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mercredi 5 avril 2023

Sirpa Kähkönen : Ville au coeur de pierre

 


 

En 1918 a lieu en Finlande -qui est en train de conquérir son indépendance - une guerre civile qui oppose les blancs, conservateurs nationalistes, bourgeoisie et classe moyenne, et les Rouges composée d’ouvriers et de paysans. Les Rouges perdent et sont enfermés dans ces camps de prisonniers où règnent famine, maladies, sévices et humiliations. 39 000 personnes périssent pendant cette guerre. 

Voir  : Kjelle Westö : Un mirage finlandais
 

Saint Pétersbourg : palais de l'Ermitage

 

C’est lorsque son mari Ilia sort de ce camp en 1922 que Klara décide de partir avec lui en Russie, à Saint Pétersbourg, pour trouver la liberté. C’est ainsi que commence le roman de Sirpa Kähkönen : Ville au coeur de pierre. Le titre joue sur les mots, cette ville tour à tour Petrograd, Saint Pétersbourg, est la ville arrachée aux marais par le tsar Pierre le Grand, la ville de Pierre, avant de devenir Léningrad à la mort de Lénine en 1924. Et par la suite, la ville au coeur de pierre ou Klara va perdre ses illusions.

Klara, est la narratrice de la première partie Petrograd I et deuxième partie du roman Leningrad II. Quand elle arrive à Petrograd, la misère, le désordre règnent. La Révolution a emporté avec elle toutes les structures, le bouleversement est total et laisse tout à faire, tout à entreprendre, tout à construire pour espérer des jours meilleurs et il faut du coeur à l’ouvrage !  Klara n’en manque pas. Tout en s’intégrant dans un petit groupe d’exilés finlandais, en s’entourant d’amis, elle s’occupe des enfants de rue, orphelins, misérables, affamés et malades, vivant de vols, de prostitution, couchant dans des caves insalubres. Klara a  foi en la Révolution, elle croit au progrès et ne se ménage pas.

"Dans ma confusion, je chantais tantôt en finnois tantôt en russe - les mots semblaient m’échapper -, j’étais émue et je pensais quelque chose comme : ces enfants verront le jour où l’esclavage, la faim, l’oppression auront disparu, où la fraternité entre les hommes sera réelle et banale et non plus le rêve d’une poignée de gens."

Mais elle est déjà consciente des failles du système. Pour nourrir la ville, l’armée réquisitionne le bétail, les récoltes des paysans qui, bientôt, réduits à la misère, sont obligés de laisser partir leurs enfants à la ville, ceux-ci venant grossir le flot incessant d’enfants des rues. C’est la révolution elle-même qui nourrit ses propres faiblesses. C’est ce qu’explique son beau-frère Lavr qui s’est d’abord engagé dans l’armée rouge pour défendre la révolution :

« Tu sais contre qui nous dirigeons nos armes en premier ?
Contre les ouvriers et les paysans. Ceux pour qui tu as fait la lutte des classes en Finlande. Nos propres ouvriers, nos propres paysans. L’ouvrier gréviste qui se crève à un boulot de misère, le paysan à qui on saisit sa récolte jusqu’au dernier grain. »

Les Bourgeois et, parfois, les profiteurs, il y a en a encore dans cette société comme partout ailleurs. Ainsi ceux, hommes d’affaires qui ont servi le tsar, continuent à faire fortune et à jouir de privilèges, belles maisons, riches vêtements, voyages, spectacles et fêtes. On les laisse faire ! Du moins tant qu’on a besoin d’eux ! Parmi eux Henrik et l’amie de Klara, Ielena, jeune et jolie finlandaise ambitieuse qui épouse Henrik.
Mais c’est à la mort de Lénine que peu à peu les choses se gâtent, le conformisme et l’autoritarisme se renforcent, la surveillance des moindres faits et gestes, la suspicion aussi. Les finlandais sont accusés d’espionnage. Chacun se méfie du voisin et n’ose exprimer à voix haute sa pensée. Torture, disparitions, exécutions sommaires. Klara, elle-même est suspecte : n’a-t-elle pas fait chanter à ses enfants un poème de Maikowsky  sur la Russie « pays d’abricots et de puces »?

Les autres parties du roman de III à la partie V qui va jusqu’après la deuxième guerre mondiale devant Leningrad assiégée par les Allemands, donnent d’autres points de vue et éclairent les autres personnages, Dounia et Guénia, les enfants adoptifs de Klara, Ilia son mari, Henrik et Ilena, Tom, Choura, Galkin. Tous ces personnages tournent autour de Klara et leurs faiblesses, leurs compromissions, parfois, mettent en valeur la beauté et la pureté du personnage. On voit comment elle a idéalisé ses amis sans voir leurs défauts, leur égoïsme, elle a donné tout son amour, toute sa force aux enfants, à ses amis et à la croyance en une vie meilleure. 

Le récit se fait celui du désenchantement, de la fin du rêve :

Je voulais savoir comment on peut vivre sans joie et sans espoir demande Ielana.
« La prison te l’apprend, dit Galkin. La prison, c’est le meilleur creuset pour faire des hommes nouveaux. Il n’y a rien de tel. »


Encore un beau livre sur un sujet historique intéressant dans une langue pleine de nostalgie et avec un personnage féminin très fort.