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samedi 30 septembre 2023

Honoré de Balzac : Une ténébreuse affaire

 

Une Ténébreuse affaire d'Honoré de Balzac, paru dans les scènes de la vie politique, porte bien son nom et raconte l’histoire d'un double complot.
D’une part celui fomenté par les émigrés royalistes rentrés en France et financés par l’étranger, la Russie, la Prusse, l’Angleterre, contre Napoléon Bonaparte. Dans le roman, ce sont les personnages des jumeaux Simeuse et des frères Hauteserre qui veulent rétablir la royauté. Ils sont accueillis à Arcis-sur-Aube par leur cousine Laurence de Cinq-Cygne qui les cache sur la partie du domaine dont elle est encore la propriétaire, le reste ayant été vendu comme biens nationaux pendant la Révolution. 

 

Laurence de Cinq-Cygne
 

Laurence de Saint-Cygne a tout de l’héroïne des romans gothiques, belle, courageuse, arrogante, pleine de morgue et de supériorité envers les roturiers. Plus elle est méprisante, plus elle plaît à Balzac !  Elle ne devient humaine qu'à la fin du roman. Fougueuse, héroïque, elle sait manier des armes et participe au complot. Mais Fouché leur a envoyé des espions, Peyrade et Corentin, qui sont chargés de les surveiller voire de les arrêter.

Grâce à son fidèle régisseur Michu, Laurence de Cinq-Cygne cache les jeunes gens dans la ruine d’un ancien monastère puis les fait évader mais ils seront rattrapés et faits prisonniers.

D’autre part et parallèlement, Fouché qui convoite le pouvoir, a comploté contre Bonaparte. Il se ravise après la victoire de l’empereur à Marengo, veut détourner les soupçons de sa personne. Des hommes masqués se faisant passer pour les Simeuse, Hauteserre et Michu, semblables par la taille et les vêtements, enlèvent Malin, conseiller d’état, ancien révolutionnaire, qui a racheté le domaine de Gondreville  appartenant aux Cinq-Cygne et caché des documents compromettants pour Fouché. Les nobles et leur régisseur Michu sont arrêtés. Un procès a lieu mais seul Michu est condamné à mort. Les gentilhommes iront grossir les rangs de la Grande Armée  et mourir pour l’Empereur sur les champs de bataille. Le roman s’inspire d’un fait vrai, l’enlèvement du sénateur Clément de Ris capturé sur l’ordre de Fouché par des bandits pour faire accuser des nobles normands, ses ennemis,  parfaitement innocents.

La marquise de Cinq-Cygne se rend à Iéna, la veille de la bataille pour supplier l’Empereur de sauver son régisseur. Celui-ci a cette réponse dans laquelle transparaît l’admiration de Balzac pour Napoléon malgré ses opinions légitimistes :

« Voici, dit-il avec son éloquence à lui qui changeait les lâches en braves, voici trois cent mille hommes, ils sont innocents, eux aussi ! Eh bien, demain, trente mille hommes seront morts, morts pour leur pays ! »

Michu aura, lui aussi, une belle mort, édifiante  : 

« Les innocents doivent aller à pied ! » dit-il en refusant de monter sur la charette.

 

Une ténébreuse affaire : Corentin

Enfin voilà, j’ai essayé de débroussailler  cette histoire car l’affaire est vraiment si… ténébreuse que je m’y suis perdue !
Comme d’habitude Balzac y réussit des portraits haut en couleur, en particulier des espions de Fouché, le physique et les vêtements annonçant la couleur, c’est à dire le caractère du personnage et sa condition sociale.

Peyrade : « Sa figure bourgeonnée, son gros nez long couleur de brique, ses pommettes animées, sa bouche démeublée, mais menaçante et gourmande, ses oreilles ornées de grosses boucles en or, son front bas, tous ces détails qui semblent grotesques étaient rendus terribles par deux petits yeux placés et percés comme ceux des cochons et d’une implacable avidité, d’une cruauté goguenarde et quasi joyeuse. »

Corentin : « Ce parfait muscadin paraissait âgé de trente ans. Ses manières sentaient la bonne compagnie, il portait des bijoux de prix. Le col de sa chemise venait à la hauteur de ses oreilles. Son air fat et presque impertinent accusait une sorte de supériorité cachée. Sa figure blafarde semblait ne pas avoir une goutte de sang, son nez camus et fin avait la tournure sardonique du nez d'une tête de mort, et ses yeux verts étaient impénétrables ; leur regard était aussi discret que devait l'être sa bouche mince et serrée. »


 Il peint avec finesse les duplicités et le cynisme des hommes politiques qui, ne sachant si Bonaparte va être vainqueur ou non, essaie de ménager l’un et l’autre, louvoyant toujours pour tirer leur épingle du jeu. Pas d’idéal mais de la basse politique ! 


La Bataille d'Iéna

Enfin il y a de grandes scènes d’une beauté picturale et marquante : Ainsi la scène où Laurence de Cinq-Cygne part avec le Marquis de Chargeboeuf dans son vieux carrosse brinquebalant et se retrouve prise entre deux feux en avant de l’avant-garde de l’armée française !
La nuit venait, Laurence voyait s’allumer des feux et briller des armes. Le vieux marquis, dont l’intrépidité fut chevaleresque, conduisait lui-même, à côté de son nouveau domestique, deux bons chevaux achetés la vieille. … Tout à coup l’audacieuse calèche, objet d’étonnement de tous les soldats, fut arrêtée par un gendarme de la gendarmerie de l’armée qui vint à bride abattue sur le marquis en lui criant :
- Qui êtes-vous ? Où allez-vous ? Qui demandez-vous?
- L’empereur, dit le marquis  de Chargeboeuf ...


Pourtant même si ce récit est riche et bien écrit, je n’ai pas eu plaisir à le lire car je ne connais que dans les grandes lignes l’Histoire de ces temps troublés. Il faut être un spécialiste déjà averti et avoir des connaissances pointues pour tout comprendre. J'y suis parvenue mais avec difficulté.
De plus, comme pour Les Chouans, je n’aime pas ce Balzac royaliste et ces nobles pleins de mépris et d’arrogance qu’il ne peut s’empêcher de révérer et de peindre en images d'Epinal ! Cette noblesse dont il légitime la morgue et qui cherche à rétablir ses privilèges en trahissant la France, en vendant son pays aux nations étrangères, ne m’emplit pas d’admiration contrairement à lui !
 

dimanche 23 juillet 2023

Kim Tak-hwan : Les romans meurtriers

 

Note Historique de l’auteur (extrait)

Le roman que vous allez lire se déroule durant la seconde moitié du XVIIIè siècle, sous le règne de Jeongjo (1776-1800), 22è roi de la dynastie Yi, l'une des périodes les plus prospères de l'histoire de la Corée. C'est la "renaissance de Joseon", époque où le commerce fleurit, où de jeunes lettrés adeptes des sciences pratiques venues de Chine rêvent de rénover leur pays, où le roi fonde une bibliothèque afin d'y conserver les manuscrits royaux et les archives dynastiques, et met en place des réformes politiques et culturelles. Un grand nombre d'érudits réputés préconisent alors, dans leurs écrits progressistes, des réformes de l'agriculture et de l'industrie, mais très rares sont leurs principes qui finiront par être adoptés par le gouvernement. C'est aussi la période où la production littéraire passe du stade de la copie manuelle à la fabrication en masse par xylographie et où les romans deviennent accessibles au plus grand nombre. Mais le roi Jeongjo et son gouvernement les considèrent comme des écrits sans valeur et interdisent leur circulation. Aussi l'acte de se procurer un roman et de le lire est-il à l'époque un délit, ce qui ne réfrène en rien la curiosité et l'avidité des lecteurs.

Dans Les romans meurtriers de Kim Tak-hwan se croisent des personnages ayant réellement existé et des personnages fictifs comme Yi Meong-Bang, dosa de la Haute-Cour de Justice, chargé du bon fonctionnement des exécutions publiques.

