Hervé Le Corre a remporté tous les principaux prix de la littérature noire : le Grand Prix de Littérature Policière, le prix Mystère de la critique par deux fois, le prix du Polar européen du Point, le prix Landerneau, le prix Michel Lebrun et le Trophée 813.
Quant à moi, Prendre les loups pour des chiens est le premier livre que je lis de lui et de prime abord, je suis surprise par la qualité de l’écriture et la noirceur du propos. La critique a dit de lui qu’il était un grand maître du roman noir français, et c’est bien vrai si l’on en juge par la société que nous décrit l’écrivain : une société malade, corrompue, violente, qui ne vit que d’expédients, d’argent sale, vite gagné par le vol ou la drogue.
Le milieu dans lequel va échouer Franck a sa sortie de prison n’est donc pas mieux que celui où il évoluait en prison et peut-être pire… car il y fait figure de naïf et pourtant ce n’est pas un enfant de choeur !
Franck sort de prison après un braquage qui a mal tourné pour lui. Il n’a jamais dénoncé son frère aîné Fabien, son complice, qui a pu échapper à la police. A sa sortie son frère est absent, parti en Espagne pour un travail urgent. A sa demande, c’est la compagne de Fabien, Jessica, qui vient le chercher et l’héberge chez ses parents car le jeune homme n’a personne pour l’accueillir. On apprend, en effet, que Franck et Fabien ont perdu leur mère quand ils étaient jeunes et qu’ils haïssaient leur père alcoolique violent, avec qui ils ont rompu toute relation. Les parents de Jessica, trempent dans des affaires louches qui introduisent Franck dans un réseau de voitures volées où il fait connaissance du Gitan, un Grand Méchant, et de bien d’autres personnages peu recommandables. Ce qui lui fait le plus peur, au début, c’est un énorme chien noir, adopté par Jessica et sa mère, et qui a toujours l’air prêt à le dévorer. Mais il ne faut pas se tromper de chien… je veux dire de loup !
Comme dans tout roman noir, il y a la femme fatale, Jessica, magnifique fruit mais véreux, une fille droguée, malade, en un mot tordue !
Il ne sait pas comment elle (Jessica) fait. Les voilà en cavale, une gamine sur les bras, coincés. Et elle bavarde, elle rit, comme si tout ça n'était que la suite logique d'une histoire commencée il y a longtemps, comme si la façon dont elle va finir ne l'intéressait pas. En fait, elle continue de courir au-dessus du vide, pareille à ces personnages de dessins animés qui s'aperçoivent trop tard qu'il n'y a plus de chemin ni issue.
Comme dans tout grand roman noir, Franck est marqué par une sorte de fatalité qui fait qu’il ne pourra pas s’en sortir. On sent se refermer sur lui un piège qui le retient encore plus prisonnier que lorsqu’il était en prison. L’homme est complexe, rendu méchant par tout ce qu’il a vécu dans son enfance puis en prison et dans le présent. On sent toute la violence prête à exploser en lui, à tout moment. Et pourtant, il y a encore en lui un fond d’honnêteté et une sensibilité qui rendent le personnage sinon attachant du moins intéressant. C’est cette impossibilité qu’il y a en lui, de laisser tomber les plus faibles, Jessica, d’abandonner les plus fragiles, Rachel.
Car au milieu de cette noirceur, il y a Rachel, la fille de Jessica, 8 ans, enfant traumatisée par les scènes auxquelles elle assiste, battue par sa mère qu’elle aime et protège pourtant… dont on sent qu’elle aura peu de chance de s’en sortir indemne si…
Rachel, en effet, est la part d’humanité de cet homme dont Hervé le Corre nous fait partager la souffrance.
Un roman fort, une lecture addictive où la chaleur suffocante et l’odeur entêtante des pins de la région bordelaise servent de décor au drame et où le soleil possède une aura nocive.
Il avait dix, quinze ans de moins, mais les barreaux de l'échelle par laquelle il remontait le temps craquaient souvent et le ramenaient au présent alors qu'il aurait aimé rester prisonnier de ce passé et refaire le chemin en sachant ce qu'il savait, comme il l'avait vu dans des films à la télévision. Il s'était surpris à murmurer les prénoms de tous ceux qui lui manquaient. Quand il l'a nommée, la silhouette de sa mère s'est formée sur l'écran surchargé de sa mémoire mais son visage restait flou, dont il ne distinguait que le sourire triste qu'elle avait si souvent, vers la fin.
