Le lendemain de notre arrivée à Venise, c'est l'acqua alta "très alta" qui est annoncée; elle envahit même le hall de notre hôtel.
Les Vénitiens appellent bragha acqua alta les pantalons trop courts, inélégants, avec les chevilles lissées à découvert, comme s'ils avaient été coupés exprès pour ne pas mouiller les ourlets.
Les sirènes qui sonnaient l'alarme durant les raids aériens de la la Seconde Guerre mondiale sont restées au sommet des clochers. Maintenant, elle signalent les incursions marines quand la marée monte et te réveillent à cinq ou six heures du matin. Les habitants ensommeillés fixent des cloisons d'acier devant leurs portes et dressent des petite digues dans les encadrements en métal caoutchouteux des huisseries des maisons.(..;) Le plus souvent, il n'y a rien à faire, l'eau jaillit des bouches d'égout, des fissures du sol, attaque les meubles, pourrit les murs, effrite le travail des peintres en bâtiment....
Des équipes spéciales d'éboueurs sortent à l'aube pour monter des passerelles en bois dans les callis inondés.
Venise est un poisson de Tiziano Scarpa
La ville est à fleur d'eau, elle se laisse envahir par elle. On marche dans l'eau, on marche sur l'eau, c'est la fête. Les touristes sont débordés et poussifs, les habitants habitués et passifs, les enfants ravis, les cloches sonnent, la lagune fait sentir sa loi, la ville est un navire à venir.
Philippe Sollers dictionnaire amoureux de Venise