C’est lui qui, âgé, raconte son histoire. Militaire, expert dans le maniement des armes et en particulier des fléchettes, il n’en est pas moins cultivé, admirateur des Lettres et du groupe de lettrés de l’école de Baektap, grand lecteur de romans, ce genre décrié, considéré comme vulgaire.

Il préside à l’exécution de Cheong Un-mong, autre personnage fictif, romancier le plus populaire de l’époque. Celui-ci est accusé de meurtres odieux en raison de la présence, à plusieurs reprises, sur la scène de crime, de livres qu’il a écrits et qui sont restées ouverts à une certaine page. Cheong a d’abord nié puis, après avoir lu les pages ouvertes de ses livres, il a reconnu sa culpabilité. Les romans meurtriers !

Et pourtant il n’est pas coupable ! D’ailleurs, les crimes continuent après sa mort ! Notre héros se rapproche de Un-beyong, le frère cadet du romancier et de Miryeong, sa soeur cadette pour enquêter et découvrir le vrai coupable. Au passage, il tombe amoureux de la jeune fille mais sans beaucoup d'espoir, lui qui est responsable de la mort du frère aîné. Il va finir par trouver le criminel mais s’apercevoir que l’homme est manipulé. Yi Meong-Ban va se retrouver face à une machination politique complexe et dangereuse. Il est aidé dans son enquête par son ami Kim Jin, lettré, passionné d’horticulture, véritable Sherlock Holmes coréen !  

Nous découvrons aussi des personnages réels, le roi Jeongjo lui-même (1752-1800) les lettrés de l’école de Baektap, érudits adeptes des nouveautés venues de Chine dont l’auteur nous fait découvrir les écrits et les préceptes.  Baek Dong-Su (Yanoi) ( 1743_1816), un noble guerrier du XVIII siècle a appris les arts martiaux à notre héros. Devenu son ami, il lui permet de rencontrer les lettrés de l’école de Baektap.

Le roman présente une enquête policière intéressante avec de nombreux rebondissements mais ce que j’ai le plus apprécié c’est la découverte de la civilisation coréenne au début du XIX siècle et des idées foisonnantes qui circulent à l’intérieur des cercles lettrés à une époque où les autodafés de leurs oeuvres mal vues du pouvoir étaient courantes. La réflexion sur la littérature,  sur l’importance des livres, leur fonction, leur utilité,  alors que la reproduction sur bois permet d’imprimer plus d’oeuvres et d’atteindre un plus large public, n’est pas le moindre des intérêts du roman. 

 

Kim Tak-hwan est un auteur et critique littéraire sud-coréen né à Changwon en 1968

Kim Tak-hwan a publié de nombreux ouvrages de critique et de fiction, dont plusieurs romans historiques et fantastiques :  »L’immortel Yi Sun-sin", série historique en huit volumes, publiée en 2004, a été adaptée à la TV et est diffusée en feuilleton depuis 2005 sur la chaîne KBS.

Actuellement professeur de Littérature à l'Université de Hanam, Kim Tak-hwan se consacre à l'écriture de la suite des Romans meurtriers, une vaste fresque en dix volets qu'il projette de réaliser au cours des dix années à venir.  Présentation Babelio

 

LC avec Maggie, Rachel et Doudoumatous

mercredi 31 mai 2023

Honoré de Balzac : La Rabouilleuse

 

Flore Brazier est la Rabouilleuse. Elle donne son son nom au titre. C’est une pauvre fille de la campagne qui est la proie d’un riche et vicieux vieillard, le docteur Rouget.  Elle passe ensuite entre les mains du fils de ce dernier, Jean-Jacques Rouget, après sa mort et devient sa maîtresse. Par l’ascendant qu’elle exerce sur le vieux garçon, elle devient un danger pour l’héritage de ses neveux. 

Je rabouille pour mon oncle Brazier que voilà.
Rabouiller est un mot berrichon qui peint admirablement ce qu’il veut exprimer : l’action de troubler l’eau d’un ruisseau en la faisant bouillonner à l’aide d’une grosse branche d’arbre dont les rameaux sont disposés en forme de raquette. Les écrevisses effrayées par cette opération, dont le sens leur échappe, remontent précipitamment le cours d’eau, et dans leur trouble se jettent au milieu des engins que le pêcheur a placés à une distance convenable. Flore Brazier tenait à la main son rabouilleur avec la grâce naturelle de l’innocence.

Les personnages principaux


Mais Flore Brazier n’apparaît que tard dans le roman et n’en est pas le personnage principal. Nous ne la découvrons que tardivement par le biais d'Agathe Rouget, déshéritée par son père, qui cherche a récupérer son héritage.

 Mariée à Bridau, Agathe reste veuve avec deux fils Philippe et Joseph. C'est une femme bonne, généreuse, mais naïve, peu cultivée et peu intelligente. Son plus jeune fils, Joseph Bridau, est le fameux peintre, (Delacroix a, semble-t-il, servi de modèle à Balzac), que l’on retrouve comme personnage récurrent de la Comédie Humaine. Artiste désintéressé, dévoué, généreux, aimant, mais laid et malingre, Joseph a du talent mais ne flatte pas la vanité de sa mère, insensible à l’art, et qui lui préfère son frère Philippe. Celui-ci, beau, ardent militaire, s’illustre à la guerre mais n’est bon à rien d’autre. Il refuse de servir les Bourbons dans l’armée pour ne pas être traître à Napoléon. Rendu à la vie civile par la force des choses, il révèle un égoïsme total et n’aime que lui-même. Il est violent, boit, joue, et, dépensier, il se lance dans une vie de débauche, se couvrant de dettes que sa mère doit rembourser en entamant son capital déjà modeste et en s’appauvrissant.

L’Histoire

Le récit est d’abord une réflexion sur l’Histoire du pays. Il s’étale sur une large période puis qu’il commence en 1792 dans la ville d’Issoudun, couvre le Directoire, l’Empire et la Restauration jusqu’en 1830.
Il est intéressant d’un point de vue historique de voir comment Balzac considère les bonapartistes. Lui qui est légitimiste et anti-libéral éprouve cependant un certain respect pour leur capacité de combattant, leur courage sur le champ de bataille, leur sens de l’honneur : ils ne reculent pas devant un duel s’ils se sentent offensés et ils refusent de servir les Bourbons considérant cela comme une traîtrise. Mais son admiration ne va pas plus loin ! Les anciens bonapartistes sont tous des désœuvrés, incapables de s’adapter à la vie sociale, et qui n’apportent rien à leur pays. Il en est ainsi de Philippe Bridau mais aussi de Max Gilet, Grand-Maître des Chevaliers de la Désoeuvrance, association qui réunit tous les jeunes bonapartistes d’Issoudun pour faire les quatre cents coups !

Rien ne peut sauver Issoudun du marasme économique et moral, du point de vue de Balzac, puisque la ville se partage entre les bonapartistes, (trop) nombreux, et la bourgeoise libérale qui entretient l’immobilisme par manque d'initiative et de grandeur de vue. Et oui, n’y a presque plus de nobles à Issoudun, déplore Balzac..

L’état dans lequel le triomphe de la bourgeoise a mis ce chef-lieu d’arrondissement est celui qui attend toute la France et même Paris, si la bourgeoisie continue à rester maîtresse de la politique extérieure et intérieure de notre pays.

Une réflexion sur l’éducation

Agathe Bridau aime ses enfants mais elle est incapable de les éduquer. Elle adule son fils Philippe, ne sévit jamais mais, au contraire, est d’une indulgence coupable envers lui, cherchant toujours à l’excuser, s’aveuglant pour ne pas voir ses défauts et n’ayant même pas conscience de son injustice envers Joseph. Si les défauts de Philippe se sont accentués, c'est donc la faute de sa mère.
Balzac affirme qu’il ne ressort rien de bon de l’éducation donnée par une mère à ses fils. Seul, le père est capable à la fois d’autorité et de justice. Pourtant le père Goriot a prouvé que non !

