JuanMa Gutiérrez (peintre uruguayen) Hacienda et lune |
Jules Supervielle |
Je suis né à Montevideo, mais
j'avais à peine huit mois que je partis un jour pour la France dans les
bras de ma mère qui devait y mourir, la même semaine que mon père. Oui,
tout cela, dans la même phrase. Une phrase, une journée, toute la vie,
n'est-ce pas la même chose pour qui est né sous les signes jumeaux du
voyage et de la mort ? Mais je ne voudrais pas ici vous parler de la
mort. Et je me dis : Uruguay, Uruguay de mon enfance et de mes retours
successifs en Amérique, je ne veux ici m'inquiéter que de toi, dire, au
gré de mes tremblants souvenirs, un peu de ce que je sais de ton beau
triangle de terre, sur les bords du plus large fleuve, celui-là que Juan
Diaz de Solis appelait Mer Douce." (Urugay)
"Montevideo
est belle et luisante. Les maisons peintes de couleurs claires, rose
tendre, bleu tendre, vert tendre. Et le soleil monte sur les trottoirs.
C'est
dans la campagne Uruguayenne que j'eus pour la première fois
l'impression de toucher les choses du monde, et de courir derrière elles
!" Uruguay
Montevideo
Montevideo |
Je naissais, et par la fenêtre
Passait une fraîche calèche.
Le cocher réveillait l’aurore
D’un petit coup de fouet sonore.
Flottait un archipel nocturne
Encore sur le jour liquide.
Les murs s'éveillaient et le sable
Qui dort écrasé dans les murs.
Un peu de mon âme glissait
Sur un rail bleu, à contre-ciel,
Et un autre peu se mêlant
À un bout de papier volant
Puis trébuchant sur une pierre,
Gardait sa ferveur prisonnière.
Le matin comptait ses oiseaux
Et jamais il ne se trompait.
Le parfum de l'eucalyptus
Se fiait à l'air étendu.
Dans l'Uruguay sur l'Atlantique
L'air était si liant, facile,
Que les couleurs de l'horizon
S'approchaient pour voir les maisons.
C’était moi qui naissais jusqu’au fond sourd des bois
Où tardent à venir les pousses
Et jusque sous la mer où l’algue se retrousse
Pour faire croire au vent qu’il peut descendre là.
La Terre allait, toujours recommençant sa ronde,
Reconnaissant les siens avec son atmosphère,
Et palpant sur la vague ou l'eau douce profonde
Le tête des nageurs et les pieds des plongeurs.
En 1994, la famille rentre en France. Jules Supervielle fait ses études à Paris sans perdre contact avec L'Uruguay où il retourne souvent. D'où l'importance de la mer et du voyage dans sa poésie.
La mer proche
Carlos Paez Vilaro : peintre uruguayen |
La mer n'est jamais loin de moi,
Et toujours familière, tendre,
Même au fond des plus sombres bois
À deux pas elle sait m'attendre.
Même en un cirque de montagnes
Et tout enfoncé dans les terres,
Je me retourne et c'est la mer,
Toutes ses vagues l'accompagnent,
Et sa fidélité de chien
Et sa hauteur de souveraine,
Ses dons de vie et d'assassin,
Enorme et me touchant à peine,
Toujours dans sa grandeur physique,
Et son murmure sans un trou,
Eau, sel, s'y donnant la réplique,
Et ce qui bouge là-dessous.
Ainsi même loin d'elle-même,
Elle est là parce que je l'aime,
Elle m'est douce comme un puits,
Elle me montre ses petits,
Les flots, les vagues, les embruns
Et les poissons d'argent ou bruns.
Immense, elle est à la mesure
De ce qui fait peur ou rassure.
Son museau, ses mille museaux
Sont liquides ou font les beaux,
Sa surface s'amuse et bave
Mais, faites de ces mêmes eaux,
Comme ses profondeurs sont graves !
Le gaucho
JuanMa Gutiérrez (peintre uruguayen) Le gaucho |
Les chiens fauves du soleil couchant harcelaient les vaches
Innombrables dans la plaine creusée d’âpres mouvements,
Mais tous les poils se brouillèrent sous le hâtif crépuscule.
Un cavalier occupait la pampa dans son milieu
Comme un morceau d’avenir assiégé de toutes parts.
Ses regards au loin roulaient sur cette plaine de chair
Raboteuse comme après quelque tremblement de terre.
Et les vaches ourdissaient un silence violent,
Tapis noir en équilibre sur la pointe de leurs cornes,
Mais tout d’un coup fustigées par une averse d’étoiles.
Elles bondissaient fuyant dans un galop de travers,
Leurs cruels yeux de fer rouge incendiant l’herbe sèche,
Et leurs queues les poursuivant, les mordant comme des diables,
Puis s’arrêtaient et tournaient toutes leurs têtes horribles
Vers l’homme immobile et droit sur son cheval bien forgé.
(extraits)
JuanMa Gutiérrez (peintre uruguayen) La pampa |
Deux autres poètes sont aussi franco-uruguayens et tous les deux de Tarbes : Jules Laforgue et Isidore Ducasse, comte de Lautréamont.