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Arthur Rackham : Puck et Titania |
Je devais aller voir Macbeth pour participer au challenge de Cléanthe mais je n'ai pas pu. Par contre j'ai assisté à deux représentations de le Songe d'une nuit d'été qui m'ont particulièrement déçue. Je reprends ici tout ne le complétant ce que j'avais déjà écrit sur cette pièce pour le challenge Shakespeare il y a quelques années pour mieux faire comprendre ma déception.
La pièce de Shakespeare Le songe d'une nuit d'été était à l'origine intitulée Le songe de la nuit de la Saint Jean. Une bizarrerie puisque Shakespeare place le déroulement de sa pièce au mois de Mai (mid summer).
L'universitaire Ernest Schanzer donne une explication : il s'agit de la date de la première représentation du Songe donnée pour célébrer la nuit de la Saint-Jean. Ce qui reste étonnant, pourtant, c'est que le dramaturge ait tenu à placer l'action la veille du premier Mai. Certes, ces deux nuits, dans les croyances élizabéthaines, étaient toutes deux considérées comme propices à la magie, à l'apparition des êtres surnaturels. Cependant c'est à la Saint Jean que les fleurs cueillies cette nuit-là ont un pouvoir magique capable de susciter des rêves amoureux et de frapper les gens de folie. Or, constate Ernest Schanzer "la folie amoureuse n'est-elle pas, en effet, le thème essentiel du songe d'une nuit d'été ?".
Quoi qu'il en soit, la pièce est bien nommée puisque toutes les scènes se déroulent la nuit sauf peut-être la première scène de l'acte 1 et encore est-elle placée aussi sous le signe de la lune..
L'intrigue
La scène se passe à Athènes et dans un bois voisin.
Thésée, le duc d'Athènes et Hippolita vont fêter leur mariage dans quatre nuits, à la nouvelle lune. Mais Egée, un vieux courtisan, vient se plaindre de sa fille Hermia qui refuse d'épouser Démetrius, le prétendant qu'il lui a choisi. Hermia aime Lysandre et veut se marier selon son coeur. Héléna, la fille de Nedar, elle, aime Démetrius qui lui préfère Hermia. Telle est la situation, inextricable, lorsque les deux amoureux, Hermia et Lysandre décident de fuir. Ils seront suivis, contre leur gré, par Héléna et Démétrius. Les quatre jeunes gens se perdent dans la forêt pendant cette nuit de folie et vont être les jouets des fées.
Pendant ce temps, des gens du peuple, artisans de la ville, décident de monter une pièce sur la mort de Thisbée et de Pyrame pour la représenter au mariage de Thésée et Hippolita. Ils espèrent s'attirer les bonnes grâces du roi. Ils s'éloignent dans la forêt guidé par Lecoin, le charpentier qui s'est improvisé metteur en scène. La troupe à l'intention de répéter à l'abri des regards et il va leur arriver à eux aussi bien des mésaventures.
Dans la forêt vit le peuple des fées : La reine Titania, entourée de ses elfes, est en rivalité avec Obéron, le roi des fées. Il lui réclame un enfant qu'elle lui a volé. Elle refuse et Obéron jure de se venger avec l'aide de Puck ; il demande à ce dernier d'aller cueillir une fleur magique dont le suc déposé sur la paupière d'une personne la rend amoureuse du premier visage aperçu lors de son réveil.
Avec cette fleur commence la folie amoureuse de cette nuit d'été : Titania tombera amoureuse de Bottom (Navette), le tisserand, affublé d'une tête d'âne ; les quatre jeunes gens eux aussi vont changer de soupirants et voir se nouer et dénouer leurs amours, au gré des caprices des fées.
Une comédie tragique : l'Homme est-il libre ?
Le songe d'une nuit d'été est une comédie. Elle présente effectivement des personnages franchement comiques, en particulier la troupe de théâtre des artisans, ridicules à souhait dans leurs prétentions. Les personnages vont jouer une tragédie en se prenant très au sérieux; c'est ce qui va provoquer le rire car nous assistons à une parodie sans que les acteurs en soient conscients. Ils craignent même de faire peur aux dames ! Ce sont des personnages de farce et celle-ci est à son comble quand Bottom se retrouve avec une tête d'âne. Shakespeare a toujours aimé mener une réflexion sur le théâtre dans ses pièces, soit pour révéler la vérité comme dans Hamlet, soit pour rappeler que la vie, le monde entier, est un théâtre comme dans Macbeth ou Le marchand de Venise. Ici, le théâtre dans le théâtre permet de jouer sur le grotesque tout en dénonçant la sottise et la vanité humaines. Il est aussi frappant de constater que le thème de Pyrame et Thisbé répond à l'intrigue du Songe, une histoire d'amour contrarié et d'amants séparés. A l'astre de la lune qui veille sur la pièce, répond la lune factice, une lanterne, des comédiens amateurs.
