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jeudi 19 octobre 2017

Thomas Vinau : Le camp des autres



Quand on ouvre le roman de Thomas Vinau, Le camp des autres, l’incipit suscite immédiatement une image forte et nous met aux aguets : « Le givre fait gueuler  la lumière. » On s'attendait à un roman, on lit un poème ? Ce qui saisit d’abord, donc, c’est le style, rocailleux, comme des pierres roulant sur le lit d’un torrent, un style à fleur de peau et de nature, aisé et pourtant très travaillé. Et l’on se laisse envahir par des images toujours surprenantes dont les métaphores empruntent au domaine réaliste pour créer la poésie :

"Lorsqu’il lève la tête, dos relâché contre le tronc pour reprendre son souffle, les immenses conifères taillent l’azur en pointes d’arbalètes noires. Leurs silhouettes solides bien plantées dans le gras blanc du ciel."

"Dans le ventre sauvage d’un forêt la nuit est un bordel sans nom. Une bataille veloutée, un vacarme qui n’en finit pas. Un capharnaüm de résine et de viande, de sang et de sexe, de terre et de mandibules. Là-haut la lune veille sur tout ça. Sa lumière morte ne perce pas partout mais donne aux yeux qui chassent des éclairs argentés."

Et il y a cette définition de la forêt qui explique le titre  :
"Elle est alors devenue le refuge de ceux qui se refusaient à l'homme et de tous ceux que l'homme refusait : Elle est l'autre camp. Le camp des autres."

On se dit que l’on entre dans un univers littéraire pas comme les autres  et l’on éprouve de la curiosité, de l’empathie pour ce petit garçon, Gaspard maltraité par son père qu’il a tué dans un geste d’autodéfense, obligé de partir pour ne plus jamais y revenir. L’enfant fuit avec son chien blessé. La forêt ne l’épargne pas, à la fois accueillante pour ceux qui cherchent un refuge mais inhospitalière et dangereuse pour les êtres faibles. Il devra la vie à un homme Jean-le-blanc, personnage assez étonnant, braconnier, sorcier-guérisseur, qui connaît tous les plantes mais aussi les pièges de la forêt et va les apprendre à l’enfant.

Toute cette première partie du roman et la poésie qui en découle m’ont beaucoup plu mais j’ai moins aimé le départ de Gaspard avec les gitans, une bande de détrousseurs appelée la Caravane à Pépère dirigée par Capello. Celle-ci a bien existé au début du XX siècle, défrayant la chronique, volant aux étals des marchés, pillant les fermes, et traquée par les bataillons du Tigre de Clémenceau. 
Si j’avais lu la quatrième de couverture et les interviews de Thomas Vinau avant de lire le livre, j’aurais su que là était justement le véritable sujet du roman, une histoire « qui grimpait en noeuds de ronces dans son (mon) ventre », qu’il gardait près de lui depuis longtemps : « alors j’ai voulu écrire la ruade, le refus, le recours à la forêt ».
 A travers cette bande de misérables, Thomas Vinau écrit la révolte contre les nantis, les bourgeois, il décrit les marginaux semblables aux oiseaux sauvages de Jean Richepin. Il les décrit, ivres d’air pur, face aux jeunes « oies édifiantes » de la Basse-cour, il décrit l’insolence des « gueux », leur soif de liberté.  Chaque portrait des membres de la troupe est d'ailleurs réussi, haut en couleur, hors du commun.

Alors pourquoi ai-je moins aimé cette deuxième partie ? 
J’ai eu l’impression que l’écrivain m’arrachait aux personnages que j’aimais et à cette vie en pleine forêt, à cet apprentissage de la nature qui réunissait Gaspard et Jean-le-blanc. En partant avec la Caravane, c’est le vol que l’enfant va apprendre, le refus du conformisme aussi, certes, et l’amour de la liberté, mais cela il y avait déjà goûté avec Jean-le-blanc et d'une toute autre manière par l’intermédiaire de la nature.
En fait, je suis tombée dans une autre histoire !  La seconde n’était pas la suite de la première, c’est autre chose même si Vinau dit les avoir reliées.
 
J'ajouterai que malgré cette image idéalisée du pauvre, du voleur révolté, développée dans ce livre, je n'ai pas pu oublier que ces bandes qui terrorisaient la population au début du XX siècle ne s'attaquaient pas aux nantis, égoïstes, dominateurs et exploiteurs, mais souvent à des gens qui n'étaient pas beaucoup plus riches qu'eux, paysans dans leurs fermes ou sur les marchés qui allaient vendre les produits d'un travail long et pénible. A la différence des Communards dont Victor Hugo prendra la défense, ils n'ont pas d'idéologie politique, ils n'essaient pas de changer la société ni même d'aider les autres. Ils achètent leur liberté aux dépens de ceux qui travaillent même s'ils ont des règles d'honneur comme l'écrivain prend soin de nous le montrer. Donc je n'ai pas pu être en empathie avec eux ni adhérer à leur mode de vie.