Il s'est levé, le coeur gros, seul comme jamais il ne l'avait été, et il s'en voulait de ce chagrin de gosse, de ce désarroi d'enfant perdu et il détestait l'espace étroit de la caravane, se demandant comment il avait pu se sentir libre dans les premiers jours, comment sa solitude même avait pu lui sembler une étendue idéale sans murs ni frontière.
Eh bien ! je découvre cet écrivain ! Je le lirai car j'aime les polars et je trouve quand même bien dommage de passer à côté d'une écriture qui semble d'une grande qualité. Merci !
RépondreSupprimerOui, une écriture de qualité et la description d'une société, violente, primaire, bestiale, que l'on ne connaît pas mais qui existe avec tout le malheur, les souffrances qu'elle génère. Mais il faut avoir le coeur bien accroché !
SupprimerJe n'ai pas encore lu cet auteur, mais je vais le faire tôt ou tard. Ce qui me retient encore, c'est le côté très sombre.
RépondreSupprimerTrès,très sombre ! Au début, je me révoltais : pourquoi m'imposer toute cette horreur ? mais le livre est si bien écrit, si prenant, si juste, que l'on ne peut s'en détacher. Et puis le personnage de Franck nous permet de sentir de l'intérieur ce qu'il vit (et ce qu'il subit) et de comprendre l'engrenage et l'escalade de la violence. Et puis, l'on ne peut pas toujours se voiler la face ! Mais l'on n'en sort pas indemne !
SupprimerC'est un auteur que j'aime bien ! Je n 'ai pas lu les derniers romans sortis ( oui, à cause du succès, il n'arrête plus d'écrire...)
RépondreSupprimerC'est le premier que je lis mais j'en ai un qui m'attend dans ma PAL et qui parle de Bordeaux. Il est de ta région.
SupprimerC'est un auteur que je découvre peu à peu. Vivant comme lui à Bordeaux, j'ai eu l'occasion de le voir plusieurs fois en entretien, et c'est aussi quelqu'un de passionnant. Je n'ai pas lu celui-là encore, mais il est déjà repéré ; mon prochain sera "Les effarés".
RépondreSupprimerC'est bien que tu aies pu le rencontrer, s'il parle aussi bien qu'il écrit ! Il paraît que c'est un ancien prof de lettres.
SupprimerCela promet et c'est tentant!
RépondreSupprimerA lire ne sachant que le milieu décrit est horrible !
SupprimerJ'ai lu Après la guerre, et l'ai trouvé aussi noir que bien écrit. Celui-ci me tente moins, j'ai du mal avec les femmes fatales dans les romans noirs, je trouve ça trop cliché, je pense... (ou alors, elles sont trop éloignées de mon image de la femme) ;-)
RépondreSupprimerJ'ai Après la guerre dans ma PAL; Je le lirai bientôt. Non le personnage de Jessica est bien au-delà d'un cliché ! C'est une femme nocive, brutale,amorale, à moitié rendue folle par la drogue, une proie sexuelle dans cette société d'abrutis machos et pourris... et malgré tout l'on ne peut s'empêcher de la plaindre, de se demander si, dans un autre milieu, elle n'aurait pas pu s'en sortir. Il s'agit d'un déterminisme social comme pour la petite Rachel. Comment celle-ci pourrait-elle ne pas suivre les traces de sa mère ?
SupprimerTiens! Un nouvel auteur de polars, je le note dans un coin quand j'aurai fini la longue liste à lire
RépondreSupprimerC'est un auteur que je découvre mais il semble que sa réputation en tant qu'écrivain de roman noir ne soit plus à faire !
SupprimerLa noirceur du monde ne me laisse pas indifférente, mais je fuis les ambiances délétères comme dans ce genre de récit, si je comprends bien.
RépondreSupprimerPourquoi aimer un auteur ou pas ?
RépondreSupprimer"Prendre des loups pour des chiens" ce titre me fait penser à une phrase lue dans une autobiographie de Jean François Deniau, je ne sais plus laquelle. Il est déjà âgé et il est dans les montagnes en Afghanistan. Pour se déplacer, en égard à son âge et sa situation il lui faut un cheval blanc mais il n'y en a pas. Alors il montera "un cheval gris dont on dira qu'il est blanc"
Bonsoir Claudialucia, j'avais lu ce roman après avoir lu un billet élogieux de Jerome. J'avoue que j'ai été moins enthousiaste que lui, trop noir pour moi et cela manque un peu d'humour. Bonne soirée.
RépondreSupprimerBonsoir Claudialucia, j'avais lu ce roman après avoir lu un billet élogieux de Jerome. J'avoue que j'ai été moins enthousiaste que lui, trop noir pour moi et cela manque un peu d'humour. Bonne soirée.
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