Le pessimisme de Balzac

Ce roman est l'un des plus sombres de la Comédie Humaine. Tous les personnages de ce livre sont régis par l’intérêt, l’amour de l’argent, au mépris de toute morale et tout sentiment à l'exception d'Agathe Bridau et de son fils Joseph.

La Rabouilleuse, petite paysanne, et les filles de l’opéra que fréquente Philippe sont bien sûr les premières à agir par intérêt. Mais Balzac semble avoir plus d’indulgence envers elles parce qu’elles connaissent la misère et la faim. La conscience s'efface quand on vit dans le dénuement et l'ignorance.

La vertu, socialement parlant, est la compagne du bien-être, et commence à l'instruction.

Mais toute la société bien pensante, bien éduquée, est fondée sur l'amour de l'argent et ne tourne qu'autour de lui :  la querelle entre Max et Philippe est sordide, orchestrée par la ville. La figure de l'avare s'invite à plusieurs reprises dans le roman à travers le vieux docteur Rouget, à travers aussi Monsieur Hochon, - madame Hochon est la marraine d'Agathe -. Même la Descoings, tante d'Agathe, pas vraiment avare, est obsédée sa vie durant par le désir de gagner à la loterie, ce fameux terne qui sera cause de sa fin ! La scène de la loterie présente d'ailleurs un aspect fantastique, le résultat du jeu, le terne apparaissant lorsqu'il a été impossible de le jouer,  introduit la Fatalité, invitant la Mort dans la maison.

 Le pessimisme de Balzac s'y affiche quant à l’être humain et la justice dans la société.  En effet, La Rabouilleuse présente un dénouement noir, amer.

Ainsi, quand Philippe Rouget reste fidèle à ses idées et à son amour pour Napoléon, il n’a aucune visibilité. Compromis dans une conspiration, il est même jeté en prison. Mais quand, rejetant tout honneur, tout sens moral et toute humanité, il se rallie aux Bourbons, il gagne à la fois l’héritage des Rouget, les honneurs avec un titre de comte, et le pouvoir.
Philippe triomphe, non parce qu’il est le plus méritant, mais parce qu’il est le plus cupide, le plus brutal et le plus cynique. Il spolie son frère et laisse sa mère mourir dans la pauvreté sans lui venir en aide et sans chercher à la revoir, rejoignant ainsi les enfants indignes de la Comédie Humaine.

Un grand Balzac !
 

Voir Maggie initiatrice de cette LC 

et Miriam  

Nathalie ICI

Keisha ICI

dimanche 26 mars 2023

Honoré de Balzac : Autre étude de femme

 

Dans Autre étude de femme, l'écrivain réunit autour d'une table ses personnages préférés chez la marquise d'Espard : le ministre Henri de Marsay, Emile Blondet, le docteur Bianchon, la princesse de Carignan, Delphine de Nucingen, son mari le banquier Nucingen, le marquis de Vandenesse, le général de Montriveau...

La haute noblesse, donc  : le gouvernement, la banque, l'armée ...  Tiens, il ne manque que le curé ! L'église, la quatrième assise du pouvoir !

La conversation entre personnes du beau monde, tourne autour du thème de la femme et de l'amour et sert de prétexte à Balzac pour insérer des textes écrits en 1831 et entre 1838 et 1842 dans le tome II des Scènes de la vie privée de La Comédie humaine.


Comte Henri de Marsay

Le texte écrit en 1831 est le récit du comte Henri de Marsay, devenu ministre, qui raconte son premier amour. Il a dix sept ans, il est amoureux d'une jeune veuve de six ans son aînée, et l'aime avec l'idéalisme et la fougue de la jeunesse. Mais la trahison de son amante qui projette de se marier avec un duc et voit ce dernier en secret, lui suggère une vengeance subtile qui le laisse apparemment triomphant. Cependant, cette expérience cruelle lui fait perdre sa foi en l'amour d'une femme et fait de lui un être froid, à jamais incapable de passion.

Quant à mon esprit et mon coeur, ils se sont formés là pour toujours, et l'empire qu'alors j'ai su conquérir sur les mouvements irréfléchis qui nous font faire tant de sottises, m'a donné ce beau sang-froid que vous connaissez.

Le dénouement de cette nouvelle rejeté à la fin du recueil et raconté par le docteur Bianchon clôt le recueil. Celui-ci assiste en tant que médecin à la mort de cette femme devenue duchesse, victime d'une grave maladie, et rapporte le mot sublime de la mourante à son mari, preuve qu'elle était capable d'aimer vraiment.

"Mon pauvre ami, qui donc maintenant te comprendra ? Puis elle mourut en le regardant."

 

La duchesse de Langeais, un femme comme il faut ?

 

Que la femme française s'appelle Femme comme il faut ou grande dame, elle sera toujours la femme par excellence.

Les textes suivant sont des considérations sur la femme de la noblesse. Ceci pour regretter que la grande dame de l'Ancien Régime dont le mari bénéficiait d'une richesse sans limite ait disparu. Regret que le code Napoléon en ne privilégiant pas le droit d'aînesse ait dissous ces formidables richesses en obligeant le partage entre les héritiers. De ce fait, la grande dame n'est plus ! Elle a donné naissance à la femme comme il faut, femme du monde au goût exquis, mais qui n'a plus le luxe dispendieux, la grandeur, la folie, la démesure et aussi l'érudition des femmes d'autrefois. Regret de la voir concurrencer par la bourgeoise, issue cette classe montante de nouveaux riches qui ne lui arrive pas à la cheville et encore plus par la femme comme il n'en faut pas ! Heureusement, les femmes de cette assemblée  finissent par se révolter  :

"Sommes-nous donc aussi diminuées que ces messieurs le pensent ? dit la princesse de Cadignan en adressant aux femmes un sourire à la fois douteur et moqueur.

Il était temps !

Au cours de cette soirée, chacun y va de son lamento et déplore la perte du cher passé induite par la révolution. On a envie de leur dire, à tous ces nobles méprisants, arrogants, frivoles et futiles, encore immensément privilégiés malgré leurs doléances et leurs soupirs, que, et oui ! La révolution est bien heureusement passée par là et a donné de grands coups de pieds dans le jeu de quilles ! Bon d'accord, comme d'habitude, ce sont d'autres qui ont pris leur place, qui ne sont pas meilleurs, et cela n'a pas rétabli l'égalité ni permis de  lutter contre le paupérisme. Personnellement  j'ai trouvé assez ennuyeux toutes ces considérations mais je reconnais qu'elles ont un intérêt historique pour connaître la mentalité de la noblesse. Et dire que Balzac, le conservateur, est en admiration devant ces gens-là ! 

 

Le général Armand de Montriveau
 

Enfin vient un bref récit fascinant, très ramassé, au dénouement glaçant, qui, a mon avis, est le plus fort du recueil. Le général de Montriveau raconte comment, après le passage de la Bérézina, pendant la campagne de 1812, cherchant un abri pour la nuit, il est chassé de maison en maison par les soldats de l'armée en déroute qui n'obéissent plus à aucune discipline, ni même à des règles de solidarité. Le général finit par être accueilli dans une ferme délabrée où le feu qui brûle dans la cheminée et la nourriture redonnent un semblant d'humanité aux hommes qui sont là. Parmi eux, un femme, Rosina et son mari, un capitaine, italiens tous deux. Rosina est manifestement la maîtresse d'un colonel qui lui ordonne de venir la rejoindre dans son lit, devant le mari. Ce qui fait rire Montriveau et le reste de la compagnie et blesse l'amour propre de l'Italien. Le lendemain, la vengeance de l'homme humilié sera horrible. Je vous la laisse découvrir !

Il n'y a rien de plus terrible que la révolte d'un mouton, dit de Masay.

Ne serait-ce que pour ce dernier récit (mais lire aussi L'Adieu sur la même période historique ) il ne faut pas rater Autre étude de femme !