Cependant la pièce a un fond tragique et même si le spectateur rit, il reste conscient de la cruauté des jeux amoureux qui se déroulent devant lui. Quand le suc de la fleur magique détourne l'amour de Lysandre et de Démétrius vers Héléna, Hermia devient pour eux un objet de mépris. Il n'y aucune compassion pour la jeune fille qui doit essuyer des insultes :
"Moi me contenter d'Hermia ! Jamais ! Comme je regrette les heures d'ennui passées auprès d'elle. C'est Héléna que j'aime, non Hermia ! Qui ne voudrait changer une corneille contre une colombe ?(...)
"Va-t-en tartare moricaude, va t'en ! au diable médecine répugnante, au diable vomitif dégoûtant!"
Les rapports entre hommes et femmes sont donc d'une grande violence même si leur caractère excessif nous rappelle que nous sommes dans la comédie. Il n'en reste pas moins que Hermia soudainement délaissée est désemparée, humiliée et malheureuse. Héléna qui ne peut croire au revirement des deux jeunes gens, est tout aussi blessée par ce qu'elle croit être une raillerie. La souffrance des deux femmes est bien réelle.
Hermia : Jamais si fatiguée, jamais si malheureuse, trempée par la rosée, déchirée par les ronces, je ne puis me traîner ni avancer d'un pas.
Mais les relations entre femmes ne sont pas meilleures même si elles sont parfois plus subtiles. Hermia se fâche lorsque Héléna dit et répète qu'elle est "petite" ! Est-elle trop susceptible ? La "gentille" Héléna a-t-elle une intention blessante ou, au contraire, dit-elle cela innocemment ? Nous restons ainsi dans la comédie mais Shakespeare nous montre une nature humaine bien noire.
Il est vrai que les personnages magiques eux-mêmes ne sont pas plus sages, témoins la dispute entre Titania et Obéron, les facéties de Puck, et ils ont, comme jadis les dieux de l'Olympe, tous les défauts des humains, à moins que ce ne soit le contraire ! Cependant leur guerre, leur colère ou leurs décisions, s'ils peuvent nous faire rire, ont un retentissement sur l'ordre du monde et sur la destinée des hommes.
Le pauvre laboureur voyait ses champs croupis,
Et dans les prés noyés le parc est sans troupeaux,
Car le bétail malade a nourri les corbeaux.
Le mail où l’on jouait ? La fange l’a couvert !
Nos yeux, sans la trouver, cherchent la place où fut
Le sentier qui courait sous les gazons touffus.]
Les hommes ont perdu leurs saintes nuits d’hiver ;
Plus d’hymnes de Noël ! Et, pâle et refroidie,
La lune, reine de la mer,
Répand partout les maladies !
Voilà ce qu’ont fait nos querelles !
Les saisons se battent entre elles !
Le givre aux lèvres froides pose
Ses baisers sur le cœur des roses,
Et, misérable moquerie,
L’hiver grelottant a placé
Sur son crâne glacé
Des couronnes fleuries !]
Oui, l’été, le printemps et l’hiver et l’automne
Échangent leur livrée ! Et le monde s’étonne
Du désordre des éléments !
Telle est notre œuvre !…
La pièce est donc aussi une réflexion et pas des moindres sur la liberté de l'homme face à la divinité. Ce sont les Fées qui tirent les ficelles et les êtres humains apparaissent bien vite comme des marionnettes soumises à leurs caprices. Obéron tout puissant et Puck, en commettant des erreurs, tiennent entre leurs mains la clef de leurs sentiments et décident de leur avenir. Doit-on penser que Shakespeare penche vers le déterminisme voire la prédestination dans cette Angleterre qui a rompu avec le catholicisme? Ce serait peut-être aller bien loin et encore une fois, comme il s'agit d'une comédie, Shakespeare nous invite à ne pas trop nous poser de questions et à considérer tout cela comme un rêve ! (même si celui-ci vire parfois au cauchemar !). Pourtant l'on peut avoir de sérieux doutes quant à la liberté de l'Homme en voyant Le Songe d'une nuit d'été, même si ce dernier est persuadé du contraire !
La folie amoureuse
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Titania et Bottom |
Car le pessimisme de Shakespeare s'exprime dans cette peinture de la folie amoureuse. Lysandre peut passer de l'amour d'Hermia à celui d'Hélène puis revenir à Hermia ; Titiana s'énamoure d'un monstre à tête d'âne et le tient pour le plus beau des êtres. Si l'on peut changer ainsi de partenaire, si l'on peut s'aveugler sur les mérites de celui qu'on aime, si le caprice préside au choix, si les êtres sont interchangeables, alors l'amour réel existe-t-il ?
Il faut remarquer que c'est au moment où Lysandre agit avec le plus d'inconséquence qu'il invoque la raison pour expliquer qu'il n'est plus amoureux d'Hermia mais de Héléna :
C'est la raison qui gouverne la volonté de l'homme et la raison me dit que vous êtes la plus précieuse.
On voit l'ironie de Shakespeare ! Et la conclusion paraît évidente. L'amour n'est qu'une création de l'esprit, il s'apparente à la folie et l'un ne va pas sans l'autre.
