Une Ténébreuse affaire d'Honoré de Balzac, paru dans les scènes de la vie politique, porte bien son nom et raconte l’histoire d'un double complot.
D’une part celui fomenté par les émigrés royalistes rentrés en France et financés par l’étranger, la Russie, la Prusse, l’Angleterre, contre Napoléon Bonaparte. Dans le roman, ce sont les personnages des jumeaux Simeuse et des frères Hauteserre qui veulent rétablir la royauté. Ils sont accueillis à Arcis-sur-Aube par leur cousine Laurence de Cinq-Cygne qui les cache sur la partie du domaine dont elle est encore la propriétaire, le reste ayant été vendu comme biens nationaux pendant la Révolution.
Laurence de Cinq-Cygne |
Laurence de Saint-Cygne a tout de l’héroïne des romans gothiques, belle, courageuse, arrogante, pleine de morgue et de supériorité envers les roturiers. Plus elle est méprisante, plus elle plaît à Balzac ! Elle ne devient humaine qu'à la fin du roman. Fougueuse, héroïque, elle sait manier des armes et participe au complot. Mais Fouché leur a envoyé des espions, Peyrade et Corentin, qui sont chargés de les surveiller voire de les arrêter.
Grâce à son fidèle régisseur Michu, Laurence de Cinq-Cygne cache les jeunes gens dans la ruine d’un ancien monastère puis les fait évader mais ils seront rattrapés et faits prisonniers.
D’autre part et parallèlement, Fouché qui convoite le pouvoir, a comploté contre Bonaparte. Il se ravise après la victoire de l’empereur à Marengo, veut détourner les soupçons de sa personne. Des hommes masqués se faisant passer pour les Simeuse, Hauteserre et Michu, semblables par la taille et les vêtements, enlèvent Malin, conseiller d’état, ancien révolutionnaire, qui a racheté le domaine de Gondreville appartenant aux Cinq-Cygne et caché des documents compromettants pour Fouché. Les nobles et leur régisseur Michu sont arrêtés. Un procès a lieu mais seul Michu est condamné à mort. Les gentilhommes iront grossir les rangs de la Grande Armée et mourir pour l’Empereur sur les champs de bataille. Le roman s’inspire d’un fait vrai, l’enlèvement du sénateur Clément de Ris capturé sur l’ordre de Fouché par des bandits pour faire accuser des nobles normands, ses ennemis, parfaitement innocents.
La marquise de Cinq-Cygne se rend à Iéna, la veille de la bataille pour supplier l’Empereur de sauver son régisseur. Celui-ci a cette réponse dans laquelle transparaît l’admiration de Balzac pour Napoléon malgré ses opinions légitimistes :
« Voici, dit-il avec son éloquence à lui qui changeait les lâches en braves, voici trois cent mille hommes, ils sont innocents, eux aussi ! Eh bien, demain, trente mille hommes seront morts, morts pour leur pays ! »
Michu aura, lui aussi, une belle mort, édifiante :
« Les innocents doivent aller à pied ! » dit-il en refusant de monter sur la charette.
Une ténébreuse affaire : Corentin |
Enfin voilà, j’ai essayé de débroussailler cette histoire car l’affaire est vraiment si… ténébreuse que je m’y suis perdue !
Comme d’habitude Balzac y réussit des portraits haut en couleur, en particulier des espions de Fouché, le physique et les vêtements annonçant la couleur, c’est à dire le caractère du personnage et sa condition sociale.
Peyrade : « Sa figure bourgeonnée, son gros nez long couleur de brique, ses pommettes animées, sa bouche démeublée, mais menaçante et gourmande, ses oreilles ornées de grosses boucles en or, son front bas, tous ces détails qui semblent grotesques étaient rendus terribles par deux petits yeux placés et percés comme ceux des cochons et d’une implacable avidité, d’une cruauté goguenarde et quasi joyeuse. »
Corentin : « Ce parfait muscadin paraissait âgé de trente ans. Ses manières sentaient la bonne compagnie, il portait des bijoux de prix. Le col de sa chemise venait à la hauteur de ses oreilles. Son air fat et presque impertinent accusait une sorte de supériorité cachée. Sa figure blafarde semblait ne pas avoir une goutte de sang, son nez camus et fin avait la tournure sardonique du nez d'une tête de mort, et ses yeux verts étaient impénétrables ; leur regard était aussi discret que devait l'être sa bouche mince et serrée. »
Il peint avec finesse les duplicités et le cynisme des hommes politiques qui, ne sachant si Bonaparte va être vainqueur ou non, essaie de ménager l’un et l’autre, louvoyant toujours pour tirer leur épingle du jeu. Pas d’idéal mais de la basse politique !
La Bataille d'Iéna |
Enfin il y a de grandes scènes d’une beauté picturale et marquante : Ainsi la scène où Laurence de Cinq-Cygne part avec le Marquis de Chargeboeuf dans son vieux carrosse brinquebalant et se retrouve prise entre deux feux en avant de l’avant-garde de l’armée française !
La nuit venait, Laurence voyait s’allumer des feux et briller des armes. Le vieux marquis, dont l’intrépidité fut chevaleresque, conduisait lui-même, à côté de son nouveau domestique, deux bons chevaux achetés la vieille. … Tout à coup l’audacieuse calèche, objet d’étonnement de tous les soldats, fut arrêtée par un gendarme de la gendarmerie de l’armée qui vint à bride abattue sur le marquis en lui criant :
- Qui êtes-vous ? Où allez-vous ? Qui demandez-vous?
- L’empereur, dit le marquis de Chargeboeuf ...
Pourtant même si ce récit est riche et bien écrit, je n’ai pas eu plaisir à le lire car je ne connais que dans les grandes lignes l’Histoire de ces temps troublés. Il faut être un spécialiste déjà averti et avoir des connaissances pointues pour tout comprendre. J'y suis parvenue mais avec difficulté.
De plus, comme pour Les Chouans, je n’aime pas ce Balzac royaliste et ces nobles pleins de mépris et d’arrogance qu’il ne peut s’empêcher de révérer et de peindre en images d'Epinal ! Cette noblesse dont il légitime la morgue et qui cherche à rétablir ses privilèges en trahissant la France, en vendant son pays aux nations étrangères, ne m’emplit pas d’admiration contrairement à lui !