LC initiée par Maggie : ICI  avec   Miriam Ici

PS : D'après Maggie, il manque une nouvelle dans le recueil de Kindle. Et d'après Wikipédia ce serait la nouvelle intitulée La grande Bretèche déjà parue dans les Contes bruns. 



mardi 28 février 2023

Pedro Cesarino : L'Attrapeur d'oiseaux

 

 

Dans le roman L’attrapeur d’oiseaux de Pedro Cesarino, le personnage est comme l’auteur un ethnologue, professeur d’université, qui poursuit une idée fixe. Il s’enfonce une fois encore dans la jungle amazonienne pour parvenir à rapporter la véritable histoire de l’attrapeur d’oiseaux, mythe fondateur des peuples amérindiens, qu’il ne connaît qu’en partie mais que les chamans refusent jusqu’alors de lui livrer en totalité.

Les éléments obscurs qu’il me faut encore résoudre, le lien probable entre  l’attrapeur d’oiseaux et les spéculations sur le surgissement du monde, une articulation fragile et tortueuse indiquant une piste à creuser. Et puis j’ai beaucoup repensé à Antonio Apiboreu et aux anciens de là-haut, les gens qui me manquent vraiment.
Découvrir cette articulation est en quelque sorte une façon de rendre hommage à ces anciens, dont les connaissances m’ont toujours dépassé. C’est la raison pour laquelle mes recherches sur l’attrapeur d’oiseaux sont devenues plus une obsession qu’un devoir… A moins que cette obsession ne soit une méprise, un pas en avant particulièrement hasardeux dont je devrais m’abstenir.

Un pays hors du temps et de la loi

Dès le début, quand l’ethnologue prépare minutieusement son voyage, alors que nous sommes encore dans la ville, nous perdons nos repères dans un pays loin de tout ! Pendant qu’il achète vaccins anti-venimeux, médicaments contre le paludisme, moustiquaires, boîtes de balles, des indiens font griller des larves sur un barbecue, « un mets de choix », une boutique de sorcellerie proposent des perles rouges et noires qui appartiennent à un Exu, esprit du condomblé, religion africo-brésilienne.  On rencontre à nouveau ici des indiens du Putumayo, ceux dont parlait  Vargos Llosa dans le  Le rêve du Celte ICI

« Ils ont sûrement fui les persécutions que les milices infligeaient à leur peuple, les rivières saccagées par le feu et la lame des machettes, les familles déchirées par les viols collectifs et les violences généralisées. » explique l’auteur !

Ainsi, rien n’a changé depuis que Roger Casement a dénoncé le génocide perpétré contre les indiens de Putumayo* au Pérou. Mais c'est vrai aussi pour les Indiens brésiliens ! Ils sont tout aussi en danger comme en témoigne les postes de contrôle du gouvernement fondés pour surveiller les frontières et venir en aide aux indiens. Ils sont chargés de contrôler un zone qui s’étend sur des milliers d’hectares, où la loi n’a plus cours et où les indiens sont victimes de maltraitance, d’assassinats et de viols, de la part d’aventuriers sans scrupules, orpailleurs, narcotrafiquants, patrons d'exploitation minière.

Plus tard, nous faisons connaissance de Sebastiao Baitogogo, le « frère adoptif » du héros, et de sa famille indienne. C’est en pirogue que tous s’enfoncent dans la jungle, s’arrêtant pour chasser le pécari, découvrant, au passage, les modes de vie des peuples parfois hostiles ou amicaux, prisant ensemble le rapé, hébergés dans la maison commune la maloca des villages amis, un voyage long et éprouvant, la remontée d’un fleuve capricieux où les troncs d’arbres, les racines des fromagers, tendent des pièges et rendent la navigation dangereuse. Là, la végétation et la faune réservent des surprises loin de toute civilisation urbaine.

Les nids des caciques cul-jaune accrochés à la cime des grands matamatas dévoilent un autre état. Ces oiseaux tendent d’innombrables bourses dans les branches - des maisons en toile soigneusement tissées à l’aide de leurs longs becs noirs, admirable architecture dont les indiens s’inspirent pour leurs carbets. Les véritables villes sont désormais là, dans ces bourses où les oiseaux s‘entassent, et non dans les villages d’Indiens, qui sont à plusieurs jours de distance les uns des autres.

Mais nous ne sommes pas dans un roman d’aventures et l’ethnologue  n’oublie pas que le but poursuivi est scientifique. Une fois installé dans le village de ses amis et après avoir aménagé au mieux dans son carbet, il poursuit sa quête du récit de l’attrapeur d’oiseaux. C’est Tarotaro le pajé ou chaman qui lui racontera l’histoire :

Tarotaro comment c’est l’histoire de l’attrapeur d’oiseaux ? Vous pouvez me la raconter ? C’est pour le livre.  Vous savez, le livre ?
Non, je ne sais pas. C’est une histoire très malheureuse. C’est pas une histoire pour les humains.


En attendant la forêt est peuplée d’esprits, l’esprit Loutre, l’esprit Opossum, Les esprits des morts, et les mythes sont autant d’explications du Monde et de sa formation.

 Mais peu à peu le village devient hostile, ses amis semblent le fuir, la forêt paraît se refermer sur lui ? Est-ce l’effet de la fièvre liée au paludisme ou… ?


Dérision et auto-dérision


L’Attrapeur d’oiseaux est un roman et il faut se souvenir que le personnage est fictif mais qu’il a certainement beaucoup à voir avec son auteur !

Dans ce cas, Pedro Cesarino pratique l’auto-dérision et l’on ne peut que compatir aux déboires que connaît ce pauvre anthropologue ! Ou rire comme le font les autres membres de la tribu. Rien de glorieux et de reluisant dans ce qu’il lui arrive !

Vous qui rêvez d’aventures, sachez qu’il pourra vous arriver d’avoir des diarrhées et de devenir à ce propos le sujet des railleries de votre « famille indienne » qui vous a pourtant adoptée mais qui n’en rate pas une pour se moquer de vous. Sachez aussi que la fille de votre « frère adoptif », Ina, s’acharnera à percer vos points noirs et vos boutons sur le nez ou dans le dos. Elle n’est pas la seule, tous les enfants du village se donnent le mot ! A ce qu’il semble, c’est une occupation absolument passionnante d’autant plus qu’apparemment il n’y a qu’une peau de blanc pour offrir un tel divertissement !  

Comme on le voit, notre anthropologue est l'anti-héros par excellence, l'anti-Indiana Jones !  De plus, si la femme de votre « frère » vous fait des avances et vient vous rejoindre dans votre hamac (alors que vous ne rêvez que de « ça » ) et bien il vous faudra la repousser vertueusement pour ne pas vous attirer des ennuis, quitte à vous traiter vous-même d’imbécile d’avoir manqué une telle occasion ! Et peut-être même d’être considéré comme anormal par les autochtones ?
C’est ce que demande Baitogogo :  pourquoi ne se marie-t-il pas ? Il pourrait s’installer définitivement ici et faire venir ses soeurs. Impossible ? Les maris ne voudraient pas ? Qu’à cela ne tienne, on pourrait les enlever !
Mais puisqu’il veut repartir en ville, pourrait-il ramener une fusée Discovery comme celle figurant dans la revue National Geographic que l’anthropologue a apportée au village, ce serait mieux et plus rapide que de se déplacer en pirogue !

Ainsi il y a un humour savoureux tout au long du livre fondé sur les différences de mentalités, sur les incompréhensions mutuelles ! L’histoire des missionnaires, en particulier, qui confondent les rites funéraires avec une scène de cannibalisme est hilarante. Critique acerbe des églises chrétiennes, qui, même de nos jours, considèrent leur religion comme supérieure et n’ont que mépris pour les croyances des peuples autochtones. Juste vengeance d’un ethnologue épris de la cosmogonie indienne et du savoir ancestral.  Avec cette scène de comédie, Pedro Cesarino règle ses comptes à l’outrecuidance des blancs !

