En visitant le château de Michel de Montaigne j'ai rencontré aussi sa "fille d'alliance", Marie Le Jars de Gournay (1565_1645), femme de lettres, héritière et éditrice de son oeuvre. Et, bien sûr, apercevant en librairie l'essai qu'elle a écrit sur Egalité des hommes et des femmes suivi de Grief de dame, je n'ai pas pu ne pas "craquer" et je l'ai acheté!
Egalité des hommes et des femmes (1622)
Marie de Gournay |
Dans son essai Egalité des hommes et des femmes Marie de Gournay affirme qu'elle n'essaiera pour réfuter "l'orgueilleuse préférence que les hommes s'attribuent" de démontrer la supériorité des femmes : quant à moi fuyant tout extrémité, je me contente de les égaler aux hommes, la nature s'opposant à cet égard autant à la supériorité qu'à l'infériorité.
C'est donc en philosophe qu'elle aborde cette question d'autant plus grave que les femmes souffrent d'une absence de liberté totale et du mépris dans lequel elles sont tenues par leurs homologues masculins.
Toute sa démonstration est là : il n'y a pas de supériorité des uns sur des autres mais des différences purement biologiques qui n'impliquent aucune hiérarchie entre les sexes, l'égalité reposant donc sur le spirituel. Et elle s'appuie pour sa démonstration sur les philosophes anciens, sur Montaigne, les Pères de l'église et les Saintes Ecritures.
Au surplus l'animal humain n'est homme ni femme à le bien prendre, les sexes étant faits non simplement, ni pour constituer une différence d'espèce, mais pour la seule propagation. L'unique forme et différence de cet animal ne consiste qu'en l'âme raisonnable.
Le fait que les femmes n'atteignent pas aux honneurs et au pouvoir comme le font les hommes ne tient donc pas d'une infériorité naturelle mais peut être attribué à deux faits : D'une part, les femmes sont le plus souvent tenues à l'écart de l'instruction et de la fréquentation du monde. Si elles pouvaient, elles aussi, recevoir la même éducation, ces différences seraient comblées :
Et conséquemment, pourquoi leur institution (éducation) aux affaires et aux lettres à l'égal des hommes ne remplirait-elle pas la distance vide qui paraît d'ordinaire entre les têtes d'eux et d'elles?
D'autre par les hommes s'attribuent les meilleures places en appliquant le droit du plus fort mais en basant leur supériorité uniquement sur ce droit, ils se ravalent au niveau de la bête.
Et si les hommes dérobent à ce sexe, en plusieurs lieux, sa part des meilleurs avantages, ils ont tort de faire un titre de leur usurpation et de leur tyrannie, car l'inégalité des forces corporelles plus que spirituelles ou des autres branches du mérite, est facilement cause de ce larcin et de sa souffrance (du fait que l'on accepte)- forces corporelles qui sont, au reste, des vertus si basses que la bête en tient plus par-dessus l'homme que l'homme par-dessus la femme.
C'est donc en philosophe qu'elle aborde cette question d'autant plus grave que les femmes souffrent d'une absence de liberté totale et du mépris dans lequel elles sont tenues par leurs homologues masculins.
Toute sa démonstration est là : il n'y a pas de supériorité des uns sur des autres mais des différences purement biologiques qui n'impliquent aucune hiérarchie entre les sexes, l'égalité reposant donc sur le spirituel. Et elle s'appuie pour sa démonstration sur les philosophes anciens, sur Montaigne, les Pères de l'église et les Saintes Ecritures.
Au surplus l'animal humain n'est homme ni femme à le bien prendre, les sexes étant faits non simplement, ni pour constituer une différence d'espèce, mais pour la seule propagation. L'unique forme et différence de cet animal ne consiste qu'en l'âme raisonnable.
Le fait que les femmes n'atteignent pas aux honneurs et au pouvoir comme le font les hommes ne tient donc pas d'une infériorité naturelle mais peut être attribué à deux faits : D'une part, les femmes sont le plus souvent tenues à l'écart de l'instruction et de la fréquentation du monde. Si elles pouvaient, elles aussi, recevoir la même éducation, ces différences seraient comblées :
Et conséquemment, pourquoi leur institution (éducation) aux affaires et aux lettres à l'égal des hommes ne remplirait-elle pas la distance vide qui paraît d'ordinaire entre les têtes d'eux et d'elles?