Les poètes qui ont inspiré Thomas Vinau

 

Les oiseaux de Matisse


 Au début de chaque grande partie, Thomas Vinau cite des écrivains ou poètes en exergue.

Jean Richepin : Les oiseaux de passage (extraits chantés par Brassens)





Georges Brassens chante Les oiseaux de passage


Oh ! vie heureuse des bourgeois ! Qu'avril bourgeonne

Ou que décembre gèle, ils sont fiers et contents.

Ce pigeon est aimé trois jours par sa pigeonne ;

Ca lui suffit, il sait que l'amour n'a qu'un temps.




Ce dindon a toujours béni sa destinée.

Et quand vient le moment de mourir il faut voir

Cette jeune oie en pleurs : " C'est là que je suis née ;

Je meurs près de ma mère et j'ai fait mon devoir.

"

Elle a fait son devoir ! C'est à dire que oncque 

Elle n'eut de souhait impossible, elle n'eut

Aucun rêve de lune, aucun désir de jonque

L'emportant sans rameurs sur un fleuve inconnu.



Elle ne sentit pas lui courir sous la plume

De ces grands souffles fous qu'on a dans le sommeil,

pour aller voir la nuit comment le ciel s'allume

Et mourir au matin sur le coeur du soleil.



Et tous sont ainsi faits ! Vivre la même vie

 Toujours pour ces gens-là cela n'est point hideux

Ce canard n'a qu'un bec, et n'eut jamais envie

Ou de n'en plus avoir ou bien d'en avoir deux.



Aussi, comme leur vie est douce, bonne et grasse !

Qu'ils sont patriarcaux, béats, vermillonnés,

Cinq pour cent ! Quel bonheur de dormir dans sa crasse,

De ne pas voir plus loin que le bout de son nez !

N'avoir aucun besoin de baiser sur les lèvres,

Et, loin des songes vains, loin des soucis cuisants,

Posséder pour tout cœur un viscère sans fièvres,

Un coucou régulier et garanti dix ans !



Oh ! les gens bienheureux !... Tout à coup, dans l'espace,

Si haut qu'il semble aller lentement, un grand vol

En forme de triangle arrive, plane et passe.

Où vont-ils ? Qui sont-ils ? Comme ils sont loin du sol !



Les pigeons, le bec droit, poussent un cri de flûte

Qui brise les soupirs de leur col redressé,
Et sautent dans le vide avec une culbute.

Les dindons d'une voix tremblotante ont gloussé.



Les poules picorant ont relevé la tête.

Le coq, droit sur l'ergot, les deux ailes pendant,

Clignant de l'œil en l'air et secouant la crête,

Vers les hauts pèlerins pousse un appel strident.



Qu'est-ce que vous avez, bourgeois ? soyez donc calmes.

Pourquoi les appeler, sot ? Ils n'entendront pas.

Et d'ailleurs, eux qui vont vers le pays des palmes,

Crois-tu que ton fumier ait pour eux des appas ?



Regardez-les passer ! Eux, ce sont les sauvages.

Ils vont où leur désir le veut, par-dessus monts,

Et bois, et mers, et vents, et loin des esclavages.

L'air qu'ils boivent ferait éclater vos poumons.



Regardez-les ! Avant d'atteindre sa chimère,

Plus d'un, l'aile rompue et du sang plein les yeux,

Mourra. Ces pauvres gens ont aussi femme et mère,

Et savent les aimer aussi bien que vous, mieux.



Pour choyer cette femme et nourrir cette mère,

Ils pouvaient devenir volaille comme vous.

Mais ils sont avant tout les fils de la chimère,

Des assoiffés d'azur, des poètes, des fous.



Ils sont maigres, meurtris, las, harassés. Qu'importe !

Là-haut chante pour eux un mystère profond.

A l'haleine du vent inconnu qui les porte

Ils ont ouvert sans peur leurs deux ailes. Ils vont.



La bise contre leur poitrail siffle avec rage.

L'averse les inonde et pèse sur leur dos.

Eux, dévorent l'abîme et chevauchent l'orage.

 Ils vont, loin de la terre, au dessus des badauds.



Ils vont, par l'étendue ample, rois de l'espace.

Là-bas, ils trouveront de l'amour, du nouveau.

Là-bas, un bon soleil chauffera leur carcasse

Et fera se gonfler leur cœur et leur cerveau.



Là-bas, c'est le pays de l'étrange et du rêve,

C'est l'horizon perdu par delà les sommets,

C'est le bleu paradis, c'est la lointaine grève

Où votre espoir banal n'abordera jamais.



Regardez-les, vieux coq, jeune oie édifiante !

