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mardi 6 avril 2021

Hervé Le Corre : Prendre les loups pour des chiens

 

Hervé Le Corre a remporté tous les principaux prix de la littérature noire : le Grand Prix de Littérature Policière, le prix Mystère de la critique par deux fois, le prix du Polar européen du Point, le prix Landerneau, le prix Michel Lebrun et le Trophée 813.

Quant à moi, Prendre les loups pour des chiens est le premier livre que je lis de lui et de prime abord, je suis surprise par la qualité de l’écriture et la noirceur du propos. La critique a dit de lui qu’il était un grand maître du roman noir français, et c’est bien vrai si l’on en juge par la société que nous décrit l’écrivain : une société malade, corrompue, violente, qui ne vit que d’expédients, d’argent sale, vite gagné par le vol ou la drogue.
Le milieu dans lequel va échouer Franck a sa sortie de prison n’est donc pas mieux que celui où il évoluait en prison et peut-être pire… car il y fait figure de naïf et pourtant ce n’est pas un enfant de choeur !

Franck sort de prison après un braquage qui a mal tourné pour lui. Il n’a jamais dénoncé son frère aîné Fabien, son complice, qui a pu échapper à la police. A sa sortie son frère est absent, parti en Espagne pour un travail urgent. A sa demande, c’est la compagne de Fabien, Jessica, qui vient le chercher et l’héberge chez ses parents car le jeune homme n’a personne pour l’accueillir. On apprend, en effet, que Franck et Fabien ont perdu leur mère quand ils étaient jeunes et qu’ils haïssaient leur père alcoolique violent, avec qui ils ont rompu toute relation. Les parents de Jessica, trempent dans des affaires louches qui introduisent Franck dans un réseau de voitures volées où il fait connaissance du Gitan, un Grand Méchant, et de bien d’autres personnages peu recommandables. Ce qui lui fait le plus peur, au début, c’est un énorme chien noir, adopté par Jessica et sa mère, et qui a toujours l’air prêt à le dévorer. Mais il ne faut pas se tromper de chien… je veux dire de loup !

Comme dans tout roman noir, il y a la femme fatale, Jessica, magnifique fruit mais véreux, une fille droguée, malade, en un mot tordue !

Il ne sait pas comment elle (Jessica)  fait. Les voilà en cavale, une gamine sur les bras, coincés. Et elle bavarde, elle rit, comme si tout ça n'était que la suite logique d'une histoire commencée il y a longtemps, comme si la façon dont elle va finir ne l'intéressait pas. En fait, elle continue de courir au-dessus du vide, pareille à ces personnages de dessins animés qui s'aperçoivent trop tard qu'il n'y a plus de chemin ni issue.

 
Comme dans tout grand roman noir, Franck est marqué par une sorte de fatalité qui fait qu’il ne pourra pas s’en sortir. On sent se refermer sur lui un piège qui le retient encore plus prisonnier que lorsqu’il était en prison. L’homme est complexe, rendu méchant par tout ce qu’il a vécu dans son enfance puis en prison et dans le présent. On sent toute la violence prête à exploser en lui, à tout moment. Et pourtant, il y a encore en lui un fond d’honnêteté et une sensibilité qui rendent le personnage sinon attachant du moins intéressant. C’est cette impossibilité qu’il y a en lui, de laisser tomber les plus faibles, Jessica, d’abandonner les plus fragiles, Rachel.
Car au milieu de cette noirceur, il y a Rachel, la fille de Jessica, 8 ans, enfant traumatisée par les scènes auxquelles elle assiste, battue par sa mère qu’elle aime et protège pourtant…  dont on sent qu’elle aura peu de chance de s’en sortir indemne si…
Rachel, en effet, est la part d’humanité de cet homme dont Hervé le Corre nous fait partager la souffrance.
Un roman fort, une lecture addictive où la chaleur suffocante et l’odeur entêtante des pins de la région bordelaise servent de décor au drame et où le soleil possède une aura nocive.

 Il avait dix, quinze ans de moins, mais les barreaux de l'échelle par laquelle il remontait le temps craquaient souvent et le ramenaient au présent alors qu'il aurait aimé rester prisonnier de ce passé et refaire le chemin en sachant ce qu'il savait, comme il l'avait vu dans des films à la télévision. Il s'était surpris à murmurer les prénoms de tous ceux qui lui manquaient. Quand il l'a nommée, la silhouette de sa mère s'est formée sur l'écran surchargé de sa mémoire mais son visage restait flou, dont il ne distinguait que le sourire triste qu'elle avait si souvent, vers la fin.

Il s'est levé, le coeur gros, seul comme jamais il ne l'avait été, et il s'en voulait de ce chagrin de gosse, de ce désarroi d'enfant perdu et il détestait l'espace étroit de la caravane, se demandant comment il avait pu se sentir libre dans les premiers jours, comment sa solitude même avait pu lui sembler une étendue idéale sans murs ni frontière.