Bref, tout en décrivant très sérieusement les coutumes de ces peuples qu’il connaît bien, leur mode de vie, leur rapport avec la nature, leur habitat, leur nourriture, leurs croyances et les mythes fondateurs liés au chamanisme, Pedro Cesarino s’amuse et nous amuse en imaginant ce pauvre anthropologue fatigué, toujours au bord du ridicule, et de plus en plus désenchanté, mais n’abandonnant pas son obsession. Il nous amuse mais il nous inquiète aussi ! Car l'anthropologue va finir par la connaître, l'histoire de l’attrapeur d’oiseaux, et tant pis pour lui ! Le mythe pourrait bien devenir réalité ! Mais aussi quelle idée d’être têtu à ce point et de vouloir à tout prix savoir ce qu'il ne faut pas savoir !

Le roman s’achève par un clin d’oeil ironique et une fin ouverte en forme de cauchemar qui semble dire que la curiosité est un vilain défaut mais aussi, peut-être, que le chamanisme n’est pas un amusement et que convoquer les puissances des esprits ne va pas sans danger !

*Le ¨Putumayo : région frontière entre le Pérou, la Colombie et le Brésil.

 

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Pedro Cesarino est un anthropologue brésilien, professeur de philosophie, lettres et sciences humaines de Sao Paulo, spécialisés dans les relations entre anthropologie, art et littérature. Il a étudié un peuple de l’Ouest amazonien, les Marubos et a publié un recueil de chants et de récits de mythes de ce peuple en langue originale avec une traduction en portugais. Ses séjours dans les tribus lui ont permis de se familiariser avec le chamanisme. Il a publié une étude sur le chamanisme intitulée Oniska et un recueil de chants et de récits racontant les mythes que l’on retrouve dans son roman L’attrapeur d’oiseaux.


 

Lire l'interview de Pedro Cesarino dans Le Monde des Livres

LC avec Ingammic A_girl ; Doudoumatous; Keisha






dimanche 19 février 2023

Honoré de Balzac : La recherche de l'Absolu

 

La Recherche de l’absolu d’Honoré de Balzac, est paru d’abord en 1834 dans les Études de mœurs, Scènes de la vie privée. Après avoir été remanié et republié, il est classé dans sa troisième version, en 1845,  dans Les Etudes philosophiques de La Comédie humaine.

Balthazar Van-Claes-Molina, comte de Nourho, appartient à une vieille famille noble de Flandres, installée dans la ville de Douai. Les Claes sont immensément riches jusqu’au jour ou Balthazar Claes se lance dans la recherche de l’Absolu c'est à dire de l'unité de la matière et pour cela provoque la ruine de sa famille. C’est en vain que sa femme Joséphine essaie de le ramener à la raison. Ni elle, ni ses enfants ne comptent plus aux yeux du savant qui se perd dans sa quête. Joséphine en mourra. C’est sa fille Marguerite qui prendra les rênes de la maison et cherchera à protéger ses petits frères et soeur de la folie de leur père.


Gerard Ter Bor : un intérieur flamand

Dire que La recherche de l’absolu de Balzac m’a ennuyée n’est pas peu dire  ! Qu’Honoré me  le pardonne, mais il m’en a fallu  du temps pour que je commence à m’intéresser à ce roman !

J’ai trouvé qu’il y avait d’abord beaucoup de remplissage : En particulier, lorsque l’écrivain commence par rappeler l’importance de la description des lieux dans un roman. D’habitude, Balzac ne se sent pas obligé de nous l’expliquer !  Il le fait et même fort bien  !  Effectivement, dans le roman Balzacien le milieu où vit le personnage, l’architecture, le climat, conditionnent le caractère et le mode de vie qui en découlent. Ils sont si étroitement liés qu’il y a interaction entre les deux.

De part et d’autre tout se déduit, tout s’enchaîne. La cause fait deviner un effet comme chaque effet permet de remonter à une cause.

Avec ce début, La recherche de l’Absolu n’est plus un roman mais un manifeste littéraire ! Balzac aurait pu faire confiance en son lecteur et le considérer comme assez intelligent pour comprendre ce principe. Effectivement, il décrit longuement le pays, la Flandres, et précise comment les gens qui y vivent sont en adéquation avec les lieux qui déterminent leurs actes, leurs habitudes, leurs goûts.

Le caractère flamand est dans ces deux mots, patience et conscience, qui semblent exclure les riches nuances de la poésie et rendre les moeurs de ce pays aussi plates que le sont les larges plaines, aussi froides que l’est son ciel brumeux; mais il n’en est rien.

Après avoir montré que l’occupation  de son sol par des puissances étrangères  et le  commerce avec de lointains  pays, la Chine, le Japon,  avaient modifié le caractère initial, Balzac conclut  :

Après s’être assimilé par la constante économie de sa conduite, les richesses et les idées de ses maîtres, ce pays, si nativement terne et dépourvu de poésie, se composa une vie originale et des moeurs caractéristiques, sans paraître entaché de servilité. L’art y dépouilla toute idéalité pour reproduire uniquement la Forme. Aussi ne demandez à cette patrie de la poésie plastique, ni la verve de la comédie, ni l’action dramatique, ni les jets hardis de l’épopée ou de l’ode, ni le génie musical; mais elle est fertile en découvertes, en discussions doctorales qui veulent et le temps et la lampe. Tout y est frappé au coin de jouissance temporelle.

Viennent ensuite les personnages.  Joséphine Claes née Temninck, noble espagnole, que Balzac trouve admirable parce qu’elle est inconditionnellement dévouée à Balthazar. C’est une femme douce, soumise, qui éprouve un amour absolu (lui aussi) pour son mari. Cet angélisme de la femme et plus encore les déclarations de l’écrivain m’ont insupportée :


Le charme le plus grand d’une femme consiste dans un appel constant à la générosité de l’homme, dans une gracieuse déclaration de faiblesse par lequel elle l’énorgueillit, et réveille en lui les plus magnifiques sentiments.

Le conservatisme de Balzac, ses idées réactionnaires m’irritent souvent ! La femme idéale est pour lui celle qui admire son mari, se dévoue à lui au détriment de sa propre vie et  surtout, ne le remet pas en cause. Et de plus, il ne faut pas risquer d'ébranler la toute puissance paternelle, même indigne, qui est le fondement de cette société patriarcale et hiérarchisée. Voilà qui est confortable pour les hommes !  Pourtant, nous sommes à l’époque de George Sand qui, lorsqu’elle parvient à se séparer de son parasite ( son mari qui vit à ses crochets et a autorité sur elle et sur sa fortune) s’écrie : "Enfin, libre !"  ! Et à quelques années d'Olympe de Gouges, morte sur l'échafaud en 1793,  qui l'a précédée dans sa défense des femmes !

Quant à Balthazar Claës, qui ruine sa famille, devient indifférent à sa femme et ses enfants au nom de la Science, par culte de la Chimie, je sais bien que Balzac nous le peint comme un homme d'une vaste intelligence ! Or, doit-on tout pardonner aux hommes supérieurs ? C’est la question que pose le roman et à laquelle l’écrivain répond affirmativement. Mais je n’adhère pas à cette pensée qui affirme que le génie excuse tout. D’autant plus que, ici, cet homme génial ne prouve rien ni le Eurêka de la fin qui n’est peut-être qu’une autre de ses chimères. Au nom du Génie ( de l'homme), que d'horreurs la société a-t-elle couvertes ?  Voilà encore une autre idée balzacienne qui me dérange !

Heureusement, la fille aînée Marguerite Claes a du caractère et après la mort de sa mère elle va, tout en ménageant son père, s’occuper de ses frères et soeur, Gabriel, Jean et Félicie, et les protéger d’un père pareil ! C’est à partir du moment où elle entre en scène, si je puis dire, que le livre m’a paru plus intéressant et que je l'ai lu plus volontiers.

Mais qu’est ce que cette recherche ? C’est un officier polonais Adam de Wierzchownia qui transmet à Claes cette soif de l’Absolu.  Il lui confie le secret de ses expériences dans le but de transformer les corps composés en corps simples et par là de découvrir le principe de la vie. Bien sûr, cette recherche revient à s’identifier à Dieu et c’est ce que reproche Joséphine Claes à son mari, elle qui est très croyante. C’est une question philosophique intéressante mais que Balzac ne développe pas.