Rien de vous ne pourra monter aussi haut qu'eux.

Et le peu qui viendra d'eux à vous, c'est leur fiente.

Les bourgeois sont troublés de voir passer les gueux.



Oiseaux deBraque

 Victor Hugo

En dehors de Richepin, Vinau cite aussi le Victor Hugo de Ceux qu'on foule aux pieds  paru dans le recueil L'année terrible et ce versIls sont votre épouvante et vous êtes  leur crainte, (qui servit de titre à un roman de Thierry Jonquet) est une défense des communards dont Victor Hugo réclame l'amnistie.



A ceux qu'on foule aux pieds (extrait)

 



Oh ! je suis avec vous ! j'ai cette sombre joie.
Ceux qu'on accable, ceux qu'on frappe et qu'on foudroie
M'attirent ; je me sens leur frère ; je défends
Terrassés ceux que j'ai combattus triomphants ;
Je veux, car ce qui fait la nuit sur tous m'éclaire,
Oublier leur injure, oublier leur colère,
Et de quels noms de haine ils m'appelaient entre eux.
Je n'ai plus d'ennemis quand ils sont malheureux.
Mais surtout c'est le peuple, attendant son salaire,
Le peuple, qui parfois devient impopulaire,
C'est lui, famille triste, hommes, femmes, enfants,
Droit, avenir, travaux, douleurs, que je défends ;
Je défends l'égaré, le faible, et cette foule
Qui, n'ayant jamais eu de point d'appui, s'écroule
Et tombe folle au fond des noirs événements ;
Etant les ignorants, ils sont les incléments ;
Hélas ! combien de temps faudra-t-il vous redire
À vous tous, que c'était à vous de les conduire,
Qu'il fallait leur donner leur part de la cité,
Que votre aveuglement produit leur cécité ;
D'une tutelle avare on recueille les suites,
Et le mal qu'ils vous font, c'est vous qui le leur fîtes.
Vous ne les avez pas guidés, pris par la main,
Et renseignés sur l'ombre et sur le vrai chemin ;
Vous les avez laissés en proie au labyrinthe.
Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte ;
C'est qu'ils n'ont pas senti votre fraternité.
Ils errent ; l'instinct bon se nourrit de clarté ;
Ils n'ont rien dont leur âme obscure se repaisse ;
Ils cherchent des lueurs dans la nuit, plus épaisse
Et plus morne là-haut que les branches des bois ;
Pas un phare. A tâtons, en détresse, aux abois,
Comment peut-il penser celui qui ne peut vivre ?
En tournant dans un cercle horrible, on devient ivre ;
La misère, âpre roue, étourdit Ixion.
Et c'est pourquoi j'ai pris la résolution
De demander pour tous le pain et la lumière.

Exécution des Communards par les Versaillais


Arthur Rimbaud



 Il y aussi le Rimbaud de la Faim dans Alchimie du verbe : Mangez les cailloux que l'on brise/ Pain semé dans les vallées grises."






Alchimie du Verbe

— 
Delaunay





Faim
 
Si j’ai du goût, ce n’est guère 
Que pour la terre et les pierres.Je déjeune toujours d’air,
De roc, de charbons, de fer.
Mes faims, tournez. Paissez, faims,
Le pré des sons.
Attirez le gai venin
Des liserons.
Mangez les cailloux qu’on brise,
Les vieilles pierres d’églises ;
Les galets des vieux déluges,
Pains semés dans les vallées grises.



Jules Vallès


et bien sûr l'Insurgé de Jules Vallès que je ne suis pas étonnée de trouver  dans les bagages de Thomas Vinau.

 La dédicace du livre est en soi un  programme:








Aux morts de 1871
À TOUS CEUX
qui, victimes de l’injustice sociale,
prirent les armes contre un monde mal fait
et formèrent,
sous le drapeau de la Commune,
la grande fédération des douleurs,
Je dédie ce livre.



Dans L'Insurgé, le troisième livre de la trilogie de Jules Vallès, Jacques Vingtras prend le parti de la commune de Paris en 1871. Vaincus  par les Versaillais, les communards sont massacrés, sommairement exécutés dans les rues de la capitale. Le héros de l'Insurgé parvient cependant à s'enfuir.
"C'est fini! Nous avons saigné et pleuré pour toi. Tu recueilleras notre héritage. Fils des désespérés, tu seras un homme libre !"


 

Et André Dhôtel ...

 "Ces lieux étaient  livrés à un désordre magnifique"

Dans Le pays où l'on n'arrive jamais, le personnage principal d'André Dhôtel est un Gaspard comme le jeune garçon de Le camp des autres et comme le fils de Thomas Vinau. Tiens, tiens !




La Marraine littéraire de ce roman est Moka blog Au milieu des livres ICI

 Merci à Price Minister et aux éditions Alma.