D'autre par les hommes s'attribuent les meilleures places en appliquant le droit du plus fort mais en basant leur supériorité uniquement sur ce droit, ils se ravalent au niveau de la bête.
Et si les hommes dérobent à ce sexe, en plusieurs lieux, sa part des meilleurs avantages, ils ont tort de faire un titre de leur usurpation et de leur tyrannie, car l'inégalité des forces corporelles plus que spirituelles ou des autres branches du mérite, est facilement cause de ce larcin et de sa souffrance (du fait que l'on accepte)- forces corporelles qui sont, au reste, des vertus si basses que la bête en tient plus par-dessus l'homme que l'homme par-dessus la femme.
La supériorité que les hommes s'attribuent ne tient donc qu'à la tyrannie qu'ils exercent sur l'autre sexe mais n'a aucune justification philosophique.
Brillante et érudite démonstration qui prouve que Marie de Gournay n'avait rien à envier à la plupart des hommes de son temps.
Brillante et érudite démonstration qui prouve que Marie de Gournay n'avait rien à envier à la plupart des hommes de son temps.
Grief de dame
Michel de Montaigne |
Quand elle écrit Grief de dame paru en 1626, Marie de Gournay a soixante et un ans; elle est attaquée de toutes parts par des hommes de lettres ou de pouvoir, jaloux, pleins de suffisance et de mépris, qui critiquent non pas ses idées et ses oeuvres qu'ils ne lisent pas mais son physique et son célibat. Grief de dame est donc un écrit virulent. On sent l'auteure excédée de se heurter sans cesse à la suffisance et à la boursoufflure vaniteuse d'hommes qui n'ont de savants que le nom. La mauvaise foi, le mépris masculin et la vacuité de leurs démonstrations de force l'ont mise hors d'elle et le ton est résolument pamphlétaire. La dame montre ainsi qu'elle a la dent dure et qu'effectivement certains de ces messieurs, illustres en leur temps mais de nos jours tombés dans l'oubli, faisaient bien d'esquiver le débat car ils n'auraient pas eu le dessus.
Heureusement, nous dit Séverine Auffret qui préface le livre : "... depuis Montaigne lui-même, et à partir de Just Lipse, leur ami commun, Marie de de Gournay pratique le grand art de l'amitié, particulièrement avec un certain nombre d'hommes, "libertins érudits" de préférence, tels Théophile de Viau, Gabriel Naudée, et enfin la Mothe le Vayer, qui sera l'ami-complice de toute sa vie."
Bienheureux es-tu, lecteur, si tu n’es point de ce sexe, qu’on interdit de tous les biens, le privant de la liberté et même qu'on interdit encore à peu près de toutes les vertus, lui soustrayant les charges, les offices et fonction publics, en un mot en lui retranchant le pouvoir en la modération duquel la plupart des vertus se forment, afin de lui constituer pour seule félicité, pour vertus souveraines et seules, l'ignorance, la servitude et la faculté de faire le sot si ce jeu lui plaît.
Bienheureux, derechef, toi qui peux être sage sans crime, ta qualité d'homme te concédant, autant qu'on les défend aux femmes, toute action de haut dessein, tout jugement sublime, et parole juste, et le crédit d’en être cru, ou pour le moins écouté.
Bienheureux, derechef, toi qui peux être sage sans crime, ta qualité d'homme te concédant, autant qu'on les défend aux femmes, toute action de haut dessein, tout jugement sublime, et parole juste, et le crédit d’en être cru, ou pour le moins écouté.
Et je ne peux m'empêcher de citer encore un passage pour montrer combien le style de Marie de Gournay est pittoresque, combien elle sait manier l'ironie, et combien elle a l'art du portrait satirique quand elle brosse l'attitude des hommes face à une débatteuse :
Et il n'y a si chétif qui ne me rembarre avec l'approbation de la plupart des assistants, avec un sourire seulement, un hochet, ou quelque plaisanterie ou quelque petit branlement de tête, son éloquence muette disant : "c'est une femme qui parle."
Tel se taisant par mépris ravira le monde en admiration de sa gravité, qu’il ravirait d’autre sorte, peut-être, si vous l’obligiez de mettre un peu par écrit, ce qu’il eut voulu répondre aux propositions et répliques de cette femme, si elle eût été homme. Un autre arrêté de sa faiblesse à mi-chemin, sous couleur de ne vouloir pas importuner son adversaire, sera dit victorieux, et courtois ensemble. Celui-là disant trente sottises, emportera toutefois le prix encore par sa barbe.