L’existence de L’Absolu" c’est la substance (matière première) commune à la matière organique et inorganique, dont les modifications, sous l'effet d'une force unique (le moyen), produisent les formes diversifiées de la matière qui seules nous sont connues (le résultat).  
Là vous rencontrerez le mystérieux Ternaire devant lequel s’est, de tout temps, agenouillée l’humanité : la matière première , le moyen, le résultat."

Dans ce roman, l’écrivain est en perpétuelle contradiction :  d’une part, il prend le parti de s’appuyer sur la science et il précise que son personnage est un savant. D’autre part, il subordonne la recherche de Balthazar  à un désir de créer de l’or et des diamants non pour lui-même, il est vrai, mais pour ses enfants et il en fait un Alchimiste. Il y a quelque chose de surnaturel dans ce savant fou, hanté par une idée fixe mais au moment où Balzac flirte avec le fantastique, il prend soin de s’en démarquer. Ainsi, l'écrivain dresse l’inventaire des richesses entassées dans la maison de Douai, il nous explique des textes de loi qui permettront aux enfants de se libérer de la tutelle de leur père. Il donne les chiffres précis (en millions) des fortunes dilapidées par le savant. Nous sommes en plein réalisme. Puis il décrit comment Joséphine Claes et sa fille reconstituent ces fortunes à plusieurs reprises en quelques années, ce qui est impossible. L’invraisemblance ne serait pas grave si le roman avait joué sur le fantastique mais ce n’est pas le cas. Cette hésitation entre l'un et l'autre ne me paraît pas réussie. Et finalement l’écrivain joue sur les deux tableaux sans être vraiment convaincant ni dans l’un ni dans l’autre. Au moins dans La peau de chagrin, il avait su choisir !

Il en résulte un roman que j’ai trouvé ennuyeux et qui en plus m’a irritée. J’ai vu qu’il avait été mal accueilli par le public et la critique en son temps. Mais j’ai noté que ceux qui l’apprécient le considèrent comme l’un des plus grands romans de Balzac. Tout ou rien ?




 

mardi 4 octobre 2022

Le premier Prix littéraire avignonnais : Venez me rejoindre !


  

Le premier Prix littéraire des Avignonnais

 

La Ville d’Avignon lance le premier Prix littéraire des Avignonnais. À partir du 1er octobre et jusqu’au 12 novembre, les avignonnais et tous les amoureux de la littérature sont invités à élire, parmi les cinq ouvrages sélectionnés par les bibliothèques, les librairies d'Avignon, un professeur de lettres du lycée René Char et la directrice des bibliothèques d'Avignon, leur roman préféré issu de la rentrée littéraire d’automne. Lectures, tables rondes, midi-sandwichs et de nombreuses animations permettront de mieux faire connaître ces cinq ouvrages et de voter pour celui qui emportera le premier Prix.
Les cinq romans sélectionnés sont disponibles en prêt dans les bibliothèques de la Ville et à la vente dans les librairies partenaires.
 

Comment élire votre livre préféré ?

En votant jusqu’au 12 novembre !
   

 •    sur jeparticipe.avignon.fr
 .   en déposant un bulletin dans une des urnes des bibliothèques de la ville
 

Remise du prix à l’écrivain lauréat
Le samedi 3 décembre à 15h30 au Théâtre des Halles

Si ces titres vous tentent venez me rejoindre pour la lecture de ces livres jusqu'au 12 Novembre. Vous pouvez voter en ligne si vous lisez les cinq romans puisque le vote est ouvert à tous les amoureux de la littérature ou  seulement vous joindre à moi pour quelques-uns de ces livres lors de Lectures Communes avec pour logo : le blason d'Avignon.

Je commence Lundi 10 Octobre avec le livre de l'édition Zulma (édition que j'aime) :  L’invention du diable
 Hubert Haddad



Liste les livres sélectionnés



L’évaporée 
Fanny Chiarello, Wendy Delorme
 Éditions Cambourakis 

 


 

« Qu’est-ce qui peut bien faire qu’une femme soudain abandonne celle à qui elle vient de dire, Quels merveilleux moments j’ai passés auprès de toi, aujourd’hui encore : je veux ça tous les jours de la vie ? » Tel est le questionnement auquel est confrontée Jenny après le départ d’Ève. Toutes deux apprendront que l’ on peut vivre une même histoire de deux façons totalement différentes ».

 
 

 

Le pion 
Paco Cerdà
  Éditions La Contre Allée 

 


Stockholm, hiver 1962. Deux hommes de mondes adverses se font face. Arturo Pomar, l’enfant prodige espagnol, affronte sur l’échiquier Bobby Fischer, un jeune Américain excentrique et ambitieux.
En pleine guerre froide, l’un était le pion du régime franquiste, l’autre sera celui des États-Unis.
    •    Première sélection du Prix du Meilleur Livre Étranger - catégorie non-fiction.

 
 

 

 

Eleftheria 
Murielle Szac  
Éditions Emmanuelle Collas 

 


 
1940, au nord de la Crète. La communauté juive célèbre Rosh Hashana. Rebecca écoute les commérages sur le futur mariage de Stella. On s’interroge aussi sur la guerre qui a commencé en Europe. Metaxas, le dictateur au pouvoir à Athènes, saura-t-il résister à Mussolini et à son allié, Hitler ? Bientôt, le bateau de Nikos, le Tanaïs, est réquisitionné par l’armée grecque. Malgré la menace, la vie continue… Jusqu’au matin du 20 mai 1941, lorsque le 3e Reich lance sur la Crète une invasion aéroportée. Faut-il fuir ou rester ? C’est l’heure de savoir si l’on est libre de choisir son destin.


 

 

Des rêves d’or et d’acier
 Émilie Tôn
 Éditions Hors d’atteinte 

 


 

 Je veux savoir comment mon père est arrivé dans cette Lorraine où l’acier s’écoule, comprendre comment il est devenu cet homme au destin plusieurs fois brisé, qui n’a jamais abandonné. Il l’a toujours dit : « Quand on a tout perdu plusieurs fois, on n’a plus peur de se lancer. »
 


 

 

 

L’invention du diable
 Hubert Haddad
 Éditions Zulma 

 



Papillon de Lasphrise s’est retiré dans sa tour d’ivoire angevine. Après une existence dédiée à l’amour et à la guerre, le voilà tout entier habité par le démon de l’écriture. Au soir de sa vie, il pactise avec le diable : tant que ses Poésies n’auront pas accédé à la postérité, il ne connaîtra pas le repos éternel. L’immortalité sera sa malédiction.
 

 

 

 Le Blason d'Avignon

 


 J'ai choisi pour illustrer ce billet le blason d'Avignon même si ce n'est pas le choix du prix littéraire. Le symbole des trois clefs est adopté par le festival d'Avignon.

Voici l'explication du blason :

La ville d'Avignon porte 3 clés parce que,du temps des papes, il y avait alors pour gouverner la ville, trois syndics ou consuls.

 Les trois clefs évoquent l'emblème papal, qui comprend deux clefs en sautoir, et le nombre de trois rappelle que la ville d'Avignon était alors gouvernée par trois syndics.

 Au xve siècle, des gerfauts furent réintroduits en tant que supports à l'écu, sur demande de la population auprès du pape.
La devise de la ville fut adoptée au même moment :
" Unguibus et rostro. "

Sa signification, « à bec et ongles », fait référence aux gerfauts.
Les deux oiseaux portent chacun un grelot à la patte, afin de maintenir symboliquement l'attention des syndics sur les affaires de la cité.https://www.armorial.org/produit/106138/avignon.html

 

mercredi 30 mars 2022

Honoré de Balzac : le cousin Pons

 

Le cousin Pons est publié en 1847 et fait partie des Scènes de la vie parisienne. Avec La cousine Bette, roman déjà lu au cours des LC initiées par Maggie, il appartient à la section intitulé Les cousins pauvres.

