuits noires ?
O flots, que vous savez de lugubres histoires !
Flots profonds redoutés des mères à genoux !
Vous vous les racontez en montant les marées,
Et c'est ce qui vous fait ces voix désespérées
Que vous avez le soir quand vous venez vers nous!

 

 Albert Samain

 

William Turner : Soleil levant Venise

 

Matin sur le port

Le soleil, par degrés, de la brume émergeant,
Dore la vieille tour et le haut des mâtures ;
Et, jetant son filet sur les vagues obscures,
Fait scintiller la mer dans ses mailles d’argent.

Voici surgir, touchés par un rayon lointain,
Des portiques de marbre et des architectures ;
Et le vent épicé fait rêver d’aventures
Dans la clarté limpide et fine du matin.

L’étendard déployé sur l’arsenal palpite ;
Et de petits enfants, qu’un jeu frivole excite,
Font sonner en courant les anneaux du vieux mur.

Pendant qu’un beau vaisseau, peint de pourpre et d’azur
Bondissant et léger sur l’écume sonore,
S’en va, tout frissonnant de voiles, dans l’aurore.

Albert Samain, Le chariot d’or

 

Blaise Cendrars

Le douanier Rousseau

  Iles

Iles
Iles où l'on ne prendra jamais terre
Iles où l'on ne descendra jamais
Iles couvertes de végétations
Iles tapies comme des jaguars
Iles muettes
Iles immobiles
Iles inoubliables et sans nom
Je lance mes chaussures par-dessus bord car je voudrais bien aller jusqu'à vous.

 

Jules Supervielle

Georges Lemmen : la plage de Heist

 

 Quand nul ne la regarde

Quand nul ne la regarde,
La mer n’est plus la mer,
Elle est ce que nous sommes
Lorsque nul ne nous voit.
Elle a d’autres poissons,
D’autres vagues aussi.
C’est la mer pour la mer
Et pour ceux qui en rêvent
Comme je fais ici.

 

Jules Supervielle

Félix Valotton : la marée montante

 La mer n'est jamais loin de moi

La mer n'est jamais loin de moi,
Et toujours familière, tendre,
Même au fond des plus sombres bois
À deux pas elle sait m'attendre.
Même en un cirque de montagnes
Et tout enfoncé dans les terres,
Je me retourne et c'est la mer,
Toutes ses vagues l'accompagnent,
Et sa fidélité de chien
Et sa hauteur de souveraine,
Ses dons de vie et d'assassin,
Enorme et me touchant à peine,
Toujours dans sa grandeur physique,
Et son murmure sans un trou,
Eau, sel, s'y donnant la réplique,
Et ce qui bouge là-dessous.
Ainsi même loin d'elle-même,
Elle est là parce que je l'aime,
Elle m'est douce comme un puits,
Elle me montre ses petits,
Les flots, les vagues, les embruns
Et les poissons d'argent ou bruns.
Immense, elle est à la mesure
De ce qui fait peur ou rassure.
Son museau, ses mille museaux
Sont liquides ou font les beaux,
Sa surface s'amuse et bave
Mais, faites de ces mêmes eaux,
Comme ses profondeurs sont graves !

 

Alain Bosquet

Henri Edmond Cross : Les îles d'or

  Mer

La mer écrit un poisson bleu,
efface un poisson gris.
La mer écrit un croiseur qui prend feu,
efface un croiseur mal écrit.
Poète plus que les poètes,
musicienne plus que les musiciennes,
elle est mon interprète, la mer ancienne,
la mer future, porteuse de pétales,
porteuse de fourrure.
 Elle s’installe au fond de moi :
 la mer écrit un soleil vert,
efface un soleil mauve.
La mer écrit un soleil entrouvert
sur mille requins qui se sauvent.
 Alain Bosquet

 

 

 Et la mer en musique avec Claude Debussy