La féérie, la fantaisie
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Obéron et Titania dans la belle représentation de Le songe et the Fairy Queen de Purcell |
Enfin la pièce est magnifique par sa poésie et sa beauté lyrique. Elle peint les sortilèges de la nuit :
Il nous faut nous hâter, seigneur des elfes, car les rapides dragons de la nuit fendent les nuages en plein vol et voyez briller là-bas la messagère de l'aurore. A son approche les fantômes qui errent çà et là s'assemblent pour regagner les cimetières..
Elle est éclairée dès le début par un clair-obscur onirique, celui de la lune et la nuit; des ombres s'agitent, éphémères, dans l'obscurité. Rien n'est solide, rien n'est vrai et les fées qui peuplent la forêt sont "des esprits" qui s'évanouiront à l'approche du jour à l'exception, peut-être, d'Obéron, le Seigneur des elfes qui peut braver les rayons de l'aurore.
La fantaisie de la pièce est remarquable dans la façon de traiter le thème féérique avec ses personnages majestueux comme Titania ou Obéron,
"Je connais un tertre où fleurit le thym sauvage, où croissent les primevères et les tremblantes violettes, le foisonnant chèvrefeuille, l'églantine, les douces roses musquées le recouvrent d'un dais; C'est là, parmi ces fleurs, que Titania s'endort un moment la nuit bercée par les danses et les délices avec ses elfes au nom délicieux, entités de la Nature et qui participent à son entretien et à sa survie : Toile d'araignée, Phalène, Graine de moutarde, Fleur de pois...
Puis vous partirez durant le tiers d'une minute, les uns pour aller tuer les vers dans les boutons des roses musquées; les autres pour guerroyer contre les chauves-souris ."
et avec Puck, ce Robin le diable, malicieux, farceur et parfois un peu redoutable pour les pauvres êtres humains égarés dans la forêt :
Tu dis vrai? Je suis ce joyeux vagabond nocturne. J'amuse Obéron et le fais sourire quand métamorphosé en jeune pouliche, je hennis pour tromper le gros cheval bourré de fèves…"
Puck est un personnage de la mythologie celte, et s'il n'est pas entièrement méchant, il est tout de même capable de farces cruelles.
La Fée à Puck
Si vos manières ne m’abusent,
Galopin,
Cervelle matoise,
Vous êtes le fameux Robin
Bon Enfant qui s’amuse
À lutiner les villageoises !
C’est vous qui répandez le lait des cruches pleines ;
Détraquez le moulin au milieu du labeur ;
Mettez la vieille hors d’haleine
Quand elle bat son beurre ;
C’est par vous que s’évente
Et que s’aigrit la bière...
Le théâtre dans le théâtre : le burlesque
Les artisans qui jouent la pièce de Pyrame et Thisbé sont les personnages grotesques, des acteurs qui ne se rendent pas compte de leur nullité et qui sont très fiers d'eux-mêmes. Réflexion sur le théâtre, sur les mauvais comédiens ? Le plus vaniteux - qui se croit capable de jouer tous les rôles - est bien sûr Bottom et ce n'est pas étonnant que ce soit lui qui soit puni, devenu un monstre à tête d'âne. Si sa mésaventure fait rire, Ann Witte dans son article sur Shakespeare et le folklore de l'âne écrit que parmi les métamorphoses de la pièce "le symbolisme érotique de l'âne se retrouve dans des traditions qui mettent en valeur les rites de fécondité liés à ce animal, tantôt emblème de sottise et de paresse, tantôt symbole du "bas matériel et corporel"( bottom) )qui incarnait la puissance maléfique."
Ainsi même dans la partie comique de la pièce, nous sommes donc toujours dans le registre de la féérie et des personnages inquiétants avec l'âne Bottom.
Une pièce très riche dont on ne peut épuiser le sujet. Je l'ai déjà vue plusieurs fois dans des mises en scène très différentes. C'est la première pièce que j'ai vue au théâtre à l'âge de 13 ans. Et j'en garde un souvenir ébloui. Elle fait partie de mes comédies shakespeariennes préférées avec La nuit des rois et Beaucoup de bruit pour rien.
C'est pourquoi j'ai été très déçue par les deux représentations que j'ai vues cette année; l'une où le metteur en scène a simplifié l'action pour la mettre à la portée de ses comédiens qui paraissaient tout juste sortis de l'école.
Une autre interprétée par de jeunes comédiens qui remplacent par leur énergie ce qu'ils ne sont pas capables de rendre par leur talent. Tout est joué sur le même registre, comique, si bien que l'on distingue à peine ce qui est du domaine de la parodie théâtrale donnée par les artisans, du reste de la pièce. Bien sûr, un spectateur qui ne connaît pas la pièce peut rire et s'en satisfaire puisqu'il n'attend rien de plus. Je le comprends. Mais il n'est pas étonnant, ensuite, qu'il la considère comme une comédie légère et mineure dans l'oeuvre de Shakespeare. Toute réflexion est écartée et où est passé le beau texte lyrique de l'écrivain ? Cela me fait mal de voir comment l'on appauvrit un texte si riche !
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Participation (avec un mois de retard au thème de Shakespeare) chez Cléanthe |
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