Le cousin Pons dans les rues de Paris

Le roman commence par un portrait de Sylvain Pons qui souligne à la fois sa laideur grotesque - qui explique qu’il n’ait jamais été aimé d’aucune femme même pas de sa mère- et son habillement, fidèle aux modes de l’an 1806, c’est à dire de l’Empire, donc inadapté à son temps. Quant au portrait moral, Pons est aussi bon, naïf et franc que la cousine Bette était méchante, menteuse et jalouse.
C’est aussi un homme aux goûts raffinés qui a une grande connaissance de l’art et qui, malgré son manque de fortune, en chinant chez les antiquaires durant toute sa vie, est parvenu à amasser, à petits prix, une belle collection de peintures et d’objets anciens précieux. Ce goût des beaux objets et de l’art, il le partage avec Balzac, qui n’a cessé toute au cours de sa vie, de s’endetter pour vivre dans le luxe.
Pourtant, le cousin Pons pourrait être heureux depuis qu’il a rencontré un ami, allemand, un homme simple et chaleureux, bon jusqu’à la crédulité, Schmucke. Les deux hommes s’aiment beaucoup. Ils partagent le même petit appartement. Ils sont musiciens et tous les deux travaillent dans le même théâtre mais Sylvain Pons a une faiblesse. Il est gourmand ou mieux encore gourmet ! Il apprécie la bonne chère et le vin goûteux, ce qui est, hélas, trop onéreux pour sa bourse, et qu’il ne peut trouver qu’à la table de riches bourgeois. Petite compensation à sa laideur et au manque d'amour qu'il a connu? Mais qui fera son malheur !
C’est pourquoi il se fait inviter par ses cousins éloignés, entre autres les Camusot de Marville, bourgeois anoblis, parvenus ambitieux, ignorants et peu instruits, qui le couvrent de sarcasmes et le traitent de « pique-assiette », le livrant ainsi à la risée de leurs domestiques. Le pauvre homme en souffre beaucoup et tombe malade.
Mais tout va changer quand on va apprendre que la collection de Pons fait de lui un homme riche. Tous ceux qui tournent autour de lui, logeuse, médecin, avocat, riche collectionneur, cousins qui se voient bien en héritiers, tous vont comploter contre lui pour hâter sa mort et mettre le grappin sur sa fortune.

La logeuse, madame Cibot et Pons

Ce roman de Balzac est particulièrement pessimiste, plus encore, je crois, que la cousine Bette. La pauvreté alliée à la laideur fait du personnage principal un paria dans une société âpre, avide au gain, sans idéaux. Les  pauvres ou les riches sont guidés par un intérêt commun, l’argent. Ils ne reculent devant aucun mensonge, aucune vilenie, aucune trahison et vont même jusqu’au crime, les uns pour ou contre les autres, pour arriver à leur fin.
D’habitude, Balzac dénonçait la corruption de l’argent et la soif d’honneurs et de dignité qui amènent aux pires compromissions dans la bourgeoise. Il le fait cette fois-ci aussi mais l’on s’aperçoit que toutes les classes sociales se comportent de la même manière et chacun à son niveau, espérant grimper dans l’échelle sociale. Hypocrisie, malhonnêteté, cruauté, rapacité ...  C’est finalement un portrait négatif et noir de tout le genre humain que nous présente Balzac.
Ce récit illustre le pouvoir de l’argent puisque dans cette société ce sont les gens qui n’ont ni l’intelligence du coeur, ni celle de l’esprit, qui surpassent ceux qui possèdent ces qualités. Les deux pauvres victimes, Pons surtout et Schmucke aussi, semblent livrés à leurs bourreaux pieds et poings liés et si Pons, a un sursaut de révolte, il est bien vite réprimé. J’avoue que j’ai éprouvé parfois de l’angoisse en lisant un roman aussi noir où nul espoir ne semble permis.
 

Madame Camusot de Marville

 

LC avec Maggie 

dimanche 20 février 2022

Honoré de Balzac : La messe de l'athée

 

La messe de l’athée est une courte nouvelle de Balzac qui met en scène le chirurgien Desplein, un homme de sciences passionné, honnête, dévoué aux pauvres, mais dont l’excentricité fait scandale dans la société ainsi que certaines incohérences dans son comportement. Cependant son génie médical n’a pas d’égal. Il se distingue par son athéisme qui ne laisse place à aucun doute, et il est, selon l’expression de Balzac, «invinciblement athée». Le second personnage est le médecin Horace Bianchon, (personnage récurrent de La Comédie Humaine) dont Desplein a été le maître. Tous deux se sont liés d’amitié. Or, un jour, Bianchon voit le chirurgien entrer dans une église, il le suit, et, à son grand étonnement, il s’aperçoit que l’athée suit la messe dans une petite chapelle. Après une enquête, il se rend compte que ce n’est pas la première fois. Pourquoi ? C’est ce qu’il apprendra de la bouche même de son ami qui lui raconte son histoire. Ce que je vous laisse découvrir.

Evidemment pour Balzac qui voit dans le christianisme « et surtout dans le catholicisme » « un système complet de répression des tendances dépravées de l’homme » et « un grand élément d’ordre social » être athée est suspect voire rédhibitoire. Mais Desplein lui est manifestement sympathique et la découverte de son histoire, dit l'auteur, doit venger le médecin des « quelques sottes accusations » que lui réserve la société jalouse de son succès. Si Balzac égratigne au passage certains personnages politiques de son siècle, tels de nouveaux Tartuffe, il devient vite évident que Desplein n’en est pas un à ses yeux.
Le récit raconté par Desplein lui-même est, en fait, une belle histoire d’amitié et de fidélité. Il nous livre le beau portrait d’un vieil homme, le troisième personnage de la nouvelle et pas des moindres, l’Auvergnat Bourgeat, modeste porteur d’eau, qui sait ce que c’est que la solidarité et le dévouement et vient en aide au jeune homme alors étudiant. Bourgeat qui devient pour lui comme un père !
Il nous parle de la misère du peuple, de l'habitat insalubre , et surtout de ces jeunes gens, ces étudiants, qui cherchent à s’élever au-dessus de leur classe sociale, en continuant leurs études, malgré la faim, le froid, l’isolement. Thème récurrent chez Balzac.
"J’étais seul, sans secours, sans un sou ni pour acheter des livres ni pour payer les frais de mon éducation médicale; sans un ami : mon caractère irascible, ombrageux, inquiet me desservait. Personne ne voulait voir dans mes irritations le malaise et le travail d’un homme qui, du fond de l’état social où il est, s’agite pour arriver à la surface."

Balzac dénonce l’égoïsme et la dureté des hautes sphères de la société parisienne :
"A Paris, quand certaines gens vous voient prêts à mettre le pied à l’étrier, les uns vous tirent par le pan de votre habit, les autres lâchent la boucle de la sous-ventrière pour que vous vous cassiez la tête en tombant; celui-ci vous déferre le cheval, celui-là vous vole le fouet ; le moins traître est celui que vous voyer venir pour vous tirer un coup de pistolet à bout portant."

Le ton enflammé et amer de la diatribe nous révèle non seulement les souffrances du personnage mais le vécu personnel de l’auteur, Balzac ayant connu, lui aussi, de difficiles débuts.

La défense de l’athée Desplein, pourtant, s’accompagne d’un regret que le catholique Balzac exprime par cette conclusion édifiante :

"Bianchon qui soigna Desplein dans sa dernière maladie, n’ose pas affirmer aujourd’hui que l’illustre chirurgien est mort athée. Des croyants n’aimeraient -ils pas penser que l’humble Auvergnat sera venu lui ouvrir la porte du ciel, comme il lui ouvrit jadis la porte du temple terrestre au fronton duquel se lit : aux grands hommes la partie reconnaissante."

Lecture commune avec Maggie ICI

Miriam : ICI  

Rachel ICI

Pativore ICI

mercredi 24 février 2021

Balzac : La maison du chat qui pelote


Une formidable pièce de bois, horizontalement appuyée sur quatre piliers qui paraissaient courbés par le poids de cette maison décrépite, avait été rechampie d’autant de couches de diverses peintures que la joue d’une vieille duchesse en a reçu de rouge.
Au milieu de cette large poutre mignardement sculptée se trouvait un antique tableau représentant un chat qui pelotait. Cette toile causait la gaieté du jeune homme. Mais il faut dire que le plus spirituel des peintres modernes n’inventerait pas de charge si comique. L’animal tenait dans une de ses pattes de devant une raquette aussi grande que lui, et se dressait sur ses pattes de derrière pour mirer une énorme balle que lui renvoyait un gentilhomme en habit brodé. Dessin, couleurs, accessoires, tout était traité de manière à faire croire que l’artiste avait voulu se moquer du marchand et des passants. (…) À droite du tableau, sur un champ d’azur qui déguisait imparfaitement la pourriture du bois, les passants lisaient Guillaume; et à gauche, Successeur du sieur Chevrel.

Cet extrait donne l’explication du titre de la nouvelle de Honoré de Balzac paru en 1830 dans Scènes de la vie privée : La maison du chat qui pelote, enseigne de la  boutique du drapier Guillaume et de son honorable épouse. Le couple a deux filles, Virginie (28 ans), l’aînée, aussi laide et dévote que sa mère et Augustine (18 ans), jolie à croquer. Mais dans l'esprit de Sieur Guillaume, l’aînée doit se marier avant la cadette et c’est pourquoi le commerçant propose Virginie en mariage à son premier commis, Joseph, bon commerçant, qu’il a en estime et à qui il veut laisser son commerce.
Las ! Ce dernier est amoureux de la cadette. Il n’est pas le seul ! car Théodore de Sommervieux, jeune et riche aristocrate et peintre de génie l’aime aussi. La rivalité se termine bien vite : Augustine épouse Théodore et Joseph, Virginie et la boutique ! 

Un conte de fée pour la fille du marchand épousée par un duc ? Mais l'union de Théodore et Augustine se révèle bien vite mal assortie ! La jeune fille est ravissante mais elle manque d’instruction, elle n’a pas les manières du monde et détone dans cet univers de la noblesse parisienne et du milieu artistique. Et même si elle cherche à plaire à son mari en s’intéressant à l’art, elle n’a pas l’instruction nécessaire, ni l’éducation du goût et de la sensibilité, elle qui n’a été instruite qu’aux livres de compte et aux soins du ménage. Son mari a honte d’elle et la délaisse.
Le drame va se jouer autour du tableau de la jeune femme peinte par Théodore et que celui-ci offre à sa maîtresse la duchesse de Carigliano, image de la coquette parisienne de noble lignée.

« Elle commença par offenser la vanité de son mari, quand, malgré de vains efforts, elle laissa percer son ignorance, l’impropriété de son langage et l’étroitesse de ses idées »  

 Le milieu social

Monsieur Guillaume

Le propos de Balzac le plus évident dans cette nouvelle est que l’on ne doit pas se marier hors de « sa sphère »; une union ne peut être réussie que si l’on sait se tenir à sa place, se contenter du milieu social qui est le sien. Les (més)alliances entre la noblesse d’ancien régime désargentée et la bourgeoise d’argent au XIX siècle sont au coeur de plusieurs romans de Balzac. C’est déjà ce que démontrait Molière en stigmatisant les bourgeois qui s’alliaient à la noblesse et en peignant le triste portait du riche paysan Dandin cocufié par sa femme, fille de gentilhomme. Ainsi, dans la nouvelle de Balzac, le mariage de raison de Joseph et Virginie qui ont la même conformité de goûts, d’intérêts et d’éducation est solide et leur donne du bonheur.
« Une femme devait épouser un homme de sa classe; on était toujours tôt ou tard puni d’avoir voulu monter trop haut; l’amour résistait si peu aux tracas du ménage, qu’il fallait trouver l’un chez l’autre des qualités solides pour être heureux… »

L’art et le commerce 

 

Atala au tombeau l'un des tableaux le plus célèbre de Girodet

Mais la classe sociale n’est pas le seul obstacle au bonheur de Théodore et Augustine. Il y a pire aux yeux de Balzac. C’est l’incompatibilité entre l’art, le « sublime », « les épanchements de l’âme », « les effusions de pensée » qui sont l’apanage de l’artiste Théodore, et le commerce, ce monde des marchands sans fantaisie, lié à une économie sévère où l’on connaît « le prix des choses », des « travaux obstinés », où règne une « propreté respectable » et où l’on mène « une vie exemplaire » mais ennuyeuse, sans plaisirs. Augustine qui a été habituée «  à n’entendre que des raisonnements et des calculs tristement mercantiles » représente cette classe : « Elle marchait terre à terre dans le monde réel alors qu’il avait la tête dans les cieux ».

Balzac malmène, non sans un certain mépris, la bourgeoisie marchande, ses préoccupations mercantiles, son manque de culture, de sensibilité artistique, mais il respecte sa probité et ses moeurs honnêtes.

«  De la résultait la nécessité de recommencer avec plus d’ardeur que jamais à ramasser de nouveaux écus, sans qu’il vînt en tête à ces courageuses fourmis de se demander : A quoi bon ? »

On voit où va l’admiration de Balzac. L’art est partout dans la nouvelle, on y parle de David, de Raphael, de Michel Ange, du Titien, de Léonard de Vinci. L’ami de Théodore de Sommervieux n’est autre que Girodet, disciple de David, peintre néo-classique mais déjà préromantique.

Le portrait 

Augustine chez la duchesse de Carigliano : le portrait
 

 Le portrait peint de mémoire par Théodore, amoureux d'Augustine, alors qu'elle ne le connaît pas encore, va jouer un grand rôle dans le récit. Je ne peux m'empêcher de penser qu'il est à la limite du fantastique comme la peau de chagrin du même Balzac ( 1831) qui rétrécit à chaque désir de son propriétaire ou le portrait de Dorian Gray de Wilde qui se corrompt à chaque vice de celui qu'il représente.

On ne peut peindre ainsi que si l'on aime. Les amis de Théodore devinent immédiatement qu'il est amoureux de la jeune fille. Ils le comparent aux plus grands atistes peignant leur bien-aimée, Raphael, Le Titien...  Le portrait est donc doté d'une magie que tous ressentent. Théodore refuse de le vendre même si on lui en offre des sommes énormes.

Plus tard, il le donne à la duchesse de Carigliano parce que celle-ci en a exprimé le désir. Cette  trahison a une portée symbolique grave. La duchesse ne le lui a demandé que pour tester jusqu'où il irait dans son amour pour elle ou comme elle le dit avec cynisme : "Je ne l'ai exigé que pour voir jusqu'à quel degré de bêtise un homme de génie peut atteindre." : Elle le rend à Augustine pour qu'elle retrouve son mari. Pour elle, il n'est pas question d'amour ou de passion dans le mariage mais de domination.

Si armée de ce talisman, vous n'êtes pas maîtresse de votre mari pendant cent ans, vous n'êtes pas une femme, vous méritez votre sort".

En le nommant "talisman", la duchesse reconnaît le pouvoir de ce tableau.

Enfin la destruction de ce portrait à la fin de la nouvelle précipite la fin de la jeune femme. C'est comme si le peintre avait porté des coups à Augustine elle-même et avait tué leur amour..

La nouvelle a donc de l’intérêt en ce qui concerne l’étude de la vie privée, des moeurs et des classes sociales. Les personnages sont bien campés et complexes. Les rapports entre hommes et femmes sont aussi finement analysés.
Ce qui m’a un peu gênée, c’est le caractère abrupt de du dénouement. Sans transition, on passe à la scène finale si rapidement que j’ai cru qu’il manquait une partie du texte. Mais non, il n'en est rien ! D'où un moment de flottement et d'inachevé à la fin. Mais souvent, dans ses nouvelles, Balzac aime ce genre de dénouement !


LC  BALZAC  initiée par  Maggie 

avec  Myriam